Jodie l'avait repoussé, juste un tout petit peu, mais il avait reculé brusquement, de manière saccadée comme tout ce qu'il faisait à ce moment-là. Garfield était connu pour être colérique, mais il avait plutôt tendance à taper du poing dans un truc – en se cassant une ou deux phalanges du même coup – puis à aller faire la gueule dans un coin pour le restant de la journée. Autant dire que ce n'était pas une réaction normale.

Elle baissait les yeux, comme si elle avait peur de lui, ou qu'elle avait encore honte, ou quelque chose comme ça, et ça lui donnait envie de recommencer, ou de faire pire, ou... Il ne savait même pas. Il ne voulait pas savoir. Et elle changeait de sujet... Là non plus, il ne voulait pas savoir si ça augmentait sa rage ou s'il en était soulagé. Un peu des deux, en fait. Mais elle voulait aller à l'infirmerie, enfin... C'était pas trop tôt.

Même s'il ne pouvait toujours pas parler, il était hors de question qu'il touche encore à ce carnet. Il hocha la tête, et s'écarta encore un peu, pour ne plus la toucher du tout. Articulant exagérément un 'Viens' toujours silencieux, il partit dans la direction de l'infirmerie, qu'il aurait pu trouver depuis n'importe quel coin du château. Pas trop vite, pour être certain qu'elle suive, mais sans la regarder de peur de croiser son regard. Il avait réussi à faire ce qu'il voulait, alors sa colère descendait d'un cran, mais la méthode n'était pas la meilleure... Il avait honte, surtout quand il pensait qu'ils étaient au milieu d'un couloir. A quoi est-ce qu'il pensait, sérieusement ? En plus de ça, il avait trouvé ça monstrueusement agréable, un rush dans ses veines qui lui avait coloré les joues et dont il avait bien du mal à se débarrasser. Encore pire à évacuer ? Cette envie de continuer. Alors les tableaux, les armures, même le détail des briques, tout devenait un spectacle fascinant tant qu'il ne fallait pas la regarder.

▽ Réveille-moi.

Rapidement, tu ramasses ta robe de sorcier tombée au sol un peu plus tôt et le garde dans une main. Tu boitais toujours. Putain. C'était douloureux. En fait tu n'aurais pas pu aller à l'infirmerie toute seule. Tu aurais eu peur de tomber. Tu te mords la lèvre inférieure. Tu avais horreur de ça, de cette faiblesse, de cette culpabilité qui te hantait. Tu avais horreur d'être là, derrière lui, comme un enfant qu'on protège. Pourtant, rien de plus, rien de moins, tu étais juste une gamine dans le besoin d'être plus. Tu soupires. Il allait trop vite. Alors tu étires ton bras dont l'épaule n'était pas abîmée et, remarquant que tu n'arriverais pas à atteindre sa main, lui attrapes son vêtement, dans l'espoir qu'il ralentisse au moins un peu.

Tu clignes plusieurs fois des yeux. Les pensées se battaient dans ta tête, ton cerveau était à la fois perdu et complet. Tu te sentais triste de cette situation et en même temps, elle faisait battre ton cœur plus fort que d'habitude. Cette sensation était horriblement agréable. Trop agréable pour être horrible, bien trop horrible pour lui dire qu'elle était agréable. De toutes façons tu ne dirais rien. Parce que tu ne savais rien dire et qu'il ne regarderait pas ton carnet. Tu serres doucement le tissu entre tes doigts.

Tes yeux se lèvent vers lui. Tes membres faibles tentent de le garder près de toi, pour qu'il n'aille pas trop loin. Parce que tu avais besoin qu'il soit là. Douée comme t'étais, il a fallut que tu trébuches. Bravo Jodie. Te voilà genoux à terre, à tenter de te relever. Heureusement, tu l'avais relâché à temps. Tes bras tremblent en supportant le poids de ton corps mais te revoilà sur tes deux jambes, fière, une esquisse de sourire sur le visage. Interdiction d'avoir l'air faible. Parce que tu es forte. Parce que tu avais décidé de l'être. Alors tu avances, de tes petites jambes, tentant tant bien que mal de rester droite.. et surtout, surtout, ne pas boiter.

Garfield avait bien senti la petite main qui avait attrapé la manche de sa chemise, mais il s'était dit qu'elle voulait lui parler, et il n'en avait pas la moindre envie. Et puis il l'avait sentie glisser, un déplacement d'air silencieux plutôt que le bruit d'une chute. Il s'était retourné vivement, un air horrifié sur le visage.

Sérieusement, c'était à ce point là ? Elle s'était relevée tout aussi vite, et elle souriait... Mais elle avait mal. Il était trop con, il aurait peut-être dû commencer par lui demander ce qu'elle avait exactement, au lieu de se fier aux bleus apparents. Et maintenant, c'était le dilemme. Est-ce qu'il la laissait toute seule le temps d'aller chercher quelqu'un qui puisse l'aider ? Nop. Sûrement pas, il y avait une chance qu'elle aille se planquer ailleurs ou que les débiles qui lui avaient fait ça lui retombent dessus. Il soupira et se rapprocha, pour lui prendre son carnet des mains et l'ouvrir à une page au hasard. Mais c'était vraiment la toute dernière fois qu'il utilisait ce machin. Il se concentra, regardant le carnet fixement pour y voir apparaître ce qu'il voulait dire.

