C'était un jour tout à fait normal, dans une école tout à fait anormale, ce qui en faisait par conséquent un jour assez moyen sur l'échelle de bizarrerie ; tout dépend toujours d'où l'on situe la normalité. Devoir passer dans des couloirs enchantés de diverses manières, c'était le lot quotidien de tous les étudiants de Poudlard, comme d'avoir cours avec un tableau ou un enfant, comme de croiser un centaure dans le parc et des fantômes un peu partout.

Les sorciers ne se rendaient pas toujours compte de l'étrangeté de tout ça. Ceux qui étaient nés moldus ou avaient de fortes affinités avec ces mêmes moldus soupiraient un peu plus lorsqu'il fallait affronter les désagréments d'une énième confrontation avec les caprices de la magie. Garfield était un de ceux-là.

Il aimait beaucoup la magie, il ne fallait pas se méprendre. Il en avait juste peur, quand il voyait les multiples accidents que sa poisse pouvait causer. Par conséquent, il réfléchissait beaucoup comme un moldu, à part lors de quelques éclairs de génie et, pour un moldu, traverser un marécage au milieu d'un bâtiment n'était pas normal.

A chaque fois qu'il devait passer par là, il serrait les dents et retenait sa respiration autant que possible, plutôt que d'avoir recours aux sortilèges d'imperméabilité et autres filtres d'odeurs magiques que les autres appliquaient sur leurs vêtements et leurs écharpes pour ne pas trop subir l'atmosphère pesante de l'endroit. Il détestait le couloir marécageux.

Ce qu'il ne savait pas encore, c'était que le couloir marécageux le lui rendait bien.

En ce joli jour d'une très belle normalité moyenne, Garfield avait douloureusement envisagé de se rendre à la bibliothèque pour les recherches demandées en Histoire de la Magie. Il se demandait bien pourquoi il fallait lire des bouquins pour ce cours, vu que le professeur était un tableau et que les ouvrages qu'il avait lu de son temps étaient probablement dépassés depuis très longtemps, mais il n'était personne pour réécrire le programme scolaire.

La bibliothèque en soi ne le dérangeait pas – quoique pour une obscure raison, le bibliothécaire ne lui revenait pas – mais c'était le trajet, bon sang. Tellement d'escaliers tordus et propices aux chutes entre la salle commune et le quatrième étage pour, en guise de récompense, arriver dans les marais de l'éternelle puanteur. Joie, bonheur et enthousiasme.

On y avançait avec lenteur, en plus, avec toute cette merdasse qui collait aux baskets. Il fallait beaucoup de concentration à Garfield pour ne pas glisser. Tellement de concentration, en fait, qu'il ne se rendit compte de sa perception anormalement étendue du courant d'air ambiant que grâce à des éclats de rire dont il aurait juré être la cible. Et pour cause.

« Et meeeerde... »

Il resta tétanisé un moment, avant d'enlever son sac à dos pour le placer devant lui, histoire d'essayer de sauver un honneur qui avait depuis longtemps été bafoué en duel. Il ne savait pas trop s'il devait être reconnaissant d'avoir toujours ses chaussures ou pas, vu l'air stupide de nudiste en goguette que ça lui donnait.

« Un coup de main ? Quelqu'un ? »

Il connaissait peu de gens dans les alentours, encore heureux. Il y avait néanmoins un visage qui lui était familier. Elise Dickney. Oh Merlin. Cette honte. Ses joues brûlaient tellement qu'on aurait pu y cuire des oeufs sur le plat.

« Elise n’aimait pas le couloir marécageux — du moins était-elle toujours fugitivement irritée, quand l’odeur nauséabonde du lieu venait atteindre ses narines. En sept années ; la blonde s’était habituée à quasi toutes les étrangéités du château, mais la boue à n’en plus finir des marais du dédale bien particulier ne faisait pas partie de ces dernières. Aussi, blasée au possible ; la préfète avait dégainé baguette, s’emmitouflant de sortilèges divers comprenant par exemple celui d’imperméabilité. Il n’était jamais très saillant de se trimbaler dans tout Poudlard les pieds imbibés de boue et le corps suintant l’odeur des marais. Aussi avait-elle ri ; quand Diego s’était vautré de tout son long dans la pataugeoire des plus raffinées, ne tardant pas à l’entrainer à son tour. Ce genre d’épreuves mentales comportaient toujours un avantage : voir si ses sortilèges étaient oui ou non efficaces. Se redressant la grande gamine avait fini par botter les fesses de son rouquin préféré ; le renvoyant dans la vase pour mieux s’enfuir, en brave et courageuse Serdaigle. Mais voyons. D’humeur solaire, elle avait continué son aventure alors que son compatriote avait jeté éponge ; rebroussant chemin vers lieu plus accueillant. Que Merlin le bénisse. Il n’était pas rare de voir les troisièmes années arriver en retard pour avoir emprunter les détours de la forteresse dans le but d’éviter les marécages. Soit. Elise comprenait — elle avait été comme tous une première année inculte et inconsciente et s’était quasi noyée comme nombreux dans ces immondices brunâtres pavées de quelques mottes d’herbe par-ci par-là.

