♫

Elle arriva alors que les couloirs étaient déjà sombres, l'infirmerie déjà vide. Ses genoux étaient écorchés et elle saignait du nez. Elle se montra incapable d’articuler deux mots sans trembler, les larmes dévalant ses joues. Elle devait avoir onze ans, c'était une jeune, très jeune élève de la maison Poufsouffle. Une petite fille effrayée, songea Absynthe en posant les dossiers qu'il finissait de ranger. L'infirmière et lui la firent asseoir sur un lit, tentèrent de la calmer, mais ce n'est qu'après avoir bu un grand verre d'eau, bercée par les paroles réconfortantes d'Euphrasie, qu'elle fut capable d'expliquer qu'elle était tombée en courant dans les escaliers. Lorsque les adultes lui demandèrent pourquoi, elle resta muette un instant encore, les pupilles dilatées par la terreur. Enfin, elle souffla :

▬ J'ai vu une araignée géante dans les couloirs.

Absynthe et Euphrasie échangèrent un regard surpris. On ne trouvait pas d'araignée géante en-dehors de la Forêt Interdite ; nul doute que son entrée aurait été remarquée si elle avait tenté de s'introduire dans le château ! Mais la petite n'en démordait pas. Lorsqu'ils arrivèrent à lui arracher l'endroit précis où elle l'avait vue, la Poufsouffle avoua honteusement que c'était dans le couloir interdit du troisième étage. Du moins, le croyait-elle, car elle s'était "perdue" en chemin. Absynthe grommela en son for intérieur : le couloir interdit n'était pas interdit pour rien, par Merlin ! Mais il aurait été hypocrite de sa part de blâmer cette pauvre gamine pour sa curiosité. Il avait passé ses premières années à Poudlard à tenter de percer tous les secrets du château, interdits ou pas.

▬ S'il vous plaît, ne le répétez à personne ! supplia la fillette.
▬ Ne t'en fais pas.

Elle avait l'air traumatisé, mais de là à savoir si c'était à cause de ce qu'elle avait vu, ou des représailles qu'elle encourrait... Mantis et même Eastwood pouvaient se montrer plus effrayantes qu'une acromentule quand elles le voulaient, de son humble point de vue... Devant le regard et les gestes impuissants de mademoiselle Euphrasie, Absynthe lui tapota maladroitement l'épaule pour la rassurer :

▬ Je vais y aller, d'accord ?

S'il devait être honnête... il n'avait pas cru un seul instant à cette histoire d'araignée géante. Perdue ou pas, la gamine s'était aventurée dans un endroit interdit, et la peur de faire perdre des points à Poufsouffle, alliée à la crainte de ne pas retrouver son chemin, avaient dû la rendre particulièrement sensible aux moindres bruits. Peut-être une araignée était-elle passée et, à la lueur des chandelles, sont ombre s'était-elle agrandie au point d'emballer l'imagination de la fillette ?
Mais à présent qu'il se trouvait lui-même dans ce couloir, à la seule lueur de sa baguette - il n'y avait aucune chandelle, ici - Absynthe commençait à douter. Une araignée géante ? À l'intérieur du château ? C'était absurde. Et pourtant, pourtant... Ses mains étaient devenues moites. Inspire, expire. Il était idiot de se mettre dans tous ses états pour une araignée, même géante. Certes, Absynthe n'était pas particulièrement enchanté à la perspective de se retrouver nez-à-nez avec une telle créature, mais il avait vu pire, n'est-ce pas ? S'il y avait bel et bien une acromentule dans ce couloir, un stupéfix devrait pouvoir l'immobiliser assez longtemps pour appeler des renforts. Et alors, un membre du personnel plus qualifié que lui s'en occuperait. Et si jamais il se faisait prendre de court par l'araignée, Euphrasie donnerait l'alerte en ne le voyant pas revenir. Voilà.