Il fallait le dire, que tu sais pas marcher. Si t'as l'habitude... Le mot était écrit comme si la plume avait dérapé, avec des angles plus tranchants que les autres mots. Tu fais comment ? Attends.

Lui rendant son carnet, il s'écarta, en priant pour qu'elle reste bien debout, afin d'aller entrouvrir la porte la plus proche. Il fallait prier pour qu'il n'y ait pas cours, c'était une salle de classe. Ce n'était pas le cas, et dés qu'il avait passé la tête par l’entrebâillement, il avait entendu la porte grincer. Parfait.

Il retourna vers Jodie, lui faisant signe d'avancer, d'un air plus ou moins encourageant. Dommage qu'il ne la regarde pas dans les yeux, ça aurait été un peu plus motivant, sans doute. Néanmoins, quand ils furent dans la salle, il hasarda un sourire après s'être éclairci la gorge. C'était une très bonne chose de retrouver sa voix.

« Tu vas attendre ici, et je vais voir ce que je peux trouver comme aide. »

▽ Réveille-moi.

Faites qu'il ne s'arrête pas. Il s'arrête. Oh pitié, il fallait pas qu'il se retourne. Il se retourne. Tu récupères ton carnet après t'être mordue la langue sur ce qu'il y avait écrit. Pourquoi est-ce qu'il fallait qu'il réagisse comme ça ? Il ouvre une porte pendant que toi, du coup, t'avais arrêté d'essayer de marcher. De toutes façons, t'y serais pas arrivée très longtemps. Tu soupires et te dirige vers la porte. Surtout, ne pas boiter. C'était la seule règle. Parce que c'était nul, de boiter, t'avais juste l'air d'une handicapée. Tu entends sa voix et tu lui souris.

Tes jambes tremblent, ça, fallait pas t'empêcher de marcher comme une abrutie. Tu regardas Garfield et passa tes doigts sur ton carnet, doucement. En fait, c'était l'heure où tout le monde mangeait et trouver de l'aide lui prendrait sûrement longtemps. Tu penches la tête doucement, attrape sa main avant qu'il ne s'éloigne et le tire vers toi pour déposer un baiser non pas sur ses lèvres mais sur sa joue. C'était sûrement pour le remercier. Le remercier d'être là, de t'aider, et même s'il était en colère, de s'inquiéter. Parce que ça voulait dire qu'il tenait à toi et ça, ça te faisait toujours un rebond de poitrine en plus. Tu lui souris.

Garfield allait partir, et elle le retint... Juste un baiser sur la joue. Il papillonna des yeux, et la regarda enfin. Et elle souriait, ça semblait un tout petit peu plus vrai... Sans doute qu'il le regretterait un jour, mais personne ne pouvait lui reprocher de l'aider, voilà. Par contre, on pouvait lui reprocher de refermer ses bras sur elle et de la serrer aussi fort qu'il l'osait sans la blesser d'avantager. On pouvait aussi lui reprocher d'enfouir son visage dans le creux du cou de la jeune fille, et de rester là, à respirer son odeur, pour essayer de se rassurer tout seul. Elle était entière, plus ou moins, ça aurait pu être pire, après tout.

Il n'avait aucune envie de la laisser seule, voilà, c'était dit. Et il ressentait d'ici l'impulsion qu'il aurait dans le futur de garder un oeil sur elle, même s'il n'avait aucun droit de le faire... L'amitié, ça comptait ? Y avait sûrement une culture dans le monde où les amis s'embrassent. Une religion à laquelle il pouvait se convertir, un truc du genre. Même une secte, ça ferait l'affaire. Il aurait dû aller chercher l'aide qu'il avait promise, mais il restait là, le visage noyé dans les cheveux roses contre l'épaule de Jodie, à écouter sa propre colère refluer pour ne laisser que la peur et le soulagement.

▽ Réveille-moi.

Tu inspires d'un brièvement, surprise. Il était fâché ou il était inquiet ? Il était les deux ? Pourquoi est-ce qu'il te prenait contre lui ? Pourquoi est-ce qu'il était aussi doux alors que même pas cinq minutes avant il t'avait presque arraché ce baiser ? Presque, parce qu'avoue, tu avais adoré ça. Tu te passes la langue sur ton palais, tes bras passant autour de lui. Ton souffle lui déplace quelques mèches de cheveux que tu ne remarquais même pas. Tu fermes les yeux. Tu aurais pu rester là pendant des heures, à le garder contre toi. Tu le serres un peu plus contre toi, doucement malgré tout, à cause de la faiblesse de ton corps. Tu avais laissé ton carnet derrière toi, sur le bureau

Ton souffle passe entre tes lèvres jusqu'à ce que tu te crispes. Tu avais juré entendre l'éclat de ta voix. Faible, très discret.. Mais tu étais certaine de l'avoir entendu. Tu serres les dents, refermes la bouche. Tu respires par tes narines. Toi qui avait voulu avoir ta voix, quelques jours plus tôt, tu redoutais maintenant qu'elle existe. Tu redoutais qu'en réalité, tu ne l'ais jamais perdue. Tu redoutais que tout ce qu'il s'était passé depuis ce jour n'était que mensonges. Tu t'accroches à Garfield, passes tes mains sur ses omoplates, le caresses le long de sa colonne vertébrale. Tu vérifiais qu'il était là, qu'il te tenait encore dans ses bras.

