Il n'y avait pas que des désavantages à dérégler son rythme de sommeil et à vivre n'importe comment. Flavian avait droit à d'immenses plages horaires où toute l'école le laissait tranquille, parce que les élèves paressaient encore dans leurs lits, parce qu'ils étaient occupés à manger, travailler, faire leurs devoirs où se réunir pour un match de Quidditch. Même avec le grand nombre d'excentriques que comportait Poudlard, la majeure partie des élèves suivaient un emploi du temps assez facile à prévoir. Ca permettait d'éviter les foules.

Concrètement, péter la forme à six heures du matin, là, ça voulait dire qu'il avait la possibilité de faire de la pâtisserie dans les cuisines du château en évitant la ribambelle de Poufsouffles qui faisaient des allers-retours entre leur salle commune et les garde-mangers des elfes de maison. Flavian aimait bien les Poufsouffles. C'était des êtres gentils et naïfs, mignons comme tout, sortis par miracle de la maternelle, et encadrés par deux ou trois fortes têtes qui veillaient à ce que le reste des petits enfants ne se fassent pas victimiser par les grosses brutes du château comme lui. Peut-être que le Choixpeau envoyait délibérément des Gryffondors chez eux de temps en temps. Quoiqu'il en soit, ils étaient charmants, et absolument insupportables à haute dose. Flavian aimait bien les Poufsouffles, mais il aimait mieux qu'on le laisse tranquille.

Flavian était plutôt souriant en ce début de week-end. La journée s'annonçait prometteuse. Une cuisine à lui tout seul jusqu'à l'heure du petit déjeuner, la possibilité de siestes durant l'après-midi, sans professeurs ni cours, et une soirée joyeuse avec repas et rigolades. Peut-être même qu'il aurait l'occasion de taper sur quelqu'un. Le club de duel l'attendait sûrement. Il avait hâte de commencer.

Et c'est tout joyeux qu'il entra dans les cuisines.

Pour se rendre compte qu'il y avait déjà quelqu'un.

Son sourire s'atténua un instant, avant de se rendre compte de qui était ce quelqu'un en train de s'acharner sur il ne savait quelle recette compliquée. Soigneusement concentrée sur son travail, affublée d'une sorte de tablier de cuisine violet moche, ce n'était autre que la mini-Morgan des Serpentards. Capitaine de l'équipe de Quidditch. Tout aussi garçon manquée que l'autre Morgan, la professeur de cours de vol. Aboyant tout aussi fort, aussi. Flavian l'aurait plutôt imaginée en train de faire des pompes sur le terrain de Quidditch, ou de faire de la boxe, ou un concours de rots, ou quelque chose de bien viril et garçon manqué comme ça. Pas de faire de la pâtisserie avec un tablier violet à fleurs. Est-ce que c'était des petits coeurs en sucre à côté d'elle ? Ca n'allait pas du tout avec le personnage.

C'était hilarant.

Mais il se retint de rire, et s'approcha de la demoiselle, qui ne semblait pas l'avoir vu - Astrid ne devait pas s'attendre à avoir de la compagnie à une heure aussi matinale un samedi matin. Tout le monde fait la grasse mat' le samedi matin. Faut être malade pour se lever le samedi matin. Mais non, elle n'était pas la seule debout. Dommage pour elle.

"Comme c'est mignon ce que tu fais !" glissa-t-il, juste derrière elle. "C'est quoi ? C'est un joli gâteau ? Tu vas mettre du colorant rose dedans ? C'est pour qui ? C'est pour ton amoureux ? C'est parce qu'il aime pas le Quidditch et la boue et les cognards et l'odeur de la sueur et des rots de bièraubeurre tiède comme toi ?"

Grand sourire. C'était encore mieux que de faire un gâteau, ça. Astrid Morgan en pâtissière ! Des heures de rigolade à l'horizon, à partager avec l'école toute entière !

Flavian se moquait d'Astrid, mais Flavian se moquait de tout le monde par principe. Il n'aimait personne, mais Astrid était moins pire que d'autres. Elle avait, après tout, un caractère qu'il admirait. Elle était forte, elle était tenace, elle était disciplinée et savait tenir une équipe et la faire progresser en vue d'un objectif - en tous cas, c'était ce qu'il voyait pendant les matchs de Quidditch. Et que, comme lui, la capitaine garçon manquée aime faire de la pâtisserie et des petits gâteaux, ça lui plaisait beaucoup pour une raison qu'il ne s'expliquait pas. Astrid en train de faire du sucré, c'était hilarant parce que c'était incongru, mais c'était intéressant aussi. Il l'aimait bien, la Serpentarde. Enfin, jusque-là.

