« Il est arrivé quelque chose. »

Sa voix tremblait d’émotion, elle le vit à peine arriver, le reconnut seulement à ses pas. Mais elle avait un air songeur, il ne pouvait le voir, elle lui tournait indifféremment le dos, mais elle avait son regard d’ailleurs, lorsqu’elle s’abandonnait dans la contemplation du ciel, et qu’elle rêvassait sur les formes des nuages. Elle suivait d’un œil envieux le vol d’un hibou qu’elle avait mandaté pour lui envoyer un mot, et qu’elle laissait à présent virevolter en liberté au-dessus du château.

Elle ne s’était pas un seul instant demandée s’il avait du temps pour elle, s’il n’était pas trop occupé avec ses activités de serpentard. Mais elle faisait l’égoïste. D’ailleurs, elle n’avait eu aucun scrupule à lui dire de venir la rejoindre ici, de son écriture penchée de fille, un simple « je t’attends à la volière, urgent » à la va-vite, pour souligner l’impératif de sa demande. Et il était là, au rendez-vous, fidèle à son poste au milieu des fentes d’oiseaux et d’une odeur immonde. Un brave garçon.

« Quelque chose d’incroyable. »

Il n’y avait rien d’urgent en vérité, ce n’était qu’un caprice comme elle en avait tant. Pourtant, ce n’aurait pas pu être avec quelqu’un d’autre. Elle aimait lui raconter ce genre d’évènements, peut-être parce qu’elle pressentait qu’elle avait son attention toute entière, et qu’elle ne se souvenait pas l’avoir entendu se moquer d’elle, ou suspecter ses mots une seule fois. Il n’en faisait pas trop, et c’était précisément ce qu’elle affectionnait chez le garçon. Peut-être, aussi, l’appréciait-elle plus simplement.

Elle se retourna enfin, et feignit la surprise. Une agréable surprise. Son visage se fendit d’un sourire aise. Désordonné. Elle fit semblant d’être étonnée, étonnée de le voir là, juste face à elle, presque comme si elle ne lui avait jamais demandé de venir, oubliant même qu’elle avait déjà commencé à lui parler. C’était curieux, ni vraiment logique.
Elle se précipita vers lui comme un enfant court à la rencontre d’un jouet tant désiré.

« Oh tu es là ! Shawn ! »

Elle s’exclamait avec beaucoup de spontanéité. Elle ne lui demanda pas s’il allait bien, ce n’était pas le propos, et visiblement, elle se portait comme un charme de son côté. Elle le fixait intensément et vivement, avec le désir ardent de raconter ce qui lui était arrivé de si extraordinaire, encore, dans sa si incroyable existence, l’incitant presque à lui poser la fameuse question. Celle dont elle avait besoin pour lancer un mirage, un songe, une duperie.

Elle l’attrapa par le poignet, et le tira avec une hâte non dissimulée en direction d’une fenêtre. Elle pointa du doigt le ciel, mais il n’y avait rien.

« Est-ce que tu vois ça ? »

Il avance, les mains dans les poches. Il passe une main dans ses cheveux, machinalement, un léger sourire flottant sur les lèvres. Quelque chose ? Certes. Mais quoi donc ? C'était à lui de le découvrir. Il verrait bien. En temps normal, il ne se serait pas précipité ainsi en recevant un tel message. Mais il l'avait reconnue, cette écriture fine. Il la connaissait, cette plume, qui lui avait envoyé ces quelques mots. Il avait alors remballé ses affaires. Rapidement. Prestement. Il avait roulé ses parchemins, refermé ses livres, rebouché ses encriers, pour se dépêcher d'aller la rejoindre.

Il marche dans les couloirs sans trop savoir comment faire son entrée. Il se doute bien de ce qui va se passer. Il sait pertinemment qu'elle n'a rien de si extraordinaire à lui montrer. Mais cela l'amuse. Alors il continue à y aller. Il continue, à chacun de ses appels, à se présenter. Il ne saurait guère l'expliquer. Pourquoi, comment ? Ce sont des questions auxquelles il n'a guère de réponse à donner. Mais en a-t-il vraiment besoin ? Probablement pas. Il arrive tout à fait à vivre avec. Alors il avance, le long de ces interminables couloirs, pour finalement arriver au bas des escaliers. Il sent l'odeur si particulière de la volière. Chouettes. Hiboux. Oiseaux en tous genres. Et tout ce qui doit accompagner ces derniers. Il plisse le nez un instant, avant de commencer son ascension.

