Wendy hésitait devant la porte du bureau du professeur de Métamorphoses.

Elle avait bien envie de le voir, pourtant, mais elle n'osait pas. Sven (personne ne l'appelait vraiment Mr Waltham) était la gentillesse incarnée. Il semblait toujours heureux de ses visites, et l'accueillait avec du jus d'orange et des gâteaux, et l'écoutait parler de sa vie et de son travail, et l'aidait volontiers dès qu'elle avait besoin d'aide. Wendy ne se faisait pas trop d'illusions : elle n'était pas particulièrement spéciale à ses yeux, il était comme ça avec toute l'école. Mais elle aimait bien ces moments avec lui. Wendy pouvait rêvasser, se faire croire qu'elle était importante pour lui et qu'il tenait vraiment à elle, Wendy s'imaginait souvent être à la place de Galatea, sa véritable fille qui était aussi à Poudlard. Elle ne l'aimait pas beaucoup, cette chipie. Bruyante, gâtée, orgueilleuse et capricieuse, et laide aussi, le visage déformé de grimaces, incapable de se rendre compte de la bonne fortune qu'elle avait d'avoir un papa comme Sven, qui l'aimait tellement, et qui était toujours là pour elle. Le papa de Wendy n'était là que pour les photos de sa vie passée, et semblait aveugle au reste du monde autour de lui. Le papa de Wendy sentait le café froid et la tristesse. Sven évoquait tout de suite les gâteaux et le jus d'orange ou le chocolat chaud et les sourires aussi, et son bureau était très chaleureux, on s'y sentait tout de suite à l'aise. Vraiment, cette Galatea ne savait pas la chance qu'elle avait. Wendy était un peu jalouse.

Mais ce n'était pas pour ça qu'elle hésitait devant l'entrée, la main levée, immobile et ridicule, sans arriver à réunir le courage de frapper à la porte et de tourner la poignée. Ce qu'elle faisait était très égoïste de sa part. Wendy était en train de mentir, à elle-même d'abord, tout comme elle allait mentir ensuite à Sven, parce qu'elle était officiellement là pour parler Métamorphose. Quels débouchés professionnels pouvait-on avoir avec cette matière, qu'est-ce qu'on pouvait en faire, à quoi ça servait dans la vie des adultes qui ne savaient jamais jouer, juste rester sérieux et gagner des gallions pour réussir dans sa carrière et se faire envier par les voisins (être adulte ne lui semblait pas très intéressant, mais tout le monde devait bien finir par y passer). Elle avait des raisons très sérieuses et très acceptables pour entrer dans le bureau du professeur de Métamorphose, mais tout ce qu'elle avait envie, c'était qu'il l'écoute et lui donne du jus d'orange et qu'il s'intéresse à elle et sa vie, comme le faisaient ses véritables parents, avant.

Personne n'aimait vraiment Wendy. Il n'y avait que les gens naturellement gentils pour l'être avec elle, Juliet, Kalev, Wesley, nombre de Poufsouffle, Sven qui était un ancien Poufsouffle lui aussi. Les autres ne faisaient pas grand-cas d'elle, comme les Serpentards, comme Nanette qui l'avait martyrisée l'année dernière, ou comme Calvin qui l'avait poursuivie en hurlant des menaces pour une histoire d'erreur administrative, ou tout simplement comme ces grands qui n'aimaient pas trop que la petite nouvelle marque des buts au Quidditch, et qui le lui avaient bien fait comprendre en lui lançant un mobilicorpus avant de la larguer dans le couloir marécageux (parce que tout le monde commençait à le savoir, que c'était drôle de lancer Wendy dans la boue).

Et Wendy était égoïste. Elle n'était pas assez bien pour être aimée, mais elle voulait quand même qu'on fasse attention à elle, et qu'on l'aime, et qu'on la trouve intéressante. Wendy voulait un câlin. Elle n'oserait jamais demander ça à Sven, elle aurait bien trop honte, mais elle pouvait rêver. Wendy avait envie de rêver. Wendy avait envie de passer du temps avec le professeur qui était gentil avec tout le monde et de s'imaginer qu'il l'aimait, elle, comme si elle était sa fille.

Wendy tourna la poignée de la porte.

