Daisy laissa échapper un long soupir à fendre l'âme, tout en titillant la ficelle du sachet de thé qui trempait dans sa tasse. Amadeus avait attrapé une vilaine sinusite et l'hôpital lui avait imposé une semaine de repos. Outre le fait que son mari ne sera plus à la maison pendant un moment en la laissant un peu tristounette, il y avait aussi le fait qu'elle allait devoir expliquer à Poudlard qu'elle ne pourrait pas aller à leur bal étant donné les circonstances.

La vélane n'était jamais allée à Poudlard et avait fait les yeux doux au pauvre Amadeus pour qu'il l'y emmène, argumentant qu'elle voulait voir l'école où il avait étudié ainsi que quasiment toute la population londonienne. Ce bal, c'était non seulement l'occasion de parader dans ses plus beaux vêtements et ses plus beaux bijoux, mais aussi de danser, faire la fête, rencontrer plein de gens... Le genre de mondanité où lesquelles Amadeus ne semblait pas se plaire, bizarrement.

Toujours est-il que voilà, le moral n'était pas vraiment là aujourd'hui, et ça se voyait à des kilomètres, avec sa mine toute triste et sans doute ses cheveux tout roses aussi. En relevant la tête pour ajouter un sucre à son thé, Daisy reconnu un visage assez familier depuis un certain jour. Elle ne se rappela pas tout de suite d'où ni comment elle l'avait rencontré, mais elle agita quand même la main parce qu'il s'agissait forcément de quelqu'un de gentil.

« Ohé ! Garfield ! Oui c'est ça, Garfield ! Salut ! »

Puis elle se rappela les évènements du tournoi international et qu'elle lui avait écrasé un cupcake au visage. Oui, bon, mais elle s'était excusée après ! De l'eau a coulé sous les ponts depuis !

« Qu'est-ce que tu fais ici ? Tu n'es pas malade au moins ? »

Parce que les gens venaient rarement à l'hôpital pour prendre l'air, enfin, à sa connaissance. Avec un sourire avenant, elle tapota la chaise à côté d'elle pour qu'il lui parle un peu, c'est qu'elle avait besoin d'oublier ses soucis, un peu.

Garfield n'était effectivement pas sensé être là, et il espérait bien ne croiser personne qu'il connaisse - à part peut-être sa maman, puisqu'elle était sa complice dans toute cette histoire. Le plan, c'était de se prendre une tasse de café, puis de retourner camper dans le couloir du quatrième étage pour attendre que le gamin ait fini sa séance de thérapie improvisée. En plus, c'était une bonne manière de tester le café sorcier, autre que celui de Poudlard, pour savoir s'il allait devoir batailler pour avoir quelque chose de buvable lorsqu'il habiterait dans le coin. Il n'en attendait pas des masses de la caféteria de l'hôpital, mais bon. Ce n'était pas comme s'il travaillerait dans le bâtiment d'ici deux mois, après tout.

Il fit gentiment la file en essayant de ne dévisager personne et de ne pas se comporter comme un gamin curieux. Il était déjà souvent venu à l'hôpital, en fait, avec sa tendance à se blesser partout et tout le temps, mais c'était tout à fait autre chose de venir en tant que visiteur. Au moins, ça lui faisait prendre conscience qu'il avait de la chance : il ne se rappelait pas que quelqu'un de proche de lui ait terminé ici, ce qui était plutôt bien.

Une fois son gobelet en main, il voulut retourner à son fameux couloir pour y trouver une chaise, mais il se raidit en entendant son nom. Et zut. Entendre son nom complet d'une voix féminine avait tendance à le stresser, un vieux réflexe.

- Mrs. Daugherty.

C'était dit sur le ton de l'éclair de génie, parce qu'il avait eu besoin de quelques secondes pour retrouver son nom - il avait été un peu trop occupé à baver la dernière fois. Il déglutit, ses mains se crispant sur son achat, et il secoua la tête.

- Non, non, tout va bien. J'accompagne un ami qui vient voir, euh, un. Ami. Voilà.

Il était vraiment bien parti. Il jeta un coup d'oeil à la chaise et voulut refuser, mais les mots se bloquèrent dans sa gorge et il ne comprit même pas comment il se retrouva lourdement assis, voire recroquevillé comme si elle allait le gronder. Ou le manger, selon l'humeur.

- Vous, euh. Hem. C'est queeee... Enfin, je veux dire.

Garfield devait partir, mais il n'avait absolument aucune idée de comment le dire.

