▽ Je suis pas un poney, je suis une  licorne magique !

Eh merde. T'étais encore en retard. En plus t'étais au cinquième étage alors que le prochain cours c'était botanique. Donc t'avais une sacré trotte avant d'y arriver. Est-ce que Caesius allait te gronder ? Faites qu'il ne crie pas, faites qu'il ne crie pas, par pitié qu'il ne crie pas. En fait, est-ce qu'il savait crier ? Tu ne l'avais jamais vu en colère. Peut-être qu'on lui avait volé le don du fronçage de sourcils ? Ce que tu pouvais être conne. En plus, du coup que tu pensais à ce genre de trucs débiles, tu t'étais arrêtée, dans les escaliers. Au moment où ils ont décidé de bouger. Donc forcément, il a fallut que tu tombes et tous tes livres avec. Tu te relèves, passes ta main sur ta robe de sorcier pour en retirer toute trace de chute. Tu t'abaisses vers tes livres, les ramasses tous.. Ou presque. Comme d'habitude, il fallait que tu en oublies un. Le pire ? C'est que c'était celui que tu utilisais pour communiquer. Bravo Jodie.

Tu avances d'un pas décidé à travers les couloirs, pour finir dans celui du rez-de-chaussée, à ne plus savoir où tu étais. Douée comme t'étais, tu savais même plus par où était la sortie. Alors tu hésites, cherches ton carnet pour pouvoir demander ton chemin à un tableau. Il était pas là. Merde. Tu regardes autour de toi et commences à faire chemin inverse, histoire de le retrouver. Et il a fallut que tu tombes. Encore. Sans aucune raison. Tu soupires et te relèves pour finir assise, regardant tous tes livres devant toi. Tu te désespérais toi-même, à force.

▽ Je suis pas un poney, je suis une  licorne magique !

Tu relèves les yeux vers une chevelure blanche. Oh. Elle était jolie. Et elle avait une cravate verte. Merde. Fuir. Fuir à tous prix. Les verts t'effrayaient, surtout Richard, en fait. Oui, Richard faisait peur, il faisait mal aussi, Richard était dangereux et il fallait l'éviter. Alors tu avais décidé qu'il fallait éviter tous les verts sinon ils allaient commencer à te frapper. Heureusement que tu ne connaissais pas encore son nom, là tu aurais vraiment eu des raisons de détaler.

Tu fais pression sur ta langue avec tes dents tandis que tes yeux voyagent entre les bouquins qu'elle ramasse et sa cravate verte. Si elle était jolie, c'était sans doute pour te mettre en confiance, alors il ne fallait pas la trouver jolie. Non elle était toute moche et trop petite. Voilà, il fallait se dire ça pour pouvoir fuir sans culpabiliser. C'était bête, ce que tu disais. En plus ça marchait pas. Alors tu retrousses tes lèvres et ravales ta salive en tentant de lui faire comprendre que le bouquin n'était pas dans le tas, d'un haussement d'épaules. Tu approches tes mains de tes livres et les attrapes. Il fallait que tu retrouves ton cahier. Il fallait aussi qu'elle ne te frappe pas à cause de ta faiblesse. Tu baisses doucement la tête. Tu aurais bien voulu disparaître, là, tout de suite. Ça aurait été chouette. Mais voilà, il a fallut que n'ais aucune cape magique et que tu doives t'exprimer par des gestes. T'étais pas douée.

Tu te relèves, tant bien que mal, sur tes petites jambes frêles et esquisses un sourire en direction de la demoiselle. C'était difficile de se faire comprendre sans voix. Tu arrivais même pas à dire que tout allait bien. Quelle empotée tu faisais, sans ton cahier.

▽ Je suis pas un poney, je suis une  licorne magique !

Elle n'était pas là pour te frapper ? Tu penches doucement la tête, la regardes sans oser faire un pas. Tu déplaces tes yeux jusqu'au balai. Tu n'avais même pas remarqué qu'il était là. Tu oses un sourire avant de te rappeler que les sourires ça énervait Richard. Pas sourire. Tu le fais faner, reste neutre, bien qu'un peu crispée, en regardant Astrid. Tu avais été tellement absorbée par le besoin d'être droite que tu finissais même à faire de la concurrence au balai. Ça ne te ressemblait pas, toi qui avait toujours le dos courbé.

Lorsqu'elle évoque le langage des signes, tu recommences à sourire. Peut-être qu'elle n'était pas comme Richard ? Tu écartes les bras et. Oh. Zut. Les livres. Par terre. Encore. Tu gonfles les joues et fronce les sourcils, doucement, te demandant si tu allais arrêter d'être aussi débile. Tant pis, tu les ramasserais après. Là il fallait communiquer. Parce que tu connaissais le langage de signes, tu avais été obligée de l'apprendre pendant les vacances, quand tu retournais à la maison. Après tout, la magie était interdite en dehors de Poudlard, en tant qu'élève. Tu tentes de te rappeler et commence des signes hésitants et lents, pour qu'elle puisse comprendre. Tu tentais de faire simple, tu essayais au moins de lui faire comprendre que ton livre était tombé dans les escaliers lorsque tu étais descendue.

