Qu’on ne s’offusque pas des âmes tendres, elles finissent par surprendre celles qui rugissent.
Sidonie elle est effacée, elle ne l’a pas cherché, elle ne l’a demandé à personne, c’était de nature. C’était aussi simple que les sourires qui s’étendent sur ses joues pour les patients qu’elle croise, les patients qui vont mieux. Il n’y a que son travail acharné pour la faire s’arrêter au détour d’un couloir. Les contours bleus de ses yeux, contrastent avec l’étrange couleur de sa peau; c’est la fatigue. Elle vit fatiguée. On dit beaucoup des vampires, rarement qu’ils devraient dormir plus la nuit. Elle vit la nuit, Sidonie, mais elle s’essaie au jour parce qu’elle travaille, et que c’est bien, à défaut d’avoir une ombrelle, pour ne pas manquer les heures et les regretter. De toute façon, Sidonie, elle aimerait un potager.

Un potager long et large, avec six rangées de plants de tomates pour les croquer en été, le soleil n’est pas si méchant. Sidonie elle est protectrice, elle aime avoir une aile au dessus des autres, l’impression âcre des jours qui s’écoulent sans permettre à tous de bien s’envoler. Sidonie elle est sage, les années ne l’ont pas changée. Anxieuse, à débiter des phrases entrecoupées d’empressement, à vouloir être sûre que tout aille bien. Car pour Sidonie tout doit bien aller. Si ça va de travers, il a de quoi paniquer, il y a de quoi faire de grands yeux, se révolter un peu. Mais dans ce cas Sidonie secouerait les épaules, une fois ou deux avant de s’en retourner travailler, les cheveux coulant contre la nuque. Le visage pourpre.

L’assurance elle l’a pour son projet; son grand projet qui sauvera un peu les siècles enchaînés sans répit des vampires, de quoi les soulager un peu. Sidonie elle ne se soulage pas, elle ne se pose jamais. Ce n’est pas quelqu’un de fermé, au contraire, elle écoute bien le monde, elle essaie de l’assimiler au mieux, parfois c’est difficile de ne pas flancher, de ne pas se sentir un peu autre part, ailleurs, à vouloir une vie plus simple. Mais soigner c’était un moyen pour Sidonie de se prouver que les humains ne sont pas des monstres, qu’il y a des gens clairs; des gens rivière qui existent encore, avec un peu d’appréhension, avec beaucoup de zèle. Des gens vivants à comprendre, à entendre, sur lesquels veiller.

Sidonie elle a le haut de son visage capricieux, la fichue tendance au bout des doigts à les confondre avec sa blouse, à faire un pas en arrière, plutôt qu’un pas en avant. Sidonie ses yeux se colorent d’allégresse quand on lui annonce que quelqu’un de l’étage quitte Sainte Mangouste, Sidonie elle est fière, parfois. Sidonie, elle est ambitieuse. Et c’est ce qui rend ses joues si rouges. Sidonie, elle en a plein les bras tout le temps, elle en plein le cœur et la tête, ce n’est pas mieux. L’imagination ça ne lui fait pas défaut, mais surtout; elle veut être utile, Sidonie. Dans un coin d’ombre c’est difficile, mais elle pense que beaucoup la comprennent, du moins un peu plus chaque jour. Vous savez Sidonie elle ne s’affole pas devant tout le monde, mais c’est vrai qu’elle est agitée, qu’elle est constamment occupée, les paumes tournées vers les visages nerveux, à leur demander si tout va bien. Sidonie c’est un peu la voix des autres; assez pour qu’elle perde la sienne, certains jours. Elle se surprend devant la glace du matin à être enrouée, les paroles brèves et le teint inchangé. Sidonie elle ne dort pas assez. D’ailleurs, Sidonie, elle se pose beaucoup de questions la nuit.

Sidonie, elle s’arrête, ça arrive. Si elle s’arrête, alors elle réalise que personne ne l’attend et c’est très effrayant. Il y a quelque chose qui lui échappe dans tout ça, dans ce mécanisme bien huilé, dans cette horloge qui lui plait et la fait vivre. Il y a une aiguille moins habile que l’autre, il y a une seconde de retard et Sidonie, elle se remet en marche. Mais Sidonie; tu n’es pas un robot.

Vous êtes des gosses longtemps, ça ne change pas quand vos visages s’emportent d’embarras, quand la seringue peine à atteindre le bras, quand les lumières au plafond clignotent, quand les portes claquent dans les étages supérieurs, quand Sidonie comprend qu’elle y est. Sainte Mangouste. C’est une grande aventure, ça se fait sur des années. Cinq ans pour elle; c’est toute sa vie. Et y a Tybalt. Tybalt il est caché dans les tréfonds du quatrième, et autant dire, pour Sidonie. Tybalt c’est un fichu trésor. Sidonie elle ne l’voit pas comme ça encore. Sûr ses gestes s’affolent autour de lui, mais ça l’a toujours fait. Faut commencer par Tybalt pour comprendre le reste. Enfin avant. Parce que c’est un peu avec Sainte Mangouste que tout commence.
Quand elle utilise ses sorts pour sauver des vies,
Au lieu de l’utiliser pour se rassurer un peu dans la sienne.

