Kalev n'était pas habitué à ce qu'on joue avec ses lunettes ; principalement parce qu'il les portait peu, puis en seconde raison, du fait que la dernière personne à l'avoir embêté de la sorte était son frère, lorsqu'il était toujours adolescent, et que lui-même n'était qu'un timide petit garçon. Parce qu'il était plus grand, parce qu'il était l'aîné, Orion se croyait parfois tout permis envers son petit frère. Les réprimandes de leur mère n'y avaient jamais rien changé. Orion, c'étati un courant d'air. Peut-être même une tornade. Insaisissable, turbulent, et assez chiant, mais il fallait faire avec.
Kalev afficha une moue ennuyée, un peu fatigué de voir tantôt flou, tantôt net, le visage qui se jouait de lui. Cependant, il ne grogna pas, parce qu'il n'avait pas ce genre de caractère, et alla même jusqu'à esquisser un sourire lorsque son verdict tomba.

- Tant mieux, alors. J'aurais été triste de t'avoir fait perdre du temps à me trouver des vêtements sympathiques, pour finalement tout gâcher avec des lunettes qui ne me vont pas.

Il était comme ça, Kalev ; il n'aimait pas gâcher le temps d'autrui. Seulement, du temps, ils en gâchaient, à rester tous les deux dans cette cabine, sans rien faire de plus que de disserter sur ses lunettes ; même si c'était assez amusant, en soit. Kalev n'était pas très sûr de saisir ce qui poussait Astrid à fuir son frère. S'ils n'étaient pas fâcher, quel était le problème ? C'était un crime, de retrouver sa soeur dans un magasin pour homme ? Il n'avait pas de soeur, alors il n'en savait rien, mais il imaginait que ce n'était pas dramatique.

- Si j'étais luiiii, tenta d'imaginer Kalev, je me dirais que si ma soeur est là, si j'en avais une hein, bien sûr, ce serait parce qu'elle cherche des vêtements masculins, tout bêtement ? Peut-être pour se déguiser, ou faire un cadeau, ou aider quelqu'un. Comme tu le fais là, quoi.

Donc toujours rien de dramatique. Kalev avait beau retourner la situation sous plusieurs angles, il ne comprenait pas comment ils avaient faits pour se retrouver là, face à face, elle juchée sur un tabouret, à attendre que le frère d'Astrid se carapate plus loin. En fait, quand il y pensait, il y avait bien plus de chances pour que son frère s'offusque de la trouver aussi proche d'un garçon, qu'en train de errer dans le magasin ; mais Kalev n'osa pas formuler cette idée.

- Tu ne crois pas qu'il est parti, maintenant ? tenta-t-il.

Et s'il n'était pas parti... peut-être qu'il suffisait d'aller le voir pour s'expliquer, et effacer tout malentendu avant qu'ils ne débutent ?

Kalev doutait qu'un patronus soit très discret pour faire passer un message, mais peut-être qu'il pensait ainsi parce qu'il était doté d'un volatile, et qu'on ratait rarement un oiseau dans un magasin de vêtements. Ceci dit, il la laissa placidement quitter la cabine et opérer son tour de ronde, histoire de vérifier si le périmètre de sécurité était respecté. Etant donné qu'elle revint assez rapidement lui faire signe, ce devait être un franc succès. Tant mieux pour elle. Néanmoins, avec une pointe de curiosité, il  avouait se demander à quoi pouvait bien ressembler un frère d'Astrid. Les Morgan de sexe masculin qu'il avait fréquenté jusqu'ici n'étaient pas franchement des modèles de sympathie, même s'il n'avait pas non plus foncièrement une dent contre eux. Plutôt de l'indifférence.
Laissant ses interrogations familiales de côté, Kalev fut un brin surpris que la conversation reprennen aussi vite sa tournure naturelle ; mais ce n'était pas plus mal.  Il repositionna ses lunettes sur son nez et se tourna vers le miroir, et prit quelques minutes pour réfléchir. Il était certain qu'il ne détestait pas, mais est-ce qu'il aimait ? Il ne pouvait pas l'affirmer. Il n'avait tout simplement jamais porté ce genre de vêtements et le changement le déstabilisait.
Le changement avait toujours déstabilisé Kalev.