« Excusez-moi, monsieur ? » couina-t-elle d'une petite voix toute timide. « Est-ce que vous êtes occupé ? Je pourrais vous déranger un moment ? »

Et puis, sentant le rouge lui monter aux joues, elle lui avança son mensonge : « J'ai des questions au sujet de votre matière et de mon futur professionnel. »

Ca semblait tellement raisonnable, dit comme ça.

Merlin mais qu'est-ce qu'elle était en train de faire.

Sven n'avait clairement pas le temps. Il avait d'immenses cernes de fatigue sous les yeux, son bureau était dans un bazar complet, il y avait des piles de travail à corriger ça et là, elle pouvait le deviner, et il était en train de se reposer un peu, peut-être pour la première fois de la journée, avant qu'elle ne le dérange. Sven croulait sous le travail à faire, et Wendy ne faisait que lui en rajouter. Et tout ça par pur égoïsme. Pour jouer à avoir un papa et rêver toute seule dans son coin, en tenant la jambe à ce gentil professeur qui donnait tout son temps à ceux qui en avaient vraiment besoin. La petite fille avait un peu honte d'avoir ouvert la porte du bureau de Sven maintenant.  

Wendy se promit de se tenir aux questions sur son hypothétique avenir professionnel, et aussi de partir au plus vite. Elle était une horrible fille, vraiment. Elle ne méritait même pas le chocolat qu'il lui offrait.

La petite Poufsouffle indiqua qu'elle préférait (de loin) la tasse avec les fléreurs à la tasse Serpentard, et s'assit tout au bord d'un des fauteuils, toute gênée, comme prête à se relever dans l'instant même. Qu'est-ce qu'elle allait faire ? Comment allait-elle se sortir de là ? Elle était à peine entrée qu'elle ne pensait plus qu'à partir. Mais Sven parlait et tentait de la mettre à l'aise.

« Voilà, » commença-t-elle, la voix tremblant un peu. « J'aime beaucoup votre matière, et faire de la métamorphose, je ne suis pas la meilleure, mais je suis peut-être assez douée pour continuer dans cette voie, si je travaille plus je veux dire, mais en fait, je me demandais, euh, qu'est-ce qu'on peut faire comme métiers avec la métamorphose ? Parce que je ne vois pas trop à quoi ça pourrait servir quand je serai derrière un bureau dans une entreprise. Euh, je suis désolée. »

Elle n'avait pas voulu dire que la matière de Sven ne servait à rien. Les seuls exemples d'adultes dans la vie active qu'avaient Wendy étaient ses professeurs, qui enseignaient aux élèves, et son père, ainsi que les parents de Juliet, qui faisait tous un travail incompréhensible qui consistait à rester assis sur une chaise dans un petit bureau toute la journée, à plancher sur des chiffres à calculer ou des formalités administratives à enregistrer. Rien de tout cela ne l'attirait vraiment. Elle savait qu'il existait d'autres choses (il y avait des vendeurs qui vendaient des choses dans le Chemin de Traverse, après tout, et probablement d'autres sorciers qui façonnaient ces choses qu'ils vendaient) mais elle ne savait pas du tout ce qui existait vraiment, et comment s'y diriger. Le questionnement de la petite sorcière était sincère.

« Je veux dire, voilà, je suis déjà en quatrième année, et je ne sais pas du tout ce que je vais faire plus tard, et l'année prochaine il y a des examens très importants, c'est mon avenir qui se joue, vous savez, il faut que je sois prête. »

Elle plongea son regard dans sa tasse, intimidée par l'ampleur de la tâche, et se mit à caresser distraitement les fléreurs qui la décoraient. Ils lui rappelaient Juliet. Elle l'aimait bien, cette tasse. Wendy la porta timidement à ses lèvres et but une gorgée de chocolat chaud.

« Et je pense que c'est tout ? Je ne vous dérangerai pas plus que ça, c'est promis. »

Ses yeux replongèrent dans sa tasse. Elle aurait bien aimé rester. Mais c'était égoïste comme envie : il valait mieux qu'elle s'en aille, et laisse son professeur tranquille, parce qu'il avait plein de travail à faire. Il l'avait appelé Wendy et il lui avait donné du chocolat chaud. C'était déjà beaucoup. Elle s'en contenterait.

