Juliet était contente. Elle faisait des gâteaux pour Wendy, Flavian avait arrêté de lui crier dessus, et elle était même en train de se faire un nouvel ami ! Il n'était pas très loquace, Flavian, mais c'était pas grave. Elle apprenait petit à petit des choses sur lui, et ça lui allait, à Juliet. C'était comme un défi, un jeu, tirer le plus de mots possible de la bouche de Flavian. Ce n'était pas un jeu facile, mais c'était plutôt marrant.

"Oh, Hippolyte, je le connais ! Il est très très gentil !" Fit-elle avec un grand sourire.

Alors comme ça Flavian n'avait pas d'amoureuse. Hum. Intéressant. Elle se demandait s'il connaissait déjà Loka, et s'il l'aimait bien. Elle était très gentille Loka, vraiment adorable, mais elle avait un peu peur des gens, alors ça ne devait pas être facile pour elle de se faire des amis. Peut-être que quand Juliet serait amie avec Flavian elle pourrait les faire parler ensemble. Et puis ils découvriraient l'un et l'autre qu'ils étaient très chouettes, et ils seraient amis, et puis peut-être qu'ils tomberaient amoureux aussi et ils feraient des ballades sous les étoiles et ils auraient des petits enfants. Ce serait trop génial ! Mais pour le moment elle sentait que Flavian ne réagirait pas très bien si elle essayait de lui parler de Loka. Alors elle fit juste un "Hm-hm" avec un sourire en mélangeant ses ingrédients dans son bol.

Et puis il lui demanda si elle, elle avait un amoureux. Ha ! Elle ne s'y était pas attendue, à ça. Ca lui faisait toujours bizarre quand on lui posait des questions à elle, mais elle était plutôt contente, ça voulait dire qu'il s'intéressait à elle et à sa vie et tout ! Bon, elle n'avait pas d'amoureux, mais est-ce qu'elle lui parlait de Wendy ? Penser à sa meilleure amie la fit rougir. C'était bizarre, et un peu agréable aussi, tous ces nouveaux sentiments qu'elle associait à Wendy. Elle avait un peu envie d'en parler, surtout qu'elle avait confiance en Flavian, il ne le répèterait pas. Mais c'était toujours étrange, en fait, d'être amoureuse de sa meilleure amie. Peut-être qu'il se moquerait, Flavian, ou qu'il trouverait ça un peu bête. Juliet, elle savait que ce n'était pas bête, mais quand même, Flavian n'avait pas l'air d'être très intéressé par l'amour et les petites fleurs.

"Non, je n'ai pas d'amoureux…" Elle jeta un regard en coin vers Flavian. "Mais il y a quelqu'un que j'aime bien. Beaucoup en fait. Vraiment beaucoup." Elle parlait lentement, essayant de jauger la réaction de Flavian, mais échouant lamentablement. "Hihi. Ca t'est déjà arrivé à toi ?"

Voilà, ils allaient se renvoyer la balle comme ça pendant longtemps sûrement, mais Juliet n'osait pas trop en révéler pour le moment. Flavian reporta leur attention sur la préparation, et lui montra comment faire la… qu'est-ce qu'ils étaient en train de faire déjà ? Oups, elle avait oublié. Un truc pour les religieuses. Elle le regarda avec attention. C'était assez rigolo, on faisait cuire des trucs, on en mélangeait d'autre, et puis on faisait refroidir et puis on cuisait de nouveau… Elle oubliait tout ce que Flavian faisait à peu près dix secondes après qu'il l'ait fait, mais elle s'amusait beaucoup.

Alors comme ça il y avait quelqu'un qu'elle aimait beaucoup beaucoup. Tant mieux pour elle, se dit Flavian. Peut-être qu'un jour elle lui dirait qu'elle l'aime, et que du coup ils ne se lâcheraient plus l'un l'autre, et que Juliet, toute amoureuse, lui ficherait la paix, à Flavian.

Enfin, il était méchant, là. Elle n'était pas si terrible cette petite, juste un peu insupportable et désordonnée, et ça ne lui déplaisait pas trop d'être professeur, au final, à Flavian. Il fallait bien l'encadrer, mais elle ne faisait pas trop de bêtises quand il la surveillait. Ca allait.

Ils avaient un peu de temps avant de continuer la recette (il fallait attendre que la pâte à choux cuise, et que la crème refroidisse) du coup ils pouvaient discuter. Même si c'était surtout Juliet qui discutait toute seule, laissant Flavian lui répondre de façon monosyllabique.

"J'ai jamais aimé beaucoup beaucoup quelqu'un."

Voila. De toutes façons ce n'était pas quelque chose qu'il était prêt à affronter. Il avait déjà assez de mal avec les cours, la vie à l'école et toutes les difficultés qui venaient lui pourrir la vie parce qu'il n'avait pas toujours été un garçon. Du coup, il n'avait pas vraiment envie de parler de ça, en fait.

