Du théâtre! C'était une excellente idée de la part de l'école. Wendy n'avait jamais vu de pièce de théâtre, et ça manquait à sa culture et en plus, ça avait l'air cool. Elle avait hâte d'y être. Elle avait hâte de voir la pièce. Elle avait hâte de pouvoir raconter à Juliet tout ce qu'elle en avait pensé.

C'était dommage que Juliet ne puisse pas être avec elle - elle avait plein de choses à faire parce qu'elle était préfète, alors que c'était la Saint-Valentin et qu'elles auraient du passer la journée ensemble. Wendy se consolait comme elle pouvait. Les Saint-Valentin à Poudlard, ce n'était jamais très marrant de toutes façons. Il se passait toujours des trucs louches. Et puis c'était une fête commerciale qui voulait rien dire, c'était là pour piquer les gallions des gens en échange de roses à l'eau de rose, et tout ça, et puis de toutes façons, elle allait pouvoir offrir des roses à Juliet ce soir alors ça serait pas si mal, voilà. Wendy était un peu triste. Elle avait son sourire habituel sur le visage.

Londres, elle connaissait. Mais la salle de théâtre était magnifique, et ça, c'était nouveau. C'était grand, c'était richement décoré, c'était luxueux, c'était feutré, on avait l'impression d'être dans un énorme fauteuil, avec les boiseries ornées et dorées à souhaits, et les gros rideaux rouges qui lui évoquaient des coussins moelleux. La salle toute entière appelait au confort, au silence et au calme endormi. C'en était presque trop.

Et puis il y avait une ouvreuse qui vendait des petits gâteaux - Wendy n'avait pas grand-chose sur elle, juste de quoi s'acheter quelques chouquettes. Et puis il y avait Alexis assise dans un coin de la salle. Peut-être qu'elle pourrait passer la journée avec elle! Alexis était une bonne amie à elle, les deux jeunes filles s'entendaient bien. Et puis, ça lui changerait peut-être les idées. Wendy allait peut-être arrêter de s'attrister de l'absence de son amoureuse tout le temps. Juliet n'aurait sûrement pas souhaité la voir passer une mauvaise journée. Wendy mangea les chouquettes avant de rejoindre Alexis (elle avait faim) et...

... elle regretta aussitôt son geste. Elle aurait du en garder pour son amie. Elle aurait eu quelque chose à lui offrir, et sûrement Alexis aurait apprécié le geste, et Alexis aurait été toute contente, avec ce sourire si charmant qu'elle avait quand elle était contente, et cet air tout joyeux et tout plein d'énergie, et Wendy se mit à rougir, elle avait un peu honte de venir les mains vides, mais elle ne voulait pas rester loin de la Gryffondor, pas une seconde de plus, la distance la tiraillait et l'écartelait presque physiquement, comme si son coeur ne pouvait pas supporter d'être éloigné de la magnifique Gryffondor qu'elle, oui, c'était le mot, qu'elle aimait. Wendy n'oserait jamais le lui dire.

Juliet n'était plus qu'une pensée brumeuse pour la Poufsouffle. Il n'y avait plus qu'Alexis.

Wendy s'approcha de son amie - non, sa meilleure amie - et s'assit, toute timide, à côté d'elle.

"Hé Alexis..." osa-t-elle faire. "Bonjour!"

Elle lui fit un grand sourire tout joyeux. C'était intenable de prétendre n'être qu'une bonne amie envers elle. Mais c'était déjà tellement d'honneur pour Wendy de pouvoir s'assoir aussi près d'Alexis! Rêveuse, elle regardait sa meilleure amie avec un petit sourire rougissant.

Alexis lui ébouriffait les cheveux! Le sourire de Wendy devint immense, qu'est-ce qu'elle était heureuse! Qu'est-ce qu'elle aurait donné pour que cet instant dure toujours! La petite Poufsouffle se sentait vraiment privilégiée de pouvoir être la meilleure amie de la Gryffondor. Wendy était tellement banale, comme fille, elle n'était pas très jolie, elle n'était pas très drôle, elle n'était pas très intelligente et elle n'avait même pas de vie remplie d'aventures à raconter. Alexis, elle, elle était parfaite - elle était tout ce que Wendy n'était pas. Et Wendy l'admirait, silencieusement, discrètement, amoureusement, rêveuse.

Elle se sentait un peu rougissante.

"Je, je trouve que le théâtre est très joli" commença-t-elle, un peu perdue. Qu'est-ce qu'il fallait dire pour qu'Alexis la trouve chouette? Qu'est-ce qu'il fallait dire pour que son aînée s'intéresse à elle, et la regarde, et l'aime en retour?

Wendy avait l'impression d'être complêtement enivrée par ses sentiments. C'était à la fois le plus reposant du monde d'être auprès d'elle, et c'était à la fois plein de stress et d'inquiétude - et si Alexis s'éloignait d'elle? Wendy n'aurait jamais pu le supporter. Il fallait qu'elle la captive pendant la dizaine de minutes que Merlin et tous les dieux lui avaient offert avant le début du spectacle. Wendy devait plaire à Alexis. Sa vie n'avait plus de sens sans la Gryffondor à ses côtés.  