- Pour être tout à fait honnête avec toi, je ne suis pas complètement à l'aise parce que je ne me reconnais pas. Ce n'est pas un style dont j'ai l'habitude. Mais je ne déteste pas non plus. Du coup, ce que je propose, c'est que je vais acheter quelques vêtements, voire si en les portant au quotidien, je m'y fais et les apprécie, et si c'est le cas, je reviendrais peut-être pour étendre mes horizons, si on peut dire ça comme ça ?

Après tout, inutile de se ruiner dans des tas de vêtements qu'il ne porterait peut-être jamais, mais ce serait aussi dommage de ne pas sortir de sa zone de confort et d'arpenter des sentiers nouveaux. Alors un entre deux, c'était plutôt pas mal aussi. Ce n'était pas comme s'il allait être dans l’incapacité de remettre les pieds ici en cas de besoin ou d'envie.
Plutôt satisfait de ce choix, Kalev leva le nez vers l'horloge du magasin, et adressa par la suite un peit sourire à Astrid.

- Et en plus, du coup, ça nous laisse du temps pour se balader un peu. Je trouve dommage de n'être venus que pour faire les boutiques. Il y a moyen de passer un peu de bon temps avec ce soleil.

Il avait juste à se changer, payer, et ils pourraient prendre l'air, si l'idée tentait un minimum Astrid. Il espérait qu'elle dirait oui. Il avait envie de se promener, lui. Peut-être même d'acheter une glace, et d'explorer un peu plus Londres qu'il ne l'avait fait jusqu'à présent.

C'était une affaire rondement menée. Ils n'avaient pas été si longs, il avait passé un moment sympathique avec une ancienne camarade et il faisait toujours beau. Kalev se sentait bien, en quelque sorte. C'était une journée apaisante, loin des grandes agitations qu'il avait eu l'habitude de connaître à Poudlard.
Puis justement, peut-être la vie jugea-t-elle qu'en quelques mois, il avait trop eu de temps pour oublier ce qu'était de devoir affronter les aléas du destin, alors ce petit farceur se manifesta en lui présentant quelqu'un de beaucoup trop grand et de beaucoup trop Morgan.
Mais surtout de beaucoup trop grand.

Bon, en soit, ce n'était pas si grave. Kalev savait que le frère d'Astrid traînait dans les coins. Ce à quoi il n'avait pas été préparé, c'était à devoir lever autant la tête ; et à se sentir aussi misérable. Heureusement qu'il avait pris l'habitude avec le temps. Sept années de botanique avec le professeur Carthaigh entraînaient à relativiser, bizarrement.

- Devenir professionnel c'est pas vraiment pour moi, désolé, répondit-il un peu gêné, agitant les mains en signe de négation. C'est mon frère, le pro. Pas moi. J'ai été capitaine parce que j'étais le plus vieux de l'équipe c'est tout. Coup de chance quoi.

Il se retint d'ajouter qu'il devait être au courant pour Orion, puisqu'il était le frère d'Astrid, mais il se dit qu'elle n'allait pas beaucoup aimer. Pas plus que des questions sur ce "Pims" qui l'avait interloqué. Ce n'était pas qu'il n'état pas curieux, c'était surtout qu'il se sentait un peu écrasé par le gigantisme du frère d'Astrid. Est-ce que Richard Morgan avait été si grand lui aussi ? Il n'en avait pas souvenir. Et la prof de vol ? Elle non plus elle n'était pas si grande, hein ?

- Enfin sinooon j'ai rien contre continuer à jouer hein, juste, pas dans une vraie équipe. Pas être payé pour ça. Et puis avec des inconnus c'est pas pareil qu'avec l'équipe que j'ai connu. Y'a pas les gens sur qui je peux compter.

Puisqu'il ne savait pas trop quoi dire, il s'étalait sur le Quidditch. Normal. Dans ces moments-là, il n'aurait pas été contrarié que son frère débarque à l'improviste et emmène l'autre boire il ne savait trop quelle boisson au pub du coin. Mais non, Orion était en entraînement. Comme toujours. Enfin d'habitude il s'en sortait bien avec les gens, même les inconnus, les plus âgés et les grandes perches, mais peut-être que le malaise d'Astrid était contagieux.

