La petite brune, essoufflée pouvait voir les rouages se former près de l’oreille de Juliet, l’imagination la travaillant pour ne pas en révéler trop des secrets de Wendy. - C’était prendre un parti sans doute un peu dérangé, mais c’était un parti qui n’était pas prêt à en dire plus à Juliet, et ça, Sloan compatissait. - Sloan elle vivait avec ses mensonges, elle vivait très mal, d’ailleurs ça avait explosé dans les couloirs comme du potiron en plein sur les murs mais en attendant, plutôt qu’une adolescente névrosée et à moitié sonnée par le quotidien de sa vie de bleue elle était devenue Sherlock. Si la couverture de Wendy était moins habile, ou si du moins elle consistait à éclater en giboulées de tristesse instoppables, alors Sloan ne pouvait qu’en éprouver un fort sentiment de similitude avec sa propre situation.

Enfin, Sloan n’avait probablement pas pleuré, sauf une fois, après le Bumblebee Day. La pire soirée de sa vie, aurait-elle écrit en commère survitaminée qui se jette sur son journal intime les nuits de pleine lune. Mais passons.
Juliet elle voyait tout et rien (tiens elle lui faisait penser à Wesley), peut être que c’était plus amusant de ne regarder qu’à moitié, en tout cas Sloan n’était plus de ces gens-là et si elle l’avait été, elle avait tendance à y repenser parfois, à se dire que oui : c’était beaucoup plus simple avant de se contenter d’être une groupie de Holly Morgan, levant avec fierté deux traits bleus sur chacune de ses joues. Il y avait des limites quand on s’appelait Sloan T. Holmes, faire tourner en bourrique une gentille fille qui daignait lui prêter sa cape n’était pas la meilleure des réponses à quoi que ce soit.

Deux mains se glissent pour soulever un peu la cape et ne pas se prendre les pieds dedans, elle imagine d’ailleurs comment s’improviser menteuse professionnelle après des mois d’inactivité, ça la fait un peu se sentir coupable et le froid lui monte au visage. « Elle en a pas parlé. Je cherchais… Vega et je lui ai demandé si elle l’avait croisée et puis c’est tout. » Puis il lui revient que c’est après leur petite discussion que la pauvre Wendy est tombée et un début de culpabilité la perturbe, elle fait un maigre sourire, elle implore Hakuna de montrer le bout d’un de ses yeux. « Vous vous êtes disputées ? »

“Je pense que les secrets, parfois… ça n’aide pas à aller mieux.”

Juliet était inquiète. Inquiète, dans le genre : j’ai préféré aller chercher Hakuna sans Wendy, alors que Wendy est Wendy. Pour Sloan qui s’attelait à réaliser ses schémas mentaux habituels, il n’était pas logique que Weatherfield ne soit pas dans un coin de la feuille, c’était assez intriguant. Sauf que Sloan se l’était juré, elle ne mènerait plus de petite enquête… enfin… seule elle ne se l’interdisait pas puisqu’il n’y avait qu’elle pour se retrouver dans la mouise alors, ça pouvait se risquer, oui. A la question répondue par une autre question, il y eut chez la bleue un déclic, une tentative alambique d’avouer que tout n’allait pas si bien entre les deux jaunes fusionnelles et c’est là que Sherlock commença a sortir les cadavres du placard un par un.

“Elle est distante, hm ?”

La main ne se posa pas contre le menton en tic incontournable puisque les deux filles s’efforçaient de ne pas finir la tête dans le décor sous leur jolie cape, mais cela fit réfléchir Sloan. En même temps la brune se sentait utile, ce soir, ça lui réchauffait un peu ses pauvres sentiments congelés, un peu comme les mammouths qu’on retrouve sous la glace des siècles plus tard vous savez. Juliet lui accordait ces petites confidences comme un soleil se lèverait au dessus de Holmes pour l’éclairer un peu, faire aspirer à autre chose que des… secrets. Seulement elle avait promis à Wendy de ne pas en parler, ou si ça n’avait pas été dit de vive voix, l'évènement avait pris une de ces tournures traumatisantes et Sloan ne se risquerait pas à remuer le couteau dans la plaie. Depuis un bout, disons que Sloan était dans le même bateau, alors ça servait à rien de prendre la mer pour l’instant !

“Et si c’était elle qu’avait peur de te perdre ou que tu sois plus son amie ? Si c’était réciproque ?”