"Qui c'est le quelqu'un que tu aimes vraiment beaucoup ?"

Il s'en foutait un peu de la réponse. Il était à peu près sûr de ne pas connaître ladite personne, parce que Juliet était encore une gamine, pas dans la même maison que lui, et qu'il avait autre chose à faire que de se souvenir des noms de tous les nains des premières années.

Mais ça ferait parler Juliet. Donc c'était bien. Pendant ce temps, lui, il allait bidouiller une crème chantilly pour la décoration des religieuses, comme ça, Juliet serait contente de ses gâteaux, et elle pourrait faire plaisir à son amie. Elle au moins, elle passait une bonne journée, là. Et il s'était un peu résigné à son sort, alors il n'allait pas gâcher son plaisir. Qu'elle cuisine ! Qu'elle soit contente. L'après-midi de Flavian ne serait pas totalement perdue, comme ça, même s'il aurait préféré être seul et tranquille. Une autre fois, peut-être.

Qu'elle cuisine, donc. La crème chantilly.

"J'vais te montrer la suite. Viens voir."

Ce n'était pas très compliqué à faire, et c'était pour ça qu'il l'avait choisie. Flavian prit un bol, un peu de crème, du sucre, versa la crème dans le bol, et tendit le tout à Juliet, ainsi qu'un fouet. Ils allaient probablement finir de fouetter la crème avec un sort, mais au moins, comme ça, elle saurait comment faire.

"C'est simple, tu mélanges vite. Quand t'en as marre tu me dis, je prends la relève. N'en mets pas partout. A toi."

Alors Flavian n'avait jamais été amoureux ? C'était bizarre, il était grand pourtant. Juliet en était venue à considérer l'amour comme une sorte de maladie, un passage obligatoire comme la grippe en hivers, mais en plus gentil, dès qu'on commençait à grandir. Mais peut-être qu'il ne disait pas vraiment la vérité. Il avait une certaine réticence à répondre à ses questions et ne le faisait que par des phrases uniques et plutôt courtes. Peut-être qu'il était timide. Oui, ça devait être ça, il était timide et il n'osait pas lui confier des choses aussi personnelles alors qu'ils venaient juste de se rencontrer.

Du coup, on aurait dit que lorsqu'il lui retournait ses questions, c'était plus par politesse que par réel désir de savoir. Comme s'il ne la connaissait pas encore assez pour vouloir connaître sa vie. Très bien, qu'à cela ne tienne ! elle serait aussi évasive que lui dans ses réponses. Quand il voudrait vraiment savoir, elle lui parlerait de Wendy, mais c'était un sujet bien trop précieux à ses yeux pour qu'on l'aborde légèrement.

"C'est un secret," répondit-elle, avec un grand sourire. Ca lui plaisait assez d'avoir un secret, en fait, quelque chose qui n'appartenait qu'à elle.

Pendant ce temps, la crème refroidissait tout doucement sur le plan de travail. Qu'est-ce que ça sentait bon ! Elle n'avait jamais senti l'odeur de la crème pâtissière encore chaude, c'était encore mieux que les odeurs artificielles que diffusaient les boulangeries pour vous donner faim. Elle avait vraiment envie de tremper les doigts dedans pour goûter, mais elle savait qu'elle se ferait réprimander par Flavian, et elle voulait qu'il l'aime bien, Flavian. Elle voulait être son amie. Et qu'il lui fasse assez confiance pour lui confier les Grands Secrets de la guilde des pâtissiers.

Elle ne savait pas ce qu'il restait à faire encore, mais elle suivit les gestes de Flavian avec attention.

"C'est quoi qu'on prépare maintenant ?" demanda-t-elle.

Bon, ça avait l'air assez simple, en fait ! Elle prit le fouet en main et commença à mélanger la crème très vite. Bon, c'était plus difficile que ça en avait l'air, son poignet n'avait pas l'habitude de faire de rapides mouvements circulaires répétés et du coup, elle en mettait un peu partout… Mais bon, au moins elle aurait la preuve, s'il en fallait, que c'était bien elle qui avait fait les religieuses. Elle avait plein de preuves sur son pull maintenant.

Très vite, son bras commença à fatiguer, et même si elle y mit plein de bonne volonté et continua tant que ça lui était possible, elle ne pu pas maintenir le rythme très longtemps. Elle s'arrêta donc, et lança un regard d'excuse à Flavian - qui aurait peut-être mieux marché sans le grand sourire qui l'accompagnait. La crème avait toujours une tête de crème. Bon.

"Voilà, il faut que je me repose un peu le bras avant de continuer je crois. Ca fait longtemps que tu fais des gâteaux ? Tu as l'air de t'y connaître !"

