Grayson rodait dans les couloirs. Il était d’une humeur tout à fait massacrante, puisqu’il avait fait le fier et décidé de ne pas répondre au questionnaire des résidents… Et n’avait, en conséquences, eu aucune surprise vraiment cool. Toute la journée, il avait entendu les histoires des gens qui se transformaient, qui avaient des piscines de gallions ou la chance de revoir les gens qu’ils aimaient… Et lui n’avait rien, parce qu’il était vraiment con quand il s’y mettait. Du coup, il avait brisé le plus possible de rêves de gens – il en était à un réveil supposé permettre de remonter le temps, deux tentatives de baisers au milieu desquels il avait surgi et un jeu vidéo moldu… Mais qui souhaitait des trucs moldus de toutes façons ?

Et puis, au milieu de son errance machiavélique de la journée, il avait entendu parler d’une fille avec des lunettes qui pouvait dénuder les gens. Et il s’était dit que, vraiment, foutre tout Poudlard à poil était une idée géniale, et qu’il aurait bien aimé avoir ce cadeau. Secouant quelques faibles ici et là, il avait fini par avoir une identité : Astrid Morgan, une fille de sa classe. Une Serpentard. C’était une nana assez sévère, qu’il n’avait jamais vraiment embêtée, parce qu’elle n’avait pas l’air du genre à se faire facilement manipuler. Mais cette fois, c’était décidé : pour les lunettes qui déchiraient les vêtements, il la coincerait dans un couloir et assumerait les conséquences. Ou alors, il viendrait juste derrière elle, lui volerait les lunettes, la pousserait et partirait en courant dans un rire fort et moqueur. Une idée bien plus judicieuse, et bien moins risquée, même si la toute petite verte ne pourrait probablement rien faire s’il décidait de la plaquer contre un placard – une histoire de 40 cm de différence.

Justement, elle était là. Grayson, seul pour une fois, s’approcha à pas de loups – une entreprise difficile quand on mesure quasiment deux mètres de haut et qu’on est taillé comme une armoire à glaces – et abattit ses mains, tel un aigle royal fondant sur sa proie. Il attrapa les lunettes avec la délicatesse d’un Dirico, en tordit donc une branche au passage, les souleva, poussa la pauvre petite Astrid qui vint s’écraser sans aucune délicatesse contre le mur – quoiqu’on en dise, Wentworth ne savait vraiment pas contrôler sa force d’ogre – et partit en courant dans un rire très, très, très fort. Comme il l’avait prévu. Il avait les lunettes magiques et allait pouvoir dénuder tout le château d’un simple regard, ce qui promettait de rattraper l’injustice de ne pas avoir eu de cadeaux avant.

Ses réflexions en étaient là quand il sentit un soudain courant d’air dans une zone qu’on appellera chastement « l’entre-deux joyeux Boursoufs ». « L’entre-deux joyeux Boursoufs » était normalement une zone chaude, humide et protégée, histoire d’éviter que les dits Boursoufs, fort petits, n’attrapent la moindre maladie, et qu’ils puissent continuer à évoluer gaiement dans leur monde. En effet, comme tous les hommes, Grayson était très attaché à la réactivité de ses deux Boursoufs. Ce courant d’air lui mit immédiatement la puce à l’oreille, et c’est d’un air circonspect que le pauvre Gryffondor baissa les yeux pour observer la situation.

Oui, il était bel et bien nu, révélant « l’entre deux joyeux Boursoufs » aux trois péquenauds morts de rire du couloir, et à Astrid, qui devait sûrement être à l’origine du problème. Bien décidé à répliquer, Grayson enfila les lunettes et se mit à jeter des regards furibonds à tous-vas en criant :

« C’est ça, rigolez, vous allez voir ce qui va vous arriver ! »

Et puis, après deux-trois œillades appuyées, répétées et intensifiées, il comprit enfin. Les lunettes n’étaient pas si magiques, et il était le seul boulet à poil au milieu du couloir. Et, évidemment, ça ne pouvait être que cette Astrid de mes deux qui en était responsable. Très énervé par la honte qu’il venait de se prendre, Grayson décida que c’était à lui de rendre la pareille à la Verte. Il revint vers elle et lui demanda, d’un ton sec et absolument pas poli :

« Eh sale Clabbert, tu crois qu’tu peux déshabiller les gens comme ça dans le couloir ? Ben moi aussi, alors maintenant, tu vas me filer ta cape bien gentiment pour me protéger, et ensuite j’m’occuperai de t’enlever ton pull moi-même, ya pas d’raisons. »

Wentworth était, décidément, un maître de l’art oratoire.

Grayson avait toujours été un Adonis aux muscles d’albâtre briseur de cœurs. Il le savait : il était magnifique. Une stature altière, des muscles bien dessinés, une très forte propension à se balader le plus souvent à moitié à poil possible… Il n’avait pas conscience que sa personnalité déplorable gâchait un peu ses atouts, et était, de ce fait, persuadé qu’Astrid pouvait le voir malgré ses yeux fermés et le tâtait par plaisir plus que par nécessité. Elle était pas dégueu, la Serpentarde. Ce n’était, clairement, pas la fille la plus sexy de Poudlard, mais elle avait sa popularité, et Wentworth aimait l’idée de mettre un tigre aussi sauvage qu’elle en cage. C’était donc en faisant rouler ses biceps qu’il accepta les caresses de la jeune Morgan, sans se douter un seul instant du dégoût qu’elle ressentait, et de ce qu’elle s’apprêtait à faire.