Voilà. Sa main trembla un peu lorsqu'il leva le bras au-dessus de sa tête pour examiner le plafond. Il n'y avait rien, ici. Mais les araignées grimpaient aux murs, et... il n'avait aucune envie de la voir lui tomber sur la tête. Il raffermit sa prise sur sa baguette. Il ne voyait rien. Rien du tout. Les ombres étaient omniprésentes, le couloir interdit était trop peu utilisé, les toiles d'araignée grouillaient de partout. Mais c'était de petites toiles, se rassura Absynthe. Fais pas ta chochotte, putain. Et soudain, un bruit. La statue de la sorcière borgne. Il y avait quelque chose derrière la statue de la sorcière borgne. La bête était entièrement cachée derrière elle, il évalua l'espace et sourit à part lui : ce n'était peut-être qu'une acromentule de petite taille. Il respira un grand coup et se dirigea vers la source du bruit, le sortilège de stupéfixion au bout des lèvres.

Et il la vit.

Ce n'était pas une actomentule. Ce n'était pas une acromentule. Ce n'était pas une... Merde. Il repartit en courant comme si la chose avait pu lui sauter dessus, ce qui n'était pas le cas, contrairement à une vraie acromentule. Mais ce n'était pas une acromentule.

C'était un épouvantard.


Il aurait dû le savoir. Elle avait l'air traumatisé. Absynthe tourna au coin du couloir, abaissa sa baguette, et s'adossa au mur pour reprendre très, très difficilement son souffle. Ok. Il allait juste... il allait juste repartir discrètement dans l'autre sens, dire qu'il n'avait pas vu d'araignée, et laisser quelqu'un d'autre s'occuper de l'épouvantard. 'Faut pas pousser Godric dans les orties quand même.

Il était lâche.
Incapable de lancer un riddikulus.

♫

Partir discrètement, c'était le plan. Il n'avait pas prévu qu'une rafale d'Incendio traverse le couloir en faisant un vacarme d'enfer. Absynthe sursauta, jeta un coup d'oeil de l'autre côté, manqua se prendre un sort et... et resta planqué de l'autre côté du mur en réfléchissant à toute vitesse. Ça ne lui réussissait jamais bien, de réfléchir à toute vitesse. Il avait besoin de temps pour mettre ses idées en place, déjà en temps normal. Or, elles étaient très mal en place à l'instant même, ses idées.

▬ Ce... ce n'est pas utile ! lança-t-il sans regarder, pas assez fort pour couvrir le vacarme.

Il ne savait même pas qui s'acharnait comme ça, mais la personne n'avait pas dû comprendre qu'il s'agissait d'un épouvantard. Ou alors, elle était trop jeune pour savoir comment s'y prendre. Absynthe leva les yeux au ciel. Merlin fais que ce soit la première option. Il n'avait pas du tout envie d'être celui qui arrêterait la créature. Il n'avait pas envie d'être le Gryffondor courageux qui sauverait la situation.
Il n'avait pas envie d'être l'adulte responsable.

Il esquissa un mouvement vers le couloir et manqua de se faire griller les cheveux.

▬ ARRÊTEZ DE LANCER DES SORTS !

Là, comme le vacarme semblait se calmer, il pencha la tête sur le côté et leva sa baguette, Lumos en main, pour examiner la scène. Il y avait une élève dans le couloir, elle lui tournait le dos mais ses sorts avaient rebondis un peu partout, même dans sa direction. La panique semblait avoir pris le dessus, elle ne réagissait pas du tout comme il le fallait, mais qui était-il pour le lui reprocher ? Il était parti en courant. Alors il s'approcha, l'attrapa par le bras et la tira en arrière de son côté du mur.
En espérant que son épouvantard ne suivrait pas.

Lorsqu'ils furent dans l'abri tout relatif que leur offrait ce mur, il la lâcha et reconnut la rouquine qui était préfète à Poufsouffle. Il se sentit soulagé, et il s'en voulut. Elle savait sûrement lancer un riddikulus.