Alors c'était un secret. Flavian haussa les épaules. Pourquoi pas, elle avait le droit d'avoir des secrets la petite. L'amour, ce n'était pas un sujet qu'ils voulaient aborder, semblait-il. Ils parleraient d'autre chose.

Flavian regarda Juliet lancer des regards d'envie vers la crème qui refroidissait. Mais la jeune Poufsouffle se contenait, et elle n'essayait pas d'y tremper son doigt comme au début. Ca le fit sourire. Elle faisait vraiment des efforts, Juliet. A la place, elle lui demanda ce qu'ils allaient préparer. Elle essayait de suivre et de s'intéresser au travail. C'était bien.

"On fait de la crème chantilly, parce que j'ai la flemme de faire de la crème au beurre, et qu'il en faut pas beaucoup, de toutes façons, c'est juste pour la déco. Ca va servir à faire joli sur les religieuses, tu verras."

Juliet s'était mise à fouetter la crème. Elle en mettait plein partout, mais Flavian s'y attendait un peu (la mise en garde, c'était pour ça) alors il ne dit rien. Il la regarda faire. Elle les aura mérités, ses religieuses.

Et puis il poussa un soupir. Juliet, même si elle avait un peu débarqué sans prévenir, faisait de son mieux, se montrait gentille et serviable, et elle était toujours en train de sourire malgré la mauvaise humeur que Flavian ressassait et qu'il n'hésitait pas à déverser sur la jeune sorcière à la moindre erreur. Vraiment, elle se montrait sympa. Il avait du mal à rester énervé contre elle.

Flavian était toujours un peu agacé, mais il n'avait plus vraiment de raison de l'être. Juliet était vraiment gentille. Du coup, il voulait faire quelque chose pour la récompenser, un peu, parce qu'elle le méritait bien. Il chercha un peu quoi faire, puis l'idée parfaite lui vint en tête : il récupéra une cuillère, la plongea dans la crème pâtissière, et la ressortit, avant de se retourner vers la rouquine.

Elle en avait marre de fouetter la crème. Flavian prit le fouet de ses mains, et lui donna la cuillère. "Tiens, pour toi." Comme ça, elle pourrait goûter la crème qui lui faisait tant envie.

Il se mit à fouetter la crème tout en lui répondant.

"J'en fais depuis longtemps, ouais. Ma mère est pâtissière, alors elle m'a appris. Je sais faire plein de gâteaux différents du coup, et j'aime bien en faire, ça me calme, c'est reposant." Ca lui permettait de souffler un peu. Juliet avait tout chamboulé en atterrissant dans les cuisines, et du coup il devait faire avec, même s'il aurait préféré être tranquille. Mais ça allait maintenant.

Flavian continua de préparer la crème chantilly pendant un bon moment, mélangeant la crème, rajoutant le sucre, puis, une fois qu'elle avait la consistance qu'il voulait, il s'arrêta et la laissa tranquille. Voila. Presque fini.

"Faut attendre que la pâte à choux soit prête maintenant."

Il s'accroupit, puis s'assit par terre. Il lança un regard à la petite Poufsouffle. Puisqu'ils devaient attendre, autant discuter. Elle avait l'air d'aimer discuter, Juliet. Ca leur passerait le temps.

"Toi c'est la première fois que tu fais ça. Ca se voit. Ca te plait, en tout cas ?"

Il était vraiment gentil, Flavian, et il était très bien comme professeur de pâtisserie. Il lui expliquait tout et il faisait bien attention à ce qu'elle écoute, il lui donnait des règles mais il la laissait s'amuser aussi. Elle l'admirait beaucoup. Il savait faire des tas de trucs et en plus il était grand, et il avait des tresses, alors que c'était un garçon, et ça, c'était vraiment trop original et trop cool ! Il n'avait pas vraiment l'air du genre à répandre la joie et l'amour comme Kalev, mais à sa façon il le faisait, un peu, en acceptant Juliet dans sa cuisine. Oui, "sa" cuisine. Les elfes, qui proposaient toujours de l'aide à Juliet toutes les cinq minutes quand elle venait cuire des pâtes (quand elle avait manqué le repas de midi en jouant aux bavboules avec Wendy), laissaient Flavian complètement libre de ses mouvements, sans jamais lui demander s'il voulait un coup de main. Même les elfes, chefs pâtissiers du château par excellence, reconnaissaient qu'il était doué !

Elle l'écouta lui expliquer ce qu'ils étaient en train de faire. Ah, de la crème chantilly ! Mais c'était trop bon ce truc-là ! Et puis, si c'était pour la décor… Il en resterait peut-être à manger tout seul ! Merveilleux ! Elle sourit à Flavian en acquiesçant, mais ne lui révéla pas son plan machiavélique. Elle avait le sentiment qu'il ne serait pas pour. Bizarrement, Flavian avait l'air de beaucoup aimer faire de la pâtisserie tout en étant complètement opposé à l'idée d'en manger.

