J'ai vu les tourbillons de la fumée blanche en panache. J'ai vu l'ombre du soleil luire sur la rondeur glorieuse de la locomotive. J'ai vu la foule en noir se frictionner, éparpillée, dans un brouhaha entre cris d'excitations et ululements. J'ai vu les souliers noirs, comme les miens, fouler puis marteler le béton pour poser le nez plus près de ces grandes roues de fer et de ces grandes vitres. J'ai vu la joie dans le coin d'une joue ou dans l'exclamation d'un au revoir. J'ai vu tout, ou presque, ce dont maman m'avait parlé.
Puis, c'était aussi ce que j'étais en train de vivre – là, maintenant.
Elle tenait si fort ma main que sa moiteur en faisait glisser mes doigts ; à plusieurs reprises elle dut reprendre mes doigts dans sa paume qui ne faisaient que lui échapper. Elle sentait la nervosité et je le voyais au mouvement incessant de sa main libre jusqu'à son cou qu'elle tapotait comme pour vérifier qu'il était toujours là.
Moi, je voyais toujours les tourbillons et les souliers, et je n'entendais même plus le ronronnement de mon chariot que je poussais devant moi. Mais c'était bientôt onze heure, et si j'avais le ventre qui crépitait d'impatience – et d'appréhension – il n'était pas difficile de voir que maman était à la fois très heureuse pour moi, mais assez triste de ne plus me voir.
J'ai vu des mamans laisser un baiser et une étreinte sur la peau de leurs enfants, puis j'ai vu maman faire exactement la même chose. Son baiser était tiède et chaud, et ma joue était devenue mouillée. Ça nous arracha un rire, puis elle me dit de monter.
« Monte, Caesius ! »Rosissant sur les pommettes, je suis monté. Je suis parti à Poudlard – et je voyais ce qu'elle m'avait raconté pendant ces onze longues années.
*
« Serdaigle ! »Mais, ça ne m'étonnait pas, j'avais toujours aimé lire.
*
Il y avait rarement un élève assis sur le siège à côté du mien à la bibliothèque – ou, les rares fois où ça se produisait, c'était qu'elle était bondée de monde. Je ne m'en plaignais pas ; j'avais davantage de place pour entasser les livres que la table de travail ne contenait pas.
Aujourd'hui, c'était calme – très calme. Pas un chuchotis ne courait entre les étagères. Seuls les pas lents et feutrés du bibliothécaire soulevaient des soupirs sur le parquet de bois. Je levais le nez de mon livre – juste un instant – regardant à droite, puis à gauche. Dehors, il faisait chaud et ensoleillé – l'été s'installait paisiblement.
Je retiens un soupir, regardant le siège occupé à mes côtés par un épais livre vert.
Je crois que je n'avais pas beaucoup d'amis en dehors de la Connaissance.
*
J'aimais la Connaissance – je l'aimais fort, si fort que je lui offrait toutes mes possessions. Je lui offrait mes heures et même celles de la nuit – je lui offrait mon sérieux, mes passes-temps et mes passions. Je lui offrait un soupir lorsqu'elle se refusait à moi, m'acharnant à l'aimer plus fort encore et à l'avaler toute entière. Elle m'habillait – elle caressait mon visage et dictait à ma main de se lever bien haut pendant les interrogations orales. Elle m'impressionnait et elle impressionnait. Elle repoussait les autres et, jalouse pour moi et moi pour elle, elle attaquait le monde en dégageant le parfum du mépris.
Elle avait emprunt mon visage d'une prétention abjecte.
Je n'étais pas méchant – je n'ai jamais été méchant et je n'ai jamais voulu blesser les autres.
J'étais juste un peu égoïste et je rencontrais mon premier amour.
*
Un jour, quelqu'un retira le livre – en toute honnêteté, j'en fus outré. Personne n'osait plus le faire – même lors des sessions bondées dans la bibliothèque. J'avais entendu ces murmures de jeunes filles qui disaient « Non, allons chercher ailleurs ». Pourtant, parfois il m'était arrivé d'aider les autres, d'être aimable – un parchemin par-ci, des questions par là, et même volontairement certaines fois ; mais je ne pouvais m'empêcher de tourner le dos aux élèves et leurs occupations futiles pour en préférer l'immensité infinie du savoir.
Mais, ce jour là, quelqu'un avait retiré le livre de la chaise. Dans un mouvement élancé, gai et bruyant, il l'écarta de la table en la raclant sur le sol, puis s'y assit nonchalamment.
