Sacha avait trouvé le plan parfait. Il en était si fier qu'il avait fanfaronné toute la journée, se vantant de bientôt pouvoir faire quelque chose d'incroyable mais précisant qu'il ne pouvait pas en parler. Il avait passé des semaines à concocter cette potion, devant même s'y reprendre à plusieurs fois, mais il y était arrivé ! La robe violette de sa potion était parfaitement semblable à celle de son livre ; le temps d'une nuit, il pourrait faire ce qu'il voulait, et cela sans la moindre conséquence !
Cette nuit-là, il forniquerait enfin avec sa petite amie, il était content.
Même en rêve, ce serait bien - il ne pouvait rien avoir de plus, donc il s'en contenterait.

Il était arrivé dans la grande salle avec son petit flacon dans la poche de son pantalon. Il n'y avait presque aucun élève - c'était idéal pour rester discret. Il posa les deux verres de jus de citrouille qu'il avait transporté depuis les cuisines sur la grande table, s'asseyant à la même place que d'habitude. Il versa la même quantité de potion dans les deux verres et attendit l'arrivée de Vega. Après quelques minutes, tandis que la grande salle se remplissait, elle finit par arriver. Son verre en main - qu'il avait déjà commencé à boire - il se dirigea vers elle. La perspective de pouvoir enfin aller plus loin que le baiser pour se dire bonjour le rendait particulièrement guilleret. Quand ils revinrent à table, le verre était vide.

" Hey mais, pourquoi il est vide ce verre ? Qui est-ce qui l'a bu ? "

Personne ne fut apte à lui répondre, si bien que Vega finit par lui pincer le coude de toute ses forces pour lui demander de se calmer, ses jérémiades attiraient trop l'attention.
L'espace d'une seconde, il pria pour qu'une jolie fille ait bu ce verre à la place de Vega.

Mais bizarrement, tromper sa fausse petite amie, même en rêve, ne le ravissait pas du tout.

Sacha était content d'être encore tout habillé. Au final, il ne savait absolument pas à quoi s'attendre avec cette potion. Il portait son uniforme, avait sa cape sur les épaules et son écharpe au tour du cou. Après quelques secondes, il reconnut le couloir enneigé et, bien qu'un peu gêné par la mise en lumière de ses désirs enfouis, ne fut pas du tout surpris d'atterrir ici.
Le couloir était totalement vide et le vent était encore plus glacé que d'habitude. Après quelques minutes à envisager que son verre de potion s'était renversé et que personne ne l'avait bu, il vit une silhouette se distinguer du blizzard.
Il lâcha un puissant juron.

" Mais j'hallucine ! "

Il ne savait même pas qui était ce mec.
Un gars, UN GARS dans son rêve érotique raté. Abusé.

" C'est toi qui a bu ma potion ? Connard ! T'es qui d'abord ? "

« Strauss ! Qu'est-ce que tu fiches...
- Mais toi ! Toi qu’est-ce que tu fiches ici ? »

Peut-être parce que c’était un rêve, il n’éprouvait plus la moindre retenue. Il ne pouvait pas exprimer toute la frustration qu’il ressentait de se retrouver là, à l’endroit idéal, mais avec un garçon. C’était vraiment, vraiment trop injuste.

« C’est quoi ce délire ?
- Mais t’as bu ma potion ! Ma potion onirique, elle était dans le verre de jus de citrouille. Elle t’était pas destinée, couillon ! »

Il tapa ses paumes contre ses cuisses. Le froid commençait peu à peu à engourdir ses membres, et il avait mal aux mains. Malgré la colère qui faisait palpiter son sang, il commençait à avoir vraiment froid. Son subconscient abusait un peu.
Il serra les poings – merde, à l’heure qu’il est, tout aurait dû être différent.

« T’as tout fait foirer ! J’y crois pas ! »

Il enfouit son visage entre ses mains, étouffant un cri de rage.