Et puis il fit quelque chose à quoi Juliet ne s'attendait pas du tout. Mais alors pas du tout pas du tout. Il lui donna une cuillère pleine de crème pâtissière, ce nectar des dieux qui sentait si bon là-bas, dans son coin de la cuisine. Pour elle ? Vraiment ? Elle le regarda tout à coup avec des étoiles dans les yeux. Il était tellement gentil et attentionné, sous ses dehors un peu brut de décoffrage ! Elle le regarda et laissa sortir un "Merci !" Mi-surpris, mi-émerveillé.

Elle était encore en train de lécher sa cuillère, bien déterminée à en extraire les moindres petites gouttes de crème pâtissière, en se disant qu'elle avait vraiment de la chance, de rencontrer tant de gens extraordinaires dans ce château, quand Flavian lui répondit. Oh, sa mère était pâtissière ! C'était un truc de famille, c'était tellement chouette !

"Oh oui, ça doit être très bien ! Tu te sens un peu chez toi du coup, quand tu fais des gâteaux ? Ca te manque, chez toi, quand tu es à Poudlard ? Moi quand je fais des maths ça me rappelle mes parents. Ils sont comptables. Mais ça ne me calme pas vraiment en fait, je les trouve souvent un peu tristes, tous seuls, mes petits chiffres sur le parchemin, alors je fais des dessins à côté. Mais je suis un peu nulle en maths de toutes façons."

Flavian, lui, continuait à mélanger sa crème en ajoutant le sucre, c'était assez impressionnant, il arrivait à le faire pendant longtemps sans jamais fatiguer, et il finit par arriver à une jolie crème bien crémeuse et appétissante. Du coup, tout était fini à part la pâte à choux, alors il s'assit par terre. Juliet s'assit aussi, en face de lui. Cette fois, c'est lui qui entama la discussion ce qui fit beaucoup plaisir à Juliet.

"Oui, ça me plaît beaucoup ! C'est marrant de mélanger tous les ingrédients, après la pâte elle change et ça devient appétissant et bon et ça donne envie d'en manger. C'est presque de la magie."

La petite, malgré son air un peu bête, avait compris du premier coup pourquoi Flavian faisait des gâteaux. Ca lui rappelait la maison. Et sa maison lui manquait un peu quand il était à Poudlard. Il aimait bien les journées tranquilles qu'il y passait, où tout le monde l'aimait bien, où il était un garçon sans que ça ne gêne personne, où il n'y avait pas les innombrables petites frustrations de l'école. Les nuits passées dans un fauteuil. Les arbitres de duel qui l'appelaient "elle". Les gens qui rigolaient dans son dos. Les cuisines toujours occupées où sa présence gênait. Les douches au milieu de la nuit, pour éviter de croiser quelqu'un. Poudlard ne lui plaisait pas, il avait hâte d'être grand, et de ne plus y vivre. Et parfois, il avait envie de ne plus y vivre maintenant, et il essayait de se changer les idées, de penser à autre chose, il venait faire des gâteaux dans la cuisine en s'imaginant être dans la boutique de sa mère. Ca lui plaisait. Ca le reposait. Mais pas toujours. Parfois, le sort s'acharnait sur lui, et l'école débarquait en la présence d'une autre élève qui voulait faire des gâteaux, et lui posait plein de questions, et faisait disparaître ses habits, et il n'était plus tout seul, il fallait qu'il réponde, il fallait qu'il fasse attention, il fallait qu'il soit là, à Poudlard, et pas ailleurs dans ses pensées. C'était pour ça, en fait, qu'il n'avait pas tout de suite aimé la présence de Juliet, en plus de sa mauvaise humeur - elle n'était que la suite d'une journée pourrie, où rien de grave ne s'était vraiment passé, mais où elle s'ajoutait à une longue suite de petites frustrations qui s'accumulaient les unes sur les autres.

Flavian ne répondit pas à la remarque de Juliet. Elle était passée sur autre chose, de toutes façons, elle parlait de mathématiques et de parents comptables. Ca le fit sourire. Elle était attachante, à sa manière, comme une petite soeur, une enfant, qui ne savait pas trop s'en sortir toute seule, qu'il fallait surveiller et accompagner, mais elle était adorable, quand même, toujours souriante, toujours heureuse de le rencontrer et de lui parler, comme si c'était une chance immense que de rencontrer Flavian dans la vie et de faire des gâteaux avec lui. Juliet était une petite tornade de bonne humeur, qui en foutait plein partout quand elle cuisinait, mais qui donnait le sourire à tout le monde. Sauf aux elfes, peut-être. Mais il était sûr qu'elle les aimait quand même. Elle devait leur donner des noms et leur dire bonjour et ils devaient regarder avec horreur sa venue, parce qu'ils savaient, eux, dans quel était serait la cuisine après son passage. Non, vraiment, ce n'était pas si terrible d'être avec Juliet. Elle l'avait tiré hors de ses pensées, elle lui avait un peu gâché son moment, mais elle ne faisait pas exprès. Elle ne faisait jamais exprès. C'était dur de lui en vouloir. Il avait essayé, Flavian, mais il n'avait pas tenu longtemps.