Ou peut-être juste que lui-même avait conscience que rencontrer la famille de ses amis, c'était un brin perturbant. Même la famille d'Alix et Fifi, il ne la connaissait pas. Même leurs frères, il ne les connaissait que de nom.
Et là, pouf, le frère d'Astrid se présentait comme un diable hors de sa boîte.

Kalev avait de nouveau cette sensation un tout petit peu vexante d'être traité comme le gamin de onze ans qu'il était encore il n'y avait pas si longtemps que ça. Peut-être était-ce une caractéristique de la famille Morgan que de jouer les parents par intérim des gens qu'ils croisaient ça et là. En cela, en effet, ce n'était peut-être pas si mal de ne pas rencontrer toute la grande famille d'Astrid. Quoique la prof de vol était relativement normale. Une grande femme, même. Peut-être qu'il n'aurait pas eu autant de plaisir à jouer au quidditch durant le collège s'il n'avait pas eu un si bon professeur pour l'aider à surpasser sa médiocrité.
Ce n'était peut-être pas plus mal que le grand-frère d'Astrid s'éclipse, parce que Kalev se retrouvait un peu piégé face à cette montagne ; parce que ce garçon était grand comme un mont, il fallait le dire. Ce personnage lui rappelait un peu son propre grand-frère, et autant Kalev adorait Orion de tout son coeur, autant il nourrissait de très nombreux complexes à son égard.

- Ouais, c'était ton frère, répéta Kalev. J'aurais vu le tien avant que tu vois le mien. Donc tu auras été décoiffée avant moi.

C'était un truc d'aîné, d’ébouriffer les cheveux des plus jeunes. Kalev lui-même devait avouer le faire avec son cousin d'amour et ses merveilleux cadets de Poufsouffle. On montrait son affection comme on pouvait, songeait Kalev. Ce n'était pas très différent de lorsqu'il caressait Jupiter à rebrousse-poil pour l'embêter, cet adorable animal.
L'idée d'aller se poser quelque part et de grignoter lui plaisait. Dans son éthique de vie, on ne refusait jamais de la nourriture, et surtout pas un goûter à plusieurs. Il devrait y avoir un petit parc dans les coins pour s'y poser, il suffisait d'actionner leurs petites jambes ; et c'est dans cette optique que Kalev entama la marche.
Comme elle voulait boire un truc, il fallait d'abord s'arrêter chez un commerçant, ceci dit, aussi après coup la laissa-t-il mener leur chemin, non sans un peu de bavardage.

- C'est un peu bête, mais j'ai cru que tous les Morgan passait par Serpentard. Alors que ta tante est à Serdaigle, ton frère à Poufsouffle. Mes préjugés me désespèrent un peu parfois.

Bon, il était humain, c'était normal d'avoir ses petits moments de stupidités et ses idées préconçues, mais ça le décevait toujours autant de lui-même. Un peu comme pour la première où il avait rendu visite à cette demi-banshee qui tenait une drôle de boutique. Ce devait être la première fois de sa vie qu'il s'était véritable questionné sur la place des hybrides et des créatures dans la société, en dehors de ce devoir d'histoire de la magie qu'il avait dû rendre à l’érudit.

Kalev n'entrait jamais dans ce genre de cafés. Il n'y en avait pas, près de chez ses parents. Ils n'habitaient pourtant qu'à une demi-heure de Londres, dans une ville qui se partageaient entre culture sorcière et moldue, mais probablement était-elle trop petite et calme pour que de tels commerces y émergent. Intrigué par l'enseigne, il jeta des coups d'oeil à droite à gauche pendant qu'Astrid patientait et commandait sa boisson. Il était presque tenté d'essayer quelque chose, en fait, mais il n'était pas sûr d'aimer, bien qu'il ne soit pas du tout difficile en matière de nourriture et d'alimentation en général. Quel goût ça avait, un frappé à la citrouille ? Est-ce que c'était si différent du jus de citrouille ? Il essayerait, un jour, nota Kalev dans un coin de sa tête. Pas aujourd'hui, parce que Astrid avait déjà sa boisson entre les mains, mais s'ils revenaient, il se lancerait.

