Viviane, c’est une voix.

Une voix — de chanteuse , son rêve de toujours. Avoir renoncé à en faire son métier ne signifie pas qu’elle a arrêté de le faire, dans son coin, à l’abri des oreilles de tous.

Une voix — de banshee, cadeau empoisonné de sa mère avant qu’elle ne parte à sa naissance.

Une voix — qui l’a conditionnée à rester éloignée des autres. Ses interactions sociales ont toujours été très limitée, en majeure partie parce qu’elle ne pouvait pas parler. Pourtant, ce n’est pas qu’elle est timide, Viviane. Elle a la tête remplie de questions, elle a souvent envie de parler de choses qu’elle aime, envie de se confier tout simplement. Non, Viviane n’est pas timide, elle est juste extrêmement prudente.

Une voix — qui tue lorsqu’on l’entend. Son pauvre boursouflet en a fait les frais alors qu’elle n’avait que quatre ans. Son père portait continuellement des caches-oreilles, le genre qu’on réserve aux mandragores. Et maintenant qu’il n’est plus de ce monde, elle se sent extrêmement seule. Rares sont les visites qu’elle reçoit, car si ce n’est pas elle qui fait fuir les clients, ce sont les objets qui s’y trouvent.

Une voix — qui ne lui a pas laissé un autre avenir que reprendre la boutique de feu son père. Une boutique de nécromantie s’il vous plait. Est-ce qu’elle y connait quelque chose ? Non, absolument pas, ça ne l’a jamais réellement intéressé et son père n’a pas jugé utile de lui enseigner cet art. Elle se contente souvent de rester derrière le comptoir en regardant les gens passer, car la plupart du temps, ils ne font pas attention au magasin. De toute manière, depuis le jour où un client s’est vu pousser 5 bras supplémentaires, plus personne ne vient acheter. Et plus le temps passe, moins elle sait quoi faire de toutes ces antiquités…

Viviane, c’est une voix — qui rêve d’être entendue, mais ne doit pas l’être.

Et sinon, de manière moins poète du dimanche, Viviane est une demi-banshee qui vit assez mal sa condition depuis toute petite et qui n’est vraiment, vraiment, vraiment pas douée pour les interactions sociales. Elle admire ceux qui arrivent à aborder les gens sans bafouiller, rougir ou s’enfuir.

Son plus gros handicap reste tout de même le fait qu’elle puisse tuer quand elle parle. Son pauvre boursoufflet en a fait les frais. Elle vivait plutôt bien avec autrefois, quand son père était encore vivant, au moins elle avait un minimum d’interaction sociale, bien qu’il lui ait toujours interdit de sortir. Maintenant qu’il repose en paix, elle devient de plus en plus curieuse du monde extérieur et est capable de passer des heures à regarder par la vitrine de sa petite boutique, à observer les gens, en se demandant si, même avec une voix normale, elle trouverait le courage de les aborder un jour.

Viviane est quelqu’un de très complexée. Pas que par sa voix, mais aussi son teint verdâtre qui lui donne l’air d’un zombie, et sa maladresse à l’épreuve du Felix Felicis. S’il y a un livre à faire tomber, elle fera tomber toute l’étagère avec. S’il y a un vase à briser, il sera rejoint par d’autres. Il y a son laxisme aussi, mais cela, elle n’arrive pas vraiment à s’en détacher. La nécromancie ne l’a jamais intéressée, et ne l’intéresse toujours pas. Elle a beau tenir la boutique de feu son père, elle n’a jamais tenté de ranger ou chercher quoique ce soit si on ne le lui demande pas. A contrario, si quelque chose l’intéresse, elle s’y jettera corps et âme, comme la musique par exemple. Ce n’est pas comme si elle avait grand-chose à faire d’autre de ses journées de toute manière.

Si on apprenait à la connaître, on verrait pourtant que c’est une femme aussi timide que patiente, très pacifiste, curieuse d’à peu près tout et n’importe quoi. Si vous cherchez une oreille attentive, c’est la personne idéale, quoiqu’elle ne garantit pas pouvoir vous aider plus que ça ou pire, vous donner des conseils.

Dernièrement, sa maison semble s’être transformée en refuge pour créatures et hybrides, avec Eurydice, une autre demi-banshee plus jeune qu’elle, et Eliott, le vampire. A cause de ce dernier, elle reçoit également fréquemment la visite de Monsieur, un fantôme qui aider les gens à trouver ce qu’ils ont perdu. Et Viviane a beau dire à Eliott que ce n’est pas bien de fuir de chez lui à cause de sa demi-sœur, elle préfère encore qu’il vienne chez elle plutôt qu’il traîne tout seul dans les rues. Monsieur est très gentil, mais elle se sent coupable à chaque fois qu’il vient chercher Eliott, après tout ça le force à se déplacer. Parfois il lui propose d’adopter un chat, elle pense que c’est parce qu’il sait qu’elle est souvent toute seule. Le problème c’est qu’elle ne veut pas risquer que le pauvre animal finisse comme son boursoufflet…

Mais c’est l’une des seules personnes qui l’écoutent chanter, alors quand il est là, elle est heureuse.

