Caesius avait le nez froid et rouge.
Sur son front, un bonnet d'une horrible couleur ocre. Il n'avait jamais su choisir des vêtements où des couleurs qui lui allaient, le plus souvent vêtu d'une chemise et de sa blouse de travail. Il avait des flocons accrochés à la laine de sa tête et aux cheveux roux qui en dépassaient. Une épaisse écharpe embrassait sa bouche, pudique.

Il regardait la vitrine de Zonko qui était bariolée de couleur à l'approche des fêtes de Noël. Depuis quelques années, étrangement, il avait eut à faire plus de cadeaux que d'habitude. Autrefois, il cherchait un présent pour sa mère - une plante lui plaisait, elle était fleuriste - et pour Ruber, ce qui se résumait à une autre plante puisqu'il n'avait pas plus d'idées.
Mais là, il devait faire un cadeau à Absynthe. Et Euphrasie, aussi, Moriarty et quelques autres collègues. Y penser, ça lui étalait le rouge jusqu'aux pommettes.

Zonko lui paraissait le meilleur choix possible - un rappel de leurs anciennes années, où son ami le traînait dans les histoires les plus invraisemblables. C'était vrai qu'il était beaucoup plus calme maintenant, mais il pensait que ça lui ferait toujours plaisir.
L'amour pour les bombabouses ne se meurt jamais.

Caesius réfléchissait donc, son nez rouge presque collé à la vitrine de Zonko. Ses mains nues plongées dans les poches de son manteau, il ne remarqua absolument pas la jeune fille aux cheveux noirs qui passa près de lui.

Il n'avait pas entendu le bruit de ses talons s'enfonçant dans la neige au milieu de ceux de la foule. Il n'avait pas entendu sa cheville s'arrêter, la poudreuse étouffant son pas, ni même ceux qui avaient suivit après lorsqu'elle s'était rapprochée de lui et de son dos. Il ne vit pas la silhouette d'une femme qui n'était plus une jeune fille et qui grandissait dans le reflet de la vitre de Zonko, entre deux objets farceurs.
Il ne vit rien que les lumières clignotantes et colorées qui aveuglaient sa rétine jusqu'à ce que cette voix déchire les flocons qui tombaient doucement.

« Caesius… ? »

C'était un timbre si familier, et si différent qu'il attendit plusieurs secondes avant de se retourner avec son nez rouge et froid et son bonnet ocre.

Il y avait devant lui une femme.
Il y avait devant lui une femme, avec de longs cheveux noirs, qui était bien plus petite que sont mètre quatre-vingt seize mais qui avait l'allure de ces belles femmes qu'il avait trop peu croisé et qu'il n'avait jamais voulu regarder pendant toutes ses années.

Elle avait l'air si forte ; elle avait l'air si calme.
Elle avait deux yeux d'un bleu très vif qui luisaient au milieu de son visage clair.

Il y avait devant lui une femme qui avait la voix, le regard et le visage d'Amethyste – avec une grandeur qui lui était si étranger qu'il s'en retrouva bouleversé.
Il resta un moment silencieux, à la regarder, ses mains nues toujours enfoncés dans ses poches.

Puis, d'un coup, sa main se leva jusqu'à sa bouche, ses yeux s'écarquillèrent et ses joues se mirent à brûler dans un camaïeu de rouge.
C'était Amethyste.

« … Amethyste. »

Ce n'était pas une question – une simple affirmation, car l'évidence le frappait si fort dans le ventre qu'il n'avait plus aucun souffle.
Il restait là, figé dans sa rougeur, sa main plaqué à ses lèvres sous l'effet d'une surprise dont il ne se remettrait probablement jamais.

C'était un instant trop irréel pour qu'il comprenne quoique ce soit ; ses joues brûlaient, les flocons chutaient trop lentement, elle avait des cheveux noirs, des yeux bleus et une écharpe rouge, et elle avait le sourire le plus grand qu'il n'ait jamais vu sur ses lèvres.

Cinq ans – cinq ans, c'était si long, c'était un ans de moins que le temps qu'il avait passé sans voir le visage d'Absynthe, mais là, tout de suite, il lui semblait que mille ans c'étaient passé avant qu'il ne la revoie, elle.
C'était si long – tellement long que ces cinq années se précipitèrent droit sur ses côtes et l'écrasèrent, lui aspirant le souffle, le laissant sans mots et sans pensées pendant qu'elle lui parlait avec ce sourire si grand et cette voix si fort.