Il suivit placidement Astrid à l'étage. Elle connaissait manifestement mieux les lieux que lui, alors il préférait la suivre, mains dans les poches, le regard fixé sur sa nuque. Ce qui était bien avec Astrid, c'est qu'elle n'était pas très grande, alors même deux marches d'escalier en dessous d'elle, il demeurait à sa taille. Ce n'était pas comme lorsqu'il traînait avec Garfield ou Alix : même à pied d'égalité, il devait lever le nez pour leur parler.
Trouvant une place libre, ils s'assirent face à face. Kalev posa son sac de pâtisseries sur la table et l'ouvrit ; laissant l'opportunité à Astrid de choisir, tout en reprenant la conversation qu'ils avaient dû interrompre le temps de la commande.

- Je ne sais pas si tu vois Frigg Abdersem ? C'est le cousin qu'on a en commun, Garfield et moi. Il doit être en deuxième année maintenant, à Serdaigle. Il est super adorable. J'ai essayé de le décoincer de sa peur du quidditch mais je ne sais pas si ça a vraiment marché. J'espère. De mémoire, l'équipe de Serdaigle a besoin de sang neuf.

Kalev aurait véritablement aimé pouvoir passer plus de temps avec Frigg et le voir grandir plus longuement, cet adorable cousin, mais leurs six ans d'écart faisait qu'ils n'avaient passé qu'une seule année en commun à Poudlard. C'était vraiment dommage, du point de vue de Kalev. La façon dont Frigg le suivait partout comme un petit frère l'avait vraiment attendri.

Il était d’ailleurs aussi amusé qu'Astrid évoque les répartitions de sa famille.  Il se revoyait encore, avec ses inquiétudes d'enfant, avant d'entrer à Poudlard, et jugea que l'anecdote amuserait peut-être Astrid ; aussi décida-t-il de la raconter.

- Tu sais déjà que Orion était à Gryffondor, mais je ne pense pas t'avoir déjà dit pour mes parents ? Ils sortent tous les deux de Serpentard. Ils tiennent vachement à ce que chacun poursuive ses objectifs, des trucs comme ça. Ils ont d'ailleurs été super déçus que ni Orion ni moi, on devienne médicomages comme eux. Aujourd'hui je m'en fiche, mais quand j'étais petit, je le vivais très mal.

Toutes ces fioles de potions, tous ces manuels, ces sorts de soin qu'il avait entendu fuser dans la maison, ils avaient bercé son enfance. Les horaires instables de parents, les grands débats sur l'usage de certaines plantes dans les décoctions à administrer aux patients, tout ça, il les avait suivi sans les comprendre ; mais il avait très bien compris qu'on attendait de lui, et de son frère, qu'ils se sentent concerner.

- Orion m'avait fait croire qu'il n'y avait que Gryffondor et Serpentards comme maisons à Poudlard. Comme j'avais ni le courage de mon frère ni l'ambition de mes parents, j'étais persuadé que le Choixpeau n'allait pas vouloir de moi et que j'allais être renvoyé. Je te jure que je flippais vraiment. Il rit de lui-même. Quand j'étai entendu Poufsouffle, ça a été le soulagement de ma vie. Mais du coup, pour le moment, je suis le seul de ma famille. De ce que je sais, mes grands-parents et mes oncles et tantes qui sont sorciers sont passés par Serpentard ou Serdaigle.

On était d'une grande gentillesse dans la famille Hopwar, mais on aimait un certain intellect aussi, s'était souvent dit Kalev. On aimait bien les jolies études et les beaux métiers ; et c'était peut-être la seule chose que Kalev n'aimait pas du tout, chez ses parents : qu'ils lui en veuillent un tout petit peu de ne même pas avoir tenté d'étudier la médicomagie.

L'humour des Gryffondor... peut-être bien. Kalev n'avait pas fréquenté tant de Gryffondor que ça, durant sa scolarité. Il s'agissait principalement de Camille, qui était tout de même assez loin du tempérament de son frère ; et Ludovic, beaucoup plus récemment, et il était encore plus opposé à son frère. En finalité, le comportement d'Orion tenait peut-être plus de celui d'un frère sournois que d'un Gryffondor à proprement dit.
A contrario, il n'était pas du tout étonné qu'Astrid se sentent bien à Serpentard. C'était une fille qui allait de l'avant, se donnait les moyens de réussir, défendait des valeurs pas si éloignées de celles de ses propres parents. Il l'aurait difficilement imaginé ailleurs. Peut-être Serdaigle ? Il n'était pas très au fait de son attitude en cours, mais il imaginait qu'elle se donnait à peu près autant qu'au Quidditch.