Enfin. Non. Elle était pas sérieuse en lui disant ça. Non ? Merlin, faites qu'elle soit pas sérieuse en lui disant ce ramassis de conneries. Elle croyait vraiment aux idioties qui sortaient de sa bouche ? Qu'elle devait être plus féminine pour son petit ami et qu'elle devait lui faire des gâteaux ? Il espérait vraiment que non. Il espérait vraiment qu'elle se fichait de sa gueule, elle aussi, et qu'elle avait un plan derrière la tête, une idée, quelque chose. Il espérait vraiment que l'image qu'il s'était fait d'elle était la vraie, et que ce qu'il entendait là n'était qu'un subterfuge quelconque. Sinon, il allait être vraiment, vraiment déçu.

Mais de moqueur Flavian devint méprisant. Il n'était plus en train de rire, il avait l'air beaucoup plus sérieux, et peut-être un peu triste, il n'avait plus son grand sourire moqueur qui montrait toutes ses dents.

"Ouais t'inquiètes," fit-il en lui donnant une grande tape dans le dos. "Je suis sûr que tu feras une bonne mère et une bonne épouse." D'habitude, ses insultes étaient beaucoup plus directes.

"Et je suis sûr que tu cuisines bien. Tu dois aussi très bien faire le ménage et le repassage aussi, et je suis d'accord pour le goûter, ton gâteau." Et Flavian attrapa l'un des brownies de la parfaite petite maîtresse de maison. Franchement, si elle avait fait tout ça pour le piéger, il était tout à fait d'accord pour tomber dans le panneau. Elle l'avait sûrement piégé, en fait. Il avait envie que ce soit un piège. Il ne voulait pas vraiment croire à son petit manège. Ca ne faisait pas vraiment sens. Il ne la connaissait pas tellement, Astrid, mais elle n'avait pas l'air d'être comme ça … mais il ne la connaissait pas tellement, après tout.

Flavian mordit dans le gâteau. Mâcha un peu (c'était bon, sans plus) avala sa bouchée. Bon.

"… C'est bon." Et il ne se passait rien ? Il haussa les épaules et, tant qu'à faire, engloutit le reste du brownie, un peu déçu finalement. C'était dommage. Au moins avait-il eu un début de petit-déjeuner. Mais il n'avait même plus envie de l'embêter. Pas même pour la forme.

Et puis il se sentit rapetisser. Ou plutôt il vit le monde grandir autour de lui. Astrid semblait gagner des mètres et des mètres de hauteur, et son sourire s'élargissait de même, changeant de docile à triomphant (les serpents allaient si bien comme mascotte à sa maison). La table de travail s'envolait dans les airs, portée par des pieds vertigineux et de plus en plus massifs, gros comme des troncs d'arbres. Il finit par arriver à la taille de la chaussure de la Serpentarde.

Et il se mit à rire.

"Ah ouais, c'est mieux !" s'exclama-t-il. "J'ai eu peur pendant un moment !"

Il leva les yeux et se mit à crier de sa petite voix suraigüe : "Alors, c'est comme ça que tu prends soin de ton mari ? Ma pauvre chérie, tu vas finir vieille fille !"

Et Flavian se remit à rire de nouveau. Il n'avait pas mal jugé Astrid. C'était juste dommage qu'elle ne fasse pas de pâtisserie par amusement, mais seulement pour piéger quelqu'un. Flavian aurait bien aimé avoir quelqu'un comme elle avec qui s'amuser - mais tout de même, il était bien content.

La matinée commençait bien. Elle s'annonçait intéressante. L'attitude écervelée d'Astrid n'avait effectivement été qu'un leurre, prévu pour nous piéger, nous confortant dans l'idée que nous nous faisions d'elle. Son sourire narquois devant notre rapetissement nous amusait beaucoup : nous avions mangé ce gâteau en espérant voir quelque chose nous arriver, et nous n'étions pas déçu. Pas même paniqués ou vexés ni rien. Le piège d'Astrid n'avait que moyennement fonctionné, car nous étions plutôt contents d'avoir été piégés.

La seule chose qui nous attristait un peu était de voir qu'Astrid ne s'intéressait à la pâtisserie que pour taquiner son ami. Elle s'appliquait bien à cette tâche – et si sa cuisine était bonne mais encore assez simple, ce n'était que parce qu'elle ne s'y intéressait par tant que ça. Ca ne devait être qu'un outil pour elle. C'était un peu dommage. Mais bon, c'était pas grave non plus. Assis sur la table, ou plutôt confortablement affalés, nous la regardions avec un air amusé.

« Tu fais une petite amie formidable, ouais ! » commentions-nous sans avoir autre chose à rajouter. Astrid faisait bien son travail d'emmerdeuse.

Et sans plus attendre nous continuâmes la discussion. La serpentarde voulait savoir ce que nous faisions si tôt dans les cuisines – c'était vrai qu'après tout, nous n'avions pas une tête à aimer faire des gâteaux. Mais nous n'en avions pas honte. Même si là, certes, nous ne pouvions pas lui enfoncer notre poing dans le visage si elle se mettait à en rire – mais sa potion n'était pas permanente, et si elle se moquait de nous, nous aurions toute la scolarité pour lui lancer des crache-limaces dans le dos. Et Astrid était du genre à répondre avec des provocations dans le même genre. Ouais, c'était définitif, elle était cool. Nous étions contents de l'avoir rencontrée.

