Elle est sortie de la bibliothèque, une bourrasque frôlant nerveusement la foule. Sloan, les bras occupés par de vieux bouquins couverts de poussière allait sauver le mon… Garfield. Elle ne courrait pas vite, sinon pour rejoindre les problèmes oui. Elle était amoureuse des problèmes depuis son enfance. Elle aimait se prendre les pieds dans ses bêtises, elle était douée pour se trouver des excuses, pour avoir oublié, pour ne pas s’être souvenue de quelque chose d’important… Comme si au fond, se sortir de situations extrêmes était pour Sloan une partie de plaisir. Mais ce matin-là elle ne s’attendait pas à recevoir un paresseux affolé dans les couloirs sombres que reliaient les étagères de l’antre de Berlioz. Elle avait vu un fantôme la juger du regard et un élève détourner vaguement la tête. Sloan avait rassemblé ses affaires avec empressement, une des non rares fois où on l’avait vue se précipiter dans le Tetris des escaliers de Poudlard.

Une fois dans les quartiers bleus, elle pensait se mettre les idées au clair, mais non. Une crise majeure au pavillon Poufsouffle et elle était le chef d’opération: il faut sauver le soldat Andersem. C’était un peu plus compliqué. Elle avait entendu parler de la sécurité chez les blaireaux. Très culinaire dans la théorie, mais en pratique assez radical pour ne pas laisser entrer les fouines sans gêne. En un sens Sloan relevait les défis, mais elle était anxieuse de devoir aller parler de Victoria à Garfield. Les surprises à l’arrivée, cela lui importait peu.

Première étape, se procurer un uniforme jaune. Trop suspect, elle accosta un première année assez timide en lui expliquant que l’emprunt de sa cravate aurait un but expérimental, ce à quoi il exposa un magnifique enthousiasme. Elle qui avait froid à cause de Rowena enfila un pull pour qu’on ne remarque pas ses ornements bleu et argent. Si elle avait piqué sa cravate à Wesley on l’aurait catégorisé Préfet TÊTE-EN-L’AIR, hors de question. Il valait mieux qu’on ne la reconnaisse pas. Sloan était devenue la capitaine des bleus et ça ne lui facilitait pas la tâche, on la saluait plus souvent, on lui accordait un regard. TOUT CE QU’ELLE NE VOULAIT PAS. Elle était au bord du gouffre. Déjà, Holmes? Si elle se trimballait sous une cape d’invisibilité… est-ce-que ça suffirait. Non pas convaincue. Elle avait déniché une de ces teintures magiques en discutant avec une adepte la dernière fois… le tout était de savoir quel était la couleur que rendait la texture. Elle utilisa un sort pour faire sécher les cheveux laissés trempés vingt minutes.

Tout mais pas Rose Boursouf.
PAS Rose Boursouf.
Un genre de traumatisme à l’entretien avec un Choixpeau magique.

….Aussi si tout n’était pas une question de karma, Sloan se retrouva avec une crinière Gris Licorne, ce qui la révolta un peu moins que Rose Boursouf. Elle quitta le quartier Général une heure après l’appel à l’aide de son camarade infernal, elle réalisait seulement qu’elle venait de se teindre les cheveux pour rejoindre Garfield dans le dortoir des jaunes.

Dans le métier, on appelait ça un sacrifice. Le plus grand des sacrifices, pour la jeune femme, était de s’aventurer dans les cuisines. Elle adorait manger, mais elle adorait aussi les entrées secrètes. Elle adorait ça jusqu’à se recevoir des trombes de vinaigre en pleine figure, suivi de petits cris interminables. Quand elle comprit qu’il s’agissait d’un tonneau en particulier, son cœur rata un battement, elle s’enfonça dans le passage étroit, ayant l’impression de s’y étaler comme du beurre de cuisson.

Garfield tu m’en dois une.

C'était un peu l'apocalypse. Ce genre de paniques qui vous tombent dessus, on ne sait pas trop pourquoi ni comment. Enfin, Garfield savait pourquoi, mais c'était tout simplement ridicule de réagir aussi violemment pour une paire de couettes dans la salle commune. Il aurait dû savoir, en fait, c'était ça le problème. Il aurait dû pouvoir se préparer psychologiquement tout l'été, préparer son discours, avoir l'air relax plutôt que complètement paniqué.