- Si le Choixpeau n'avait pas raison, ça remettrait en cause tout le système, rit Kalev en s'enfonçant dans le dossier de la chaise. Je suppose qu'il y a quand même des insatisfaits. Je sais pas si tu as remarqué que certains n'étaient pas très ravis de tomber chez nous. A Poufsouffle, je veux dire, précisa-t-il en se désignant du doigt. Mais on a toujours fait de notre mieux pour que les nouveaux ne regrettent rien. On sait bien que Poufsouffle est pas la maison la plus... je sais pas, glorieuse ? Mais flûte, on a quand même gagné la coupe des quatre maisons récemment.

Tout comme Serpentard, d'ailleurs. C'était mignon de voir que ces deux maisons avaient des liens malgré elles ; les querelles de leurs directeurs de maison, les amitiés de leurs élèves, les affrontements de Quidditch, le partage de la coupe. Ils avaient pourtant si peu en commun, dans le fond. Peut-être que le tempérament travailleur des Poufsouffle s’accordaient aux ambitions des Serpentard ? Quelque chose comme ça. Ou peut-être que la fidélité était bien vue de ceux qui veulent s'élever dans la société, aussi.

Kalev cessa de réfléchir à ce sujet lorsque Astrid lui proposa de goûter à sa boisson. Elle lui tendit gentiment le gobelet, et après tout, pourquoi refuser ? Il était curieux à propos des boissons de ce café, quelques minutes plus tôt. Il finit d'avaler la pâtisserie qu'il avait commencé à grignoter, puis prit le gobelet entre ses deux mains ; et ne fut absolument pas mécontent de l'odeur qui s'en dégageait. Il regrettait juste que ce soit froid. Peu importe le domaine, vestimentaire ou alimentaire, Kalev préférait la chaleur. Il porta tout de même le gobelet à ses lèvres et en sirota le contenu.

- C'est bizarre, conclut-il avec un sourire et un haussement de sourire. C'est pas du tout un goût dont j'ai l'habitude. Mais c'est pas mauvais du tout. Je suis pas certain de connaître les ingrédients que tu cites mais ils vont bien ensemble je trouve. Tu bois souvent ce genre de trucs ?

Il reposa la boisson sur la table et la fit doucement glisser du côté d'Astrid pour ne pas la renverser ; puis, quitte à être proche de la table, il y accouda sa tête, le dos un peu voûté.

- Tu repasses dans les coins, récemment ? demanda-t-il finalement sur le ton de la conversation. C'est encore loin l'été, pour revoir tout le monde, et c'est plutôt sympa de te voir.

Peut-être parce qu'ils étaient en dehors de Poudlard et qu'il n'y avait plus la rivalité de points sous-jacente et qu'il n'y avait plus cette barrière des salles communes, Kalev trouvait Astrid beaucoup plus accessible. Et c'était une gentille fille, Astrid, avec laquelle il se découvrait des points en commun et des sujets de conversation sympathiques.

Kalev ne masqua pas un certain étonnement ; les projets d'avenir d'Astrid le décontenançaient un peu. Il n'avait jamais imaginé qu'elle puisse décider de travailler directement après le collège. Elle était une élève de Serpentard, après tout. Cette maison était caractérisée par l'ambition en premier lieu. Il avait été persuadé, jusque là, qu'Astrid se lancerait dans des études, dans une branche plus ou moins prestigieuse, qui lui offrirait un beau travail. Médicomage, juge au ministère, études de la magie, banquière, ou il ne savait trop quoi qui sonnait bien à l'oreille. Ou même joueuse de Quidditch. Il y avait des écoles qui préparaient aux entrées dans une grande équipe d'Angleterre, son frère lui en avait parlé.

- Je ne savais pas que tu voudrais travailler directement après Poudlard. Je pensais que j'étais le seul idiot à ne pas se sentir capable de se lancer dans des grandes études ou pas assez intéressé par ça. Tu n'as pas... une sorte de rêve ?