Et le voilà arrivé. Il regarde autour de lui, un peu essoufflé d'avoir grimpé ces marches irrégulières par deux, voire trois. Il ne la cherche guère longtemps, son regard comme attiré par sa présence. Il s'avance, tranquille, détendu. C'est chose rare, pour lui qui n'aime pas vraiment les gens. Il parait un rien moins assuré qu'à son habitude, mais également un rien plus naturel. Il sourit. Il compose son sourire. Il sait bien qu'il n'y a strictement rien à voir ici. Rien de vraiment intéressant. En mettant de côté sa présence, évidemment. Et il s'avance vers la Serdaigle, sans avoir le temps de réagir alors qu'elle le tire vers la fenêtre. A peine a-t-il le temps de lâcher un rapide "Salut Deb'.", sans même avoir l'occasion de finir de prononcer son nom. Il plisse les yeux, tentant d'observer ce fameux phénomène dont elle lui parle. Ils doivent avoir l'air malins. Mais il finit par donner sa langue au chat, un peu perdu à observer le... Ciel.

Je suis pas sûr de bien le voir...

Il plisse les yeux d'avantage. Il attend quelques éclaircissements sur ce qu'il est censé voir, en se disant qu'une fois qu'il les aura eu, il pourra jouer le jeu de façon plus naturelle. Plus précise. Plus concise. Mais il lui faut quelques détails, et leur petit jeu de mensonge pourra commencer.

Elle s’entêtait. Elle s’entêtait à vouloir lui montrer ces inventions bancales, ces chimères un peu folles qu’elle imaginait pourtant très clairement, sans jamais pouvoir leur donner forme et contenance. Elle ne pouvait que les désigner vaguement du bout des doigts, les lui décrire un peu maladroitement, avec cette assurance un peu étrange, cette conviction grotesque. Il ne suffisait pourtant pas de faire semblant de voir des choses pour les rendre vraies, mais elle continuait toujours, incapable de freiner une fois lancée sur la pente raide. Elle dévalait toujours la route à toute allure, sans pouvoir rebrousser chemin, ou peut-être sans vraiment oser. Ce n’était pas si simple, elle s’en rendait compte parfois.
Dès lors que le mensonge avait pris forme, elle ne pouvait plus l’ignorer en faisant marche arrière, comme si de rien était. Elle se contredisait souvent pourtant, lorsqu’elle devait se souvenir de tout ce qu’elle avait déjà dit.
Elle s’emmêlait.
Et elle s’emmêlait encore présentement. Que lui avait-elle déjà inventé ? Quels mensonges pouvait-elle encore lui chuchoter qu’il n’imagine ou ne connaisse pas déjà ? Deborah sentait parfois le besoin de se renouveler. Elle aimait mentir, comme elle révélerait des secrets, toujours avec une promesse exaltante. Elle voulait l'étonner. En ce sens, l'énergie qu'elle y consacrait, s'avérait tout à fait remarquable.

Evidemment, il ne ressortirait rien de cette entrevue. Si seulement il lui arrivait de réfléchir à d’autres sujets, elle pourrait par exemple se demander pourquoi Shawn prenait toujours le temps de l’écouter, et de faire comme s’il voyait les mêmes choses qu’elle. Elle devrait toujours se questionner sur cette fameuse raison qui le poussait à se jeter encore dans cette indéniable perte de temps.
Deborah ne croyait pas que tous ces bobards étaient vains. D'une certaine façon, ils faisaient partis d'elle, une vilaine manie qui la caractérisait un peu trop. Il fallait le supporter. Peu y parvenait d'ailleurs. C'était étonnant, que le Serpentard ne s'en soit pas encore lassé.

_ Tu as dû lui faire peur, et il s’est caché…

Elle l'accusa d'un regard un peu vague.
Elle aurait voulu faire semblant de lui en vouloir. Elle tentait d'ailleurs de l'embobiner avec une petite moue. Elle avait le visage joliment rond, mais délicat, qui lui rendait la tâche plus aisée. En s'orientant de quelques degrés vers la gauche, sa lèvre inférieure recouvrant légèrement celle du dessus, elle parvenait à simuler un semblant de frustration. Elle termina son portrait en accentuant avec une légère contraction des sourcils.
Seulement il y avait un défaut à son jeu d'actrice. C'était toujours la même manie qui revenait inlassablement, comme un tic. Un tremblement presque imperceptible au niveau des lèvres, un léger mordillement, une courbe qui tendait à vouloir se redresser vers le haut, toujours pour creuser ces sourires badins.

_ Tu me croiras, n'est-ce pas ? Je ne suis pas une menteuse.

En même temps, elle ne supportait pas le mot qui sonnait en boucle comme une douloureuse injure. On y revenait toujours. Elle avait besoin de se l'entendre dire, elle s'en sentait rassurée. Elle aimait être crue, elle aimait être écoutée, elle aimait la confiance naïve. Elle n'en demandait pas plus, comme une entrée en matière, une invitation à sa mascarade.

Elle serra le bras du garçon entre ses doigts, et tira doucement dessus, comme pour lui faire signe de s'approcher. Elle se hissa tranquillement sur la point des pieds. Dans le creux de son oreille, elle lui chuchota ce qu'il y avait à voir dans le ciel, pour peu qu'on ferme les yeux et qu'on s'imagine chercher un peu plus loin derrière les nuages.

_ J'ai vu un gigantesque dragon volé au-dessus du château.

Alors seulement, un rire éthéré et ravi creva son visage coloré de sourires fleuris.