Elle remonta sur son torse, effleura son visage et vint lui enfoncer un poing sous le menton. Ah. Il était donc encore très loin de l’avoir séduite. Un peu déboussolé par la situation imprévue – Gray n’était vraiment, mais alors vraiment pas une flèche – le Gryffondor vacilla légèrement. Très légèrement, parce qu’elle devait peser moins de la moitié de son poids, et que même en y mettant toute sa force, elle ne pourrait pas faire grand chose de lui. Elle avait, d’ailleurs, plus de puissance que ce qu’il avait pu penser. C’était très impressionnant, même si ça le mettait dans une rage noire – et qu’il commençait à avoir vraiment froid à ses deux Boursoufs. Il écouta la réplique nerveuse d’Astrid d’une oreille distraite, avant de déclarer, bêtement :

« Oh mais c’est qu’elle est fougueuse la verte. »

Un rire gras, très caractéristique du personnage, ponctua cette phrase, avant qu’il ne l’écrase de tout son poids contre le mur. Nu. Pas louche comme situation. Peu délicatement, il tapota sa joue d’une main lourde – petit geste qui lui donnerait le temps de se concentrer sur sa réplique suivante. Parce qu’il ne fallait pas trop lui en demander. Et puis, finalement, il décida d’attraper sa cape et de tirer d’un coup sec pour l’en détacher, avant de se l’attacher autour de la taille. Les trois autres badauds avaient compris qu’il ne valait mieux pas l’énerver – ou alors ils avaient autre chose à faire – et avaient déserté les couloirs.

« Je continue à te déshabiller ou tu te calmes ? »

Il avait perdu les lunettes, avec cette histoire de coup de poing dans le menton… Où pouvaient-elles bien être ? Peu inspiré, Gray balaya son regard par terre, à la recherche d’une idée judicieuse pour punir Astrid de son pathétique coup de poing. Il avait bien envie de l’attacher à un poteau dans le parc, et de la laisser déshabiller du regard tous les passants. Elle n’avait pas l’air d’aimer ça, déshabiller les gens. Etrange. Oh. Il la déshabillerait avant, quand même. Histoire qu’elle ai bien honte aussi. Un sourire étrangement charmant marqua son visage – il avait presque l’air séduisant quand il paraissait machiavélique. Et qu’il ne parlait pas.

Deux heures de colle. Grayson avait déjà assez de retenues pour tenir jusqu’aux vacances de février : il était plus ou moins habitué à la chose… Surtout que Ludovic, son préfet, ne lui passait rien. Et il était assez imaginatif en terme de retenues, tant et si bien que le Gryffondor s’était retrouvé dans des situations assez compromettantes, aidant régulièrement les elfes de maison à nettoyer le château. C’était inutile, comme punition, mais ça l’agaçait profondément, et ça, son Préfet le savait. Aussi, en entendant la sentence d’Astrid – deux heures seulement ? Petite joueuse ! – se contenta-t-il d’un mouvement d’épaules qu’elle ne pouvait sûrement même pas voir, étant donné qu’elle avait les yeux fermés. Elle était mignonne, quand elle s’énervait comme ça, et la tentation était bien trop forte pour le sixième année. Il aimait bien agacer les gens. Vraiment. Alors, il dit, dans une phrase qui faisait ressortir toute sa civilité :

« T’es bonne quand t’es vénère. »

Ouais. Gray n’était décidément sexy que la bouche fermée, et malheureusement, il l’ouvrait souvent. Pour dire des choses comme ça. Prévenant, il se recula d’un pas, jambes légèrement fléchies, prêt à parer un éventuel coup qui risquait de revenir. Il avait relativement mal au menton, mine de rien – surprenant – et il n’avait pas envie qu’elle lui casse le nez également. Parce que si on lui enlevait sa beauté, lui-même savait qu’il ne lui resterait pas grand-chose dans la vie. Un sourire d’autosatisfaction sur les lèvres, il aperçut enfin les lunettes. Chouette, il allait lui aussi pouvoir déshabiller les gens – quelle joie ! Tout heureux, il attrapa la paire de lunettes de soleil, l’enfila, regarda Astrid… Et. Rien. Rien du tout. Enfin, les trois neurones encore restants dans son cerveau d’hybride mi-homme, mi-troll pour le côté stupidité se connectèrent. Les lunettes étaient là pour empêcher le pouvoir de dénudation. Pas pour le contrôler. Quelle tristesse, et il avait pris deux heures de colle pour rien du tout.

« Elles sont nazes, j’en veux plus. »

Il tendit la main, les lunettes dedans, et les fit volontairement retomber… Par terre. Quitte à ne pas avoir ce super pouvoir qu’il désirait tant, autant s’amuser un peu. Et voir Astrid tâtonner dans l’espoir de retrouver ces fameuses lunettes de soleil qui devaient la rendre quasiment aussi aveugle que là avec les yeux fermés était une idée réjouissante. Désabusé et relativement placide – c’était souvent mieux que quand il était énervé, tout de même – il déclara :

« Oups, j’les ai fait tomber. »

Sous-entendu : débrouille ma vieille.