Daisy ne laissa pas vraiment le temps à Garfield de parler beaucoup ensuite de toute manière, elle avait déjà besoin de vider son sac et, pas de chance, c'était tombé sur lui. Et puis, s'il s'était assis, c'est qu'il voulait discuter non ?

« Oh, Amadeus est malade alors je l'ai emmené à l'hôpital - je déteste le magicobus, ça secoue vraiment trop et ça donne la nausée, et j'ai bien cru que mon mari allait décédé sur le champs avec tous ces virages ! Je crois même qu'on a percuté quelqu'un au passage mais je ne suis pas sûre... Enfin bref, le pauvre chérie a une sinusite, il est cloué au lit pendant une semaine, ce qui est vraiment dommage parce qu'il y avait ce bal de fin d'année à cette école de sorciers — tu dois forcément connaître puisque que tu y es élève — et nous avions confirmé qu'on viendrait mais finalement, ça a été annulé. Et c'est vraiment bête parce que j'ai même fais le costume pour le Prince Solus ! »

Et elle continua à parler et parler et parler tel un moulin pendant vingt bonnes minutes sans s'arrêter, c'était à se demander comment elle faisait pour respirer entre temps, et son thé refroidissait en plus, mais puisque Garfield n'interrompait pas, elle jugeait que c'était à elle de meubler la conversation. Elle réussit à caser entre temps le fait qu'elle avait trois chatons, que son mari était barbier, qu'elle adorait le Creature's Cafe, qu'elle avait longtemps vécu en Bulgarie et tout un tas d'anecdote que le pauvre Poufsouffle n'avait sûrement pas demandé.

« ... et c'est pour ça que d'après Amadeus, j'aurai été à Poufsouffle si j'avais été une sorcière. Je ne sais pas pourquoi il n'avait pas l'air très enthousiaste à l'idée de retourner dans son école, moi je ne suis jamais allée à l'école, mais de ce que j'ai entendu de Poudlard, c'est un endroit vraiment charmant ! Qu'est-ce que tu en dis ? »

La voilà qui semble avoir atteint le mode "pause", un sourire avenant et les grands yeux bleus curieux de savoir ce qu'il allait lui dire.

C'était presque fascinant, le débit inhumain auquel elle pouvait parler ; en tous cas, Garfield était fasciné, hypnotisé même. Il buvait son café par petites gorgées pour se donner une contenance et ne pas avoir l'air trop stupide, parce qu'il se sentait un peu comme dans un énorme piège là tout de suite. Ceci dit, il était presque adulte, alors il devait se comporter comme tel. Pas question de s'enfuir en courant, surtout devant quelqu'un qui pouvait lancer des boules de feu si elle se mettait en rogne. Il n'arrivait pas à comprendre pourquoi elle lui faisait autant peur alors que Summer ne le stressait presque plus, alors que bon, c'était Summer. Sans doute parce que c'était une fille - une vraie, ce coup-ci.

Au moins, elle avait des chatons. Un point commun, un. Non pas qu'il en cherche, ou même qu'il écoute vraiment ce qu'elle racontait, il cherchait plutôt une excuse pour aller attendre Louis tranquillement dans ce couloir où il se sentirait si magnifiquement anonyme.

Il ne comprit pas tout de suite que c'était à lui de parler, et il papillonna des yeux quand il se rendit compte que le silence s'était installé. Il se sentit rougir de confusion.

- Oh, euh.

De quoi est-ce qu'elle parlait, en dernier ? Il avait vaguement entendu 'Poudlard', et le début du monologue. Et les chatons. Il prit une autre gorgée de café. Autant rebondir là dessus.

- C'eeest... Poudlard.

Certes.

- Je finis ma septième année, c'est mon dernier bal de fin d'année. C'est plutôt cool. Enfin, pas que ce soit le dernier, c'est euh. Triste ? Mais le bal. Quand rien de tordu n'arrive, c'est. Intéressant. Vous pourriez aller toute seule, moi c'est ce que je vais faire.

Il avait l'impression de coller à la chaise, ce n'était pas très ragoûtant ; il mettrait ça sur le compte de l'été et pas du stress, parce qu'il était un homme, un vrai.

- Vous... Enfin, je suis désolé pour votre, euh. Mari. Vous lui souhaiterez bon rétablissement de ma part.

Garfield essaya très fort de sourire sans jeter un coup d'oeil désespéré vers la sortie, et il y parvint. Dix points pour Poufsouffle.

Daisy eut l'air presque choquée quand il disait vouloir aller à son dernier bal de fin d'année tout seul.