« J’étais à ça, continua-t-il en rapprochant son index et son pouce, à ça de réussir ! Et toi tu bois ma potion ! Mais on fait quoi maintenant ? On est coincés dans mon rêve pour la nuit ! »

« Foirer ? C'est pas moi qui ai laissé traîner mon verre que je sache !
- Nan mais toi tu bois dans les verres dans autres, OK !
- Et tu crois que ça m'enchante d'être là ? J'ai peut-être mieux à faire, hein ? Et... Purée t'es sérieux ? Pour la nuit ?
- C’est un rêve ! Evidemment, pour la nuit… »

Sacha se gratta la nuque, les yeux fermés. Pour la première fois depuis son arrivée ici, il se sentait légèrement gêné par ce qu’il était en train de se passer. Même si ce type – dont il ne connaissait toujours pas le nom – était en partie responsable de cette situation, il se sentait mal à l’aise de l’avoir embarqué là-dedans. Ca n’aurait jamais dû être lui. S’il n’avait pas bu cette potion, ça aurait arrangé tout le monde !
Sauf Vega mais ça, elle ne le saurait jamais de toute manière.

« On peut changer d'endroit au moins ?
- J’en sais trop rien, se contenta-t-il de dire. »

Il ferma les yeux quelques secondes, visualisant un autre décor, un souffle chaud, du sable fin, de l’air salé. Rien n’y fit ; il eut même le sentiment que le blizzard augmenta. Il était content que les vents chargés de neige dissimulent les plaques rouges sur ses joues. Pourquoi avait-il choisi d’être attiré par les grands froids, c’est ridicule.

« J’y arrive pas.
- Et... Qu'est-ce que tu prévoyais avec ta potion ?
- Hein ? Mais je… »

Sacha croisa les bras pour espérer se réchauffer. Soudainement son idée lui parut effroyablement bête, même s’il était toujours aussi frustré de n’avoir pas réussi.

« Je voulais la faire boire à ma copine, dit-il sans réfléchir, pour qu’on ait de l’intimité, c’est tout. En plus elle aurait cru que c’était un rêve alors tu vois. »

Il toussa.

« Enfin je vais pas te faire un dessin. »

« T'es vraiment un connard. Mais ton idée, c'est du pur génie ! »

Sacha ne savait pas s’il s’agissait d’un compliment ou d’une insulte, aussi il se contenta de détourner le regard en ignorant royalement sa tape amicale sur son épaule, venue comme un cheveu dans la soupe. Sacha était, peut-être, un connard, oui. Mais il ne l’était pas tout le temps ! Il était le « petit-ami » parfait dans la réalité, alors il n’avait pas besoin de l’être la nuit non plus. Surtout qu’il était tout seul, la nuit.

« Bon, moi je bouge, je me les caille trop ici.
- Ah. OK. Mais je… ouais nan, rien. »

Il avait hésité à dire qu’étant dans son rêve, il n’y aurait probablement aucun autre endroit où il pourrait aller sans mourir de froid. Et il était un peu gêné à l’idée de l’avouer, mais il n’avait plus envie d’être tout seul. Même si partager son rêve avec lui ne l’enchantait pas non plus.
Il le laissa s’en aller, ne sentant même plus le froid lui brûler la peau.

« Tu réalises que ça aurait été du viol, hein ?
- Quoi ?! Mais non ! protesta-t-il en se retournant d’un geste vif. Tu me prends pour qui… »

Sa voix s’était faite plus faible qu’un murmure. Il poussa un long soupire et passa sa main dans ses cheveux.

« Si elle avait dit non, j’aurais rien fait ! J’l’ai pas ensorcelée ! Je voulais juste voir si, au fond d’elle, elle m. »

Elle m’aimerait pas.

« Laisse tomber. »

Il sentit la honte l’envahir dans un courant d’air chaud.

« C’était vraiment une idée stupide. »