▬ Je n'ai pas vu ce que vous avez vu, mais ce n'était pas ce que vous croyez. C'est un épouvantard, expliqua-t-il en essayant de garder son calme. Autant essayer d'avoir l'air responsable et maître de la situation, n'est-ce pas. Vous savez comment vous débarrasser d'un épouvantard, miss... ? Son nom. Absynthe avait une très mauvaise mémoire des noms. En fait, il avait une mauvaise mémoire, point.

HJ :

♫

Il fallait rire, Absynthe le savait. Le but du riddikulus était de faire rire, c'était ce qui rendait l'épouvantard vulnérable, ce qui le faisait disparaître. Un petit sourire étira ses lèvres quand il vit la courgette en tutu qui dansait la samba, c'était loin d'être attendu... Il pouvait presque imaginer la musique derrière la petite danse grotesque de la courgette, et un petit rire lui échappa. Serait-ce suffisant ?
En tout cas, la préfète des Jaunes et Noirs avait été très réactive. Absynthe ne s'attendait pas à se voir débarrassé de la créature aussi vite, mais il n'allait pas s'en plaindre, ça non ! Il n'avait pas envie de confronter son épouvantard.

▬ B... bien ! commenta-t-il, tel un professeur sur le point d'ajouter dix points pour Poufsouffle.

Sauf qu'Absynthe n'était pas professeur, il n'avait ni la pédagogie ni la patience nécessaire. Et il ne distribuait pas de points. En plus, il ne savait toujours pas son nom. Quelque chose en rapport avec les plantes. Mais quoi ? Absynthe avait toujours été très moyen en botanique.

▬ Je ne me rappelle pas votre nom, mais j'en parlerai à votre professeur à l'occasion, c'était un riddikulus parfaitement exécuté.

Il fallait rire. Du coin de l'oeil, il surveilla la courgette dansante, et reporta son attention sur la préfète de Poufsouffle :

▬ Je vous remercie d'être intervenue. Vous voulez bien m'aider à le faire disparaître ?

Il n'y avait pas trente-six mille solutions : il fallait, soit l'enfermer dans un placard ou une pièce close où personne ne viendrait, soit l'assommer de rires pour le faire disparaître à jamais. Absynthe préférait la seconde option, naturellement, mais il n'était pas d'humeur à avoir un fou-rire. C'était bien pour cela qu'il était incapable de lancer ce sort, en tout cas pas devant son propre épouvantard. Il fixa quelques instants la courgette agitée par une musique imaginaire, puis pointa sa baguette :

▬ Si vous permettez... Riddikulus, ajouta-t-il, et le légume dansant se retrouva muni d'un sombrero ainsi que de petits bras et de maracas.

C'était un peu plus drôle, mais pas franchement hilarant. Il espérait que l'image amuserait assez l'élève à ses côtés, sinon... eh bien... ils pourraient toujours l'enfermer quelque part en attendant que quelqu'un de plus drôle n'arrive ? En espérant que l'épouvantard reste assommé assez longtemps pour ne pas se retransformer.

Anarchy Rose, oui. Il savait qu'il y avait un lien avec les plantes ! ... chacun ses trucs mnémotechniques, hé. Elle éclata de rire lorsque l'épouvantard se retrouva muni de maracas et d'un sombrero, et la créature disparut. Absynthe sourit à part lui. Il se souvenait de ses cours de Défense Contre les Forces du Mal en troisième année, son épouvantard était alors une zombie-cyclope-vampire (oui, oui), et il avait dû trouver tellement d'idées pour le ridiculiser et passer son examen ! Cela paraissait bien loin, aujourd'hui, mais il se félicitait d'avoir réussi à rendre l'épouvantard-courgette encore plus ridicule. Le zombie-cyclope-vampire avait joué des maracas, lui aussi.

▬ Merci.