« Rire par poignées ; redressant minois, la sixième année avait cherché du regard la cause du remue-ménage. Aussi n’avait-elle que pu sourire à l’image d’un certain Poufsouffle dévêtu et maugréant quelques demandes à l’aide — Garfield. Ou fifi. Ou tout ce que vous voulez, elle ne s’en souciait pas vraiment. Pauvre gars. Ou du moins était-ce les deux seuls mots trônant avec compassion dans son esprit alors qu’elle s’approchait de lui ; ô combien viril garçon avec comme pagne son plus beau sac à dos. Hein hein. « Je savais pas que t’avais un penchant pour le nudisme, Fi’ ; enfin trop de duels tuent les duels, n’est-ce pas ? Faudrait que tu prennes des vacances de ce côté là. Ca te fait plus du bien, apparemment. » Avait-elle tenté de blaguer avec un humour tout aussi frais que ce qui trainait sous leurs pieds ; alors qu’elle se dévêtait de sa cape, la-lui tendant. « A moins que ce soit les cognards, cette saison aura eu pour but de montrer à quel point ils t’aimaient bien. » Sourire innocent, quoique peu méchant — plus chaleureux, à vrai dire, si on se référait à ses yeux. « Je blague ; c’est nul. Je veux dire, les sorts de dévêtissement, ça m’est arrivé y’a pas longtemps, aussi. » Douceur décontractée ; elle avait plus ou moins arrêté son geste de je-te-tends-la-cape pour me métamorphoser en je-te-la-passe-sur-les-épaules-car-tu-peux-pas-trop-la-prendre-en-fait. Eh oui.

L’esprit Serdaigle, que vouliez-vous ?
Elle lui souriait. Si simplement.

Coincé entre le mur le plus proche – pas trop près, au vu de la mousse qui rampait sur les pierres – et son sac à dos pour préserver un minimum de dignité, Garfield ne savait pas s'il devait être content ou non de voir Elise approcher. Enfin, il était au moins content de ne pas être une fille parce que, raisonnablement, ledit sac à dos n'aurait pas couvert tous les endroits sensibles si ç'avait été le cas. Là, il se contentait d'exposer tous les coups de cognards qu'il n'avait pas jugé utiles de montrer à l'infirmier, tous les bleus qu'il se faisait en se prenant les meubles de la salle commune le matin. Il était plutôt cruel de se rappeler de tous ces détails qui diminuaient déjà considérablement son amour propre déjà fragile, sans pouvoir les recouvrir et les oublier comme il le faisait d'habitude. Il ne se promenait jamais torse nu ; il avait suffisamment la poisse pour avoir l'air d'un enfant battu. Pour un oeil extérieur, c'était sans doute plus alarmant que laid, pour son propre regard dans un miroir c'était un habit de honte. Ce n'était pas parce qu'il était un garçon qu'il ne pouvait pas être complexé ; toutes les marques, toutes les cicatrices lui donnaient une conscience aiguë de perte d'intimité, sans compter le nombre de fois où on lui avait dit qu'il était frêle. Ce dernier point commençait à s'arranger avec le Quidditch, mais il ne s'en rendait pas compte, tant les points de vue extérieurs, railleurs, avaient miné sa confiance en lui.

Cette belle pâleur rehaussée de toutes les nuances possibles d'hématomes contrastait d'ailleurs de manière intéressante avec un visage plus rouge qu'une tomate. Elise lui faisait la conversation. Il hésitait entre rire et pleurer ; il se contenta d'ouvrir la bouche comme un poisson hors de l'eau. Rouge, le poisson.

En duel, il avait été trop concentré sur les moyens de s'en sortir au plus vite pour prêter à attention à tout ce qui le gênait à présent. C'était différent. C'était l'impression que, tout à coup, l'oeil de Sauron s'était tourné vers lui, le scrutant jusqu'à l'étouffement, sensation admirablement dépeinte dans le film – à part de là, pas de vilain tyran obscur, juste des rires, comme autant de pincettes sur sa peau trop exposée. Il déglutit difficilement.