Et voila où il en était arrivé. Il tapait la discussion avec une gamine, assis par terre dans la cuisine, en attendant que leurs gâteaux cuisent.

"Ouais, c'est vrai que c'est marrant. Je me suis toujours un peu demandé à quoi il pensait, le premier pâtissier, qui a pris de la farine et qui en a fait un gâteau. Où même comment on a eu l'idée de faire de la farine avec du blé. C'est pas intuitif. Et puis il y a plein de recettes comme ça, qui demandent de beaucoup travailler, pendant longtemps, et je sais pas qui s'est dit qu'en s'acharnant suffisamment, il arriverait à quelque chose. Le feuilletage, par exemple, c'est n'importe quoi. Un type, un jour, il a eu l'idée d'étaler du beurre sur un morceau de pâte, il l'a enveloppé dedans, et puis il l'a plié, et il a fait ça plein de fois, avant de le cuire et de voir ce que ça faisait. Je sais pas. Ca m'amuse. C'est magique, comme tu dis."

Ils discutaient. Le temps passait plus vite, comme ça, et Flavian, il avait un peu le sentiment que, s'il le voulait, il pouvait se faire une amie, là maintenant. Juliet serait ravie. Il le sentait. Elle serait sûrement épuisante, et collante, et il ne savait pas vraiment s'il serait toujours heureux de la voir, mais en un sens ce n'était pas grave, ce n'était pas ce genre de petit détail qui assombriraient l'humeur de la petite. Il avait l'impression d'aller un peu mieux. Il souriait.

Et puis son sourire se fit plus petit, avant de disparaître. Est-ce qu'elle savait ? A propos de lui. Du fait qu'il n'était pas un garçon, à la base, qu'il l'était devenu, et qu'il était un peu un phénomène de foire, du coup. Flavian avait un peu tendance à considérer que tout le monde était au courant, ça simplifiait les relations avec les gens, ça l'empêchait de se poser des questions et d'angoisser tout seul dans son coin. Et puis il se trompait rarement, et celui où celle qui ne savait pas finissait vite par apprendre. Mais là … Juliet n'avait pas beaucoup de réflexion, et peut-être que ça lui passait au-dessus de la tête, comme c'était le cas pour Hippolyte. Il se demandait un peu comment elle réagirait lorsqu'elle apprendrait la nouvelle, du coup. Il se posait des questions. Et du coup, il n'avait pas envie de s'engager. Il n'avait pas envie qu'elle soit son amie.

Mais il n'était pas contre la revoir, quand même.

La pâte à choux finit par arriver, portée par un elfe, et Flavian se leva, chassant ses pensées. Bien, passons à autre chose. Ils allaient pouvoir continuer leur cours de cuisine.

"Allez, debout."

Il prit une douille, et fit un petit trou dans chacun des choux.

"On va faire entrer la crème par là. Tu vas voir, c'est facile, enfin, ça devrait l'être. J'en fais deux, je te montre, et ensuite c'est ton tour."

Flavian attrapa le bol de crème pâtissière, se rendit compte qu'il avait oublié de mélanger le chocolat, s'en occupa rapidement, et puis il prit une douille et une poche à douille, encore, et s'occupa de la remplir. Ensuite, il prit l'un des choux, et le fourra en faisant entrer la douille de la poche par le petit trou qu'il venait de faire. Voila. Réflexion faite, elle allait galérer, Juliet. Flavian prépara quatre choux, assez pour faire deux religieuses, et laissa à Juliet le soin de massacrer le reste. Il avait veillé à tout : avec ce qu'il avait fait, elle allait quand même avoir quelque chose à montrer à son amie, alors tout allait bien.

"Ton tour. Remplis pas trop la poche, fais attention quand tu mets la crème, si y'en a trop tu le sentiras, ce sera plus dur d'appuyer, alors t'insistes pas. Voila."

