Elizabeth n’allait jamais à la bibliothèque. On pourrait dire que c’était contre sa religion. Ouvrir un livre ? Peuh ! Ca, c’était pour les gens qui n’avaient pas de vie. Franchement, qui préfèrerait passer son temps à lire alors qu’ils pourraient, je sais pas, faire un masque à leurs cheveux tous secs, ou parcourir les magazines de mode sorciers. C’était vraiment une perte de temps. Mais là, aujourd’hui, Elizabeth était investie d’une mission. Enfin, deux, pour être exacte.

Déjà, elle avait un devoir de métamorphose à rendre pour le mardi suivant, et elle n’avait encore trouvé personne pour le faire à sa place. Ca commençait à devenir urgent. Elle ne voulait pas que celui qui ferait son devoir soit pressé par le temps et n’y mette pas tout son coeur, quand même ! Elle avait des principes - et un nouvel hippogriffe dans l’écurie de ses parents si elle arrivait à avoir un A en métamorphose.

Ensuite, et c’était surtout ça qui la désespérait, elle n’avait toujours pas de cavalier pour le Bumblebee Day. Et ça, c’était intolérable. Surtout que cette fois, on lui avait assuré qu’elle garderait tous ses attributs féminins (l’année passée, elle avait fui la salle de bal, outrée, et n’avait plus jamais osé parler à son partenaire, le seul à l’avoir vue avec des poils au menton), et que ce serait une soirée distinguée. Somme toute, l’endroit idéal pour jouer sa princesse. Alors, il lui fallait un cavalier digne de ce nom.

Elle avait donc décidé de faire d’une pierre deux coups. Trouver un cavalier approprié, et lui demander de faire son devoir de métamorphose - comme ça elle testerait son intelligence et son sens des affaires. Voilà. Quel bon plan ! Elle s’en autocongratulait encore quand elle entra dans la bibliothèque, la porte grinçant sur son passage. Bon. Voyons voyons… Un groupe de premières années, eurk, ça devrait pas être permis d’être aussi petit… Un grand Septième année bien bâti, mais non, trop grand, les photos seraient horribles… Ah, tiens, il y avait ce mec, là, celui avec un prénom de fille, qui était dans son année. Elle l’avait toujours trouvé pas trop mal, mais bon, trop sérieux. Ca pouvait être un avantage néanmoins, vu ce qu’elle avait en tête. Oui, ça va, il était plutôt mignon en y regardant de plus près. Il manquait un peu de muscle, mais à quoi d’autre s’attendait-elle venant d’un rat de bibliothèque ? Elle ne trouverait sûrement pas beaucoup mieux. Soupirant, elle sortit son miroir de poche, arrangea un peu sa coiffure, fit un clin d’oeil à son reflet, puis s’avança d’un air déterminé vers la table du Serdaigle, un sourire aux lèvres, l’air enjoué.

« Salut toi ! » Des murmures désapprobateurs parcoururent la salle. Ah ouais, fallait chuchoter à la bibliothèque. Elle leva les yeux au ciel. Cet endroit, c’était vraiment un enfer. Elle remit cependant bien vite son sourire de circonstance. Parlant plus bas, elle ajouta : « T’as déjà fait le devoir du professeur Waltham ? Ah et sinon, comme t’as l’air plutôt potable comme mec, on peut aller au Bumblebee Day ensemble. T’es comment en costume ? » Elle plissa les yeux, essayant de s’imaginer de quoi il aurait l’air. Elle ne voulait pas que son cavalier ait l’air d’un pingouin tout de même. « Il te faudra quelque chose de bien coupé, je connais un tailleur qui fait des miracles. »