Probablement que je n'avais jamais eu l'air aussi indigné – comme une vierge que l'on taquine trop fort – car à l'instant où il surprit l'expression de mon visage, il éclata d'un grand rire plein de joie.
L'instant d'après, nous étions tous les deux expulsés de la bibliothèque par un bibliothécaire furieux – et moi de même.
*
C'était un jeune garçon de Gryffondor. Il s'appelait Absynthe. Il devait avoir à peu près le même âge que moi – soit quatorze-ans. Je le regardais un instant. Ses cheveux étaient noirs et bouclaient pour former un champ de bataille au sommet de son crâne. Sa peau, bien plus bronzée que la mienne, lui donnait une aura emprunte de chaleur et de soleil. Il n'attachait pas sa cravate correctement qui pendait nonchalamment à son cou dénudé – sa chemise était bien sûr, largement déboutonnée. Sa cape n'avait pas dû être suspendue correctement car elle était froissée. S'il était à peu près aussi grand que moi – quoique, je le dépassais quand même – il avait l'air bien plus athlétique. Je haussais un sourcil. Il me regardait avec deux yeux marrons rieurs – comme si mon inquisition l'amusait plus encore que notre expulsion. Je reniflai un coup.
Moi, j'étais roux et blanc comme une tarte à la crème, aussi grand et maigre qu'une porte d'entrée.
Je le détestais déjà.
Et c'est sûrement pour ça qu'il devint très vite mon meilleur ami.
*
Ça c'était fait comme ça – juste comme ça, peut-être à force de disputes et de chamailleries. Nous étions diamétralement opposés et assurément nos caractères n'étaient pas fait pour se cotoyer. Nous n'étions même pas dans la même maison – lui à Gryffondor, et moi, bien sûr, à Serdaigle.
Au moins, quand on se trouve un meilleur ami, on essaie qu'il soit dans la même maison que soi-même.
C'était une tête brûlée et moi un élève studieux. Là où il s'exprimait à travers les farces et les blagues parfois – souvent – ratées, moi je trouvais mon plaisir dans l'absorption de la connaissance et dans la relation avec les livres - ma passion l'arrangeait bien quand il avait besoin de nouvelles idées pour des farces.
Il avait des amis, des gens qui le connaissaient et, probablement même, des gens qui l'admiraient – faire des pitreries permet de se faire apprécier, c'est évident. Moi, personne ne me connaissait – et bien sûr que personne ne souhait faire la connaissance d'un élève arrogant et à tendance égoïste.
Moi je – moi je. Moi, et je n'avais que ce mot à la bouche avant qu'il ne m’attrape par la nuque et me plonge la tête la première dans la monde de l'amitié.
Petit à petit, j'appris à délaisser cette apostrophe et le dédain couché sur mon nez. Il m'apprit, à défaut de commettre des méfaits à mon tour, à dire nous et à ne plus ignorer les autres. Il m'apprit, par son rire et par ses bourrades qui m'exaspéraient, à sourire et à rire dans les bras du monde.
Je pense pouvoir dire qu'il a définitivement fait de moi quelqu'un de meilleur.
*
Un jour, je suis tombé amoureux une deuxième fois.
Non, ce n'était pas Mille herbes et champignons magiques – très bon ouvrage soit dit en passant. C'était une jeune fille, à Serdaigle. Je l'avais aperçue plusieurs fois à la bibliothèque, et je m'arrangeait quelques fois pour que nos tables ne soient pas à une grande distance l'une de l'autre.
Je n'avais aucune idée de qui elle pouvait bien être. Elle n'était pas dans mon année et, je confesse avec le rose aux joues que je ne l'avais jamais remarquée auparavant. Peut-être était elle une année au dessus de la mienne – peut-être était elle plus jeune.
Cela est-il qu'elle avait de longs cheveux blonds et que je l'a trouvais très jolie.
Une fois, elle a attrapé mon regard pendant que je la dévisageais du coin de l’œil, et j'ai très vite rougit.
Une autre fois, j'ai voulu aller lui parler, mais la tête gonflée de chaleur, je suis passée à côté d'elle, je me suis arrêté, j'ai cligné des yeux et je suis reparti – ce jour là, j'ai sérieusement pensé à quitter Poudlard.
Pour la deuxième fois dans ma vie, l'amante la connaissance n'était plus la seule qui faisait battre mes tempes dans un rythme fou.