Elle avait l'air si heureuse, maintenant.
Elle avait l'air si grande, si forte, si brillante – elle devait avoir une vie qui la comblait, un travail épanouissant et recevoir beaucoup d'amour.

Oui, énormément d'amour – comme une décharge, l'air lui revint aux poumons mais la nervosité suintait sur ses phalanges qui s'agitaient nerveusement et ses joues qui ne voulaient pas s'éteindre.
Il avait si chaud.

« C'est tellement – tellement longtemps, je - »

Il balbutiait difficilement quelques que mots qui, dans son cerveau brûlant n'avaient aucun sens – et elle qui disait tout ça avec autant de joie, autant de facilités, alors qu'il n'avait que sa vision qui lui faisait perdre ses moyens.

Cinq ans – elle avait tant changé en cinq ans.

Il comprit au bout de plusieurs secondes qu'elle lui avait posé une question il bredouilla encore, la chaleur l'embrumant.

« Ah oui ! Les cadeaux de Noël – bien sûr, il m'en manque plusieurs et je, je me suis dit que Zonko c'était bien. Toi aussi ? »

Il déglutit.

« Enfin, oui, tu viens de le dire. »

Il ne sentait plus ses joues – il prit une grande inspiration, en espérant que les flocons qui tombaient éteindraient le feu de son visage.
Puis il regarda Amethyste.

« Pardon, je suis juste tellement - »

Il ne savait pas quoi dire. Il lui souffla.

« Je ne me serai jamais attendu à te revoir ici. »

Il avait avoué ça avec beaucoup de douceur dans sa voix.
Puis, il prit une grande inspiration, encore. Et alors, dans un éclat d'une joie timide, il lui sourit.

Elle disait toutes ces choses avait tellement de facilités.
C'étaient des choses si simples – comme s'il n'y avait jamais eu toutes ces années étirées entre eux. Comme si hier encore, il était avec elle dans les serres, dans le parc, à la bibliothèque, à s'occuper de ses retenues forcées, à retenir ses colères et ses sourcils froncés.

Mais elle n'avait plus rien de tout ça – aucune colère ne tordait son visage, aucune grimace, aucune rancœur. Elle avait beaucoup de joie dans la manière donc elle riait les mots.
C'étaient des mots si simples.

Comment faisait-elle – comment faisait-elle pour laisser s'échapper ses phrases là sans en perdre le fil, sans sentir la morsure de la brûlure sur ses joues, sans que son esprit ne se perdre. Caesius en était incapable.

Quelque part, il était subjugué.
Mais Amethyste lui parlait de fleurs, lui parlait en riant – ce rire – lui parlait du passé comme s'il était juste là, collé dans leur dos, lui parlait de la vie comme si elle avait toujours été présente.
Alors que Caesius commençait à peine à la connaître.

Et elle déboulait, comme ça, avec tous ces mots.

« Oui bien sûr, je t'aiderai avec plaisir, faisons ça. »

L'ancienne douceur qu'il avait apprit à ses côtés resurgissait sur ses lèvres – c'était tout ce qu'il arrivait à donner, la, maintenant. Et elle, elle souriait tellement – il osa vers elle un regard, mais ça ne l'aidait pas à taire sa chaleur.

« C’est pour tes enfants, les cadeaux ?
- Non, je n'en ai pas, répondit-il simplement. »

Elle avait un peu de neige dans ses cheveux noirs, elle aussi.

« Je cherche un cadeau pour Absynthe et Euphrasie, en vérité. Mais on s'en occupera plus tard, commençons par trouver des fleurs qui te conviendraient ? »

Elle avait même de la neige sur ses cils noirs.
Caesius n'arrivait pas à s'en détacher – tout ça avait un goût irréel, presque fantasmatique et il ne trouvait rien d'autre à faire que lui sourire.

