Flavian, il est droit dans ses bottes.
Flavian, il aime avoir raison. Beaucoup. Il argumentera passionnément son point de vue, il cherchera les mots qu'il faut pour convaincre, il n'abandonnera pas l'affaire de sitôt, et si ça ne marche pas, il continuera quand même. Et puis si ça continue de ne pas marcher, il tentera d'intimider son adversaire, parce qu'arracher un "d'accord" un peu effrayé, c'est quand même un peu remporter l'argument, quelque part. Et puis si ça ne marche toujours pas, il restera campé sur ses positions, même s'il n'a plus rien à mettre en avant comme explication, parce qu'il refuse à tout prix d'admettre qu'il a tort. Il est pas juste là pour savoir qui a raison, Flavian. Il est là pour gagner.

Il aime pas perdre, Flavian. Mais il aime bien jouer. Il aime bien le Quidditch et le football et tous ces genres de sports de compétition où les gens vont dans tous les sens, et les ballons aussi, et ça fuse, et ça crie, et ça s'engueule et ça s'excite. C'est énergisant, le sport. Mais y'a pas que le sport : les jeux de société, les cartes, les dés, même les petits chevaux, tant qu'on peut gagner, il aime bien. Les sports de combat, les duels de sorcier, il aime bien. Les rivalités entre amis, les défis stupides entre adolescents, il aime bien.

Il aime bien se battre, aussi. Il est facile à provoquer. Il cherche un peu la bagarre, d'ailleurs, il provoque tout autant qu'on le provoque, si on le cherche, on le trouve très vite, et c'est tout de suite baguettes sorties, poings levés, ça lui cause pas mal d'ennuis. Mais il continue quand même.

En fait, il surjoue un peu son côté compétitif. Il ne le montre pas, mais il n'est pas très sûr de lui, et il veut montrer à tout le monde qu'il est un garçon, un vrai, parce qu'en réalité, il n'est pas né garçon. Avant, il était une fille.

Le problème, c'est que tout le monde le sait.

Ou tout du moins, c'est facile à savoir. Poudlard n'est pas un lieu très agréable pour les gens comme lui. Il est né fille, alors l'école le considère comme une fille - il a une place dans le dortoir des filles (mais il n'y dort jamais, squattant les fauteuils de la salle commune), pour prendre une douche, c'est très compliqué, et puis son cas n'est pas banal, ce n'est pas tous les jours que l'administration a à faire avec un garçon qui était une fille, et elle a fait ce qu'elle a pu, changé les noms sur les fiches d'inscription et dans les dossiers, mais ce n'est pas assez, et dans un lieu magique et ancien comme cette école, on ne peut pas faire assez, on ne peut pas changer l'ancien système d'internat et de dortoirs communs pour qu'il ait sa place, lui, le cas à part.

Alors du coup Flavian n'est pas tout à fait un garçon, mais fait tout pour l'être.

Du reste, ce n'est pas le seul domaine ou Flavian n'est pas sûr de lui : il a peur d'être mauvais élève (et du coup travaille beaucoup), il a peur de ne pas être un bon ami (et du coup multiplie les rodomontades et les gestes d'affection), il cache derrières toutes ses bravades une faible estime de ses capacités, une grande crainte de ne pas être à la hauteur. Il aimerait bien qu'on le rassure, parfois. Il aime beaucoup les compliments. Mais tout ça, il ne le montre pas, ou en tout cas, il essaye.

Flavian tira un fauteuil vers lui, en tourna un autre, récupéra quelques coussins, sortit sa couverture et s'installa confortablement. On était bien dans la salle commune des Gryffondors. Il y faisait bon dormir. Enfin, la plupart du temps. Souvent. Parfois. Généralement, il y avait un ou deux élèves qui restaient tard, qui se couchaient à pas d'heure, ou alors il y en avait qui lui lançaient périodiquement des regards, pour savoir s'il était toujours là, s'il allait s'en aller bientôt, parce qu'eux aussi ils auraient bien aimé avoir la salle à eux cette nuit-là. Dans ces cas-là Flavian finissait par partir, chercher un autre endroit où dormir. Un recoin caché, un passage secret un peu poussiéreux, la salle sur demande, Poudlard ne manquait pas de nids pour les petits oiseaux comme lui. Tout sauf les dortoirs, quoi. Parce que voilà, il était un garçon, il suivait un traitement hormonal pour être un garçon depuis le début de son adolescence, il avait l'air d'un garçon, il avait le physique et l'attitude d'un garçon, et l'école lui avait donné une place dans le dortoir des filles. Parce qu'il avait eu le malheur d'être né Meredith et pas Flavian. C'était débile mais c'était comme ça, alors il n'y allait jamais. Ca faisait bizarre à tout le monde de toutes façons.

