San soupira. Oh, non, Icarus ne lui ferait pas de mal. Le petit préfet parfait n’était pas violent, non, il tendait l’autre joue, il s’énervait mais n’en faisait rien, de toute cette rage, elle commençait à s’ennuyer de nouveau. Il n’était vraiment pas marrant, finalement. Il était persuadé, aussi, que sa préfète n’aurait rien à redire de son attitude ce jour-là, qu’elle le croirait sur parole, que leur petit couple survivrait sans la moindre dispute. Un long fleuve tranquille. Encore un peu et Sanaé allait piquer du nez, vraiment.

Voyons si on pouvait rendre les choses plus intéressantes.

Mais voilà qu’Icarus agitait sa baguette et lui lança… un Finite Incantatem ? Ah, il pensait donc qu’elle était ensorcelée… Les yeux ronds de surprise, Sanaé le fixa un instant. Et puis, une idée macchiavélique lui vint. Elle retint un énième sourire carnassier qui l’aurait trahie. Au contraire, elle décida de tester ses talents d’actrice… Ou bien la crédulité d’Icarus. Elle regarda autour d’elle, l’air hagard, comme si elle ne savait pas où elle était, puis reporta son regard vers Icarus, qui avait toujours sa baguette pointée vers elle.

« I… Icarus ? » dit-elle d’une voix hésitante. « Qu’est-ce que… Depuis quand tu es là ? Pourquoi tu pointes ta baguette vers moi ? Tout va bien ? »

A l’extérieur, elle prenait bien soin de paraître aussi étonnée et innocente que possible. A l’intérieur, elle était ravie. Un charmant retournement de situation pour son petit jeu. Voyons comment le Serpentard allait réagir maintenant. 

Sanaé avait changé. Elle le savait. Elle n’était plus la même gamine effrayée par l’échec, elle se fichait de tout, elle ne demandait qu’à s’amuser un peu, se divertir dans un monde si gris et terne, si horriblement ennuyeux… Mais la magie qui l’avait changée, elle qui n’avait jamais connu l’ennui en cinq ans à écumer la bibliothèque de Poudlard armée d’une détermination farouche, lui avait aussi donné ce qu’il lui fallait à présent : une source de divertissement. En la personne d’Icarus. Et quand elle avait commencé à se lasser de son petit jeu, les circonstances lui en avaient fourni un second. Vraiment, le monde avait du bon, parfois.

Alors pour le bien du jeu, Sanaé avait rangé ses regards mauvais, ses sourires carnassiers et ses piques assassines au placard. Ramenons donc la gentille, l’incapable Sanaé. Testons nos talents d’actrice, un peu.

« Je… me sens… bizarre. » inventa-t-elle, d’une voix qu’elle voulait tout juste étonnée de la question comme des circonstances. Ne pas faire l’erreur de dépeindre une Sanaé trop amical, trop émotive. L’ancienne Sanaé est distante, elle l’a toujours été. « Oui, bien sûr que c’est moi. Je… je n’étais pas moi ? » Froncer les sourcils, faire comme si tout ça lui était inconnu. Elle s’en sortait bien jusque là. Pas trop inquiète, pas trop rassurée, tout est une question de dosage.

« De quoi suis-je sensée me souvenir ? J’ai fait quelque chose ? » Là, voilà, une petite dose d’inquiétude. Oui, rougis un peu, tout en faisant croire que tu essayes de garder ton visage impassible. Sanaé était plutôt contente. Tout se passait bien. « Dis-moi ce qui s’est passé. » Une exigence cette fois, la froideur maladroite de l’ancienne Sanaé. Parfait, parfait…

Jouer à paraître comme une Sanaé normale n’était pas en soi bien divertissant. Sanaé n’était pas - plus - patiente. Elle voulait jouer, elle voulait mettre Icarus mal à l’aise de nouveau… Mais son nouveau jeu requérait de la patience. Il faudrait se contenter du plaisir de mentir, juste un petit peu plus longtemps. Faire la brebis égarée blanche et pure, avant de se transformer en loup. Se la jouer insidieuse.