Il avait grandi, et c'était tout à fait regrettable. Il comprenait, maintenant, pourquoi c'était complètement débile de repousser le moment horrible de la rupture pour un peu d'affection qui ne comptait pas trop. Il l'avait toujours su, en fait, il s'était toujours senti comme une grosse merde fumante, mais c'est plus facile de planquer ses relents pestilentiels en présence de juste ses potes. Ils étaient bien, les gars, ils avaient vu le problème, entendu les rumeurs, mais ils ne disaient rien. On était tous ensemble mais on était un peu seul, à Poufsouffle. Pas de jugement, à un moment où une bonne claque dans la gueule aurait été la bienvenue.

Garfield s'en était mis assez tout seul, des claques, mais il restait que réagir devant Victoria était une épreuve. Il avait couiné - très dignement - de désespoir, et il était remonté dans son dortoir presque en marche arrière. D'habitude, une fille qui vous fait battre le coeur très vite, c'était plutôt bien, mais là... Pas vraiment. Il avait respiré, une fois, deux fois, dix fois, le front contre le montant de son lit. Comment on sort de sa chambre quand la porte d'entrée semble avoir été remplacée par celle de Monster Inc. et qu'il y a un truc horrible de l'autre côté ? Pas que Vic soit un truc horrible. Le seul thon dans l'histoire c'était Hector - pour peu que ç'en soit un, il ne savait toujours pas. Le truc, avec Vic, c'est qu'il n'avait surtout pas envie de savoir ce qu'elle pensait de lui. C'était plus facile de faire la chochotte que d'affronter son reflet dans le miroir de ses yeux.

Il lui avait fallu un moment pour former son habituel paresseux, et c'était un peu bizarre de voir que cette chose affable et désespérément lente pouvait se faire désirer, être remplacée plusieurs fois par le pet spectral qu'on ne produit normalement qu'au tout début en troisième année. Une ou des déglutitions difficiles et il avait réessayé. Et encore. Enfin, la sale bête avait daigné se montré.

-Je, euh, Slooo ?

Il avait encore couiné. Sloan était forcément au courant, et elle avait oublié de lui dire. Il aurait presque pu se mettre en colère si la majorité du problème n'était pas de sa faute. Voir le loup arriver avec une réponse lui donna toute une série de picotements de soulagement le long de la colonne vertébrale, du genre qu'il n'admettrait jamais avoir ; c'était quand même con, d'avoir à aller chercher quelqu'un d'aussi loin et d'aussi improbable pour se sentir mieux, mais au moins ça marchait. Il aurait pu écrire à Kalev, et Kalev n'aurait pas su quoi dire, il aurait pu le parier. Wes et Alix, c'était même pas la peine d'en parler, ils étaient à peu près aussi doués que lui, sauf qu'eux c'étaient avec le grand amour qu'ils avaient eu des emmerdes alors, forcément, c'était plus facile. C'est toujours un meilleur ending quand il s'agit d'un amour réciproque et qu'on doit pas dire "euh, au fait, je t'aime pas". Sloan, au moins, elle allait paniquer avec lui, à défaut de le baffer. C'était mieux que rien. C'est toujours plus simple de prendre un truc pas grave au sérieux quand on a quelqu'un à côté qui panique aussi, et Garfield avait besoin de prendre ça au sérieux - il n'était pas un salaud, malgré les apparences.

Une conversation plus tard, il avait fini par enrouler sa couette autour de lui comme une armure, et faire les cent pas dans le dortoir des garçons, heureusement désert. Il avait un peu l'impression d'être un homme sandwich pour un magasin de linge de maison, mais tant pis.

Quand on frappa à la porte, il sursauta un peu, et essaya de se composer une expression de grincheux avant d'ouvrir. Il aurait bien demandé un mot de passe, comme dans les vieux films, mais il se contenta d'ouvrir sans trop regarder, pour que la Serdaigle infiltrée puisse rentrer le plus vite possible. Il n'aurait pas fallu qu'elle se fasse choper.

- T'en as mis du temps.

C'était un peu inutile, d'être grognon quand elle l'avait entendu se pisser dessus de trouille à l'idée d'affronter son ex, mais ça aidait un peu à sauver les apparences.