Absynthe s'aperçut très vite de mon petit manège et, comme on peut l'attendre de lui, il s'en amusa beaucoup. Quand il me croisait, entre deux heures de cours, dans un couloir, il s'amusait à mimer les échecs de mes tentatives pour aller lui parler – sa préférée, c'était quand je m'étais empêtrée dans ma cape et que j'avais percuté de plein fouet une étagère proche d'elle. La bosse sur ma tête avait été faramineuse, si bien que j'avais dû me rendre à l'infirmerie. Si je grondais souvent après ses moqueries, je ne pouvais m'empêcher de rougir à chaque fois qu'il l'évoquait – elle. Ça le rendait dix fois plus hilare et il me disait que j'avais les joues aux couleurs de Gryffondor.
*
Finalement, jamais je n'ai su son nom.
C'était comme si soudain, le monde s'était arrêté et que le temps, dans un vacarme à m'en crever les tympans, s'était effondré sur lui même en annihilant ma vie.
*
Je ne voulais pas – je n'avais pas voulu ça.
*
C'était un jeudi – un jeudi clair et gorgé de soleil, comme ceux que Absynthe aimait passer à errer dans le parc de Poudlard. Je voulais travailler – j'avais un grand livre emprunté à la réserve qui occupait toute la place sur la table de la bibliothèque. Il m'intéressait follement – ni l'amour, ni l'amitié n'avait réussit à tarir ma passion. De l'autre côté de la table en bois, Absynthe me demandait – vainement – mais avec une insistance qui lui était particulière, de l'accompagner dehors histoire de faire les quatre-cent coups – ce que d'habitude j'aurai accepté. Mais j'aimais vraiment lire ces lignes. Pour essayer de me faire lever le regard, il soufflait sur les pages pour les soulever, et il en vint même à faire des bruits étranges de la bouche pour me forcer à battre en retraite. Vaguement excédé, ma bouche lâcha un soupir et mes yeux se levèrent jusqu'au plafond. Pour l'occuper, je lui appris quelque chose que j'avais lu plus tôt – en mélangeant quelques ingrédients communs particuliers, la personne qui avalait la mixture se retrouvait avec un hoquet terrible. Ce qu'immanquablement, il jugerait hilarant.
Cela ne coupa pas ; son visage s'illumina, un grand sourire barrant ses joues. L'instant d'après, il bondissait hors de la bibliothèque en chantonnant de malice.
Je souriais – ah, Absynthe, il était franchement irrécupérable. Ce fut la gaieté aux lèvres que je me replongeait dans le vieux grimoire poussiéreux.
Quelques minutes après, mon sourire se décomposa, mon souffle se coupa.
Je m'étais trompé.
*
Je m'étais trompé.*
J'ai couru hors de la bibliothèque en faisant tomber ma chaise dans un grand bruit sourd que je n'entendais pas.
J'ai hurlé pour savoir si quelqu'un avait vu Absynthe, mais les murmures effrayés par mon attitude ne me répondaient pas.
J'ai hurlé plus fort pour savoir si quelqu'un avait vu Absynthe, et un de ses amis jovial m'a lancé qu'il n'allait pas mourir et qu'il était juste à l'infirmerie.
J'ai couru pour atteindre l'infirmerie, mais à chaque fois que je faisais un pas, l'air sortait plus fort de mes poumons comme pour m'empêcher de m'y rendre et m'asphyxier avant.
J'ai couru pour l'empêcher de faire ce qu'il allait faire et qui allait tout briser, si fort qu'on ne s'en relèverait pas.
J’ai couru longtemps, c'était bien trop long pour moi et ma gorge broyée.
Je suis arrivé à l'infirmerie.
Je suis arrivé à l'infirmerie, mais c'était déjà trop tard. Dans les bras d'Absynthe, surplombé par son visage tremblant de terreur, se trouvait le cadavre de l'infirmière.
*
« On l'a tuée ? »*
Ce jour là, j'ai rencontré le directeur. J'étais avec Absynthe, mais nous ne parlions pas – nous ne nous regardions pas. Nous étions tous les deux très blancs. Nous étions assommés. J'étais assommé et un désagréable goût de ferraille avait envahit ma bouche.
Il y avait tous les autres professeurs aussi. Ils étaient un peu blancs, eux aussi. Le directeur avait des cheveux blonds et longs. Je m’aperçut que j'avais du mal à déglutir. De toute façon, ma bouche était sèche.