Tout avait tellement changé – quelque chose en lui s'était reconstruit durant ces années qu'il n'avait pas vu s'enfuir. Quelque chose s'était réparé – peut-être qu'il avait simplement grandit, à l'intérieur, peut-être qu'il avait apprit à être moins lâches, à sourire sans fausseté, à être moins égoïste.
Puis, il avait eu un ami aussi – des gens, qui l'entourent, un fantôme qui le guide, des gens près de lui.

Tout ça, ça l'avait tellement changé.
Pourtant, quand il se retrouvait devant elle, il redevenait le professeur de botanique de vingt-huit ans, trop jeune, trop incertain, qui bafouillait quand on le prenait de court et qui souriait toujours.

Il souriait – sans cesse.

« Bien sûr que non, ça ne me dérange pas – en plus, tu as raison, je n'ai aucune idée de ce qu'on doit offrir à une femme. »

Surtout à une femme fantôme – mais ça, c'était un autre problème.
Suivant son invitation, il commença à marcher auprès d'elle et il sentait ses pas à elle s'enfoncer dans la neige à côté des siens.
Quelque chose manqua de lui arracher un sourire qu'il s'empressa de cacher derrière son écharpe – même si elle avait grandit dans son visage, dans ses yeux assagis, elle peinait toujours à arriver à la hauteur de ses épaules, malgré ses bottes à talons.

Elle le tira de son amusement en lui parlant de la fleur qu'elle voulait lui offrir, et sa réflexion lui fit grimper la gêne aux joues, encore – dans le fond, il n'avait pas tant changé que ça.

Elle avait l'air si légère – sans colère.
Sûrement qu'elle avait oublié ses tourments d'adolescentes – quelqu'un d'autre dans son âme, dans son cœur, quelqu'un qui lui permettrait de parler avec tant de détachement.

« Je - »

Voilà qu'il bafouillait encore – parfois, il n'avait toujours pas l'air d'un adulte.

« Ne t'en fais pas pour ça, tu peux rester sur ton choix, si tu en as envie. »

Il eut l'envie soudaine de se masser la nuque, mais son écharpe l'en empêcha. Leurs pas les avaient conduits directement devant le fleuriste de Pré-au-Lard, le sortant de son malaise. Il s'empressa de parler.

« Alors, à qui veux-tu offrir des fleurs ? »

Si elle tenait vraiment à en offrir à chacun des professeurs qui s'étaient confrontés à elle, la liste risquait d'être longue.

Elle énumérait les noms de ces personnes qu'il avait apprit à connaître – à chaque nom qu'elle rajoutait, le sourire de Caesius se faisait beaucoup plus doux, et il voyait sur ses yeux si bleus glisser le souvenir.

Peut-être pensait-elle à toute les remarques, tous les instants où elle leur avait répondu, ces moment où ils lui avaient donné une retenue où un devoir supplémentaire – il se disait que, si elle s'était assagit comme elle en donnait l'air, avec sa grandeur de jeune femme, elle devait beaucoup en sourire.

Oui elle avait beaucoup de fleurs à offrir et elle devait beaucoup en sourire, alors il ne comprit pas de suite pourquoi elle se mit à pleurer.
Elle venait tout juste de lui dire merci, il avait vu son sourire lutter, puis ses commissures rendre les armes et se casser d'un coup, pendant que les larmes gouttaient de ses cils.

Il ne comprenait pas, mais ça lui avait serré le cœur si fort qu'il ne le sentait plus.

Elle cherchait dans son sac un mouchoir, y plongeait sa petite main encore tremblante pour essuyer les larmes qui salissaient presque ses joues trop claires, et il ne savait pas quoi lui dire – il ne savait pas quoi faire, tellement la fragilité d'une Amethyste qui n'avait pas changé le cogna.

Il avait envie de la prendre dans ses bras comme il l'avait déjà fait.
Il tendit sa main, puis la retint, immobile dans l'air glacé. Il serra ses doigts et la replaça le long de son corps.
Il n'avait même pas de mouchoir à lui tendre, et il n'avait pas le droit de lui essuyer les joues avec ses doigts.

« Mais non, ne t'excuse pas, c'est normal, et je - »

Il baissa les yeux ; il n'arrivait plus à la regarder.

« Est-ce que – tu veux qu'on aille s'asseoir, peut-être, que tu puisses te détendre un peu ? »

Il voulait lever sa main pour se masser la nuque, mais il avait toujours son écharpe qui l'en empêchait. Son œil était rivé sur la neige emprunte de leurs pas.