Le « oui » de Kate avait été tout à fait accessoire. Elizabeth n’aurait jamais accepté qu’il dise non de toutes façons - et pourquoi l’aurait-il fait ? Elle était belle, riche, bien maquillée et ses parents étaient pleins aux as. La cavalière idéale, en somme. Du côté de Kate, c’était moins reluisant. Certes, il n’était pas désagréable à regarder, mais il passait vraiment beaucoup trop de temps le nez dans des bouquins, c’était désespérant. Il était tout pâle, du coup, même pas un petit hâle estival, rien de rien. Et puis, il n’avait pas beaucoup d’ambition, et il était loin d’être populaire, alors ça n’aiderait même pas Elizabeth à faire des connexions plus respectables. Non, il ne ferait jamais un petit copain potable. Mais pour un rencard de dernière minute, il ferait l’affaire. C’était toujours mieux que d’aller à une telle soirée en… célibataire. Urgh. Rien que l’idée lui donnait des boutons. Et l’idée que l’idée lui donnerait des boutons la fit compulsivement son miroir de poche, se regarder dedans, trouver sa peau parfaite comme d’habitude, sourire et ranger le miroir dans son sac.

Du coup, toute à ses pensées, elle avait oublié d’écouter Kate. Mais bon, c’était pas comme si ce qu’il avait à dire était d’importance, après tout, tant qu’il était ponctuel et qu’il ne venait pas dans une de ces horribles robes de bal démodées depuis l’an 40, tout irait bien. Tout à coup elle eut un doute. Il n’allait pas lui faire un coup pareil quand même. Elle s’assit en face de lui et lui demanda d’un air inquiet :

« Tu possèdes bien un costume digne de ce nom, hein ? Pas un truc hideux porté par ton grand-oncle ? » Elle le jaugea du regard et décida de prendre les choses en main. Levant les yeux aux ciel avec un soupir, elle ajouta : « T’occupe. Je te commanderai un truc. » Elle continua à réfléchir à voix haute, d’une voix pragmatique : « T’as de beaux yeux marrons, faudrait les mettre en valeur. Je dirais… Un costume brun ou taupe, avec une chemise blanche, pour la classe. Hum, oui, ça t’ira bien. »

Quant à lui, il avait l’air d’avoir des exigences aussi, ce qu’elle trouvait particulièrement déplacé parce qu’elle l’autorisait quand même à venir au bal en sa compagnie, déjà. Maintenant, il ne voulait même plus faire son devoir.

« C’est pas très sympa tu sais. Tu pourrais te faire de l’argent en plus. » Décidément, il était loin d’avoir l’ambition qu’il fallait à un petit-ami digne de ce nom. « T’as de la chance d’avoir des amis avec une attitude pareille. » Quoique, elle n’était pas sûre qu’il en ait tant que ça, des amis.

Kate avait l’air agacé et Elizabeth trouvait ça fort, quand même. Après tout, elle avait fait l’effort de l’inviter elle-même au bal (alors qu’un gentleman aurait pris les devants), elle s’intéressait assez à lui pour lui donner des conseils de mode (bon, d’accord, c’était aussi - surtout - pour qu’elle n’ait pas l’air d’aller à la soirée avec un loser, mais bon) et il se plaignait ? En plus, elle n’était pas sûre du tout qu’il sache se fringuer convenablement. Avec une moue dubitative, elle le jaugea de nouveau. C’était simpliste comme tenue, quoi. Et un peu cheap (comprendre : il n’avait pas dépensé cent gallions par article).

« Hum… Oui, ça passe. » Capitula-t-elle. « Mais je compte mettre une robe mauve, fais gaffe à ce que ta tenue ne clash pas. Et porte quelque chose de neuf, je t’en prie, je n’ai pas envie de sentir la poussière toute la soirée, le vintage c’est tellement 2013. »

Il ne se rendait pas compte, sûrement, que ces mots arrachés à la bouche d’Elizabeth étaient une grande preuve de confiance, mais c’était le cas. Avec quelqu’un d’autre, elle aurait sûrement insisté pour choisir elle-même la tenue de son cavalier, quitte à l’accompagner à Pré-au-Lard tous les week-ends jusqu’à la soirée. Mais bon, elle avait toujours des préoccupations.