Mais il avait l'habitude de ce genre de conneries. Il y avait toujours un problème qui se posait, avec lui. Par exemple, depuis la primaire chez les moldus, l'école s'évertuait à l'appeler Meredith. Après, il y avait toujours toute une histoire entre ses parents et l'administration, et généralement on finissait par rectifier la situation, mais c'était trop tard, tout le monde était au courant qu'en fait, avant, Flavian avait été une fille. C'avait été pareil à Poudlard d'ailleurs. Quand on l'avait appelé pour qu'il aille s'asseoir sous le Choixpeau, on l'avait appelé Meredith, et il lui avait fallu beaucoup de courage pour avancer - et ensuite il avait envoyé un hibou à ses parents, et ses parents en avaient envoyé un à l'administration, et l'administration en avait envoyé un autre en retour, et vas-y la musique c'était toujours le même refrain, et tout avait fini comme d'habitude. Entre temps il avait découvert avec horreur les dortoirs et les douches et la vie en commun ici. Ca avait vachement bien commencé, Poudlard.

Enfin. C'était pas si mal. Il apprenait la magie, il avait une baguette, il savait lancer des sorts - et avec le club de duel, il avait le droit de les lancer sur ses petits camarades, et ça, ça lui plaisait beaucoup. Il s'y était même fait des amis. Il aimait bien le monde magique. Il y était à l'aise. Il était sorcier au milieu d'autres sorciers, ça lui faisait un point commun avec ses camarades, pas comme dans le monde moldu où, petit, des choses étranges se passaient autour de lui, et il faisait peur (surtout qu'il aimait se battre, aussi) ; là, il avait un peu plus l'impression d'être normal, et il aimait bien. Et puis le château était fascinant - il avait sa propre personnalité, avec ses escaliers qui se déplaçaient, ses couloirs qui faisaient leurs caprices, son parc avec le lac et la forêt remplis de créatures magiques, on ne s'ennuyait jamais ici, ça n'avait rien à voir avec l'école en primaire, où même chez lui, où les photos qui bougeaient faisaient pâle figure à côté des quantités de tableaux qui tapaient la discussion dans le rez-de-chaussé. Non, c'était bien, Poudlard, quand même. Il était content d'être ici. Parfois.

Il racontait tout ça dans les lettres qu'il envoyait à ses parents. Ca les rassurait. Dionte Maroon et Clarissa Maroon née Blythe s'étaient rencontrés lors d'un beau jour de vacances d'été - lui, moldu, venait d'Atlanta, où il travaillait comme professeur, elle, sorcière, de Londres où elle était pâtissière - et ils s'étaient plu, et ils s'étaient écrit, et ils étaient tombés amoureux et ils avaient fini par se marier et avoir un enfant, et ç'avait été la galère dès le début. Ils s'inquiétaient beaucoup. Ils ne savaient pas quoi faire, au début, et puis ils avaient appris, au fil des emmerdes, à gérer tous les problèmes que leur enfant ne pouvait pas gérer parce qu'il était trop petit. Comme les hiboux et l'administration. Mais au final ils ne pouvaient pas faire grand-chose, alors ils envoyaient des lettres pour s'assurer que tout allait pour le mieux, et Flavian leur répondait gentiment. Bonjour papa, bonjour maman, tout va bien. Il les aimait bien, ses parents.

Il aimait beaucoup les vacances d'été, où il n'y avait plus toutes ces histoires, et où il pouvait juste être à l'aise, avec eux. A faire des gâteaux avec sa mère comme lorsqu'il était petit et que les gâteaux enchantés l'enchantaient. Il avait appris à en faire, il s'en sortait plutôt bien comme pâtissier, mais on pouvait pas vraiment faire la cuisine à Poudlard, enfin, si, si on veut déranger les elfes de maison et tout, mais ce n'était pas très pratique. Sinon, il y avait les après-midi avec son père, qui lui lisait des livres - il était professeur de littérature, il savait rendre un texte intéressant, et le petit Flavian avait écouté fasciné les histoires de son papa. Ou alors ils jouaient au baseball - Flavian n'avait pas saisi toutes les règles la première fois, mais il avait compris qu'il fallait frapper très fort dans la balle avec la batte et qu'ensuite il fallait courir vite, et il aimait bien le baseball. Et puis toute la famille aimait bien aller voir des matchs de baseball. Ou de basket, de football américain, de cricket, les sports ne manquaient pas, et ils pouvaient aller partout avec un portoloin. A Poudlard, il n'y avait que le quidditch.

Oui, en fait, Poudlard, c'était un peu décevant. Mais il faisait avec, et puis ce soir, il était tranquille, il avait les fauteuils qu'il voulait, et il allait passer une bonne nuit. Alors ça allait.