Ma vie était cassée. Ma vie était écrasée, broyée, et elle gémissait péniblement, comme je l'aurait fait si ma voix ne s'était pas enfuie.
Mes cuisses tremblaient.
Ma vie – ma vie, elle gémissait au sol, atrophiée. On allait me casser ma baguette et la jeter par terre elle aussi – on allait m'aspirer toutes les connaissances de ces années et les jeter par terre pour qu'elles pourrissent, on allait me jeter par terre, on allait me jeter dehors.
C'était juste une erreur.
C'était la seule erreur que j'avais jamais commise – la seule traîtrise de ma mémoire. Juste une fois – juste pour cette fois là.
Je n'avais même plus la force de d'ouvrir ma bouche pour demander « pourquoi ? ».
« Ils n'ont pas fait exprès, ce sont des gamins. »Je levais mes yeux. Celui qui avait pris ma défense était mon professeur d'études des runes, le professeur Bradbury.
Il avait dit cette phrase et recollé un peu l’abîme béant qui venait de scinder mon existence.
*
Ni l'amour, ni l'amitié n'avaient réussit à tarir ma passion.
La mort n'eut pas cette difficulté.
*
En dehors des professeurs de Poudlard, personne ne fut au courant de l'affaire. Le décès de l'infirmière fut expliqué publiquement comme une erreur dans ses propres potions, même si le ministère de la magie fut mis en connaissance du véritable motif de sa mort. Le fait qu'elle demeura à Poudlard sous la forme d'un fantôme apaisa relativement les cœurs.
Absynthe et moi n'eurent pas l'occasion de nous parler après l'accident. C'était lui qui avait eut le plus dur – le plus de problèmes et le plus de tremblements – parce qu'il était plus proche de l'accident.
Je n'ai jamais réussi à aller le voir après ça. Je ne sais pas si c'était un malaise, une gêne, une peur – une honte. Finalement, on a fini par s'éviter, tous les deux. On baissait la tête et détournait les yeux quand on se croisait dans un couloir. Je ne pense pas que j'aurai pu lui parler de ça.
Il n'y a pas de mots pour ça.
Ça c'est finit comme ça – juste comme ça. Ça avait commencé tout aussi simplement, notre amitié. La fin était, après tout, si semblable.
Je crois que je l'ai un peu abandonné.
*
Après ça, j'ai changé – qui ne changerait pas après ces événements qui font trembler votre vie. J'ai fini ma scolarité à Poudlard, j'ai eu mes neufs ASPIC. Je n'avais plus d'ambition. Mon professeur de botanique fut le premier à me parler de mon orientation, c'est tout naturellement que je me suis dirigé vers sa matière pour envisager mon avenir. J'ai voyagé. J'ai vu des pays et rencontré des sorciers du bout du monde. J'ai noté chaque plante que je ne connaissais pas dans un petit bloc note que ma mère m'avait offert. J'écrivais encore à ma mère. Elle ne m'en avait jamais voulu – cela me rendait encore plus honteux. J'appris à apprécier les plantes et à en prendre soin. Petit à petit, je m'aperçus qu'elles étaient bien moins fragiles que les humains.
J'avais une boule amère qui pendait dans mon estomac.
Je ne partis pas bien longtemps, finalement. Un hibou me trouva – il était signé par une encre rose qui me donnait un haut-le-cœur. A vingt-deux ans, je devenais professeur de Botanique à Poudlard et la boule d'amertume de mon estomac atteignait des dimensions fantasques.
Je crois que cette demande à l'encre rose, c'était une deuxième chance – après tout, ça n'avait été qu'une erreur.
Mais je n'ai pas compris quand je suis devenu directeur de Serdaigle. Directeur, professeur – non, ça ne se pouvait pas, je ne le méritais pas. Je ne comprenais pas et ce n'étais qu'un babillage embrouillé qui était sorti de mes lèvres. Je ne pouvais pas – je n'étais pas fait pour ça, je n'étais pas assez bien pour ça.
Je ne sais pas si c'est encore une seconde chance, mais ça ne marchera pas – je vais encore tout faire foirer. Je tâtonne – je marche dans mon rôle sur la pointe des pieds.
J'aime mes élèves – je les trouve brillants. J'y vais doucement et je suis doux – je le sais et je crois bien qu'ils le savent aussi. Mais je souris, doucement – il faut.
Je me dis que tout ira bien.
Que la boule amère de mon estomac partira ; sinon, il faudra un jour que je vomisse tous les remords noirs agglutinés au fond de ma gorge.