Juliet était contente d'écouter Flavian parler comme ça de la pâtisserie. Maintenant qu'il le disait, oui, ils étaient un peu bizarres ceux qui avaient inventé toutes ces choses-là ! Mais heureusement qu'ils l'avaient fait. Ils étaient un peu fous, ils pensaient pas comme les autres, ça devaient être des Poufsouffles en fait. Juliet était persuadée que Poufsouffle, c'était la maison des génies. Comme Kalev et Gertrude. Mais Gryffondor c'était bien aussi, hein. Flavian, il était chouette, il était très gentil, à sa façon, et il faisait de bons gâteaux elle en était sûre, même si elle ne les avait pas encore goûtés. Et puis il était aussi capable de discuter avec elle pendant un bon moment de choses et d'autres, et ça y est, Juliet se sentait comme son amie. Elle était très contente. Elle commençait à voir un autre côté de Flavian, qui n'était pas toujours le chef pâtissier très stricte qu'elle avait connu au premier abord.

Mais il était temps de continuer les gâteaux, déjà : la pâte à choux était prête. Ils étaient beaux, dorés, appétissants… Miam ! Juliet regarda Flavian fourrer les choux avec la crème en quelques gestes experts. Ca avait l'air facile, comme ça ! En plus, il l'avait dit : c'était facile. Chouette alors, elle allait pouvoir faire de jolies religieuses pour Wendy, et en s'amusant en prime ! Elle écouta avec attention les instructions de Flavian, hochant la tête régulièrement. Oui, très bien, ça devrait aller comme ça. Elle avait hâte d'essayer. Mais elle ferait attention.

Enfin, ce fut à son tour, et elle commença à remplir sa poche à douille avec la crème - mais pas trop, du coup elle en avait vraiment pas beaucoup. Elle introduit la douille par le petit trou à la base du choux, et lentement, fit rentrer la crème dedans. Elle du s'y reprendre à plusieurs fois, parce qu'elle n'avait pas assez de crème pâtissière dans sa poche à douille, mais c'était assez marrant à faire. Bon, son trou s'agrandissait un peu au fur et à mesure et la crème coulait un peu par le fond du chou du coup, mais c'était toujours plutôt joli - et très appétissant. Elle eut un petit gloussement satisfait lorsqu'elle eut terminé son premier choux, puis renouvela l'opération pour les autres. Ca lui prenait beaucoup de temps, beaucoup de concentration, et elle ne le faisait pas très bien, mais ça l'amusait beaucoup.

Une fois qu'elle eut terminé, elle lécha discrètement ses doigts - c'était vraiment délicieux - et se tourna vers Flavian avec un grand sourire.

"Voilà ! On fait quoi maintenant ?"

Elle se prenait au jeu, elle était très contente de sa position de commis pâtissier, et c'était à peine si elle n'appelait pas Flavian "chef". D'ailleurs… Il était grand, Flavian. Et il était très intelligent. Une idée germa dans l'esprit de Juliet.

"Dis ! Tu voudrais bien me donner des cours de rattrapage ? Je suis un peu nulle en cours et ma tutrice ne veut plus m'aider. Mais je veux vraiment m'améliorer, hein ! Je fais des efforts, mais ça ne marche pas. Mais avec toi je suis sûre que ça ira mieux, tu pourrais m'expliquer quand je ne comprends pas !"

Flavian regarda son élève faire avec patience, une patience qu'il n'avait pas vraiment eue jusque-là et qui était surtout due au fait qu'il pouvait se permettre de la laisser faire et se reposer un peu, comme il le voulait. Juliet s'en sortait bien. Elle débutait, elle en mettait pas assez, elle passait trois ans sur un seul choux, mais elle s'en sortait bien. Le résultat était correct. Au-dessus des (maigres) attentes du jeune garçon. Elle finit par terminer son travail (on arrivait toujours à la fin, au bout d'un moment) et elle se lécha les doigts, et Flavian la laissa faire en roulant des yeux.

On fait quoi maintenant, demanda-t-elle. On fait la suite. Flavian allait lui montrer la marche à suivre pour la prochaine étape - bientôt la fin - quand elle l'interrompit. Elle voulait des cours particuliers ? Mais il était quoi, un travailleur social ? Il n'avait pas que ça à faire. Mais bon. D'accord. Il ne s'était pas attendu à devoir continuer de l'aider, mais il était devenu son prof particulier, et c'était parti pour durer semblait-il, et puis il n'était pas contre la voir de nouveau, donc il pouvait faire ça. Juste, pas aujourd'hui.

"Ouais ouais, s'tu veux." marmonna-t-il. "Ca devrait pas être trop dur, je peux sûrement t'aider si ça te dit." Elle pouvait pas être pire en cours qu'en pâtisserie. "Mais peut-être une autre fois. J'ai pas envie de le faire maintenant, et puis tu as des gâteaux à aller manger avec ta copine hein." Bonne esquive, ça. "Donc on se revoit un autre jour et on fait ça."

Il avait toujours un peu la tête qui tourne à cause du confundo qu'il s'était mangé ce matin, mais cette fois, le sortilège n'avait pas eu besoin de le forcer à dire oui.

