Il y avait un peu plus de vingt-quatre heures qu'il s'était réveillé. Il n'avait pas eu l'audace de croire que ce serait temporaire, comme toutes les potions de Flavia, qu'il serait question d'un jour puis que sa dette serait effacée... Mais il avait attendu quand même, avec un tout petit peu d'espoir.

L'espoir, ça l'avait rendu stoïque, calme et patient sur le lit bien trop blanc et bien trop grand de l'infirmerie, à regarder Euphrasie voleter d'un malade à un autre. C'était une occupation comme une autre pour ne pas réfléchir à cette situation qui lui donnait le vertige. Il savait bien qu'il ne s'en sortirait de toutes façons pas aussi facilement que ce qu'il avait cru, si la harpie avait attendu des mois pour prendre sa revanche ce n'était pas pour qu'elle se dissipe si vite.

Au final, l'attente s'était terminée, après que toutes les secondes se soient égrainées. Le tic-tac avait été assourdissant pendant toute une journée, comme si une bombe allait exploser. Viridus avait attendu que quelque chose se passe, et le grand désastre fut le vide.

Il avait toujours détesté le vide. Il suffisait de le remplir, d'une colère assourdissante de calme qui fit exploser bon nombre d'objets dans les alentours. Pas un éclat de voix, mais des éclats de verre ; il avait la colère froide. Il s'était enfin levé, avait cessé de marquer les secondes du balancement de ses jambes trop courtes hors du lit de métal, et son pied par terre avait été comme le début d'un feu d'artifice.

Il n'avait même pas pris le temps de s'excuser auprès d'Euphrasie, il était juste parti au travers des couloirs. Il avait envie de donner des coups de pieds dans les murs et de hurler, mais ç'aurait trop ressemblé à un caprice à présent. C'était toute la cruauté de sa punition, il ressemblait à un enfant et se rendait compte à présent qu'il en avait déjà les attitudes. Déjà, il sentait qu'il allait devoir resserrer son emprise sur sa classe, se montrer plus injuste encore pour que sa voix soit entendue malgré les aigus. Hors de question qu'il se cache, et ça allait commencer tout de suite.

C'était stupide, de se promener dans le château comme s'il lui appartenait. Dés les premiers mots du fantôme, il sentit toute l'acidité du venin qu'il avait à cracher lui revenir en bouche. Il s'en fichait, de Jae, jusqu'au moment où il avait fait l'erreur d'être le premier à le prendre pour ce qu'il n'était pas. Viridus acceptait difficilement d'être blessé et ceci, qu'il le veuille ou non, était blessant. Tous ceux qui l'avaient entouré à son réveil s'étaient montré d'un calme prudent, l'infirmière par compassion et son stupide assistant par instinct de survie ; il fallait bien que ça tombe sur un ignorant, ç'aurait été trop logique d'attendre de croiser la route de ceux qui était susceptibles de rire à cette blague de très mauvais goût.

Pour Jae, cependant, il n'était qu'un enfant. Il hocha la tête, s'appliquant à avoir l'air un peu perdu.

- On est où, ici ? Comment tu t'appelles ?

L'histoire du fantôme était bien connue du personnel. Viridus ne savait pas encore comment, mais il allait faire mal, juste pour ne pas admettre que lui-même se sentait perdre pied.

Le fantôme ne semblait pas comprendre, et Viridus se demandait si c’était lui qui était à ce point méconnaissable ou s’ il était vraiment stupide. Probablement un peu des deux, étant donné sa taille et l’étrange comportement du spectre qui ne semblait pas vouloir admettre qu’il en était un. Il aurait pu essayer de comprendre s’ il y avait porté un minimum d’intérêt, mais ce n’était sûrement pas maintenant qu’il allait commencer. Il devait faire un effort pour détendre sa mâchoire, juste pour ne pas entendre ses dents grincer de colère contre l’univers.

Les informations que le fantôme lui donnait étaient vraies, si tant est que ‘Jae' soit un nom valable. Viridus n’avait jamais compris pourquoi les morts ne gardaient pas leur nom, c’était précieux, un héritage et une trace d’identité. Même en mentant, lui ne niait pas totalement cette part de lui.

- Je m’appelle Dorian.

Son troisième prénom, celui que personne ne connaissait. Il paraissait un peu ironique à présent, avec ces histoires d’âge ; il aurait aimé trouver le tableau à regarder, parce que quelque chose lui disait que Flavia n’allait pas le laisser vieillir, ç’aurait été trop facile. Il était éternellement jeune, mais juste un peu trop.

Ce n’était pas simple de se rappeler des attitudes de l’enfance, mais il était bon observateur et bon acteur, alors il pouvait passer outre les réticences de son esprit d’adulte pour se balancer un peu d’avant en arrière, les mains jointes derrière le dos, la frimousse levée vers le fantôme avec un regard à présent habilement contrôlé. Un jeu aidait la colère à refluer ; il prenait le contrôle de la partie comme pour expier tout ce qu’il ne contrôlait plus.

- Je sais pas où ils sont. Ils sont où les tiens ? Tu vas où toi ?

Les enfants font de l’honnêteté et de la curiosité une arme tranchante, à bien y regarder. Maintenant, il avait tout loisir de l’utiliser, et ça ne pouvait même pas être retenu contre lui. C’était un peupour se venger de l’exact même problème : il ne savait pas où il allait.