Cliché, peut-être, mais fondé, aussi. Enfin, les histoires de filles gardaient leur côté dramatique, y en avait toujours une pour s’inquiéter plus que l’autre, ou alors, autant avec une approche différente et ça donnait ces situations de crise.

“C’est pour ça que tu veux retrouver Hakuna après tout ce temps, parce que tu veux t’occuper la tête… j’imagine.”

Une amie araignée, c’est très bien, dans une telle perspective. C’est vrai. Cependant, Sherlock était persuadée qu’il y avait une raison à ce soudain besoin de rechercher l’acromentula. La forêt interdite, un sacré défi pour des gamines pas vrai ? Et si Juliet cherchait le danger ? L’aventure, sans doute aussi oui. Sloan était bien placée pour savoir que l’adrénaline la bousculait et la remettait en place. Était-ce une façon pour Juliet de comprendre ce qui lui arrivait… en détail ? Peu importe. Sloan ne la laisserait pas ici toute seule. (Elle n’était pas venue pour affronter des problèmes personnels, il n’empêche que parler d’autre chose que d’Hakuna aidait à combattre les frissons qui remontaient le long de son dos…)

Cela dit, elle savait qu’elle ne pourrait pas remplacer Wendy. Chacun son acolyte. La brune souriait faiblement face aux réponses que donnait la jaune. Il y avait tant d’énergie dans sa voix, quand elle parlait de Weatherfield que cela devenait presque affectueux. Elle lui faisait confiance, malgré son silence après l’accident et puis, elle tenait assez à elle pour en discuter avec Holmes. Rappelons-le, Holmes n’était pas connue pour son secret professionnel.

“...Aujourd’hui, tu sais, elle se sent mal. Quand on se sent mal on se met à douter de tout, même de l’importance qu’on a pour les autres. Même de… l’amour qu’on a pour les autres. Elle a besoin de l’entendre.”

Sloan se fendit d’un rictus maladroit, comme si elle en disait trop, alors elle revint sur ses paroles pas bien habiles (d’ailleurs la terre semblait s’aplanir par ici, elle dérapait moins.) C’était difficile, Holmes n’avait jamais été douée pour parler. Mais elle ferait un effort, pour Juliet.

“Je veux me débarrasser de ce qui n'a pas sa place dans ma tête... ou nulle part ailleurs.” Les lèvres de Sloan s’étendirent, elle croisa les mains dans le dos et son visage tenta de s’adoucir aux traits. Comme si elle était devenue… quelqu’un d’autre.

Plus elles avançaient, plus le décor semblait disparaître et les absorber dans ce puits sans fond qu’était devenue la Forêt Interdite. Ou un œil géant posé sur elles deux, Juliette et son crane flamboyant, Sloan qui ne sait plus bien ce qu’elle fait au milieu des bois. Sa petite voix perce entre les arbres, leurs silhouettes exposées au monstre gigantesque. Elles ne le voient pas, pas avant que Juliette panique et, Sloan sort de sa bulle, son joli univers fécond d’idées noires, là où Juliette est sûre d’elle.

Sûre de tout, de Wendy qu'elle consolera à son retour, autant de la panique qui la prend que de ses pieds qui s’agitent, et elle lui dit: elle a peur. Holmes vit aux loin les tours les regarder avec ironie. Vous les petites gamines qui vous aventurez dans les bois sans penser à autre chose qu’une araignée géante, vous les inconscientes, les décérébrées. Sloan a les yeux gonflés de solitude, pourtant elle sait qu’elles ne doivent pas rester ici, dans l’antre des plus isolés. Avec rien autour, sinon de quoi se faire bouffer toutes crues.

Elle hoche la tête, sous la cape, se rapproche un peu d’elle et sa baguette glisse en silence entre ses doigts pendant qu’elle respire un bon coup. Désolée, Hakuna, on ne te sauvera pas ce soir. Mais elles essayaient de fuir le château, en un sens, alors c’est une leçon de plus pour leurs deux têtes fragiles.

C’est vrai on pourrait leur broyer la tête et réduire leurs cerveaux en bouillie.

Sloan attrapa vivement la main de Juliette, et elles s’enfoncèrent dans la masse vivante qu’était devenue la forêt. Elle voulait les avaler.

“Je veux survivre une nuit de plus, voir si tu épouses Wendy à la fin! Alors cours!”

Car toutes les bêtes, de toutes les tailles, criaient soudain plus fort dans ses oreilles.
Et elle avait la trouille.