Tu fis passer également que tu l'accompagnerais déposer le balai si elle l'aidait à retrouver son bouquin dans les escaliers. Ça ne pouvait plus te faire de mal, vu le retard que tu avais déjà, dix minutes de plus ou de moins, ça ne te tuerait pas.

▽ Je suis pas un poney, je suis une  licorne magique !

Tes paupières s'agrandirent lorsqu'elle parla de Phoebe. Phoebe ? Ta Phoebe ? Elle la connaissait ? Ta jolie rousse ? Cette pensée te fit esquisser un doux sourire, sans vraiment t'en cacher. Si Phoebe parlait avec Astrid, c'est qu'elle n'était pas si méchante. Alors tu commençais à avoir doucement confiance, malgré la couleur de sa cravate. Tu avances d'un pas sautillant, les bouquins aux bras, jusqu'au placard à balai. Tu la laisses s'occuper de ranger son bordel et te retournes alors dans la direction des escaliers.

Tu t'arrêtes un instant malgré tout, te retournes vers elle et lui adresses un sourire angélique tandis que tu tentes de t'expliquer du bout de tes doigts, tes bras retenant les livres contre ta poitrine. Tu étais bête, mais pas au point de faire les mêmes erreurs dans un laps de temps aussi court. Tu tentes de lui demander comment se fait-il qu'elle connaisse Phoebe. Tu n'avais donc aucune connaissance de leur liens familiaux. Encore moins de ceux avec Richard. Tu étais vraiment bête, quand tu le voulais.

▽ Je suis pas un poney, je suis une  licorne magique !

Tes longs cils noirs dissimulent partiellement ton tendre regard pétillant de joie tandis que ton sourire fané se redresse telle une fleur au début du printemps. Tu passes ta langue sur ton palais; un bête tic que tu avais obtenu au fil des jours où tu passais du temps avec Garfield, sans vraiment comprendre pourquoi. Tu voyais bien que ce n'était pas heureux de se rappeler de ces doux souvenirs. Tu voyais bien ses regrets. Tu ne les comprenais pas et tu ne voulais pas les comprendre mais tu les remarquais, assez bien pour que tu aies la volonté de la faire sourire.

Alors tu lui avais adressé un regard pailleté tandis que ton doux sourire se cacha lorsque tu te retournas, tes cheveux volant doucement face à la vitesse de rotation de ton corps. Tu t'étais engagée dans le couloir d'un pas joyeux, le bruit de tes pieds contre le sol résonnant dans le couloir vide de monde. Ta robe de sorcier suivait le mouvement de tes hanches pleines tandis que tu commençais à monter les escaliers.

Tu t'arrêtes à nouveau, la laisses arriver à ta hauteur pour pouvoir lui parler, même en avançant. Tu continues de marcher lorsqu'elle t'atteint, tandis que tu fais aller tes mains en faisant attention de ne pas faire tomber tes cahiers. Tu étais allée un peu plus vite, cherchant malgré tout à te faire comprendre. Un peu maladroitement, tu lui demandes combien est-ce qu'ils étaient dans la famille. Phoebe ne parlait pas beaucoup de tout ça, ça pouvait être intéressant de savoir sans qu'elle le lui dise. On pourrait croire que c'était une attention envers elle que de te renseigner mais en réalité, tu n'en avais que faire de la famille de Phoebe tant que elle, elle restait parfaite. Parce que oui, Phoebe était parfaite, avec ou sans famille à Poudlard.

▽ Je suis pas un poney, je suis une  licorne magique !

Cinq ? Comment se fait-il que Phoebe ne t'avait jamais parlé de sa famille ? Tu gonfles les joues, un peu triste, voire un peu vexée, sans en comprendre le mécanisme. Tu clignes plusieurs fois des yeux et accélère le pas. Tu retrousses tes lèvres tandis que tu espérais qu'elle ne soit pas fâchée contre toi. Peut-être que si Phoebe ne te parlait pas de sa famille, c'est parce qu'elle avait de mauvaises relations avec elle ? Est-ce que c'était à cause de toi ? Tu commençais à paniquer. Peut-être que les Morgan n'allaient pas bien à cause que tu monopolisais Phoebe ? Attends. Morgan ? Holly Morgan ? Phoebe est une Morgan ? Comme Astrid ? Comme.. Richard ? Putain.

Tu t'arrêtes. T'en avais mis du temps à comprendre, mais au moins, tu avais compris. Tu ravales ta salive et esquisses un faible sourire. Tes mains hésitantes tentent de lui demander si Richard aussi était de leur famille. Tu ne voulais pas qu'elle sache que tu le connais, encore moins qu'elle aille lui parler de toi. Mais au moins tu voulais savoir, vérifier si il était du clan, si tu devais te méfier de Phoebe et d'Astrid. Parce que si il avait des raisons de te frapper, peut-être qu'elles étaient gentilles avec toi pour mieux te poignarder ensuite. Tes yeux s'humidifièrent. Pitié. Chasses ces horreurs de ta tête, elles ne valent pas que tu pleures. Tu ne pleurerais pas.