Au final, il n'avait servi à rien, sa petite main tremblante avait retrouvé ses mouchoirs et avaient essuyé ses yeux, et il avait été incapable d'un geste, d'une main sur une épaule, d'une étreinte.
Mais Amethyste avait retrouvé son sourire et ça réchauffa les côtes glacées de Caesius.

Ils avaient passé bien plus d'une heure à chercher des fleurs de toute les couleur. Il y avaient de nombreuses espèces, des magiques et des moins magiques, des piquantes, des douces, toutes réunies dans un énorme bouquet qui faisait trois fois la tête de la jeune femme qui les portait.

Caesius sourit, rit même en la voyant ainsi crouler sous toutes ces couleurs, et ça lui rappelait ses cheveux lagons – il avouait que de la voir ainsi, avec ses cheveux noirs, ça lui manquait un peu.
Même si elle était très belle ; ce qu'il ne s'avouait pas.

Elle lui tendit la rose, la sortant hors du bouquet qui l'enserrait avec difficulté et Caesius tendit ses doigts blancs et rougis pour la saisir. Les épines avaient été retirées.

« Merci, souffla-t-il du bout des lèvres, ses pommettes toujours un peu Rose. »

En venait à Pré-au-Lard, tout à l'heure, il n'aurait jamais imaginé que l'espace de ces quelques éclats de rire, Amethyste ait tout emporté sur son passage. Elle avait débarqué dans la neige, et maintenant, Caesius reconnaissait à peine le village pour sorcier – couvert de blanc, avec cette jeune fille en noir, il perdait tout ses repères.
Elle lui fourra l'énorme bouquet multicolore dans les bras, dans un énième éclat de rire qui lui en arracha un nerveux. Au moins, il était plus grand, et il pouvait marcher avec les fleurs dans les mains tout en voyant son chemin ; et elle.

« Tu m’emmènes quelque part ?
- Est-ce que tu veux te réchauffer, boire quelque chose, proposa-t-il, incertain, replaçant les herbes dans ses bras. »

Honnêtement, il n'avait aucune idée – l'espace était aussi une notion qui, depuis plus d'une heure déjà, lui échappait complètement.

Il y avait une telle différence entre ces moments d'avants, et ces instants de maintenant. Il se rappelait ces jours à la serre, quand le soleil brûlait les vitraux transparents, que la chaleur prenait la gorge et que Caesius lui proposait un peu d'eau, dans la bouteille en verre qu'il entreposait dans son armoire.
Maintenant, ils étaient en route vers les trois balais, et c'était si différent, et pourtant si naturel qu'il n'arrivait pas à gérer son propre bouleversement.

Dans ses bras, les fleurs embaumaient la gaîté. Les larmes d'Amethyste semblaient être loin, désormais. Il conservait sur elle un œil inquiet, par moment, protecteur, et bleu foncé.

Elle avait l'air heureuse ; il pouvait presque imaginer ses lèvres chantonner, et ses mots réchauffer la neige qui était coincée dans ses cheveux noirs à elle, ou dans ses cheveux roux à lui. Ses pas s'enfonçaient toujours maladroitement ; les trois balais étaient au bout de la grande allée de Pré-au-Lard.

Caesius pensait à peine ; il était hors temps. Il ne savait même plus où était le soleil, s'il frappait son dos, son crâne où son visage.

Et puis elle se mit à parler, et à rire – à rire, avec tellement de gaîté et de force.
Quelque chose l’assomma encore un peu plus, sans qu'il ne comprenne pourquoi ; puis, il lui sourit avec son habituelle chaleur tiède.

Elle avait l'air si heureuse.

« Je me disais bien qu'il devait y avoir une raison à ta bonne humeur. Je suis heureux que tu aies trouvé quelqu'un qui prenne soin de toi – tu le mérites. »

Le pire, dans tout ça, c'était qu'il n'y avait rien de plus sincère ; même s'il ne retrouvait plus le temps, il lui semblait l'avoir définitivement perdu, et là, c'était désagréable. Alors, il arrivèrent devant la porte de l'auberge, et Caesius lui ouvrit la porte pour l'inviter à entrer.
Il lui souriait doucement.