Wendy écoutait avec attention tout ce qui lui disait Sven. Il était très rassurant, comme toujours – il lui expliquait qu'elle n'avait pas forcément besoin d'être la meilleure pour réussir, il lui donnait plein de pistes tout en lui avouant qu'il ne connaissait pas trop le sujet, et il lui faisait découvrir que le monde du travail était beaucoup plus varié que les emplois de bureau qu'occupaient à peu près tous les adultes de son entourage. Wendy pouvait travailler dans un théâtre, et participer aux histoires qu'on raconte sur scène – les costumes et les acteurs, c'était elle qui les décrirait au public. Wendy pouvait travailler dans un hôpital, et aider plein de gens à se défaire et se libérer de sortilèges malheureux et d'accidents regrettables. Wendy pouvait aussi passer sa vie à lire des livres et à apprendre et développer de nouveaux sorts. Wendy pouvait même jouer à devenir une agent secrète. Rien que ce petit peu lui semblait déjà beaucoup, rien que ce petit éventail d'options lui ouvrait déjà une multitudes de portes et d'avenirs intéressants, et il y avait encore plus de choses à découvrir, encore plus de projets réalisables, il suffisait de faire des recherches dans la bibliothèques – et si Wendy savait faire une chose, c'était trouver des livres intéressants dans la bibliothèque. Vraiment, Sven était rassurant. Et il lui assurait que son avenir ne se jouait pas sur les examens de l'année prochaine comme tout le monde semblait le penser. Wendy avait moins peur pour son avenir, et pouvait l'envisager de façon plus sereine. Il en devenait même plus excitant. Wendy avait un peu hâte. Si seulement le temps présent qu'elle passait à l'école pouvait être aussi bien.

Wendy serrait sa tasse dans ses mains. Le chocolat la réchauffait doucement. Les fléreurs lui faisaient penser à Juliet. Tout n'était pas si mal. Elle avait droit à beaucoup de choses ici, beaucoup plus que ce qu'elle méritait, elle avait sa meilleure amie avec qui elle passait tout son temps, et avec qui elle allait passer toute sa vie, si elle le pouvait. Elle avait le droit d'aller voir Sven et Sven la rassurait sur sa vie, et puis c'était toujours gratuit de rêver – Wendy pouvait rêver qu'elle avait son professeur pour papa, Wendy pouvait rêver que Juliet tombe amoureuse d'elle comme elle, elle était tombée amoureuse, et tout ça lui permettait de supporter les petites misères du quotidien.

C'était chouette de voir Sven.

Wendy restait silencieuse.

Wendy restait tassée dans sa chaise, un peu gênée, les yeux rivés sur ses chaussures.

Elle n'avait plus rien à dire en fait. Elle n'avait plus de raison de rester – Sven lui avait tout dit, Sven lui avait confié tout ce qu'il savait, et la suite à faire c'était de partir à la bibliothèque pour empiler des livres sur une table et faire de la recherche. Mais Wendy n'avait pas envie de partir. Elle avait envie de rester. Elle avait envie de discuter de tout et de rien en mangeant des petits gâteaux, elle avait envie de lui parler de sa vie et de Juliet et de son futur et de ses amis et de l'équipe de Quidditch, comme elle aurait pu le faire avec un vrai père présent pour sa fille, comme Sven l'était envers Galatea, et comme son papa ne l'était pas pour elle. Elle avait envie de rêver un peu.

Mais tout ça, c'était vraiment très égoïste. Elle n'avait pas le droit de faire ça. Le silence de la petite fille s'éternisait. Le chocolat chaud devenait froid.

«  … Merci beaucoup. » finit-elle par dire, d'une petite voix hésitante. « Je ne vous prend pas plus de votre temps, je vais partir alors. »

Wendy savait qu'elle prenait la bonne décision. Sven avait une famille, une vraie, dont il fallait qu'il prenne soin. Sven avait beaucoup de travail, au vu du chaos régnant sur son bureau, et il avait mieux à faire que de céder aux caprices d'une élève parmi d'autres. Mais ça coûtait beaucoup à la petite Poufsouffle de partir ainsi. Ce n'était pas facile.