« Je. Ouais. »

J'ai à moitié pas écouté ce que tu viens de dire, mais t'as sûrement raison. Les Serdaigles avaient souvent raison. Elise était, dans sa tête, ZE Serdaigle, capitaine, préfète-en-chef, alors elle avait sans doute un pourcentage encore plus élevé de chances d'avoir raison ; il pouvait bien remettre ses neurones en place pendant qu'elle parlait, vu qu'il ne devait statistiquement pas la contredire. Bien sûr, il ne venait absolument pas de confirmer qu'il avait un penchant pour le nudisme et les cognards sans faire gaffe. Pas du tout.

La sensation de tissu sur ses épaules le sortit de sa léthargie. Là, c'était l'impression de fondre de reconnaissance, un soulagement qui part de la base de la nuque et qui se répand physiquement dans tout le corps comme une vague de chaleur, qui délie les muscles inconsciemment contractés.

« MERCI. Oh la vache. »

Il faudrait un jour qu'il se débarrasse de ce tic de langage, pour laisser un peu les vaches tranquilles, mais l'injonction cachait un vertige soudain. Trop de stress tue le Fifi.

« Désolée, j'ai bugué. »

Bon, peut-être qu'elle était purement sorcière, et qu'elle ne savait pas ce qu'était un bug, mais les mots sortaient tout seuls, loin de la prudence langagière habituelle. Il se retint de passer la main dans ses cheveux, pour ne pas écarter les pans de la cape ; son sac à dos était toujours très bien là, pour éviter tout flash inconvenant, mais au moins il pouvait arrêter de longer le mur.

« Merci, Elise. »

Tu l'as déjà dit. Il se traita mentalement de crétin, mais l'adrénaline a cet effet curieux de droguer les gens. Il sourit, honteux.

« Elise avait souri, ne cillant pas face aux diverses réactions de son cadet. Que pouvait-elle bien dire, après tout ? Aussi quand il eut fini de s’étendre, elle laissa s’échapper un mince rire — c’était définitif, Garfield avait perdu tous ses moyens. Si il était arrivé innocent à Poudlard, la blonde préfète ne pouvait plus assurer la blancheur de son être à présent.
La pensée lui arrachant des pans de tendresse, elle s’occupa sans trop prévenir de saisir sa cape qui ne l’était plus vraiment au col pour la resserrer ; enfermant ainsi le jaune dans une sorte de presque cocon. « Le bleu te va bien, tu sais. » Finit-elle par lâcher, passant une main dans les crins bruns d’Andersem. Enfin, c’était assez ironique ; vu que seul l’intérieur de la capuche était au coloris des aigles. « Ça va ? » Finit-elle par lui demander, l’œil quelque peu distrait — c’était toujours le genre de question toute aussi creuse que pleine. Celle où on attendait un oui ; pas vraiment un non, et dont on ne se souciait véritablement de leur véracité. « Enfin, pas besoin de répondre. » Maugréa-t-elle d’une esquisse gênée, désirant s’éloigner de ce genre de propos insensés ; aux ourlets détestables. « Tu as cours après ? Ou hm. » Ah oui. « Bibliothèque ? » Devina-t-elle, les bras croisés ; avec l’envie tenace de ne pas lâcher d’une semelle le poufsouffle. Et c’était sans doute un peu étrange, comme son action précédente — la menotte dans les broussailles du gamin, mais dans un sens ; qu’y avait-il de déplacé dans le geste ? On oubliait souvent qu’Elise avait eu un frère ; et plus le temps passait, plus les reflexes se faisaient marqués — elle-même ne réalisait qu’à moitié.

Garfield hochait la tête d'un air absent. Devant Elise, il avait un peu l'impression d'avoir quatre ans, surtout qu'elle ajustait la cape et lui ébouriffait les cheveux. Soudainement, il se sentait tout intimidé, alors qu'elle n'avait qu'un an de plus que lui. Il n'y avait pas grand monde qui lui faisait cet effet, en dehors des professeurs, et c'était étrangement rassurant. Un peu équivalent au fait d'appeler sa mère en chouinant après un stress pareil, à la différence qu'Elise était plus efficace en quelques gestes que sa mère. Même s'il avait eu un téléphone sous la main, Marceline Andersem aurait eu besoin de dix minutes pour se rappeler comment décrocher, et lui aurait sans doute dit d'arrêter de faire le bébé, qu'il y avait des trucs pires dans la vie, et que s'il en avait l'occasion il devrait ramener des photos pour qu'elle les mette dans l'album affreux qu'elle tenait en vue de montrer les trucs les plus honteux de sa vie à la première fille qu'il ramènerait à la maison. Il avait du coup un peu perdu l'habitude d'expliquer ce qui n'allait pas, alors il hochait la tête. Même si tout le monde voyait bien que ça n'allait pas, tant pis.