"On finit les gâteaux maintenant. On est presque à la fin, tu vas voir."

Flavian héla un elfe de maison, récupéra du fondant, le réchauffa et le mélangea avec du chocolat. Ensuite, il prit l'un des choux, le trempa presque à moitié dans le bol de fondant, et le ressortit couvert de chocolat. Avec un doigt, il nettoya la bordure de la couverture et le posa sur la table. Il en prit un plus petit, fit la même opération, et le posa sur le gros choux. La religieuse était prête. Il n'y avait plus que la décoration à la crème chantilly à faire.

Le jeune homme fit rapidement une deuxième religieuse, veillant toujours à ce que Juliet ait deux pâtisseries en bon état pour elle et son amie. Il reprit la poche à douille, changea la douille pour une avec des bords dentés, et fit la décoration sur les deux pâtisseries. C'était simple, il suffisait d'appuyer un coup pour faire une petite boule striée et de recommencer l'opération sur tout le bord de la tête de la religieuse. Et une au-dessus. Voila. Fini !

"Bon, t'as vu comment j'ai fait, donc tu fais pareil. Tu trempes, tu poses, tu laisses refroidir un peu, tu fais la décoration, et c'est fini. Tu peux mettre tes gâteaux dans une boite et les donner à ta copine. Elle a intérêt à aimer, hein, vu tout le mal qu'on s'est donné. Tu l'engueules si elle râle." Flavian disait cela avec un petit sourire. Juliet en train d'engueuler quelqu'un, ça devait être marrant à voir. Et probablement très mignon. Un peu comme un caniche énervé. Il était un peu en train de s'amuser, là. "Fais la décoration après avoir fait le glaçage. Et tu fais bien. Mais tu t'en sors, c'est bien." Elle s'en sortait vraiment bien, Juliet, elle avait droit à un compliment.

Flavian repoussa les affaires vers elle. Ils avaient presque fini ! Elle allait être toute contente, et elle allait partir, comme il le voulait depuis un moment. La cuisine allait redevenir calme de nouveau. Mais il n'était pas mécontent de l'avoir rencontrée.

Flavian était d'accord pour lui donner des cours particuliers ! Mais c'était merveilleux ! Elle s'y voyais déjà, dans la bibliothèque avec son nouveau professeur, stricte mais juste, qui lui transmettait non seulement tout son savoir scolaire, mais aussi tout ce qu'il savait sur la vie. Elle ne pouvait pas vraiment être son disciple, parce qu'elle était déjà celle de Kalev, mais elle pouvait bien apprendre de lui quand même, non ? Pour savoir répandre la joie et l'amour, il fallait bien apprendre de plusieurs sources, non ? Elle avait vraiment hâte. Alors elle fit un grand sourire à Flavian et dit : "Chouette !", en gloussant à moitié dans sa joie.

Mais ils avaient encore des gâteaux à faire, ce que Flavian rappela à son élève quelque peu dissipée. Instantanément - ou presque - Juliet se concentra à nouveau sur la tâche à accomplir. Flavian lui dit de gronder Wendy si elle n'aimait pas, ce qui fit un peu rire Juliet. Elle ne s'imaginait vraiment pas en colère contre son amie pour une si petite chose ! Vraiment, qui se fâcherait pour ça ? En fait, elle serait surtout plutôt déçue, elle qui tenait tant à lui faire plaisir avec ses gâteaux préférés. Elle espérait que ça lui plairait. Mais Flavian ne la laissa pas s'appesantir sur le sujet : il lui fit un compliment ! Un vrai ! Ils étaient si rares venant de lui que ça lui faisait encore plus plaisir.

Puis, elle se mit au travail. C'était marrant, tremper les religieuses dans le chocolat comme ça, ça avait l'air très facile comparé à tout ce qu'ils avaient eu à faire avant. Mais ça l'amusait beaucoup, Juliet. Alors elle imita autant qu'elle pouvait les gestes de son maître, et c'était plus difficile que ça en avait l'air. Elle se brûlait un peu les doigts avec le fondant chaud, mais elle faisait son possible pour ne pas le montrer à Flavian, elle voulait qu'il soit fière d'elle. Et puis, le chocolat continuait à couler même après que Juliet ait reposé les choux. Mais ce n'était pas très grave en fait, elle trouvait même que ça faisait plus joli comme ça, Juliet. Ses religieuses commençaient vraiment à prendre forme !

Son travail fini, elle se lécha une nouvelle fois les doigts avant de commencer l'étape suivant. Mmmmh, comme c'était bon le fondant ! Les doigts encore dans sa bouche, elle eut un regard vers Flavian et laissa échapper un petit rire d'enfant pris sur le fait. Pas très professionnel, tout ça !