Il ne savait pas comment la créature était arrivée ici, mais il espérait que la jeune Poufsouffle avait été la seule à le voir, à part la préfète et lui. Tomber nez-à-nez avec sa plus grande peur au détour d'un couloir n'avait rien de rassurant. Il essaya de chasser l'image qu'il avait entre-aperçue derrière la statue de la sorcière borgne et remercia Merlin, Godric ou n'importe quel esprit magique qui avait mis Anarchy Rose sur son chemin. Il n'aurait pas pu s'en débarrasser seul. Il n'allait pas le dire, évidemment. Il passait déjà pour incompétent à l'infirmerie. En parlant d'infirmerie :

▬ I...Il me faudrait un truc contre. les règles douloureuses.. fin vous voyez hein..
▬ Eeeee...

Absynthe Poker Face : ON. Il y eut un instant où il se demanda pourquoi elle lui disait cela, avant de se rappeler qu'il travaillait à l'infirmerie (bien, Absynthe !) et qu'elle n'était peut-être pas dans les couloirs pour rien, surtout à cette heure-là.

▬ Oui. Non. Mais Euphrasie saurait exactement ce dont elle avait besoin. Venez, mademoiselle Euphrasie s'occupera de vous.

Absynthe avait beau aider du mieux qu'il le pouvait, il y avait des choses qu'il ne pouvait pas faire à la place du fantôme de l'infirmière. Prendre des choses, il savait. Les trouver, un peu moins, mais il faisait des efforts de mémoire. Les problèmes de filles, il laissait à Euphrasie. C'était comme ranger une armoire tout seul sans étiquettes, ou écouter les problèmes des élèves et les conseiller comme un psy : il était paumé. Mais il faisait des efforts. Promis.

Absynthe étant aussi bavard qu'une planche à repasser moldue, le trajet jusqu'à l'infirmerie se fit dans le silence. Il avait oublié de vérifier l'état du couloir après que la préfète ait lancé des Incendio à tout-va... ahem. Il grimaça légèrement mais décida de faire comme si de rien n'était ; après tout, les lieux étaient déjà dans un sale état quand il était arrivé. En passant les portes de l'infirmerie, il remarqua immédiatement quelque chose d'inhabituel : il n'y avait personne.

▬ Euhprasie ? Pas de réponse. Il jeta un regard embarrassé à la préfète et expliqua : Une jeune élève de votre maison est tombée sur l'épouvantard un peu plus tôt, c'était aussi une araignée géante. La ressemblance était amusante. Sauf pour les concernées, évidemment. J'imagine que mademoiselle Euphrasie l'a raccompagnée jusqu'à son dortoir. La petite était effrayée, précisa-t-il inutilement.

Lui-même avait eu beaucoup de mal à affronter la vision. C'était peut-être bien que l'infirmière ne soit pas là, il avait le temps de reprendre ses esprits. Il fit signe à l'élève de s'asseoir et marmonna quelque chose comme "je vais voir ce que je peux faire" en allant farfouiller dans les placards. Il n'avait. aucune idée. de ce qu'il cherchait.

Aah, Absynthe et les placards. Toute une histoire. Anarchy émit une hypothèse qui l’aida un peu - mais pas beaucoup. Absynthe était si doué avec les placards.

▬ Qu’est-ce qu’elle vous donne, habituellement ? hasarda-t-il, sans vraiment savoir si mademoiselle Euphrasie l’avait déjà soignée pour cela.

C’est juste que, des remèdes moldus, il n’y en avait pas beaucoup. La médecine sorcière était souvent plus rapide, du point de vue d’Absynthe. Non qu’il s’y connaisse particulièrement en médecine moldue, bien sûr. Pourtant, il devait bien y avoir l’équivalent d’une aspirine quelque part. Il farfouilla dans une armoire moins utilisée - et mal rangée, nota-t-il en trouvant herbes, champignons encore entiers et potions aux couleurs indéfinissables entâssés pêle-mêle. Il saurait quoi faire de sa soirée.