On peut dire ça comme ça ? Oh, soit il hésitait encore à croire qu’elle était de nouveau Sanaé, soit il était vraiment trop mignon, à vouloir épargner ses sentiments. Mais Sanaé n’était pas dupe. Bien sûr qu’il allait être prudent. Il venait de se faire joué en beauté, il n’allait pas crier au miracle pour deux petites phrases. Sanaé prit l’air inquiet, comme si elle se rendait compte qu’il tournait autour du pot, et qu’elle craignait ce qui s’était réellement passé.

Et il continuait. Tu as fait et dit des choses qui ne te ressemblent pas. Sanaé prit l’air un peu plus inquiète, s’il l’épargnait tant, ça devait vraiment être horrible, n’est-ce pas ? Derrière, à l’intérieur, ça la faisait bien rire. Elle s’auto-congratulait. Jouer l’actrice, c’était plutôt drôle finalement.

Elle l’écouta avec attention, le regard vitreux, comme si elle attendait de tout savoir avant de réagir. Quand il dit qu’elle avait failli l’embrasser, elle réussit même à rougir, ses joues étaient chaudes. Oui, comme ça… ça allait jouer dans ses plans.

« Mon dieu… » dit-elle d’une voix choquée, comme pour elle-même. « Mais… Mais qu’est-ce qui s’est passé pour me faire agir comme ça ? Je suis vraiment désolée, je te promets que ce n’était pas moi ! » Elle évitait le regard d’Icarus, l’air honteuse. « Tu es beaucoup trop important pour moi pour que je fasse des choses comme ça. » Puis, rougir de nouveau. Prétendre que ses mots ont dépasser sa pensée. « Enfin, euh. Tu vois ce que je veux dire. Nous sommes amis. Enfin, je crois. J’espère. Enfin… » Se perdre dans ses mots. Voilà qui commençait à être plus amusant.

Icarus commençait à croire aux histoires de Sanaé. Voilà, elle avait le fameux sésame, ils étaient amis, maintenant Sanaé pouvait revenir à ses plans douteux. Il s’agissait de faire dans la subtilité à présent. Le préfet vert se replongeait dans ses livres et en face, la jeune fille prétendait en faire de même. Mais impossible de se concentrer sur la moindre phrase du livre sous ses yeux : elle n’en avait pas envie, de toutes façons. Elle était bien plus intéressée à l’idée de manipuler Icarus. Elle avait bien son petit plan, mais elle ne savait pas encore comment le mettre en place, surtout maintenant que sa proie était concentrée sur autre chose.

Mais voilà qu’Icarus leva de nouveau les yeux. Il voulait retrouver sa préfète - bien sûr, bien sûr, que faire d’autre un jour de saint-valentin ? Mais il fallait agir vite : s’il essayait de partir, il serait bloqué comme auparavant et saurait que le sortilège n’avait pas été levé. Alors qu’il commençait à ramasser ses affaires, Sanaé mit de l’urgence dans sa voix :

« Attends ! » Comme une parole impulsive, un peu trop forte pour la bibliothèque. Puis, prenant l’air gêné, elle remit une mèche de ses longs cheveux noirs derrière son oreille. « Je… Tu peux rester un peu avec moi encore ? » Elle baissa les yeux. Arriverait-elle à rougir aussi ? Elle sentit ses joues chauffer un peu. Parfait. « C’est que… Je… Ca m’est égal d’être seule en règle générale, mais aujourd’hui c’est… Plus dur. »

Voilà, jouons les jeunes adolescentes en mal d’amour. Voyons si ça prend chez notre auditoire. Elle se demandait si c’était de notoriété publique qu’elle était amoureuse d’Adonis. L’ancienne Sanaé n’était pas très subtile après tout, mais elle était si à l’écart du reste de la population de Poudlard, que les rumeurs se fichaient peut-être de sa vie amoureuse. Et puis, Icarus n’avait pas tellement l’air du genre à les écouter, les rumeurs. On verrait bien, de toutes façons, si ça allait prendre ou non.