Kalev sursauta en entendant sonner. On sonnait rarement à cette porte. Ses amis avaient compris depuis longtemps qu'il suffisait de transplaner dans le salon pour recevoir un sourire, un chocolat et des biscuits. Les gens qui sonnaient, c'était les inconnus, et Kalev n'attendait aucun inconnu.

Kalev délogea Jupiter de ses genoux, mais le garda dans ses bras. Il se leva du canapé, s'approcha de la porte, et l'ouvrit de sa main libre.

Il reconnut très rapidement le visage de cette femme ; une des collègues de son frère, ou quelque chose comme ça. Ou sa petite amie ? Kalev avait un peu de mal à suivre.

- Il est dans sa chambre depuis ce matin, répondit Kalev avec politesse et sourire. Vous avez de la chance, il est pas souvent là.

Mais aujourd'hui, Orion était là. Il était là et il comptait y rester. Dans sa chambre fermée à clefs - un peu inutile dans un monde de magie - et aux rideaux tirés pour se plonger dans le noir. Il était allongé dans son lit, sur le ventre, au dessus des couvertures, un odieux short rouge Gryffondor et un t-shirt jaune criard qu'il avait sûrement volé à son frère sur le dos.

Orion n'avait pas du tout oublié le rendez-vous de la journaliste. Il n'en avait pas l'air comme ça mais il était doué avec les dates ; il fallait bien être doué à quelque chose, autre que le Quidditch, pour s'en sortir avec les filles. Pour les filles, les dates, c'est important, alors les dates, c'est important pour Orion aussi.

Orion adore les interviews. C'est l'occasion de parler de lui et de recevoir des compliments et de se souvenir de pourquoi il fait ce métier : parce qu'être aimé de tout le monde et faire de son mieux au quotidien, c'est ce qui fait vibrer son petit coeur.

Mais la cruelle vérité, c'est que les journalistes n'en ont rien à faire de lui. Orion l'avait entendu de la bouche même de ses coéquipiers, dans les vestiaires, après l'entraînement : la journaliste interrogeait Orion uniquement parce que le capitaine était en vacances en Egypte avec sa famille. Il était le second choix. Et c'était inadmissible.

Pourquoi elle ouvrait les rideaux ? Pourquoi elle ouvrait la fenêtre ? Orion n'avait strictement rien demandé de tout ça. Il était très bien, seul dans sa chambre, à bouder comme un enfant.

Bon, d'accord, s'il était honnête, il était content qu'Astrid soit venu le chercher. Parce que ça voulait dire qu'elle pensait à lui. Parce que ça voulait dire qu'il était important, au moins un petit peu, aux yeux de quelqu'un d'autre que ses parents et sont petit frère ; et ça, ça faisait du bien à égo sensible.

Mais non. Il enterra sa tête sous l'oreiller.

- Non. J'y vais pas.

Il chercha la couette avec ses mains, mais visiblement, Astrid l'avait tiré hors de sa portée. C'était qu'avec la fenêtre un peu ouverte, il avait froid. Est-ce que ça faisait parti de son  plan diabolique pour qu'il s'habille ? Il n'allait pas se laisser avoir. Tant pis, il tomberait malade et ce serait sa faute. Il raterait l'entraînement, tomberait en disgrâce, deviendrait pauvre et inconnu, et ce serait sa faute.

Non, Orion ne dramatisait pas du tout.

- T'as qu'à demander à quelqu'un d'autre de parler à ta journaliste, n'importe qui fera l'affaire de toute façon.

Parce que oui, hein, pourquoi lui ? Pourquoi pas le vice-capitaine ? Pourquoi pas leur attrapeur ? Il y en avait d'autres des roues de secours, d'abord.

D'habitude, quand des filles le tiraient par le bras, Orion était plutôt content. C'était une sorte de signe positif, de feu vert, d'annonce claire comme quoi ça pourrait marcher entre eux deux. C'était plus ou moins le moment où il essayait de vendre toutes ses meilleures qualités et de trouver la déclaration adéquate pour convaincre cette fille qu'elle était l'amour de sa vie, et que c'était la première fois qu'il ressentait ça.

Sauf qu'Astrid n'était pas une fille, c'était sa manager. Alors le geste était tout de suite moins positif.

- J'ai dis que je voulais pas venir, ça sert à rien de forcer.

Orion se débattit pour échapper à la poigne d'Astrid, et resta fermement assis sur le lit. Il serra un oreiller contre lui et jeta une succession de regards noirs à sa tortionnaire.

- Et j'ai pas faim. T'as qu'à retourner voir ta journaliste et lui dire que je suis trop bien pour elle. Elle mérite pas que je me déplace pour répondre à ses questions.

La journaliste prenait Orion pour un second choix ? Grand bien lui fasse ! Lui, il connaissait sa valeur, et il n'allait pas se laisser traiter comme un moins que rien. Il avait de l'honneur, et une réputation à tenir.