"On est confortable ici, et on est bien. C'est vraiment très joli. Et regarde, c'est tout plein d'histoires! Il y a plein de choses à voir dans les peintures, c'est comme une bande dessinée, regarde dans les médaillons au-dessus des colonnes! C'est la mythologie qu'on avait vu en cours. C'est les métamorphoses, c'est plein d'histoires d'amour."

Wendy avait raconté ça d'un trait, sans trop savoir pourquoi.

"Il y en a qui te plaisent?"

Elle avait très peur qu'Alexis la trouve bizarre, ou repoussante. Mais en même temps, c'était la Saint-Valentin, et tout autour d'elle lui rappelait l'amour qu'elle avait pour son aînée. C'était le jour idéal pour le lui dire. C'était l'endroit idéal pour le lui dire. Wendy le sentait. Elle avait l'impression d'être poussée à le faire. Mais elle ne savait pas trop comment, elle se sentait rougir, elle était bien trop timide, elle n'oserait jamais rien faire.

Rien, ou presque - et pendant qu'Alexis regardait les peintures sur le plafond, Wendy osa rapprocher sa main de celle de son aimée. Avant d'oser - d'oser encore! Wendy se sentait pleine d'audace - prendre la main d'Alexis dans la sienne.

Elle l'avait fait.

Est-ce qu'Alexis allait le remarquer? Est-ce qu'elle allait la repousser, ou est-ce qu'elle allait se sentir flattée, est-ce qu'elle allait se rendre compte de tout l'amour qu'avait Wendy pour elle, et est-ce qu'elle allait tomber amoureuse elle aussi ou... ou... Wendy n'osait pas y penser. Wendy n'osait même pas regarder Alexis. Elle se sentait rougir jusqu'au bout des oreilles.

Que c'était difficile, d'être amoureuse! Et que c'était beau. Wendy aurait tout donné pour que dure cet instant.

Wendy regardait Alexis avec de grands yeux plein d’admiration, et un sourire rêveur qu’elle n’arrivait pas à chasser de son visage - mais pourquoi l’aurait-elle fait, puisqu’elle l’aimait tellement? Son aînée était fantastique sur tous les points. Et Wendy l’écoutait parler des scènes mythologiques dépeintes sur les colonnes en buvant la moindre de ses paroles. Tout ce qu’Alexis appréciait lui semblait magnifique.

Et la petite Poufsouffle se perdait dans des rêveries. Alexis parlait de Neptune, et d’enlèvement, et c’était si romantique - elle aussi, elle aurait aimé se faire enlever par son aînée, et vivre avec elle loin du reste du monde, dans la beauté des Enfers puisque les Enfers étaient beaux, sauf que Wendy, elle était déjà sûre d’aimer Alexis. Elle n’allait pas devoir s’adapter à cette vie puisqu’elle était déjà envoûtée par le caractère et la beauté et toutes les qualités petites et grandes de la Gryffondor.

Wendy se mit à rougir.

« Je, je l’aime beaucoup moi aussi, » répondit-elle, en se sentant un peu stupide de lui donner une réponse aussi simple.

« Mais c’est bien dommage qu’il ait du l’enlever. Les histoires anciennes sont toujours tristes et violentes. Moi je me dis que, si on avait été à leur place, il aurait suffi de demander. »

C’était osé. C’était très osé de la part de la petite Poufsouffle. Mais Wendy se sentait forte, Wendy se sentait capable de tout, Wendy se sentait prête à lui avouer son amour et à lui demander de l’enlever, et Wendy se sentait faible aussi, impuissante et fragile, incapable de vivre toute seule sans Alexis, alors il fallait bien qu’elle se lance. Qu’elle pousse en avant le cours des événements. Qu’elle force un peu la main du destin. C’était nécessaire: Wendy ne pouvait pas supporter l’idée qu’Alexis s’éloigne, ne serait-ce qu’un peu, ni à la fin du théâtre ni jamais.

Mais toutes les histoires d’amour prenaient leur temps. Alors Wendy prenait son mal en patience. Elle tenait la main de son aînée. Et puis, dans un nouvel élan de bravoure - parce que c’était tellement plus simple d’agir plutôt que de parler, parce que parler c’était toujours courir le risque d’être rejetée - Wendy posa sa tête contre l’épaule de son aînée. Wendy regardait Alexis, les yeux levés vers elle, le visage un peu rougissant, rêveuse, et toute contente d’être aussi proche de la femme qu’elle aimait tant.

Elle se sentait heureuse, énorme et débordante de bonheur et d’amour, et pourtant, pourtant elle n’osait pas encore aller jusqu’au bout. Ca lui faisait encore un peu peur. Elle rêvait encore que ce soit Alexis la prenne dans ses bras et la cajole. Mais elle se rapprochait doucement. Wendy n’avait pas envie d’attendre jusqu’à la fin de la pièce de théâtre pour lui confier la vérité de ses sentiments. Elle l’aimait, elle l’aimait presque trop, elle avait peur de se faire rejeter, elle pouvait se contenter de ce moment d’intimité, pour le moment.