Ah. Ah ah. Ah. Quelle plaie, vraiment ; Kalev se frotta nerveusement la nuque. Il n'était pas fait pour plaquer les filles. Faire du mal aux autres, ce n'était pas franchement sa tasse de thé. Trop bonne pâte, il se sentait l'obligation de s'excuser et de consoler la personne cible chaque fois qu'il l'avait malencontreusement blessé ; sauf que, dans le cas actuel, Kalev savait qu'il ne devait rien faire. La compassion n'aurait qu'empiré les choses, à tous les points de vue, et il savait que les femmes meurtries se raccrochaient à leur fierté. C'était tout du moins ce que sont frère lui avait appris.

- Hm... oui, voilà, gay. Enfin, tu sais, Camille, c'est mon meilleur ami et...

Et Kalev se félicita intérieurement d'avoir eu cette idée débile, au final, parce qu'il n'aurait pas su tenir un mensonge plus crédible.

- ...et voilà, à force de passer du temps avec lui, je me suis rendu compte de certaines choses et... on ne peut pas lutter contre la nature, tout ça. L'histoire de la vie. Le cycle éternel.

Le Poufsouffle se promit intérieurement de s'excuser très longuement auprès du français, après ça, et de lui offrir un livre d'amour ou deux pour se faire pardonner, bien qu'il ne comprendrait sans doute pas la source de ses excuses avant qu'il ne lui explique tout.
Oubliant son apparence de jeune fille, Kalev enchaînait les gestes peu féminins, se trémoussant maintenant d'une jambe sur l'autre pour évacuer son malaise. Qu'est-ce qu'il devait faire, franchement ?

- Je, tu peux me détester, je comprendrai, hein. Je veux dire, je suis pas cool, du tout, pour le coup, et euh, si me frapper te fais du bien je suppose que tu peux... mais, j'ai jamais voulu me moquer de toi, juste, je... ne suis pas fait pour être en couple avec une fille ?

Il allait presque finir par y croire lui-même, à ce mensonge. Il ne se savait pas de tels talents. Lui qui rougissait chaque fois qu'il tentait une petite déformation de vérité... là, il apparaissait gêné bien plus parce qu'il lui faisait du mal que parce qu'il mentait.

Kalev, tout en jouant avec l'anglaise née à sa gauche pour tenter de se décontracter, réfléchit aux raisons qui l'avaient pousser à manger ce clafoutis, ce fameux jour. Parce que bon, avoir du recul, cela faisait sans doute partie des pires idées de sa vie, au vue de la situation dans laquelle ce délicieux petit dessert l'avait fourré. Dessert. Fourré. Il eut un tic neveux. Non, ne pas rire ; le moment ne s'y prêtait pas.
Une main vint se coller sur sa bouche pour l'empêcher de parler davantage. Laisser tomber ? Tomber quoi ? Non, parce que la laisser tomber, c'était déjà plus ou moins fait, dans deux sens différents ; d'abord physiquement au milieu d'une danse, puis là, au sens plus "liens sacrés du couple". Ce dont il n'était pas spécialement fier, mais bon. En fait, à l'écouter parler, il avait la vague impression d'entendre le chanteur de Kiho. Elle devait vraiment avoir mal, en fait. Kalev déglutit péniblement. Il se sentait un peu monstrueux, quand même. Parce que le chanteur de Kiho avait vraiment l'air d'avoir une vie de merde. Il retira la main de Calypso de sur sa bouche.

- Tu sais au Quidditch on nous frappe parfois, avec les cognards. Quand on fait n'importe quoi. Donc un coup de plus ou de moins... enfin, je suis pas maso, si tu veux pas me frapper c'est bien aussi, mais, bon... Vite, une idée. Si tu veux je te prêterai mon cd de Kiho. Pour évacuer sa tristesse ça marche plutôt bien.

