Viridus s'était installé dans la salle des professeurs. Habituellement, il aurait réquisitionné un elfe de maison pour transporter les piles de copies jusqu'à son bureau, mais il se trouvait que la cheminée dudit bureau était bouchée par Merlin seul savait quoi, et qu'en l'attente de réparations, il n'y avait pas de chauffage dans ses appartements. Il soupçonnait le concierge de prendre tout son temps pour lesdites réparations, d'ailleurs, mais il n'avait pas vraiment de preuve. C'était ainsi qu'il se retrouvait à travailler dans un lieu commun, à passer son temps libre à la bibliothèque et à ramper le plus vite possible sous sa couette le soir, une manière de vivre qui lui déplaisait au plus haut point. Il allait bientôt aller hurler chez Ronove, ça ne faisait pas un pli, mais en attendant, il puisait dans ses maigres réserves de patience.

Il avait de la chance, pour une fois, la salle des professeurs était vide. Était, comme dans « juste avant que la porte ne grince ». Il croisa les doigts, priant pour que la personne ne reste pas, qui que ce soit qui vienne troubler ce qu'il considérait, en bon sans gêne, comme son nouveau sanctuaire personnel. Il avait déjà envie de se masser les tempes à l'idée de dire bonjour.

... Et bien sûr, c'était le nouveau. Crotte de sombral. Viridus plissa le nez en voyant l'écharpe jaune, décidant d'emblée qu'il n'était pas digne d'intérêt, et reporta son attention sur les devoirs à corriger.

« Bonjour. »

On ne pourrait pas dire qu'il ne faisait pas d'effort. Cependant, le ton froid n'allait pas du tout avec l'image qu'il renvoyait, le bout de chou à genoux sur la chaise comme s'il coloriait sur la pile de papier devant lui au lieu d'y mettre des notes de quelques traits rouges. Désolant. Piètre. Affligeant. Exécrable. Ordinaire. L'échelle de valeurs selon le professeur Emerald, qui n'était visiblement pas de très bonne humeur. Non pas que ce soit un spectacle rare, mais celui qui venait d'entrer ne le savait pas encore.

Ou peut-être s'en doutait-il, puisque Viridus l'avait salué sans même daigner lever les yeux, en ignorant ses questions. Il avait une tasse de thé à côté de lui, profitant que la journée n'était pas trop avancée pour céder à cette envie sans que la théine n'empêche son corps d'enfant de dormir ; ce n'était pas le breuvage habituel des enfants de huit ans.

Malheureusement, l'homme semblait avoir envie de discuter. Viridus soupira, levant les yeux au ciel pendant qu'il parlait. Allons bon. Discuter avec ce qui ressemblait à un Poufsouffle en puissance, avec les cheveux verts qui plus est. Quelle stratégie choisir ? Il pouvait lui dire son âge et l'envoyer se faire voir, ou il pouvait jouer un peu, voyons voir... C'était tout vu. Sa bouille d'ange se fendit d'un sourire lumineux, parfaitement angélique, comme s'il s'éveillait soudainement d'un long sommeil.

« Oh pardon, je n'avais pas compris que vous vouliez discuter,», gazouilla-t-il joyeusement. « Bien sûr, ça doit vous surprendre... » Il pencha la tête sur le côté, image parfaite du petit garçon innocent. « Est-ce que je peux vous aider ? »

Tout le monde dans le château redoublait de méfiance quand Viridus était gentil, ça cachait toujours quelque chose, mais tout le monde savait aussi qu'il ne fallait pas insister quand il ne voulait pas discuter, et qu'il avait en fait trente-cinq ans. Il allait faire en sorte que le petit nouveau reçoive le mémo, mais pas avant de s'être amusé un peu.

Viridus pouvait allègrement dévisager son nouveau collègue, sous couvert de son grand sourire innocent ; ce truc-là marchait souvent, la ou les quelques premières fois où il croisait quelqu'un. Il était étonnant que personne n'ait mis le petit nouveau en garde, d'ailleurs. Gillian Twain aurait dû être collée à lui en battant des cils sous prétexte de lui faire visiter Poudlard. Sans doute était-il marié, à quelqu'un qui avait des goûts étranges.

Enfin, loin de lui l'idée de se plaindre. Il pencha la tête sur le côté, façon adorable chaton.

« Oh, les élèves parlent de moi ? Vraiment ? »

La curiosité n'était pas feinte, mais c'était plutôt quant à savoir pourquoi l'homme voulait discuter s'il avait entendu les élèves parler. Viridus ne se faisait aucune illusion, personne ne chantait ses louanges, entre le sale caractère, la position politique radicale et la masse de devoirs qu'il donnait pour la bête raison que corriger des copies occupait son temps trop souvent libre.