« Je, ouais. »

Non pas ouais, tête de noix. Il n'avait pas cours, mais il disait oui quand même. Logique. Il soupira de soulagement devant la deuxième suggestion qui lui permettait une salvatrice économie de réflexion.

« Oui voilà. Bibliothèque. J'ai un devoir d'histoire de la magie à faire. »

Il se calmait doucement, assez pour expliquer. Quelque part, il regrettait qu'Elise se soit apparemment rendue compte de l'incongruité de ses gestes, ce qui était vraiment bizarre. C'était une jolie fille, et il se serait habituellement transformé en tomate bégayante – surtout en étant à poil, bon sang de Merlin – mais ce n'était décidément pas l'ambiance.

« Enfin là je vais devoir redescendre au dortoir, je crois. La tenue ça va pas le faire plus d'un petit moment. »

Il sourit, un sourire bizarre, comme s'il faisait un gros effort, un seul coin de ses lèvres se soulevant.

« Désolé. »

Garfield ne savait même pas pourquoi il s'excusait. Peut-être d'être envahissant, peut-être de réagir aussi lentement, peut-être de lui avoir offert ce qu'il estimait approcher fortement d'une vision d'horreur. Il n'allait pas trop creuser le sujet, ça n'aidait pas à calmer le feu de ses joues.

Wait, what.

Elise avait décidé de prendre les choses en main, de manière relativement efficace, mais Garfield commençait à mettre en doute sa philosophie de vie principale. Peut-être qu'il n'y avait pas que les filles de Poufsouffle qui étaient toutes cinglées. Peut-être que ça concernait les filles de tout Poudlard. Si c'était ça, ils étaient tous foutus. Elles allaient former une armée, renverser la direction, et puis se battre entre elles pour savoir si le nouvel emblème de l'école allait être un lapin ou un chat. Si Alix avait été encore là, ç'aurait forcément été un dodo sur fond de battes croisées, parce qu'elle aurait certainement réussi à faire peur à toutes les autres – alors que c'était une des seules filles qui ne fasse pas flipper le Fifi. Allez comprendre.

Comme on peut le constater, il avait un peu de mal à suivre, préférant se pencher sur les possibilités d'apocalypse que sur la réalité. On peut sans doute le comprendre, la réalité étant à ce moment-là composée de boue dégueulasse, d'une fille plus âgée que lui qui avait l'air de vouloir lui faire un câlin mais aussi de le garder à moitié à poil dans le couloir. Au moins, il n'était pas trop perturbé par la fille en question en temps normal, c'était déjà un bon point, mais quand même.

« Euh. »

Ah bah oui, utiliser la magie. Sa baguette était dans sa poche, comme d'habitude. Le problème étant la disparition du contenant concerné. Il regarda par terre d'un air vide. C'était un marécage, ce qui voulait dire que ce qui était tombé de ses poches devait probablement être couvert de vase. Chouette. Heureusement, il avait mis un pantalon propre ce matin-là, il n'avait pas encore eu le temps de le remplir de trucs divers et variés. Il allait se lancer dans un inventaire mental quand il se sentit tiré par le poignet. Avant d'avoir eu le temps de cligner trois fois des yeux, il était un peu plus au sec, à hocher la tête devant les explications d'Elise. Sans oser l'interrompre pour lui dire que la magie sans baguette c'était même pas la peine d'essayer. Déjà avec, il n'était pas à l'aise avec ses propres capacités, ce qui contribuait probablement à diminuer lesdites capacités.

Elle éclata de rire, et il la regarda comme si quatre bras supplémentaires venaient de lui pousser. Garfield secoua la tête, pour se remettre les idées en place, et réfléchit à ce qui était tombé de son pantalon. Rien de très grave, normalement, sauf le précieux bout de bois.

« Euh, bah. Si tu pouvais accio ma baguette, ce serait déjà vachement cool, je crois qu'elle est dans le couloir. Mais... Je suis pas capable d'appeler des fringues depuis ici, je crois. Enfin y a je sais pas combien de portes à passer, et euh. »

La vraie question, c'était de savoir pourquoi elle voulait absolument le garder là. Elle avait une attitude étrange. Ce qui était encore plus bizarre, c'était qu'il ne se sentait pas trop mal en sa présence, malgré la situation. Il y avait vraiment longtemps que personne n'avait pris la peine de s'occuper de lui de cette manière. Il avait beau vouloir être un grand garçon, gérer ses affaires tout seul et avoir l'air plus ou moins en contrôle, il avait seize ans. Ce n'était pas toujours facile de ne plus pouvoir se comporter comme un gros bébé sous peine de s'entendre réprimander.