▽ Je suis pas un poney, je suis une  licorne magique !

Tu continues d'avancer et d'un battement de cils, fait disparaître la fine couche d'eau sous tes pupilles. Tu souris à nouveau. Si elle n'aimait pas Richard, alors c'était tant mieux. Parce que ça voulait aussi dire que si elle venait à savoir, elle ne serait pas contre toi. Et qu'elle n'a l'a sans doute jamais été, d'ailleurs. Mais Phoebe ? Phoebe elle aime Richard ? Tu retrousses tes lèvres, tes pas lents et hésitants démontrant toute ta faiblesse. Putain t'en avais marre d'avoir l'air d'un chaton sans défense. C'est ce que tu étais. Mais tant pis, tu voulais faire bonne figure.

Au moins elle ne voulait pas que tu pleures et c'était une bonne chose. Les Morgan étaient sans doute une famille de laquelle il ne fallait pas trop s'approcher. Ou en tous cas pas s'approcher de leurs problèmes. Tu récupères ton sourire pétillant et tes yeux lovés de bonheur. Tu te mordilles la lèvres, la relâches quelques secondes après. Tu avais sûrement un millions de tics dont tu ne prenais même pas conscience et bizarrement, chacun d'eux renforçait à chaque fois cette image d'enfant adorable et trop inconsciente que tu étais.

Tu arrives dans l'escalier dans lequel tu étais tombée et. Oh. Ton cahier, là, par terre. Tu élargis ton sourire en t'abaissant pour l'attraper et l'ouvre, en direction d'Astrid. Les jolies courbes de tes lettres noires y apparaissent sans aucune difficulté.

Et voilà ! Merci de m'avoir accompagnée. J'ai raté le cours de botanique du coup, mais c'est pas trop grave parce que Caesius est gentil.

C'était nul comme justification. Mais c'était assez vrai, en fait. Tu lui adresses un tendre sourire, sans doute pour la remercier.

▽ Je suis pas un poney, je suis une  licorne magique !

Ton mutisme demeure, ta voix reste enfouie, quelque part, loin sans doute. Sauf que tu étais heureuse. Sans raison apparente, juste parce que tu l'avais décidé. Ton sourire éclate, tes dents blanches attendrissent le moindre regard, tes lèvres tendues ainsi n'en ont l'air que plus douces. Ton sourire brillait, tes yeux suivaient. Tu t'illusionnais de mensonges éphémères, détruisais ta vérité pour une autre plus utopique et sans doute plus facile à vivre. Ou en tous cas à supporter. Tu ne prenais pas conscience de ce voile lorsqu'il te bandait les yeux, tu ne prenais pas conscience de cette façon dont tu avais de te cacher derrière ton carnet abîmé. Le mutisme avait été une protection, une fuite, un moyen de ne rien devoir expliquer, de ne rien devoir exprimer. Lorsque tu sortais de ton bonheur illusoire, il arrivait que tu regrettes ce jour où tu étais tombée amoureuse de Jack mais à chaque fois que tu retournais dans ton confort euphorique, tu bénissais tes cordes vocales défaillantes. C'était malsain, d'aimer un handicap ?

Avec Astrid, c'était la même chose. Qu'elle s'excuse, qu'elle soit gênée, tu aimais ça. Elle te confortait dans l'idée que tu avais d'être protégée et aimée. En réalité, Jodie, au fond de ton petit cœur, lorsque tu quittes ton monde rose pailleté, tu savais bien que personne ne t'aimait. Ni Astrid, ni Phoebe, ni Jack, ni Lance, ni ta sœur, ni même Garfield. Encore moins Garfield. Au fond de toi, tu te disais qu'ils étaient là pour profiter, qu'ils t'utilisaient pour remonter leur propre estime, qu'ils ne faisaient que s'attacher à toi parce que toi tu les aimais. Tu étais bien bête, petite Jodie. Tu étais bien laide, petite Jodie. Tu n'étais pas faite pour être aimée, méchante Jodie.

Tes doigts sur le carnet t'avait rendue plus sombre, plus cachée, moins vraie. Pourquoi est-ce que ce carnet était indispensable pour te sentir en sécurité ? Avais-tu besoin de plus de sécurité que celle que l'on t'offrait déjà ? De quoi avais-tu peur ? Du danger ou justement de ceux qui voulaient t'en protéger ? Tu souris en direction d'Astrid.

Non merci. J'ai déjà plein de livres à étudier, pour ça.

Tes pensées noires demeurent malgré ton visage égayé des étoiles dans tes yeux et des paillettes de ton sourire. Qui étais-tu, misérable Jodie ? Tes longs cils noirs dissimulent ton regard sans le cacher, tes yeux fixant avec insistance le sol sous ses pieds. D'une main tu fais pression sur le papier blanc, l'abîme un peu sans un bruit. Ton sourire demeure tandis que tu relèves les yeux vers elle, sans croiser son regard. Les lettres apparaissent, lui laissent le temps de lire avant que tu détales en un déhanchement dont toi seule avait le secret.

Je vais aller rejoindre la classe pour mon prochain cours. Merci de m'avoir aidée.

Idiote petite Jodie.