« Enfin vous ne me dérangez pas, asseyez-vous ! »

C'était définitif, si un autre collègue entrait dans la salle, ce serait un arrêt cardiaque instantané. Sauf peut-être s'il s'agissait du vieux tableau, ce truc était complètement gâteux. Viridus se mordilla la lèvre inférieure pour retenir un éclat de rire qui aurait certainement été parfaitement dédaigneux. Il était là depuis plus de dix ans. Il baissa la tête vers une copie à corriger pour dissimuler son expression, et le P rageur qu'il y traça rien qu'en voyant la maison contrastait sérieusement avec sa petite voix douce.

« On ne peut pas vraiment dire que je suis nouveau, j'ai pu explorer en long et en large. Mais oui, je comprends. Vous n'étiez pas élève ici ? »

Il avait réussi à retenir l'amusement dans sa voix, pour ne laisser percer que la curiosité dans la question. Il pariait sur Poufsouffle, à vue de nez. Une intuition.

Il posa sa plume pour prendre la tasse de thé entre ses petites mains, soufflant machinalement sur la surface malgré qu'un sortilège maintienne la boisson à la bonne température. Viridus, enfant ou adulte, avait toujours été excellent pour tirer le meilleur parti de son physique ; en cinq ans, il avait largement eu le temps de trouver tout un panel d'actions adorables pour tromper ses interlocuteurs.

Prenant une gorgée de thé, Viridus écoutait. Il avait une fille. C'était donc pour ça que la couguar du coin ne traînait pas dans son sillage, il avait vu juste. La pureté du sang... La gamine était toute jeune, et elle n'avait probablement rien compris.

« Ah oui, ce cours... C'est relatif au quotient magique, il est évident que le sang-pur donne un certain avantage. »

Il pouvait aussi parier que la gamine en question avait été recalée au dit cours, mais si le père n'était pas au courant, il n'allait certainement pas lui annoncer surtout si, comme Viridus le pensait, il n'avait absolument rien compris audit devoir.

« Vous avez des enfants alors ? Quel est le nom de votre fille ? » Il déposa sa tasse subitement, quoiqu'il n'en renverse pas une goutte. « D'ailleurs, je ne me suis pas présenté, même si vous semblez me connaître. » Il tendit une petite main, en retenant très, très fort un rictus. « Viridus Emerald, enchanté. »

Viridus prenait des notes mentalement. Il était le nouveau professeur de métamorphose, ce qui les amènerait peut-être à travailler ensemble à un moment ou un autre, vu la proximité des matières. Il soupira mentalement, un peu blasé de l'habituel manque de compétence du directeur quant au choix de ses collègues. Enfin, ils étaient généralement compétents, mais on commençait à collectionner les serpillières et les cas sociaux. Il ne s'excluait même pas du lot ; même s'il jugeait qu'il n'était pas un mauvais professeur vu que même les Poufsouffles finissaient par faire de la magie plus ou moins correctement, il savait qu'il n'était pas exactement la gentillesse incarnée. Contrairement à ce qu'il essayait de faire croire à ce moment-là, en hochant la tête avec un sourire candide.

Il avait déjà croisé la gamine. A voir la différence, ça le rendait curieux de voir la mère, effectivement. L'enfant n'était pas spécialement brillante, mais avec une volonté pareille, elle irait probablement très loin.

« Aucun problème avec votre fille. Une enfant charmante. » Pour une fois, ce n'était pas un mensonge. D'ailleurs, à bien y regarder, Viridus taisait beaucoup plus souvent des « détails » qu'il ne mentait réellement. « Vous savez, je suis le directeur de la maison Serpentard, je ne vais pas décourager l'ambition, ce serait vraiment contre-productif. J'aime penser que certains des élèves pourront faire de grandes choses plus tard. Je sais que je suis parfois dur avec eux, mais c'est pour leur bien, il faut un équilibre entre les professeurs. Certains les pouponnent, j'ai choisi de les pousser un peu. »

C'était dit de manière totalement innocente, mais il se disculpait sciemment de tout ce que les élèves pouvaient raconter dans son dos. Si son nouveau collègue était aussi naïf qu'il n'y paraissait, toute médisance deviendrait automatiquement une exagération de la part des adolescents qui ne savaient pas où se situait leur intérêt. Et puis, ce n'était pas totalement faux non plus. Pousser un peu les élèves c'était dans ses habitudes, même si c'était plutôt dans le lac que vers un avenir radieux.

