Clarence s’attendait à quelque chose de vicieux quand il choisit le gage – après tout, il venait de s’enchaîner à un Serpentard, et ça ne l’aurait pas étonné qu’il doive faire quelque chose de moche, quelque chose pouvant faire perdre des points à sa maison, par exemple. Il l’aurait sûrement fait, en espérant ne pas être pris, du mieux qu’il pouvait. En faisant porter les soupçons sur Nausicaa, pourquoi pas – il n’avait qu’à laisser son livre emprunté à la bibliothèque sur place, on remonterait vite à lui… À condition de parvenir à le lui voler. Mais le jeune Hightower ne s’attendait sûrement pas à une demande de cet ordre – et, aussi étrange cela pouvait-il paraître, il l’apprécia. C’était un excellent gage, et il comptait bien en profiter.

« D’accord. »

Lentement, il attrapa Clémence et la rangea dans son sac. Ses gestes étaient mesurés, plus encore que d’habitude, preuve de sa tension et de ses palpitations cardiaques qu’il tentait vainement de cacher : n’importe quel fin observateur aurait réussi à voir la veine sur son front battre à toute vitesse. C’était sûr, il n’entendait plus que ça, Clarence, que son sang qui cognait ses tempes, et son cœur qui s’essoufflait comme celui d’un fumeur après une côte trop raide. Erratique. Nausicaa devait sûrement l’entendre aussi. Toujours le plus calmement du monde, il se leva, et s’approcha de la chaise, sur laquelle trônait son bourreau – et quel délicieux bourreau !

Une hésitation, un léger coup d’œil vers le tableau – imaginez que l’Érudit n’arrive à ce moment là ! – et Clarence se baissa légèrement. Il s’était toujours plaint du manque d’envie, du besoin d’être un peu forcé pour se lancer, froussard qu’il pouvait souvent être. C’était l’occasion rêvée, cette fois. Il était obligé de l’embrasser, pour ne pas perdre la face. Et puis, ce ne serait sûrement pas désagréable. Merde. Et s’il faisait un truc ignoble, et s’il… Bavait ? Hightower n’avait jamais embrassé personne, jamais, il n’avait aucune expérience dans ce domaine. Et ce n’était pas le genre à rouler sa langue dans ses doigts pour s’entraîner – il n’avait jamais cru à ces choses là, n’avait jamais voulu y croire.

Les yeux de Nausicaa étaient incroyablement bleus, on s’y serait volontiers perdu. Il était tout proche, maintenant, avec toutes ses petites imperfections, ses détails qui le rendaient un peu plus humain, un peu plus vrai. Merde merde, Clarence flippait complètement. Il fallait se lancer. Il franchit les derniers centimètres et vint coller ses lèvres à celles du Serpent, timidement d’abord, puis plus fermement, happé par l’expérience de l’autre, et par l’envie d’aller plus loin. Hightower laissa sa langue se délier un peu, parcourir des endroits inconnus, aux goûts étranges… C’était plaisant, tout ça. Sans vraiment s’en rendre compte, il avait posé ses mains sur le corps de Nausicaa, dans une étreinte plus intime, plus simple aussi, leur position n’ayant rien d’idéal pour un premier baiser.

Enfin, Clarence décida que c’était bien assez pour le gage, qu’il l’avait respecté – ou était-ce Nausicaa qui lui faisait sentir que ça avait trop duré ? Il se retira, les joues en feu, l’envie brûlant son corps avec fureur. Il rêvait d’aller plus loin. Il n’aurait jamais osé, pas, encore, pas si vite alors qu’il venait tout juste de découvrir une nouvelle étape. Il inspira doucement en se reculant. Son cœur battait si vite, et une question revenait : est-ce que l’autre avait aimé ça ? Clarence n’aurait jamais pu appartenir à Serpentard, parce qu’il était fondamentalement bon, au fond de lui. Parce que derrière son air blasé et ses vilains tours, il se souciait des autres, de leurs pensées. C’était un chic type.

Il voulait savoir si le Serpent avait apprécié. Avait-il réussi, avait-il été trop rapide, trop lent, trop humide, pas assez, trop hésitant, trop machinal ? Son baiser avait-il été un peu magique, ou juste chiant à mourir. Clarence n’avait pas trouvé ça magique, pas vraiment. Enfin, pas dans le sens où il l’attendait. Pour lui, un baiser scellait forcément un amour pur et véritable, et ÇA, ça n’avait rien d’un serment d’amour. C’était un jeu. Un jeu délicieux, un jeu qu’il avait aimé et qui lui laissait des fourmis dans le bas-ventre, mais un jeu. Ça n’avait rien de vraiment magique. Alors, par manque de confiance pour Nausicaa, il se contenta de sourire, sans rien lui demander, et partit chercher son sac. Une fois dans sa main, il déclara, de retour à son attitude un brin moqueuse :

« Bon, maintenant que j’ai eu ce que je voulais, je vais te laisser. »

Et, sans plus attendre, il inspira, se redressa et passa le pas de la porte en déclarant :

« A la prochaine Nose ! »