« ... ça t'es arrivé aussi ? » Les informations montaient au cerveau. Il y avait un sérial déshabilleur dans Poudlard ? S'il mettait la main dessus, il ne savait pas ce qu'il lui ferait, mais ce serait très méchant. « T'as piqué les fringues de qui ? »

Il parvint à esquisser l'ombre d'un sourire. Il reprenait un peu le contrôle de lui-même. Il avait toujours envie de s'enfuir, mais Elise avait l'air de lui avoir mis le grappin dessus et de ne pas vouloir le lâcher ; autant exprimer sa gratitude en faisant ce qu'elle voulait.

« A propos de fringues, tu me rends quand ma cravate ? »

Non parce que bon, ça faisait un bail, tout de même. Pour une fois, il ne pensait pas à mal ; c'était tout à fait normal de discuter avec juste une cape sur le dos, surtout pour demander à une fille de lui rendre un vêtement, en plus en lui tenant toujours la main, parce qu'il n'avait même pas remarqué. En temps normal, il aurait fini par le réaliser, et se mettre à bégayer mais, en cinq minutes, il avait placé Elise dans une case bien définie de son tableau de relations, celle qui ne provoquait pas de bug mental à moins de le taquiner ouvertement sur les sujets susceptibles d'en créer. Si seulement il avait pu faire ça avec tout le monde.

« Ah oui bien sur. Attends. » Et elle était là, Elise — l’Elise. A fondre pour un rien, sourire au monde comme jamais il ne lui arrivait jamais. Elle se sentait légère et paisible ; comme sur une autre planète — en totale opposition à son partenaire jaune, aussi ; sans doute. Enfin. Quelques secondes plus tard, elle tenait dans sa main son bois et celui de son cher camarade. « Euh, tiens. » Petit sort de nettoyage au passage car sérieux c’était assez ragoutant. « T’as vraiment choisi l’endroit parfait pour te faire dessaper hein ! » Rire, tête partant un peu en arrière alors que ses yeux brillaient un peu pour rien. Aussi la blonde resserra-t-elle son emprise sur la main de fifi alors qu’elle se mettait à bouger un peu, partant dans un récit qu’elle voulait léger : « Tu sais en ce moment c’est assez abominable. On croule sous les tâches et les emmerdes, nous les préfets. Entre ceux qui s’amusent à déshabiller de pauvres innocents et ces tarés qui se tabassent la tronche ou martyrisent des premières années… » Regard s’assombrissant lorsqu’elle resongea au pauvre Grégoire qui s’était fait vider les poches par un certain Grayson et… et bref. Humilié, en somme. Le bichon n’avait que douze ans. Comment pouvait-on prendre plaisir à… ? C’était une chose qui la dépassait, mais bon ; dans quelques années elle y serait, enfin — à faire régner la vraie justice. Avec ses poings, ses sorts et son esprit. La blonde comptait bien devenir auror et se faufiler dans les compartiments les plus dangereux du métier — l’infiltration, ce genre de trucs quoi. « Ah et tu sais je compatis vraiment. Moi c’était dans le couloir enneigé quand je me suis retrouvée à poil. T’imagines ? Heureusement j’ai un peu plus de réflexe que toi, je crois. L’instinct féminin sans doute, on a plus de trucs à cacher erm. » Sourire gêné. Qu’est-ce qu’elle racontait là ? Pffrt. Elle s’embarrassait à moitié, mais à force de trainer avec Sloan et ces personnes sans une once de chasteté, la préfète-en-chef perdait sa propre humilité et sens de la féminité. « Et j’ai piqué les fringues d’Edgar. Je sais pas si tu vois ? Le mec qui va avec euh. Tim ? Timothy ? Un pouffy tu sais ! Avec une bouille adorable. » Même si fifi était bien plus adorable à sa façon. Non mais. « Ah et euh euuuh. Euuuh. Tu sais c’est le trophée de ma conquête de l’estrade ! Une histoire passée, je peux pas la garder en souvenir huhu ? Faut vraiment que tu penses à dupliquer tes affaires ! Comme ça qu’elles se fassent voler déchirer ou j’en passe… Tu n’es jamais en manque ! C’est un sort assez simple, faut juste un peu de conviction pour qu’il reste dans le temps. Je te montr— ah mais qu’est-ce que je dis moi. » Et elle s’agitait et s’épuisait, la blonde. Trop de questions, trop de paroles lui venant et partant — elle avait soudainement envie de raconter un monde au sixième année, et lui était surement au bord de l’évanouissement. A ne rien comprendre ou ne rien plus suivre ou — ou bref. S’éloignant elle se sépara de son cadet, se mettant à côté de lui, lui murmurant d’un air conspirateur : « Tu sais normalement je demande l’autorisation mais… Mais bon. » Et elle pointa sa baguette vers le serpentard qui passait par là en maugréant, vous comprenez son sortilège avait lâché au milieu du périple et il était tout crasseux. Rire. « Je crois que tu fais à peu près sa taille ? » Et ni une ni deux la voilà qui lançait un sort de duplicata, du caleçon à la cravate, et ce en passant par les chaussettes et les lacets des chaussures. Le pauvre brun faillit bien faire un arrêt cardiaque maiis — elle lui adressa un petit sourire en agitant son badge de préfète-en-chef comme une grosse fourbe et il poursuivit son chemin sans trop comprendre quoique se soit de plus. « Aloors. » Un petit récuvite ; un ajustement sur les couleurs pour qu’elles ressortent jaunes et pas vertes eeet — « Et c’est bon, je crois ? T’as besoin de quelque chose de plus ? J’ai aussi dupliqué sa robe argh. Enfin ça te va ou… ouuu ? » Hésitation, tête qui bascule alors que ses bras étaient envahis d’habits.