La réponse à son autre question lui fit automatiquement serrer les dents, malgré qu'il ait vu juste sur la maison. Flavia Mantis, hein ? Il ne se départir pas de son expression enfantine, mais ce fut tout juste. Il se contrôlait mieux que Waltham ; l'imbécile rougissait. Un peu comme son nom sur la liste de relations de Viridus si cette expression signifiait bien qu'il regardait sa Flavia d'un peu trop près. Laissant échapper un petit rire tout à fait approprié à son apparence, il hocha une fois de plus la tête, d'un air compatissant.

« Ah oui, le professeur Mantis. » Il fallait qu'il joue bien son jeu. « Je dois vous avouer que nous ne sommes pas en très bon termes, elle et moi. Je pense que ça a quelque chose à voir avec la rivalité entre maisons, c'est un peu triste. Vous savez que les élèves font courir des rumeurs à notre sujet, en plus ? »

C'était le moment de pousser encore un peu le bouchon.

« Selon certaines sources, il paraît que j'ai trente-cinq ans, et qu'elle m'a transformée en enfant avec une potion parce que je l'ai 'trompée'. » Il fit le mouvement de guillemets avec ses mains, accentuant le ridicule de la chose. « Je n'ai pas trop compris à quel sujet, d'ailleurs, ce n'était pas comme si elle me donnait les réponses de ses examens pour que je les distribue. Elle ne fait rien pour démentir. Je crois que ça la fait rire. »

Il s'appliqua à prendre un air de pauvre chaton tout triste, presque des larmes dans les yeux. Les élèves étaient vraiment méchants avec lui, adorable petite chose qui ne comprenait même pas le fond de ces rumeurs atroces. Il y avait fort à parier qu'en plus, le caractère de Flavia jouerait en sa faveur sans même qu'elle s'en rende compte.

Viridus irait probablement hurler de rire dans les cachots après cette conversation, pour que personne ne l'entende.

Dés l'instant où la tasse avait quitté les mains de son nouveau collègue, Viridus avait compris que c'était dans la poche. Il s'agissait de ne pas tout faire rater maintenant, et il allait parvenir à le convaincre que Flavia était vraiment quelqu'un de détestable. Tout bien réfléchi, Flavia était quelqu'un de détestable, mais elle était bien trop belle pour son bien. Pas son bien à elle, celui de Viridus qui devait se battre sur deux fronts à la fois, lui rendre la vie impossible ET éloigner les potentiels prétendants. C'était épuisant. Se dire que ça aurait pu être pire n'aidait pas, parce que si elle n'avait pas eu le caractère d'un foutu cerbère elle n'aurait pas été digne d'intérêt. Triste histoire d'un nain ayant jeté son dévolu sur une harpie. Un nain diva, au vu de ses opinions sur la question.

Le specimen devant lui n'était au moins pas très difficile à persuader. Viridus s'appliqua à faire les plus grands yeux possibles, et à les rendre bien humides. C'était facile ; en cinq ans, il avait appris à pleurer sur commande, parce que c'était une des expressions les plus utiles.

"Vous... Vous me croyez ?"

Lèvre inférieure tremblotante, petite voix incrédule, c'était la totale. On aurait dit qu'on venait de lui annoncer que Noël était en avance et qu'il essayait de se persuader que ce n'était pas une blague.

"Je suis tellement content. Personne ne me croit jamais. On me dit que je parle trop bien pour un enfant, et comme le professeur Mantis dit jamais que c'est faux ils -"

Il ne pleurait pas vraiment, évidemment, mais il fit quand même mine de s'essuyer les yeux avec la manche de sa robe de sorcier. Il savait qu'il était mignon, et il pouvait mettre sa main à couper que Waltham avait la fibre paternelle, au vu de son attitude concernant sa gamine. Viridus lui-même aurait peut-être hésité à être méchant en entendant une petite voix se casser comme ça au milieu d'une phrase. Après tout, il aimait bien les enfants, dans le stade précédant leur transformation en insupportables adolescents.

"Je suis vraiment content de vous avoir rencontré. Je suis sûr que vous êtes un très bon professeur."

Baissant les yeux vers le tas de copies qu'il avait encore à corriger, il rougit un peu, comme s'il était profondément désolé de ce débordement d'émotions. Ce fut heureux, parce que ce fut le moment que Flavia Mantis choisit pour venir se chercher une tasse de thé. Comme tous les après-midis, si on écoutait le planning que Viridus avait peut-être, ou peut-être pas, appris par coeur. Il y eut quelques minutes de silence, pendant lesquelles la directrice de Poufsouffle les ignora royalement avant de repartir comme elle était venue. Et, accessoirement, pendant lesquelles Viridus essayait désespérément de contrôler le fou rire qui le faisait trembler. Heureusement, il pouvait regarder intensément son tas de parchemins ; d'un point de vue extérieur, il aurait très bien pu retenir des sanglots à la vue de sa persécutrice.