Ouais, bon, on échangeait rarement des affaires avec son... ex. Oui, il pouvait sans doute considérer Calypso comme tel ? Hm ? Pour le coup, la rupture était moins douloureuse qu'avec les quelques précédentes. Les autres n'avaient eu aucun scrupule à le frapper.

- En fait, c'est que... y'a pas que cette histoire de Camille et de gay... je crois que j'ai besoin de... de... comment dire ? Avec du caractère. Quelqu'un de... dominateur ? Non, ça fait sauvage, mais... pas viril non plus, enfin un peu, mais... Il réfléchit, longuement. Tu vois l'idée. Tu es trop... douce ? Passive ? Enfin, pour amie, ça va, mais en couple je ne suis pas... satisfait.

Euh. Il avait dit quoi ? La déculpabilliser ? Vite, redresser la barre ! Kalev frotta ses pieds l'un contre l'autre, comme un petit garçon qu'on grondait.

- Oui enfin c'est moi qui aies des goûts bizarres hein. Mon frère me chariait tout le temps avec ça, j'étais amoureux des filles super violentes qui me tiraient les cheveux à l'école primaire alors... Il se gratta la joue. Puis soupira. Dis, en fait tu veux pas te contenter de me détester et de me faire passer pour un gros connard ? Parce que je sais plus quoi dire pour arrondir les angles.

Il baissa les bras, abattu. Il ne voulait pas lui-même de mal. Seulement, Kalev était maladroit. Un charme et un défaut.

Bon. Il n'y avait pas à tortiller des fesses : plus cette conversation s'enlisait, plus elle empirait, en parallèle, et serrait le petit coeur très coupable du blond. Kalev cacha ses mains dans les plis de sa robe, toujours dans cette position d'enfant que l'on réprimande, tête basse et yeux fixés sur le sol humide que foulaient ses pieds nus et sales de l'avoir trop parcouru ce soir-là.
Ce rire, Kalev ne l'aimait pas. Il lui apparaissait d'autant plus mauvais que Calypso l'extériorisait de sa voix nouvellement masculine. C'était un rire qui sonnait mauvais, douloureux, et qui se chargeait de faire entendre à l'adolescent que c'était sa faute, si, forcément, l'excentrique Poufsouffle paraissait au bord d'une espèce de crise de folie passagère.
Oui, il lui avait fait des reproches, c'était vrai ; mais il s'en était fait aussi. La faute était partagé. Il voulait bien tout prendre sur ses épaules, ce n'était pas vraiment le problème. Il avait accepté, aussi, qu'elle le frappe, qu'elle l'insulte ; mais au fond, tout au fond, Kalev était triste. C'était un peu facile de l'accuser de trahir, d'avoir joué avec les sentiments de quelqu'un d'autre. Il l'acceptait, mais c'était facile.

- Moi aussi je pensais que tu étais comme ça, souffla-t-il tout le même, les yeux voilés par quelques mèches blondes. Quelqu'un d'emporté, de vif, qui a la pêche. Mais t'as pas été comme ça, efforts ou pas. Tu dis qu'on doit être naturels, mais tu l'as pas franchement été. Et moi je t'avais prévenu de comment j'étais.

Sur ce, il n'y avait sans doute plus rien à ajouter. Kalev lissa les plis de sa robe, puis croisa les bras dans une position qu'il voulait forte de conviction. Il ne jeta pas un regard de plus à la jeune fille, puis la quitta là. Il chercha dans la salle le portoloin qui le ramènerait dans les étages supérieurs du château, et déprécia plus qu'à l'aller la sensation lors du voyage. Enfin, il regagna la salle commune et, à la porte de son dortoir, retrouva son apparence normale. Ce n'était, dans le fond, pas plus mal.
Kalev s'empressa de se mettre en pyjama, puis se roula en boule sous sa couette ; Jupiter l'y attendait. Le furet avait sans doute trouvé un moyen de rentrer et d'attendre son maître. Le Poufsouffle caresa le fourrure de l'animal, puis se dit que, tout de même, il avait hâte d'être à demain, pour voir Camille et se changer les idées.