Soulagement.

Tu souris, le serre un peu plus fort encore contre toi. Tant pis pour ton épaule qui te faisait mal, tu avais besoin de le savoir avec toi, contre toi. Tu avais besoin de savoir qu'il ne partirait pas comme il était parti. Tu avais besoin de te rappeler que tout ceci n'était pas que le fruit de ton imagination. Tu passes ta main dans ses cheveux, l'incite à relever la tête, délicatement. Ton visage s'approche du sien et tu aurais pu l'embrasser si la douleur ne t'avait pas coupée dans ton élan. Tu grimaces en baissant la tête. Tu mimas un rire nerveux, sans doute plus par mal que par gêne.

Garfield avait l'impression d'être complètement lunatique, pour le coup. Complètement inconscient, aussi, mais ça commençait à devenir une habitude. Les mains de Jodie dans son dos le firent frissonner, alors qu'elle le serrait contre elle en retour.

Il aurait juré avoir entendu un bruit venant d'elle, mais ce fut tellement fugace qu'il n'y porta pas plus d'attention que ça, parce que ça ne se répéta pas. Il avait probablement rêvé, et cette idée le rendait un peu amer, d'ailleurs. Une petite main se glissa sans ses cheveux, et il frissonna encore. Un énième baiser. Est-ce que ça devenait plus grave quand on arrêtait de les compter ? Il avait pu se dire qu'un seul, ce n'était rien du tout. Deux ou trois, c'est pas la mort. Et puis il avait perdu le fil, complètement. Heureusement pour lui, peut-être, Jodie avait mal. Elle rit, nerveusement, et surtout silencieusement. Il avait bien rêvé tout à l'heure.

Garfield rit un peu aussi, nerveusement, puis il se recula, partant vers la porte.

« Tu ne bouges pas de là, vu ? »

Sortant en refermant bien derrière lui, il se mit en route, sans bruit ; retour dans le couloir silencieux. Il allait trouver Absynthe, dans le meilleur des cas, ou un prof en général. Ou Calypso, peut-être ? Un préfet, quelqu'un. Et puis, lâchement, il ne reviendrait pas, parce qu'il avait quitté la proximité immédiate de Jodie, et que ses neurones s'étaient retrouvés (grandes embrassades dans sa tête, ça faisait longtemps qu'ils ne s'étaient pas vus), et que sur le temps qu'il mettrait pour trouver quelqu'un, il brûlerait d'une culpabilité tellement forte qu'elle l'écraserait complètement. Et puis, il avait cours, après tout.

▽ Réveille-moi.

Calypso. Il avait appelé Calypso. Au moins il avait fait cet effort là, de s'intéresser un peu à quelle était la personne la plus apte à t'aider. Parce que Calypso, c'était tout ce dont tu avais besoin. Des cheveux roses pour t'identifier, une voix dure pour te secouer, un corps imposant pour te soutenir et des gestes mielleux pour te conforter. Voilà, Calypso c'était ta protectrice, ta super-copine-héroïne-trop-forte sur qui tu pouvais toujours compter. Et tu aimais Calypso, de tout ton petit cœur d'enfant. Et malgré ça, intérieurement, tu avais espéré qu'elle soit accompagnée de Garfield. Tu la regardes. Tu hoquettes, sans un bruit, comme à ton habitude. Et tu fonds, littéralement, en larmes dans ses bras. Tu la serres contre toi, les gouttes perlant jusqu'à ton menton.

C'était douloureux. Douloureux de ne pas pouvoir le dire. Douloureux d'admettre que même elle n'arrivait pas à te faire parler. Douloureux de ne pas accepter qu'il te manquait quelqu'un. Douloureux. Douloureux. En fait tu avais toujours eu mal. C'est juste que tu souriais, et c'était bien, de sourire, mais ça faisait mal quand tu t'en rendais compte. Tu passes ton bras derrière toi et attrapes ton carnet que tu mets devant toi, pour le montrer à Calypso, après t'être retirée de son étreinte. Les courbes noires apparaissent sur le papier, hésitantes.

Je suis désolée.

Tu souriais. Tu avais toujours souri. Tu sourirais toujours, parce que tu en avais décidé ainsi. Que c'était important pour toi de sourire. Alors malgré les larmes sur tes joues, tu souriais. Tes yeux la regardent, la tête relevée. Fallait assumer d'être petite, parfois. Ou d'être grande, aussi. Mais tu aimais bien, parce que ça résumait assez bien votre relation, en fait. Tu lui souris, d'un sourire angélique. Comme tu savais si bien le faire.. Tu fais apparaître les mots sur le papier, encore une fois.

Tu me ramènes à l'infirmerie ?