Wendy ne se permit qu'une dernière chose avant de s'en aller. Trente secondes de plus, le temps de finir le peu de chocolat chaud qui lui restait. Sven le lui avait gentiment donné, et ce ne serait pas poli de ne pas le boire. En plus il était très bon. Wendy porta la tasse à ses lèvres et but les dernières gorgées qui lui restaient, et puis c'était fini, et puis il était temps de partir.

« Merci encore. Au revoir ? »

Wendy se leva de son fauteuil. Comme à regrets.

La petite Wendy écouta le professeur parler, troublée, une main sur le dossier du siège, avant de se rasseoir lentement. Sven tentait maladroitement de lui faire avouer des problèmes qu'elle pouvait avoir. Et elle ne savait pas vraiment comment il avait fait pour taper dans le mille comme ça. Est-ce qu'elle était si transparente que ça ? Est-ce … Après tout, Garfield avait bien deviné tout seul qu'elle était amoureuse de Juliet. Après tout, Gray savait toujours la trouver lorsqu'elle allait le plus mal et qu'elle était la plus vulnérable à ses méchancetés. Après tout, les gens voyaient bien quand elle avait peur, quand elle n'avait pas confiance en elle, quand elle doutait de son talent au Quidditch, les gens voyaient tout. Ceux qui étaient gentils venaient l'aider, cherchaient à savoir ce qui n'allait pas, comme Sven, et ceux qui ne l'étaient pas cherchaient à en profiter. Et Wendy, dans son coin, faisait de son mieux pour garder tout ce qu'elle pouvait pour elle. Elle ne voulait déranger personne. Elle ne voulait pas qu'on la remarque, elle et tous ses défauts, toutes ses petites faiblesses et ses petites culpabilités, elle aurait aimé être comme Wesley, Kelsey, ou Calypso, forte et courageuse et gentille envers ceux qui en avaient besoin, elle aurait aimé être comme Alix aussi, grande et habile et, et tout ce qu'elle arrivait à faire, c'était fondre en larmes devant Sloan parce que Sloan avait été là et qu'elle n'avait pas réussi à partir à temps.

Wendy s'était rassise dans le fauteuil, les mains serrées autour de sa tasse vide et posées sur ses genoux, les yeux baissés vers le sol, recroquevillée, sage, gênée.

Elle ne pouvait pas vraiment lui parler de tout ça. C'était passé, ça passait, c'était pas très grave au final. Et elle allait bien. Et puis Wendy se montrait déjà très égoïste en venant le voir juste pour avoir l'impression qu'il était son papa pendant quelques minutes.

Elle ne pouvait pas demander plus.

Et devant le silence, Sven, peut-être un peu gêné lui aussi, se mit à lui parler de Viridus Emerald et de l'aide qu'il pouvait lui apporter. Et Wendy se crispa un peu plus, comme un animal blessé. Elle n'aimait pas monsieur Emerald. Elle n'aimait pas monsieur Emerald parce qu'il disait que Juliet était nulle puisqu'elle était née-moldue, et que Wendy non plus ne valait pas grand-chose et que seuls les sang-purs étaient dignes d'attention. Et le papa de Wendy disait plein de choses sur le racisme du sang chez les sorciers, et que tout ça c'était pas vrai, et qu'il fallait pas les écouter, les gens qui disaient ça, et en même temps, Wendy avait des doutes, parfois. Parce qu'Alix était une sang-pur, et qu'elle était formidable quand même. Parce que son amie Sanaé qui était très intelligente et qui était à Serdaigle et qui était à la bibliothèque tout le temps, elle était sang-pur aussi. Parce que Wendy, elle, elle ne se pensait pas très douée, et que Juliet, si elle était formidable sur tellement de points, n'était pas toujours très forte en cours. Et Wendy se détestait de penser tout ça. Et Wendy détestait monsieur Emerald aussi. C'était moche comme sentiment. Dans sa tête, parfois, elle l'appelait « le nain » et puis elle se reprenait tout aussitôt, c'était mal de penser du mal des gens, même de cet homme. Dont le sourire mettait tout le monde mal à l'aise.

« Je n'ai pas très envie d'en parler à monsieur Emerald, » finit-elle par articuler. « Je suis plus à l'aise avec vous. Et puis vous êtes le professeur de Métamorphose. » continua-t-elle, comme poussée par le besoin d'avancer une justification.