▬ Dites... des rumeurs disent que.. y’a un truc entre vous et l’infirmière, enfin que vous êtes très attiré en tout cas. Est-ce vrai ? Ca ne me regarde pas mais... bah laissez tomber j’ai rien dit pardon.

"Laissez tomber" était l’expression parfaite. Le pauvre Absynthe renversa bruyamment la moitié du contenu de l’étagère et une fiole au liquide verdâtre et puant s’ouvrit lentement au sol en un glougloutement délicat. Merde. Il se redressa et passa la tête par la porte du bureau, hésitant :

▬ Euh… L’infirmière est un fantôme, vous savez. Non. QUI raconte des choses pareilles ? Non. Vous êtes au courant que la moitié de cette école pourrait en dire autant ? Non Absynthe, juste NON. Notre relation est strictement professionnelle, réussit-il à articuler, sourcils froncés.

Et sans s’étouffer de honte, Merlin merci. Il se rappela trop tard qu’il n’était pas forcé de répondre. Les élèves n’étaient pas censés poser des questions aussi personnelles à leurs aînés, même si la réciproque était parfois fausse quand on était infirmier. Mais ce n’était pas une raison. Absynthe ne posait jamais de questions aussi embarrassantes à ses patients, Euphrasie était meilleure psychologue que lui. Il avait juste très peur qu’on ait pu se méprendre sur son attitude. Il faisait attention, pourtant. Il ne comprenait pas comment on pouvait croire... il n’avait jamais rien dit ou fait qui ait pu... À part rougir comme un crétin devant pareille allusion, bien sûr. Absynthe disparut quelques instants encore derrière son étagère pour cacher son embarras. Il avait l’impression d’être un gosse pris en flagrant délit. C’était stupide. Il était stupide.

Quand il revint, il avait trouvé un remède contre les maux de ventre, mais il n’était absolument pas certain que cela fonctionne pour sa patiente, d’ailleurs il ne savait pas quelle dose elle devait prendre. Evidemment, les instructions n’étaient pas sur le flacon.

▬ Je n’ai jamais prescrit cela, alors... je ne sais pas quelle dose vous conseiller. Vous avez, euh... très très mal ?

Voilà qui ne présageait rien de bon, comme toujours quand on laissait Absynthe soigner un patient seul. You better run for your life, little girl, comme le disait la chanson. Mais vu la question embarrassante qu'elle avait posé, Absynthe ignorait s’il était inquiet ou soulagé qu’Euphrasie ne soit pas là en cet instant.

▬ Vous devriez éviter de prêter attention aux ragots, ajouta-t-il un peu brusquement. Il essaya de trouver une manière délicate d’exprimer sa pensée, sans succès : Vous êtes préfète, miss Rose, ça implique des responsabilités, et de la maturité. Vous ne ferez pas bonne figure si vous laissez vos camarades vous influencer... peu importe le sujet.

Il grimaça sur la fin. Ce n’était pas vraiment une remontrance, plutôt... un conseil ? Mais elle allait peut-être mal le prendre. Il ne savait pas comment s’exprimer, de toute façon.

Elle l'avait mal pris. Absynthe aurait probablement facepalmé s'il n'avait pas l'habitude de sa propre maladresse. Ce n'était pas comme si l'assistant de mademoiselle Euphrasie était connu pour sa délicatesse et sa bonne humeur non plus. Mais c'était clair qu'elle l'avait mal pris. Elle faisait la même tête que lui quand son père l'enguirlandait. Aah, les adolescents. Vivement qu'il n'en ait jamais.

▬ Prenez deux cachets, d'accord ? Ça devrait atténuer assez la douleur pour vous permettre de vaquer normalement à vos occupations quotidiennes.