Something has changed within me,
Something is not the same…

Viviane approcha sa main de la poignée de la boutique, et fronça légèrement les sourcils quand elle vit ses doigts trembler. C’était comme si une force invisible l’empêchait d’avancer plus loin. Pourtant elle était seule ici. Ce n’était pas comme si son père allait la gronder cette fois-ci. Plus personne ne la gronderait en réalité. Elle ferma les yeux. Si elle ne le faisait pas maintenant, il lui faudrait encore des années avant de rassembler la motivation pour aller dehors. Ce n’était pas grand-chose pourtant, tout le monde était capable de le faire… Allez, du nerf…

I’m through with playing by
The rules of someone else’s game…

Il ne s’agissait que d’ouvrir une porte et faire un pas dehors. Juste ça. Tant qu’elle ne parlait pas, ça ne ferait du mal à personne, si ? Non, voilà. Viviane inspira, puis expira, et rouvrit les yeux avant d’agripper fermement la poignée. Etape numéro un, réussie. Maintenant, baisser la poignée… Doucement ? Rapidement ? Pas doucement, sinon elle allait encore réfléchir et à force de réfléchir, elle allait se dissuader !
*CRAC*
… Eh bien le problème ne se pose plus au moins, la poignée est cassée. Elle savait que cette boutique était vieille, mais pas à ce point. Comment allait-elle faire pour contacter quelqu’un pour la faire réparer ? Non, bon, elle y réfléchira plus tard. Maintenant la porte était ouverte, au moins, et après avoir poussé la porte, la demi-banshee posa finalement un pied dehors.

Too late for second guessing
Too late to go back to sleep
It’s time to trust my instincts
Close my eyes and leap

Ca n’avait pas être un énorme accomplissement en soi, c’était la première fois trente-cinq ans que Viviane Cabal sortait hors de chez elle. Elle serait toujours le pommeau entre ses doigts, crispée, mais au moins, c’était fait. Il y avait des gens qui circulaient, la plupart ne prêtaient pas vraiment attention à elle, d’autre la dévisageaient en passant. Elle rabattit la capuche de sa robe de sorcière, prévue pour l’occasion. Inutile d’effrayer plus de monde que cela…

Mais c’était une sensation étrange que de se retrouver de l’autre côté de la vitrine. Vitrine qu’elle devrait songer à nettoyer d’ailleurs car tout lui semblait plus… clair et plus net. Elle resta plantée là à regarder de long en large le décor qu’elle voyait depuis toute petite avant de commencer à marcher, un pied devant l’autre, d’abord avec une lenteur exaspérante, cherchant à savoir où aller, puis progressivement, de manière plus modérée, si bien qu’elle se fondit dans la masse…
Et ça la fit sourire. Vu ainsi, elle ne paraissait pas différente des autres.

It’s time to try defying gravity
I think I’ll try defying gravity

C’était sans compter sur l’intervention d’une petite fille qui lui rentra dedans. Immédiatement, Viviane se braqua. Surtout, ne pas parler… Mais la jeune demoiselle semblait avoir remarqué le teint peu commun de son aînée, la regardant de ses grands yeux bleus.

« Dis, pourquoi tu as la peau verte ? »
« … »
« Eh oh madame ? Je t’ai posé une question ! »
« … Je suis demi-banshee… »
« Hein ? J’ai pas entendu ? Demi quoi ? »

Vivianne se retint de soupirer. Est-ce qu’on apprenait seulement déjà aux enfants ce qu’étaient les banshees ? Et qu’est-ce qu’on disait sur elles ? Qu’elles étaient effrayantes, qu’elles avaient l’air mortes et que leur voix était mortelle ? Tout cela était vrai, et ça ferait probablement peur à cette petite fille si elle lui expliquait. Elle-même n’était jamais allée à l’école. C’était son père qui lui avait appris tout ce qu’elle savait. Ça n’a pas été facile au début d’ailleurs… Essayer de communiquer avec lui quand il portait des cache-oreilles.

Son pauvre père… C’était quelqu’un de bien. Pour avoir aimé une banshee, il fallait soit être extrêmement tolérant, soit extrêmement dérangé. Mais lui, il n’était pas dérangé. Il aurait pu l’abandonner quelque part s’il l’avait voulu, mais non, à la place, il l’a élevé, et il l’a protégée. Protégée des gens, du monde, de tout. Tu ne seras jamais mieux qu’à la maison, disait-il souvent. Jamais mieux qu’à la maison… Viviane commença à paniquer. Qu’est-ce qu’elle était en train de faire ? Pourquoi est-ce qu’elle était dehors déjà ? Et cette fille qui la regardait bizarrement… Et ces autres sorciers qui haussaient un sourcil quand ils s’approchaient assez pour voir son visage…

« Madaaaame ? »
« Désolée ! »

Elle tourna les talons et retourna précipitamment vers la boutique, bousculant au passage quelques personnes, mais elle avait trop peur de s’excuser. Pour ça il faudrait qu’elle parle et parler, c’était dangereux. Au final, ce n’était pas elle que son père essayait de protéger.

C’était les autres.  

La porte s’ouvrit en grand avant qu’elle ne la referme aussi sec derrière elle. Viviane s’y adossa et se laissa glisser contre jusqu’à finir assise partir, enroulant ses bras autour de ses genoux, essayant de reprendre son souffle. Voilà pourquoi elle ne pouvait pas sortir. Voilà pourquoi elle devait rester Dans le Cercueil. Si ce n’était pas pour elle qu’elle le faisait, il fallait au moins qu’elle le fasse pour les autres.

And you can’t bring me down…