Si avec ça il ne la classait pas dans les filles les plus tarées du château.
Sourire un peu triste à cette idée — elle n’avait voulu que le faire rire, vous comprenez. Elise était maladroite et ce château la rendait définitivement plus masculine et dévergondée que nécessaire. Ca lui serrait le cœur et opprimait sa respiration — mais que pouvait-elle y faire, après tout ? Soupir, sourire.
Avenance.

Elise parlait beaucoup, et Garfield accrochait plus ou moins, ayant repris un peu contenance. Il reprit sa baguette, se sentant rapidement stupide ; il n'avait nulle part où la ranger, forcément.

« Merci. ... Eeet, ouais. »

Au milieu du couloir marécageux, quoi. Les gens n'avaient absolument aucune pitié. Il y avait sûrement un débile quelque part qui riait pendant que Garfield réfléchissait à quoi faire. Elle racontait des trucs sur les préfets, et il se rappelait qu'elle en faisait partie, soudainement. Il ne connaissait pas spécialement bien les préfètes, sans doute une allergie causée par Vega, qu'il évitait soigneusement. Ou peut-être était-ce une tendance à juste s'adresser à Wesley par flemme de chercher plus loin que dans le plumard d'à côté ? Dans tous les cas, il compatissait, surtout quand on voyait les cas sociaux qui se baladaient dans ce stupide château. Enfin, au moins, Richard était parti, alors à ses yeux ça faisait un bon trois quarts des problèmes qui s'étaient envolés.

« C'est. Sympa, en tout cas. Enfin, d'intervenir. »

Oui parce que bon, il connaissait des gens qui auraient commencé par se plier en deux de rire avant de pouvoir faire quoi que ce soit. Si c'était arrivé à quelqu'un d'autre, il n'était pas certain qu'il aurait su se retenir, d'ailleurs.

Il avait envie de se gratter la nuque avec embarras, mais ce n'était absolument pas faisable ; il esquissa un sourire gêné.

« Je vois bien ouais. 'Fin Timo a été dans l'équipe de Quidditch, en remplacement. Du coup je vois bien. »

Il voyait tellement bien qu'il se répétait. Conversation complètement surréaliste, mais Elise était gentille, alors il ne savait pas quoi faire, et il restait là comme un con. On aurait dit qu'elle était contente de se rendre utile, de manière simple et sincère.

« Ils sont très. » Gays. « Gentils. »

Ouais. Gentil. Meilleur mot, l'autre aurait été un peu trop intolérant, et il luttait contre ça très fort. Après tout, ouais, Timo était sympa. Camille aussi, quand il se taisait – ok, non, ça c'était méchant, mais quand même, Camille couinait – et Kalev finirait probablement un jour par se rendre compte que son excuse envers Calypso était une prédiction. Ou alors il finirait juste par adopter quinze enfants et autant de furets et les élever tout seul en les entourant de son amour débordant. Et encore, tout ça c'était sans parler de Summer. A croire que c'était une mode hein.

Il haussa les épaules à l'histoire de la cravate, sans grande conviction.