De préfète adepte de ragots, faillit-il ajouter. Mais Absynthe était professionnel. C'était bien pour cela qu'il évitait de commenter l'attitude des élèves, habituellement. Il lui donna le médicament et un verre d'eau pour qu'elle l'avale, avant d'ajouter :

▬ Si vous avez toujours aussi mal demain, revenez. Mademoiselle Euphrasie sera sûrement là, ce sera mieux si elle s'occupe de vous, expliqua-t-il, toujours aussi inexpressif.

Merlin, affichait-il constamment le même air d'adolescent blasé qu'elle ? Il aurait pu en rire, si la situation ne le mettait pas aussi mal à l'aise. Mais il n'en montra rien. Professionnel, Absynthe. Professionnel. Il pensait surtout au dosage donné au petit bonheur la chance, en espérant qu'il n'empirerait pas la situation.

Tellement professionnel.

Heureusement pour tous les deux, le fantôme de l'infirmière apparut au même moment. Elle avait traversé le mur du fond de l'infirmerie, probablement un raccourci vers la salle commune des Poufsouffle, pensa Absynthe. Il jeta un regard vers Anarchy, mais les cachets n'étaient plus dans sa main. Les avaient-elle avalés ? Absynthe fronça les sourcils et se tourna vers sa collègue pour lui résumer la situation.

Absynthe était en pleine conversation avec l'infirmière. Apparemment, l'élève de première année était trop effrayée pour regagner son dortoir seule, et mademoiselle Euphrasie l'avait accompagnée. Absynthe la rassura en lui expliquant qu'il ne s'agissait ni d'une véritable acromentule ni d'une hallucination, mais d'un Épouvantard. Il enchaîna assez rapidement sur les événements qui avaient amené Anarchie Rose et lui à se débarrasser de la chose, à la fois pour ne pas inquiéter davantage Euphrasie, et parce qu'il refusait de parler en détail de ce qu'il avait vu. Elle n'était pas censée savoir que son Épouvantard, c'était elle. Il commençait à lui expliquer la raison de la présence de la préfète à l'infirmerie, lorsqu'un bruit sourd retentit.

Absynthe se retourna. Il ne vit pas tout de suite Anarchy, et pour cause : elle était tombée au sol, juste derrière la table. Il étouffa un juron et se répandit en excuses qu'elle n'entendit pas. Elle était dans les pommes, bien sûr.

▬ Aaaah c'est pas vrai ! lâcha-t-il en constatant la situation catastrophique dans laquelle il s'était encore mis.

S'il se contentait de s'attirer des ennuis, cela passerait encore. Mais Absynthe semblait, pour une obscure raison, toujours entraîner les autres avec lui. Malheureusement pour eux, les "autres" étaient toujours de pauvres patients innocents venus se faire soigner - et qui repartaient en moins bon état encore quand Absynthe se chargeait d'eux.
Heureusement, mademoiselle Euphrasie avait l'habitude. Pendant qu'Absynthe était occupé à s'arracher presque littéralement les cheveux, l'infirmière fantôme prit les choses en main - façon de parler - en examinant la situation et en donnant des directives. Un Levicorpus les aida à placer la pauvre préfète sur un lit, et Euphrasie envoya Absynthe chercher les bons médicaments - cette fois.

*

La nuit était bien avancée lorsque Absynthe perçut un mouvement du côté du lit. il avait fallu qu'il s'endorme en veillant la patiente, bien sûr, et c'est un peu dans les vapes qu'il alluma sa baguette et prit le flacon de dictame posé sur la petite table de chevet. Il remplit un gobelet et le donna à l'adolescente :

▬ Buvez, c'est pour votre mal de crâne.

Euphrasie l'avait prévenu que la douleur persisterait à son réveil. L'avantage était que le médicament ferait effet sur ses maux de ventre également. Absynthe grimaça dans la semi-obscurité.

▬ Je suis désolé.

Un bâillement recouvrit la fin de sa phrase. Ça ne faisait pas très professionnel mais il devait lutter pour garder les yeux ouverts.