Parce que c'était finalement ce qui lui avait manqué, à lui, un rêve, pour le pousser à viser un peu plus haut que ce qu'il ne possédait actuellement. Kalev croisa ses bras sur son torse tout en réfléchissant silencieusement à cette question. A quoi aspirait-il, si ce n'était de couler des jours paisibles ? Strictement rien. Il ne savait pas si c'était triste ou plutôt bon signe, mais lui s'en contentait.

- S'il te plaît, décida-t-il de plaisanter, ne fait pas  nourrice, ne me vole pas mon maigre travail.

Il n'avait que ça, après tout. Peut-être qu'il s'en lasserait et finirait pas chercher autre chose, il n'en savait rien du tout, mais pour le moment cette situation lui convenait et ses revenus le satisfaisaient. Les enfants comblaient sa solitude, il pouvait laisser parler ses instincts protecteurs, et il avait du temps pour voir et aider ses amis. De toute façon, à l'heure actuelle, il n'avait pas la moindre idée de ce qu'il pourrait faire d'autre. Peut-être assistant vendeur, serveur, ou n'importe quel autre métier avec du contact et qui ne demande pas de grandes capacités ou de grand diplôme.

- Si tu deviens concierge à Sainte-Mangouste, tu verras mes parents, ajouta-t-il toujours sur le ton de la plaisanterie. Surtout mon père. Il parle à tout le personnel. On dirait que Sainte-Mangouste est sa seconde maison et que les gens qui y vivent sont sa seconde famille, parfois.

Il y avait des jours où Kalev regrettait un tout petit peu de ne pas avoir rejoint cet univers ; de ne pas travailler aux côtés de ses parents, de ne pas avoir répondu à leurs attentes, de ne pas partager ça avec eux. D'un autre côté, Kalev était réaliste. Il n'aurait jamais eu le niveau, les compétences, les connaissances, pour faire un métier comme celui-là. Pas qu'il soit bête ; mais il n'aurait jamais supporté la possibilité de faire une erreur et de mettre quelqu'un en danger, et le stress rend idiot.

C'était bien parce que les équipes recrutaient directement sur le terrain que les chances de Kalev auraient été nulles de se lancer dans une carrière sportive. Orion avait le talent. Pas lui. Il jouait pour le plaisir, pas pour le progrès. Il admirait son frère, et il admirait Astrid, de se sentir assez bons et assez braves pour vouloir se dédier à quelque chose d'aussi compliqué. La Gazette du Sorcier en parlait : tous les ans, des jeunes déçus de ne pas avoir trouvé de place dans une équipe décidaient d'abandonner le Quiditch et de trouver un quelconque autre emploi.

- Peut-être qu'un jour, tu te retrouveras sur le même terrain que mon frère, rit Kalev. En alliée ou en adversaire. Si tu toques aux bonnes portes, tu pourrais t'entraîner avec lui tous les jours. Plus besoin de moi pour obtenir un autographe.

Ceci étant dit, si jamais Astrid venait vraiment à fréquenter Orion de manière aussi intensive, Kalev doutait fortement qu'elle désire à nouveau un autographe. Orion était sympathique à admirer de loin, mais beaucoup moins cool quand on le connaissait de près. Il fallait être au minimum son petit frère pour continuer à l'aimer malgré ses nombreux défauts.

Kalev prit entre ses doigts l'avant-dernière des pâtisseries qu'il avait amené et la mangea mollement. C'était fatigant d'avoir à penser à l'avenir et à où aller et quand y aller. C'était pour ça que Kalev n'avait jamais eut hâte de grandir. C'était pour ça aussi qu'il s'amusait à donner à ces petits jeunes protégés du bon temps sans se préoccuper de quoi que ce soit. Le but d'une bonne nounou, c'était que les petits passent une bonne journée.

- Quand tu seras devenue une grande joueuse, c'est à toi qu'on demandera des autographes. Et c'est de toi dont on parlera dans les journaux. C'est plutôt pas mal quand on y pense.

A condition d'aimer la célébrité, bien sûr, mais ça faisait partie des petites contraintes qui allaient de pair avec un bon jeu. Orion n'avait pas échappé à la célébrité en dépit de son caractère, alors ça ne manquerait pas pour Astrid non plus, sans doute.