Un demi-vampire ça peut avoir faim. Enfant elle n’avait pas faim, si elle avait faim plus tard alors elle avait une capacité rassurante à s’imaginer des fleurs plutôt que la viande. Sidonie elle n’aime pas vraiment son statut. Hybride ce n’est pas très joli. C’est aussi moche, en fait que de faire tomber sa baguette en plein duel. Et ça lui arrivait très souvent, petite. Parce que les enfants c’est maladroit. Mais à Poudlard elle n’était pas plus une enfant qu’à Londres. En fait les gens se moquaient. Difficile à croire que les années ne rendent pas ça plus buvable. Sidonie elle ne se fait pas aux yeux sombres qui la dévisagent anxieux. Sidonie elle comprendra jamais les grandes jambes qui se stoppent dans la rue pour elle, sourire détouré mesquin aux lèvres. Sidonie, elle se tait. Comme à Serdaigle, où tout n’était pas beau. A Serdaigle il faisait froid dans les couloirs de Rowena, à Serdaigle on voyait autant de différences entre sa diaphane peau et les herbes folles qui traînent derrière le château. Sidonie elle aurait beaucoup aimé être heureuse, à Serdaigle. Mais ne vous méprenez pas, Serdaigle parfois, c’était doux. Pour le soleil par les fenêtres qui taquinait son sensible épiderme, Sidonie se sentait un peu mieux.

Son père elle l’a beaucoup aimé, elle l’aime encore, le sorcier qui lui servait de fondations, qui lui offrait un minimum de racines. Et puis, Il était là, certes, mais c’était un sorcier bien occupé, comme sa mère. Étrange de se dire qu’un sorcier faisait plus dans la normalité qu’un vampire. Son enfance était heureuse; du peu que l’on en retient aujourd’hui, elle était ordinaire et Sidonie se souvient très bien du parquet de la maison. Il craquait, il parlait la nuit. Un jour elle l’a fendu avec un sort; c’était une catastrophe, mais personne ne l’a remarqué. Le parquet ça se tord, les couples ça vieillit comme du parquet mal ciré. Sidonie, elle comprendra jamais les adultes, les adultes, ça s’aime, et le jour d’après ça s’en va. Sidonie elle espère simplement que ça ne se passera pas comme ça pour elle, qu’elle ne se lassera pas. Se lasser c’est difficile. Les vampires, c’est bien trop fugace, pour Sidonie, alors elle se dit que toute l’ironie, c’est de l’être à moitié.

C’est compliqué de jeter un truc à la mer, c’est compliqué de plus voir grand chose sinon que le passé et flou et un peu compliqué, qu’on s’en remette pas tout à fait. En grandissant, Sidonie elle a compris que beaucoup étaient abandonnés. Elliott, il a été abandonné. Elliott c’est son petit, demi-frère, qu’importe. Elliott il ne l’aime pas tous les jours. Mais personne n’aime tous les jours. Alors Sidonie elle sourit. Il n’y a pas grand chose à faire pour Elliott sinon espérer que ses crocs ne viendront pas trop vite, qu’il sera assez attentif aux nuages pour ne pas se tenter aux nuques. Elliott, il est gentil, elle veille sur lui, et bien plus. En fait elle n’arrête jamais. Sidonie elle dit qu’elle s’accorde des pauses, mais Elliott, sa valse tantôt rageuse, tantôt môme, ça sait pas où finir. En attendant elle reste avec lui. Elliott il a un grand avenir devant lui, c’est tout ce qu’elle se dit. D’ailleurs Sidonie s’affirme de plus en plus après Poudlard; en ayant Elliott dans les pattes. Sidonie elle veut arrêter la comédie des hybrides et des pas hybrides, ça lui retourne l’estomac d’entendre les déçus crier dehors, parfois elle veut se monter contre le système. Sauf que Sidonie elle le sait; elle n’est pas l’héroïne de quoi que ce soit. Sinon de sa propre petite existence d’hybride assez volatile. Sidonie, le jour où elle comprendra qu’il est temps de vivre, avec un peu de chance, le vent se lèvera avec elle.

Apprendre à exister,
Apprendre à se voir,
C’est une longue convalescence,
C’est un peu guérir
De sa propre absence
Sous les regards tendresse,
Puis alors on sait
Qu’on a un peu de temps
Une fois,
Elle lui a parlé,
Elle s’est un peu retrouvée,
Elle commençait à apparaître.
Sidonie.