« Bon, et j’espère que tu sais te tenir avec des gens importants, hein. Il y aura le Ministre de la Magie à cette soirée, après tout. Et évite de parler de bouquins. Privilégie les histoires courtes qui peuvent faire rire mais ne sont pas déplacées… » Non de Merlin, qu’elle espérait qu’il saurait se tenir ! Peut-être qu’à cette soirée, elle rencontrerait un jeune homme plein d’ambitions, et très beau garçon bien sûr, qui serait jaloux de ne pas l’avoir à son bras, une histoire peut commencer si facilement dans ce genre d’occasions ! Tant que son cavalier savait se conduire, bien sûr…

Quant à son attitude, elle ne regardait que lui, certes… Tant qu’ils n’étaient pas à la soirée. Mais bon. Elle laisserait passer ça. Après tout, ça ne lui importait pas tant d’avoir une note excellente à son devoir, elle pourrait passer par un de ses « employés » habituels. Elle haussa un sourcil dubitatif lorsqu’il lui parla de ses amis sincères, cependant. Déjà, parce que les amis sincères, ça n’existe pas. On n’est jamais ami juste comme ça, il faut toujours qu’il y ait des faveurs qui viennent de part et d’autre rendre l’échange intéressant pour les deux partis. Elle n’aurait pas cru qu’il fasse partie d’un de ces idéalistes qui pensent que les relations humaines puissent exister sans arrière pensées.

« Eh bien, tant mieux pour toi, c’est… » Elle eut un élan d’espoir tout à coup. « Tu n’aurais pas des gens… importants, parmi tes amis, par hasard ? »

Kate avait sûrement voulu se moquer d’Elizabeth en l’appelant princesse, mais en fait, maintenant qu’elle y pensait, Elizabeth, elle se trouvait très princière. Elle était belle, bien maquillée, elle savait ce qu’elle voulait, elle était riche, un bon parti en soi… Oui, ce n’était pas étonnant de dire qu’elle était une princesse. Elle ferait une très bonne princesse, même. Peut-être que si elle épousait un noble… Ca lui plairait plutôt, de vivre dans un château. Ca en jette, les château. Bref, perdue dans ses pensées, elle avait laissé son regard et son attention vagabonder jusqu’à en oublier son interlocuteur.

« Ah, oui. Du neuf, parfait. » Dit-elle avec un grand sourire.

Contente de voir que Kate acquiesçait à toutes ses demandes comme un cavalier bien élevé, elle se félicitait de son choix. Il ferait un bon faire-valoir - et, après tout, c’était tout ce qu’elle lui demandait. Qu’il ne lui fasse pas honte et qu’il la mette en valeur. Parce qu’être jolie, c’était tout ce qui importait, non ? Comme ça lui arrivait de temps en temps, Elizabeth avait ce drôle de sentiment, comme s’il lui manquait quelque chose, comme si elle avait un truc sur le bout de la langue mais qu’elle ne savait pas quoi. C’était une sensation assez désagréable, alors comme d’habitude, elle choisit de l’ignorer.

Elle éclata d’un rire cristallin à la remarque de Kate, qui lui valut de nouveau des regards noirs des autres occupants de la bibliothèque. Qu’en savait-il, si elle avait des amis ou non ? Elle était un peu vexée, en réalité, mais elle le camoufla tant bien que mal avec un sourire condescendant. Il voulait taper fort ? Elle savait faire aussi.

« Peut-être que si tu t’intéressais un peu plus aux familles des gens que tu rencontres, tu ne serais pas aussi pauvre. » Dit-elle d’un ton léger avec un regard vaguement condescendant. « Bon aller. Rester aussi longtemps dans un lieu avec autant de poussière, c’est pas bon pour mon teint. Préviens moi si tu changes d’avis pour le devoir de métamorphose ! »

Puis, sans un mot de plus, elle se leva et sortit de la bibliothèque.