« J'ai coincé la deuxième dans une porte en fait. Mais j'y avais pas pensé. Je peux en dupliquer une à quelqu'un, ouais. Enfin si j'y arr- »

S'interrompant lorsqu'elle lui parla à voix basse, il ne reprit pas après, parce qu'elle était définitivement trop balèze en magie. Lui n'était pas foutu de changer la couleur d'une cravate – parce que bon, son traître de frère lui en avait envoyé une aux couleurs de Gryffondor, tout de même, il pouvait faire une collection – et c'était le retour des bégaiements en voyant la vitesse avec laquelle elle avait réglé le problème. Surtout après avoir papoté pendant cinq minutes.

« Tu. »

Et il explosa de rire. Comme ça, tout d'un coup, et ça faisait énormément de bien. Il était quasiment à poil dans un couloir, avec la préfète en chef de Serdaigle qui lui tendait un tas de fringues dupliquées depuis celles d'un pauvre gars qui les regardait comme s'ils avaient chacun trois têtes.

« T'es complètement folle, comment tu fais ça ? »

Ce n'était pas négatif, juste à moitié hilare et à moitié admiratif. Il attrapa le pantalon sur le dessus de la pile, parce que c'était le plus urgent, et s'appliqua à l'enfiler le plus vite possible, manquant évidemment de se planter en sautillant pour faire passer les jambes.

Un truc à la fois, le bas fut habillé, mais enlever la cape était moralement difficile. Il avait l'impression de se comporter comme une nana, mais au fond il n'était plus à ça près hein.

« Tu peux, euh, te tourner ? »

Il était un peu trop pudique, alors qu'elle avait tout de même eu la première place au spectacle un peu plus tôt. La faute au Quidditch, à tous les bobos par ci par là.

« Merci, en tous cas. »

Il l'avait déjà dit, mais cette fois comptait sûrement un peu plus, parce qu'il était plus naturel, il faisait des phrases plus ou moins complètes, sa voix n'était plus étranglée ; il se concentrait sur se changer, même si c'était en plein milieu d'un couloir.

« Le rire de Garflied l’avait tétanisée — aussi s’était-elle figée, la blonde ; ses yeux s’ouvrant en grand. Je oui je ? Car elle ne savait pas quoi dire, car elle avait pensé être en faute — car elle avait été certaine qu’elle euh. Allait passer pour une tarée ? Alors ça lui faisait du bien, ce rire soudain ; un truc un peu irrépressible lui montait à la gorge alors qu’un sourire immense ne tarda pas à grignoter ses lèvres.

Mais ses joues s’étaient rosies — car au final la blonde n’était qu’une gamine, qu’une fille un peu paumée, ouais. Car ça lui faisait tambouriner le cœur dans sa poitrine de voir le brun heureux, comme si tout d’un coup elle avait accompli quelque chose d’incroyablement euh. Exceptionnel. « Je comment je — bah la magie ? » Et c’était totalement stupide, elle ne sachant pas trop quoi répondre à ce genre de questions un peu évidentes ; les bras surchargés de fringues et — et puis elle avait ri aussi, du coup. Car ça la dépassait, car ce genre de réaction la dépassait — car ça la faisait se sentir vivante et aimée et. Et bref.

Elle s’était retournée presque immédiatement lorsqu’il lui avait demandé, les neurones trop déconnectés pour aller chercher la petite bête. « Euh oui — tiens. » Sa propre maladresse soudaine la faisait un peu rire, alors elle laissa s’échapper le sifflement un peu étouffé mais content d’entre ses lèvres, tendant à l’aveugle les vêtements ; car sinon euh — ça allait pas être pratique, ouais.

Une respiration puis deux — l’air ébahi s’évanouissait peu à peu ; le remerciement ne fut qu’un ajout au tout et. Et puis Elise se retrouva, quoique plus légère, aussi ; comme si ce relâchement global l’avait un peu changée, tout au fond. « C’est avec plaisir, c’est cool de pouvoir t’aider ? Enfin je sais pas, on se croise souvent puis au final on se voit pas vraiment. Je trouve ça un peu dommage. »

Le tout balancé alors qu’elle fixait le vide, herm. Parfait. Elle avait l’impression de balancer le même discours à tout le monde et au final ça lui faisait de la peine, à réaliser un peu tard toutes les conneries qu’elle avait fait ; à trop être timide et — bref. « On devrait faire ça plus souvent. » Esquisse immense et complice, un peu farfelue, aussi : « Enfin pas toi à poil hein je veux dire juste ? Ca ? » Rire bizarre : « Puis sérieusement, il faut que je prenne en charge au moins euh. » Ce moment awkward ou la personne réalise que sa phrase est mal tournée et qu’elle doit tout recommencer. « Je veux dire, je compte pas te lâcher tant que tu maitriseras pas un sort de coloration et de duplicata. C’est vraiment tout con ? Enfin tu verras ! » Et puis ce n’était pas question d’être une andouille en sortilèges ou non ; plus une question de vouloir réussir et — bref. La blonde avait déjà géré plusieurs choupis, ça ne la dérangeait pas le moins du monde d’enseigner un peu — elle ne se jugeait pas trop mauvaise professeur ? Enfin. Sans non plus déborder d’égocentrisme et de confiance et bref. « Deal ? »

Elle n’avait pas pu s’empêcher de se retourner un peu, affichant ce genre de sourires étant à la fois complètement banaux et — et pourtant que trop dédicacé. Ce genre de machin qu’on ne faisait que dans une situation particulière ; pour une personne donné.