Dés qu'elle fut partie, il reporta son attention sur Sven, avec un minois peut-être encore plus malheureux qu'avant l'interruption.

"Vous voyez ? Elle ne dit même pas bonjour."

Quel comportement abominable, ne pas saluer ses collègues. C'était inacceptable, vraiment.

"Elle est vraiment méchante." Il avait craché le mot avec la hargne de l'enfant qui déteste son institutrice. "... Mais vous la connaissez, que vous m'avez dit !" Il avait tout à coup l'air très inquiet, limite paniqué. "J'espère qu'elle ne vous a rien fait de mal ! Je... Si elle vous faisait partir..."

Viridus s'amusait beaucoup trop sous son expression terrifiée, ç'en était carrément indécent. Il y avait un bon moment qu'il n'était pas tombé sur quelqu'un qui ne se méfie pas de lui et qui ne soit pas un élève de première année. Il se demandait combien de temps ses mensonges allaient tenir face à tout le château qui dirait le contraire - enfin, pas sur le fait que Flavia était un tyran, mais sur tout le reste il y avait matière. Dans tous les cas, les paris étaient ouverts.

Waltham se mettait en colère, et Viridus avait l'impression d'avoir touché le pactole. Il était probable qu'il ne croirait pas ceux qui tenteraient de dévoiler ses mensonges, à présent qu'il croyait dur comme fer à des rumeurs. Par contre, au sujet de Flavia, ça marchait déjà moins bien. C'était probablement en lien très serré avec l'envie que Viridus avait de lui arracher les yeux - et pour une fois, "lui" désignait Waltham, pas Flavia elle-même.

De quel droit la regardait-il comme ça ?

Heureusement, il était maître de lui-même, et il lui adressa une petite moue froissée plutôt que le regard de la mort que les élèves connaissaient bien.

"Je ne sais pas trop... Elle était à Poudlard il y a longtemps, quand même..." L'insinuation était évidemment volontaire. Il se redressa brusquement, comme s'il prenait conscience de son erreur. "Enfin, je ne veux pas dire que vous êtes, euh, vieux, mais. Vous avez une fille qui est plus âgée que moi, et. Oh, je ne dis que des bêtises, je suis désolé."

Il se laissa retomber sur sa chaise, ramenant ses genoux contre lui, ce qui lui faisait grincer des dents mentalement. Enfin, il fallait bien se donner les moyens de ses mensonges, mais ce n'était vraiment pas digne de lui.

"Quand quelque chose ne lui plaît pas, elle le dit. Là, elle ne fait rien, et puis elle me sourit comme si c'était de ma faute. Elle me parle comme si c'était vrai."

Viridus regarda son collègue en coin, avant de détourner les yeux. Il ne savait pas encore rougir sur commande - il y travaillait - mais regarder ailleurs faisait presque le même effet.

"C'est vrai que je ne suis pas toujours très gentil quand je répond à ce qu'elle dit, ou aux élèves, mais ça dure depuis longtemps, et j'ai essayé de lui expliquer mais elle veut pas écouter."

Sur ce timing parfait, il enfouit son visage dans ses bras, qu'il avait croisés contre ses genoux. Une vraie reine (naine) du drame. Il put enfin s'autoriser à sourire largement, malgré son irritation envers le regard baladeur de l'autre truffe.

"J'espère vraiment qu'elle sera gentille avec vous, parce que moi, j'en peux plus."

Pas trop gentille quand même, sinon ce n'était pas les yeux qu'il allait arracher à Sven, mais ça, évidemment, il valait mieux éviter de le dire à voix haute. Il renifla pour faire bonne mesure, avant d'hasarder un oeil humide hors de la cachette de ses bras à la proposition finale.

"Vous feriez ça...?", fit-il sur le ton de celui qui a trouvé un allié inespéré, "... Non. Je ne peux pas vous embarquer là dedans, ça finira par s'arranger. Monsieur Bumblebee m'a dit que si j'avais trop de mal parce que je suis tout petit, il me donnerait des potions de vieillissement, pour que j'aie l'air d'un vrai professeur. C'est pas juste. Je suis un vrai professeur."

Et voilà la justification pour le cas-où, très bien placée. Il s'agissait de parer à la moindre éventualité.

"Vous êtes vraiment gentil, Professeur Waltham, mais je ne veux pas que vous ayez des ennuis. C'est vraiment une harpi-" Il se mordilla la lèvre inférieure. "Pardon, je ne suis pas très poli."

Un jour, Viridus allait ouvrir un club de théâtre à Poudlard.