Elle prit ensuite la poche à douille à nouveau, et, pour une fois, fit exprès de ne pas suivre les recommandations de Flavian. Au lieu des petites boules de crème chantilly, Juliet laissa tout une traînée de crème au bord du plus gros chou et un gros chapeau de crème sur le plus petit. Ce n'était pas très académique, mais ils n'allaient quand même pas gâcher toute cette bonne crème, si ? Elle regarda Flavian et se justifia :

"C'est meilleur comme ça !"

Pour le coup, elle était sûre d'avoir révolutionné la religieuse, elle ne se sentait pas coupable pour un sou. Elle était vraiment pressée maintenant d'aller offrir ses religieuses à Wendy, de voir son joli visage tout surpris puis ravi, et de manger les religieuses avec elle. Ce serait vraiment parfait ! Elle demanda une boîte à un elfe, qui la regardait toujours avec terreur - mais bien sûr, elle ne s'en rendit pas compte - et il la lui amena aussi vite que ses petites jambes pouvaient le porter, voyant comme une bénédiction n'importe quoi qui puisse la faire sortir de sa cuisine. Juliet emballa donc ses jolies religieuses dans la boîte, et en laissa une sortie.

"Pour toi !" dit-elle à Flavian avec un grand sourire. Ce n'était pas vraiment un cadeau, parce qu'il l'avait aidé à les faire, ça allait juste de soi qu'il puisse goûter lui aussi au fruit de son labeur. Puis, elle lui fit un signe de main, et lui dit :

"Au revoir ! On se reverra pour les cours particuliers. Merci pour la leçon de pâtisserie !"

Et puis, avec un sourire, elle sortit des cuisines.

Flavian la regarda partir sans rien dire. Tout au plus fit-il au revoir de la main. Juliet avait fini les religieuses, elle les avait emballées, et elle était partie, elle devait vraiment avoir envie de faire plaisir à son amie, se disait-il, Flavian s'était plutôt attendu à ce qu'elle s'attarde et discute. Juliet avait l'air d'une fille prête à papoter avec tout le monde.

Elle lui avait laissé une religieuse. Une des religieuses qu'elle avait faite - le glaçage était un peu maladroit, la décoration était un peu créative, et la crème allait un peu couler hors du choux, par le trou qu'elle avait malencontreusement agrandi. Elle ne payait pas de mine, la religieuse, mais elle était plutôt bien, surtout pour un premier essai. Juliet pouvait devenir une bonne pâtissière si elle s'y mettait sérieusement. Et qu'elle arrêtait de se lécher les doigts toutes les cinq minutes. Pour ensuite remettre la main à la pâte, sans se les laver, les mains.

Flavian attrapa la pâtisserie et commença à la manger, l'air un peu rêveur. Il n'était pas si mécontent de l'avoir rencontrée, finalement. Il aurait bien aimé rester tranquille dans les cuisines aujourd'hui, mais ce n'était pas si mal, comme imprévu, de faire connaissance avec Juliet. Il se surprit à contempler avec envie l'idée de la revoir, pour des cours, pourquoi pas. Flavian sentait qu'il allait un peu se frapper la tête contre les murs, mais elle était attachante, la petite.

Il n'avait plus envie de faire la cuisine. Il était venu faire un gâteau, histoire de se calmer un peu, et Juliet l'avait dérangé, et il avait fait la cuisine avec elle, et maintenant, il sentait qu'il n'allait pas se reposer en travaillant, il allait se remémorer la journée, et ce n'était pas ce qu'il cherchait. Mais il était plus calme qu'avant. Moins de mauvaise humeur. Ca allait mieux.

Flavian finit la religieuse. (Elle n'était pas si mauvaise, ils avaient plutôt bien réussi le tout, en fait, il s'était attendu à ce que ce soit une catastrophe complète, la cuisine avec Juliet, mais en fait non.) Il regarda autour de lui. Les elfes couraient dans tous les sens, et s'étaient déjà emparés des ustensiles de cuisine qu'ils avaient utilisés, pour aller les nettoyer. Il y avait beaucoup de mouvement dans tous les sens. Ca l'irritait un peu. Il voulait être tranquille. Flavian n'avait pas envie de rester ici. Il n'y avait pas d'autres élèves, c'était bien, et les elfes se contrefoutaient des rumeurs sur son cas, c'était bien aussi, mais ce n'était pas calme, en fait. Il allait faire comme son élève, et il allait partir. Pour le plus grand bonheur des elfes de maison.

Mais qu'est-ce qu'il allait faire maintenant … Une sieste, ça semblait une bonne idée. Ce n'était pas encore l'heure du couvre-feu, il pouvait encore aller où il voulait. Flavian se dirigea vers la sortie de la cuisine, se préparant à se baisser pour passer à travers le trou que cachait le tableau, l'air songeur. Et puis lui aussi, il s'en alla.