« Est-ce que ça va si je continue de venir vous voir vous ? » rajouta-t-elle, après un court instant d'hésitation. « Pour vous parler du travail à l'école, bien sûr ! » fit-elle, un peu précipitamment, « je sais que vous avec une grande famille et plein de choses à faire et je n'ai pas envie de vous déranger du tout ! »

Non, vraiment, pensa-t-elle en contemplant sa tasse vide, elle n'avait aucun droit à lui prendre encore plus de son temps pour des histoires de gamine. Mais ça lui faisait très chaud au cœur de savoir qu'il s'inquiétait pour elle. Sven devait être un fantastique papa. Elle n'avait vraiment pas le droit de le voler à sa famille.

Wendy n'avait pas une seule fois relevé les yeux vers son professeur.

Wendy se crispa, comme une petite fille en train de se faire gronder, sous les remarques de Sven. Elle envoyait des signaux confus ? Elle ne s'en était pas rendue compte. Wendy avait toujours cru qu'elle était douée pour cacher ce qu'elle ressentait et ce qu'elle vivait, pour ne rien montrer aux autres et ne gêner personne. Juliet n'avait jamais rien remarqué, après tout. Cliff non plus. Peut-être était-ce parce que Sven était un adulte, un professeur qui plus est, et le père d'une famille nombreuse ? Après tout, il devait avoir beaucoup d'expérience avec les enfants et les adolescents. Wendy n'avait pas voulu l'embêter.

Wendy ne voulait embêter personne.

« Je m'excuse, monsieur Waltham, je ne m'étais pas rendue compte. » commença-t-elle, doucement, réinstallant la distance qui n'aurait jamais du s'effacer entre eux deux – Wendy avait eu tort de faire perdre son temps à ce gentil professeur qui avait mieux à faire que de s'occuper d'une gamine sans papa, et Wendy avait eu tort de rester.

« Je ne veux pas déranger qui que ce soit, vous savez. Je, enfin, c'est vrai que tout ne va pas bien, mais ce n'est pas grave. Ce n'est pas important. Je veux pas déranger. Et puis ça va passer. Il n'y a pas à s'en faire. Et puis je vais bien, vous voyez ? » Et elle lui fit son plus beau sourire, autant pour se convaincre elle-même que pour le convaincre lui – et il était hors de question qu'elle déballe toute sa vie et ses problèmes à quelqu'un, elle avait déjà vu le résultat la dernière fois qu'elle avait agi ainsi, elle avait été terriblement gênante et pesante envers Sloan, qui n'avait d'ailleurs rien demandé, et qui elle aussi aurait eu mieux à faire que de s'occuper d'une gamine aussi embêtante que Wendy. Non, la petite Poufsouffle avait eu vraiment tort de rester aussi longtemps dans le bureau de monsieur Sven. Cette situation devenait vraiment délicate, et il valait mieux qu'elle s'en aille, comme il aurait mieux valu qu'elle s'en aille avant de craquer et de se mettre à pleurer devant Sloan. Wendy continuait de sourire.

Elle n'avait pas touché au chocolat chaud. Elle ne s'en donnait plus le droit. Elle ne s'en sentait pas vraiment digne, après tout. Wendy en avait déjà eu un, et elle n'avait plus rien à faire ici, et elle avait juste passer son temps à regarder son professeur en train de corriger ses cours, avec des bâillements répétés, parce qu'il avait mieux à faire que de rester ici pour elle. C'était tout ce qu'elle se répétait, au final. Tout le monde avait mieux à faire que d'être là. Cette situation ne perdurait que par l'égoïsme de la petite fille qui aurait tellement voulu avoir une personne aussi gentille et attentionnée que Sven comme père.

Sven qui venait de la gronder. Elle n'était probablement plus la bienvenue depuis un moment, en fait. Wendy restait crispée dans son sourire. Wendy s'obstinait. Wendy ne voulait pas qu'on l'aide. Wendy ne voulait pas qu'on perde son temps avec elle.

Et puis elle abandonna, et la tristesse cachée au fond de son regard se fit un peu plus présente.