« Mais c'est encore plus triste ! Tu n'as personne pour t'accompagner ? Comment tu vas t'amuser si tu es tout seul ? »

Ridicule, personne n'allait à un bal sans cavalier ou cavalière — en tout cas pas dans les livres.

« Je ne peux pas y aller toute seule enfin ! Je voulais y aller avec Amadeus. Il était censé me faire visiter... »

Elle voulu prendre une gorgée de son thé, qui était froid maintenant, et elle grimaça en reposant la tasse. Ce n'était vraiment pas si simple de ne pas être une sorcière, elle au moins pouvaient réparer des choses et en construire d'autres simplement, faire des tâches ménagères beaucoup plus rapidement, ou encore réchauffer leur thé d'un simple coup de baguette magique. Tout en contemplant d'un air maussade sa tasse, elle eut soudain une illumination.

« Garfield ! Tu es seul, je suis seule, si on y allait ensemble alors ? »

Elle était sûre qu'Amadeus ne se plaindrait pas si c'était Garfield, parce qu'il était trop jeune pour elle et puis surtout, elle lui avait écrasé un cupcake à la figure. Devant l'hésitation du garçon, elle décida de tricher un peu, mais vraiment juste un tout petit peu, en faisant les yeux de chien battu.

Garfield avait eu la vague impression de dire une connerie, et ça se confirmait. Pourquoi est-ce qu’il avait parlé de lui-même ? Règle numéro un lorsqu’on parle à quelqu’un qui peut utiliser n’importe quoi contre vous, ne jamais donner d’information.

- J’ai... des amis ?

Ça ressemblait à une tentative de justification pleine d’espoir, comme si Daisy allait laisser échapper un «ooh» compréhensif, hocher la tête et laisser tomber l’idée. Bien sûr, ça n’arriverait pas, Garfield n’avait jamais de chance. Il se dandina un peu pour se décoller du plastique de cette chaise au rabais, se demandant vaguement pourquoi les sorciers allaient chez Ikea quand ils auraient pu avoir des chaises en bois qui marquaient le stress bien moins facilement - non pas que ce soit du stress, vraiment pas.

- C’est vraiment pas de chance, je...

Et puis, l’illumination de Daisy. Elle avait probablement l’impression qu’une ampoule s’était allumée au dessus de sa jolie tête, mais du point de vue de Garfield c’était plus un gyrophare rouge. Il entendait presque les sirènes retentir - et les sirènes chanter, aussi, parce que les mots avaient du mal à se former sur ses lèvres.

Il avait l’impression que, quelque part entre son cerveau et sa bouche, le refus qu’il voulait exprimer se tordait et distendait pour former totalement autre chose.

- Grhmpf.

Ouais, dans ce genre là.

Il prit une inspiration tremblante et essaya de recommencer. Il pouvait le faire. Nnnnnooooooo....

- Bien sûr, si vous voulez.

Il se plaqua une main sur la bouche mais il ne pouvait plus vraiment ravaler les mots. C’est tout de même pas de chance.

« Ah bon ? On peut aller à un bal juste avec ses amis ? Ca ne fait pas, hm, comment vous dites déjà...craignos ? »

Daisy n'était pas certaine de saisir le sens de ce mot, mais elle savait que c'était synonyme de malchanceux ou de malheureux, enfin, en tout cas, elle pensait que c'était ça. Et franchement, Garfield avait constamment l'air malchanceux ou malheureux. Par conséquent, Garfield était constamment craignos.

Enfin, ça voulait dire qu'en ce moment même, elle aussi était craignos. Elle soupira. Quelle belle bande de craignos assis là, dans un hôpital, à boire du thé infect et froid.

« Non, à qui le dis-tu, c'est vraiment pas de chance... Mais vous les sorciers vous avez une potion pour ça non ? Tu devrais en prendre, peut-être ? »

En parlant de chance, elle voyait que Garfield était prêt à craquer. Il n'allait pas résister quand même hein ? Pourquoi il refuserait d'aller au bal avec une jolie jeune femme qui lui demandait si gentiment ? Et qui battait des cils avec des airs de chiens battus ? Évidemment, qu'il ne pouvait pas résister, aussitôt qu'il accepta, elle lui claque une bise sur chaque joue en laissant une trace de rouge à lèvre en lui disant qu'ils allaient bien s'amuser et fila annoncer la bonne nouvelle à Amadeus, puisqu'elle avait quand même besoin de le lui dire après tout.

Elle irait au bal, et elle irait s'amuser.