« Bah, l'heure du matin c'est cool. Y'a pas de Poufsouffle pour m'emmerder justement. Y'a pas de Serpentard non plus d'habitude, juste les elfes, qui dorment jamais je crois, donc nous sommes tranquille, nous pouvons cuisiner comme nous voulons. »

Nous la regardâmes droit dans les yeux avec un sourire amusé, et nous continuâmes la discussion dans notre voix suraiguë qui allait si bien à notre taille lilliputienne.

« Ca t'étonnes hein ? Nous qui faisons la cuisine ! C'est comme ça, mais nous aimons bien qu'on nous foute la paix, en fait. Nous venons faire de la pâtisserie tôt le matin du coup. Y'a rarement personne debout. C'est cool. C'est probablement pour ça aussi que t'es debout aussi tôt, non ? Pour qu'on te foute la paix et qu'on te dérange pas pendant que tu fais tes gâteaux. »

« Tu devrais demander des conseils aux elfes, d'ailleurs. » rajoutions-nous d'un air un peu moqueur. « Mine de rien, ils sont plutôt doués dans leur boulot. Et tes gâteaux sont pas mal, mais ils sont un peu simplistes. Enfin ça devrait suffire pour ce que tu veux faire après tout. Tu pourrais même leur demander de cuisiner pour toi. Ca t'épargnerait l'immonde tablier violet. »

« Enfin, nous disons ça, nous disons rien, hein. » finissons-nous avec un sourire malicieux. « Si ça se trouve, tu voulais le mettre, ce tablier. Chacun ses goûts ! »

« Nan mais tu fais comme tu veux hein, je dis juste que tes goûts en matière de tablier, c'est comme tes goûts en matière de gâteau. Mais il en faut pour tous les goûts, hein. Enfin je suppose vu les horreurs qu'on trouve. 'Puis au moins, tu peux utiliser ta cuisine pour motiver ton équipe de Quidditch. S'ils perdent ils bouffent une confiserie. C'est gagnant pour tout le monde. Toi tu progresses, et eux ils ont intérêt à le faire. »

Flavian commentait nonchalamment le travail d'Astrid, affalé contre un ustensile. Ils se regardaient l'un l'autre, et Astrid avait laissé s'échapper son avantage, donnant le Souafle à Flavian : elle discutait. La taille du Gryffondor n'importait pas beaucoup dans une discussion. Et la Serpentarde n'avait pas l'air d'être le cognard le plus percutant du lot – Flavian s'amusait surtout à la narguer, parce qu'il ne pouvait pas laisser passer une telle occasion. C'était bien trop amusant.

Il n'avait en fait pas grand-chose à redire à ses gâteaux – il avait juste lancé ce Souafle en l'air pour voir ce que ça donnerait – mais il n'allait pas l'avouer aussi facilement. Astrid semblait vouloir parler de ses brownies, mais elle ne réalisait pas qu'elle était en plein match : si la situation l'amusait plutôt, Flavian ne pouvait pas laisser passer l'affront d'avoir été réduit à la taille d'un pouce aussi facilement. Il fallait qu'il égalise le score.

« Bah, tu fais pas trop d'efforts pour ton chéri d'amour, ça se sent. » Il continuait son petit chemin de poursuiveur, sans trop y croire. Ce n'était pas ce genre de phrases qui atteindraient la capitaine des Serpentards en face de lui.

« Mais tu fais de la pâtisserie pour de vrai, en fait, ou tu joues à la fille ? » demanda-t-il finalement, déclarant forfait avant même d'avoir marqué un but. « Tu fais des trucs marrants parfois ? Des confiseries ? Des viennoiseries ? Des entremets, du feuilletage, des trucs cool quoi. »

C'en était presque frustrant – il avait failli attraper le vif d'or, mais non, Astrid n'était pas là pour pâtisser, elle faisait juste une farce à quelqu'un. Et c'était drôle, en un sens, en temps normal il aurait été content, il aurait voulu rejoindre l'équipe pour participer au match, mais là, il était presque déçu. Flavian s'attendait à la réponse : Astrid ne faisait pas de gâteau pour le plaisir d'en faire. C'était pour ça que les brownies restaient trop simples selon lui, en vrai : parce qu'il aurait aimé plus. Et puis, il fallait bien admettre qu'une amitié improbable autour de la pâtisserie entre le délinquant rouge en herbe et la terreur sur balai des verts, ça aurait été plutôt cool comme tableau.

Mais non. Comme toujours, Flavian allait rester dans les tribunes : il n'y aurait jamais vraiment personne avec qui pâtisser. C'était pas très grave. Au moins pouvait-il faire l'arbitre et compter les points pour les gâteaux d'Astrid. Il finirait bien par l'énerver s'il s'appliquait assez à sa tâche. Ca, c'était le cognard dans le commentaire de match : c'était pas le but, mais c'était marrant. Et Flavian, il était toujours là pour les cognards.