« Je, je suis désolée. » finit-elle par conclure. « Je ne voulais pas déranger. J'avais juste eu envie de rester un peu plus longtemps, euh, je suis vraiment désolée. » expliqua-t-elle, gênée. Elle se mit à tortiller ses mains ensemble, honteuse. « Vous, voilà, il faut pas s'en faire ? »

Il ne fallait pas qu'il s'inquiète. Wendy ne voulait inquiéter personne. Sven allait lui répondre, et peut-être allait-il dire que ce n'était pas grave et qu'elle n'avait pas à s'en faire, ou peut-être allait-il encore se fâcher, mais elle espérait beaucoup ne pas l'inquiéter, et pouvoir redevenir une élève parmi d'autres qui ne gênait personne et ne faisait pas de vagues. Il allait le lui dire, et ensuite elle allait partir. Sa décision était prise. Elle aurait du la prendre depuis longtemps déjà. Peut-être devait-elle même partir maintenant. Wendy restait assise. Wendy avait un peu honte d'elle-même.

Le château de cartes qu'avait tenté de construire Wendy était en train de s'effondrer lamentablement. Elle était rouge de honte et elle gardait les yeux rivés sur son chocolat. Sven savait tout. Sven savait qu'elle mentait, Sven savait que son sourire n'était qu'une façade, Wendy pouvait tromper tout le monde mais pas lui, pas cette fois, elle n'avait pas réussi. Peut-être qu'elle n'en avait pas eu envie. Mais de son côté, elle, elle ne comprenait plus rien.

Parce que les paroles et les actes de son professeur disaient deux choses différentes. Sven lui disait qu'elle pouvait, non, qu'elle devait lui parler ; et Sven se levait et ouvrait la porte comme pour la chasser. C'était comme vivre dans un mauvais rêve. Sven était en train de démolir tout son petit théâtre : il voyait à travers ses jeux d'actrice, il voyait bien qu'elle n'allait pas bien, et il était en train de la mettre à la porte.

Wendy se leva à sa suite, toujours aussi rouge de honte. Elle s'en mordait les lèvres. Elle ne voyait que trop bien, en fait, qu'elle gênait son professeur, qu'elle lui faisait perdre son temps, et qu'il avait bien mieux à faire que l'écouter se plaindre de sa petite vie.

Elle aurait aimé pouvoir lui parler, pourtant.

Elle aurait aimé pouvoir le faire, mais elle n'avait pas pu. Convaincue d'embêter son professeur, Wendy n'avait jamais osé dire quoi que ce soit, et s'était refermée sur elle-même, silencieuse, assise sur sa chaise, espérant un mot qui puisse la rassurer, une occasion, et laissant passer sa chance au final – le chocolat chaud s'était refroidi, la patience de Sven s'était évanouie. Et le plus bête dans tout ça, c'est que Wendy n'avait rien eu à dire pour qu'il comprenne que ça n'allait pas bien. Mais les mots avaient besoin d'être dit pour que les choses deviennent vraies. Sans ça, elle pouvait continuer de faire comme si de rien n'était.

Mais en fait tout ça c'était vraiment ridicule de la part de la petite fille. Ca ne servait à rien de continuer. Sven savait. Wendy avait honte d'elle-même.

« Désolée... » finit-elle par balbutier, discrètement. Et sans un mot de plus elle était sortie du bureau. C'était fini. Toute cette parenthèse s'était refermée derrière elle. Et Wendy n'osait même pas se retourner, sûre de voir la porte claquée dans son dos. Elle fit quelques pas en avant. Elle tourna vers la direction de sa salle commune.

Elle resta debout au milieu du couloir.

Les larmes commencèrent à couler.

C'était drôle, ce n'était pas des sanglots bruyants comme quand Absynthe lui avait fait boire la mauvaise potion – c'était juste un trop-plein d'émotion qui coulait, que Wendy n'arrivait plus à cacher, et qu'elle ne pouvait qu'effacer aussi vite que possible avec la manche de ses vêtements. Et son nez aussi s'y mettait, la petite fille se mettait à renifler, aussi silencieusement que possible, pour ne pas qu'on la remarque. C'était ridicule. Elle était ridicule.

Elle avait été complètement ridicule du début à la fin.