Un peu content, aussi.
Gamin.

Garfield s'habillait, hasardant parfois un coup d'oeil étonné vers Elise. Enfin, l'arrière de la tête d'Elise, parce qu'elle s'était retournée sans protester ; il ne se sentait pas trop ridicule, au moins, dans sa pudeur qui paraissait déplacée pour un garçon.

Elle le distrayait de ça, parce qu'elle avait l'air infiniment contente, peut-être de se sentir utile ? Si c'était ça, le rôle de préfète lui allait vachement bien, surtout avec son niveau magique. Elise n'avait pas l'air de se rendre compte que tout le monde ne pouvait pas faire ça. La baguette de Garfield n'avait jamais été une extension de son bras, juste un truc qu'on lui avait greffé sans trop lui demander son avis, sous prétexte qu'il était né avec la capacité de faire exploser des trucs et de transformer les cheveux de sa soeur en serpents quand il avait les nerfs. Chez la Serdaigle, ça avait l'air naturel.

- Ouais, enfin. Y a magie et magie quoi. Moi, à part faire apparaître des fleurs, hein.

Ce n'était pas dit avec amertume, mais il se sentait un peu con, parfois ; il se disait que son uniforme ça aurait dû être une cape en satin dégueulasse et un chapeau haut de forme, parce qu'il se spécialisait dans les sorts débiles. Il aurait probablement produit des lapins monstrueusement difformes s'il avait essayé d'en tirer du couvre-chef réglementaire, des horreurs avec des oreilles sur les pattes arrières et six paires d'yeux. Ceci dit, il vivait bien avec sa nullité. Il était juste admiratif ; elle n'était qu'un an au dessus de lui, mais il était impossible qu'il atteigne ce niveau en quelques mois supplémentaires. Il y avait magie et magie, oui, et lui ne voyait que les aspects pratiques et les problèmes qui en découlaient.

Boutonnant sa chemise, il l'écoutait parler, pouffant de rire par moment. C'était un peu stupide, probablement très psychologique, mais il se sentait un peu plus grand à mesure qu'il s'habillait, il retrouvait le peu d'aplomb qu'il avait habituellement.

- C'est bon, j'suis décent.

Elle se retournait à moitié, et il lui rendit un sourire reconnaissant. Sa chemise était en dehors de son pantalon, et sa cravate pendait sur ses épaules. Il s'accroupit pour lacer les chaussures, réfléchissant à ce qu'elle disait.

- Honnêtement, j'aurais jamais cru que c'était possible aussi facilement. Enfin les profs le font, mais c'est... Un autre niveau ? Je veux dire, c'est les profs.

Les vêtements étaient quasiment en tous points semblables à ceux qui avaient disparu, un tout petit peu plus larges mais il fallait probablement être dedans pour le remarquer. Pour Garfield, la maîtrise de la magie comme ça, c'était un peu l'âge adulte, le truc un peu flou dans l'avenir ; ça lui faisait déjà bizarre d'être un « grand » du point de vue des années inférieures, parce qu'il avait toujours été le petit poussin partout où il passait. Il serait peut-être un bon sorcier, mais pas aujourd'hui, parce que c'était plein de responsabilités. Elise, elle, semblait juste respirer magie et il se disait qu'elle était peut-être ce qu'on appelait une vieille âme. Le regard qu'il portait sur elle était un peu curieux. Elle n'était pas de ces gens qui représentaient à ses yeux la chaleur de sa famille de coeur, parce qu'il la connaissait mal, mais elle avait l'air volontaire, étrangement maladroite dans son aisance comme si elle oscillait entre deux âges, la prestance de l'adulte et les joues rosies de l'enfance. Du point de vue de Garfield, ça donnait un truc awkward entre le terrifiant et le mignon, et cet équilibre particulier pouvaient coller à pas mal de ses amis. Il sourit largement en se redressant.

- J'suis partant pour apprendre, mais je suis pas certain que t'auras la patience.

Il n'était pas compliqué ; il acceptait.