« Vous pourriez vous retrouver au chemin de traverse en utilisant de la poudre de cheminette ou par le biais d’un portoloin, non ? » Esquissa distraitement Elise ; un sourire simple mais bien ancré oubliant par la même occasion le deuxième prénom. Vance. Cela la titillait toujours, d’entendre sa cadette en parler, dans un sens. « Le monde magique permet bien des choses, dis-toi que dans un an ou plutôt deux, tu pourras transplaner sans aucun soucis et en toute confiance. » Non pas le double d’elle car elle n’en aurait pas les capacités ; mais car elle ne se verrait pourvu de la majorité que dans deux longues années, et pas une. Enfin, ce n’était pas bien important, n’est-ce pas ? Passant une menotte évasive dans son coulis doré, la blonde joua un peu ; les laissant finalement passer en arrière ; faisant s’échouer menotte tout contre tibia, la joue toujours affalée avec mollesse contre genoux amers. « Puis tu sais, ces derniers temps j’ai l’impression que les trafics de potions s’accroissent ; tu pourrais partager une onirique avec Wes, il suffirait juste de vous dire à quand la boire et le tour serait joué. » Ses lèvres s’entrouvrent, augmentent l’esquisse ; se rabaissent. « C’est magnifique, non ? » Mouvement de main, lent ; comme pour illustrer l’ampleur du propos : « La magie. »

Elle l’aimait tant.

« Elise aurait aimé croire que le temps s’était arrêté ; que rien ne la séparait plus de l’instant, puisqu’elle était à présent destiné à le vivre pour des mois, des années durant. Aussi esquissa-t-elle un sourire, après un fin soupir ; quand la question de sa cadette vint rebondir avec mollesse contre sa joue. Il y avait eu comme une affirmation, comme un cri lent ; puis un changement de cap tournant vers l’interrogatif. Aussi la blonde se contenta-t-elle de dévisager sa cadette, l’œil gentil. « Hm. »

Monosyllabe semblant prendre tout l’air de ses poumons, semblant remplir tout l’espace de la pièce ; écrasant tout autre atome, inapte à rivaliser. Se redressant un peu ; ajustant sa position, la sixième année balança son regard au travers de la fenêtre, imitant le geste répétitif de Sloan jusqu’alors. Le temps filait bien, c’était indéniable ; bien que lentement ; bien qu’au ralenti, il poursuivait sa route, gravait son chemin. Et tout contre son derme Elise pouvait le sentir, imaginer ses cellules dépérir une par une ; dans une agonie si graduelle et paisible qu’elle s’imprégnait de mesure. Tout semblait alors déjà dit, déjà fait, alors que si peu encore avait été produit ou vécu. Souriant de nouveau, plus simplement, elle avait repris : « C’est l’histoire d’une routine, j’imagine. » Et c’était faux.

Tellement faux, tellement gros et coutumier que cela en devenait plausible. Il y aurait cru, elle aurait suivi. Ils auraient échangé un regard morne, quasi vide ; celui propre aux mensonges poussiéreux partagés qu’ils n’avaient même plus la force de démontrer. Quoique. Ils l’avait fait ; mettre les choses au clair. Pouvait-elle continuer une danse alors qu’elle-même avait tant voulu y mettre fin ? Ses yeux se redressèrent vers le plafond ; alors que son menton semblait s’imbiber, s’emboiter à l’extrême dans ses genoux, sagement placés. « Il n’habite pas très loin de chez moi ; ni trop près non plus mais — au contraire de toi et Wesley c’est une distance qui peut se parcourir à pieds. » Ses obsidiennes étaient venues effleurer le fou de l’échiquier - elle les avaient toujours adorés - puis étaient remontées jusqu’à la brunette. « Donc j’imagine que je vais aller le voir, oui ; et puis, peut-être changer. » Les habitudes. Les façons d’être ; de se présenter. D’agir.

A vrai dire elle y avait déjà tant pensé.
« Et toi ; autre que Wesley et moi ? » Sourire, serein ; presque paisible.

« Il y avait eu une évidence lâchée dans l’air ; un ton plus fort qu’il n’aurait du l’être puis des mouvements subtils mais bien présents. La jeune gigotait, l’ainée esquissait des moues infimes et improbables, pinçant lèvres puis regardant le ciel ¬— celui bien matériel et bien mural au dessus d’elle. Il aurait pu leur tomber sur la tête qu’elles n’auraient réagi. Ni l’une, ni l’autre. Etrangement, la pensée la fit sourire — que pouvait-elle bien faire d’autre, après tout ? « Vance ne parle que de soi. » Rire ; cela avait été quasi inaudible, mais suffisamment marmonné pour sembler sincère. Elle aurait du sans doute dire : Vance ne parle jamais de personne. Enfin, ce genre de subtilités leur appartenait, elle ne demandait pas à quiconque de comprendre. Aussi quand la brune s’exprima, la sixième année ne put réprimer un réel sourire — elle s’était méprise sur sa question. Je te demandais qui tu allais voir cet été, pas comment tu allais. Enfin ; il n’était pas désagréable d’apprendre qu’elle allait mieux — on disait toujours qu’on allait mieux, ou bien ; quand on nous le demandait. C’était indéniable, rares étaient les personnes à savoir saisir la vérité — et à cet instant Elise était bien trop paresseuse et songeuse pour songer à distiller vers et pensées venant de la grande enfant lui faisant face. « L’on dit souvent que dans chaque relation, celui qui aime le moins est toujours le plus heureux. »

Cela lui correspondait bien, au final. A elle ; au détriment de nombreux autres. « C’est amusant, que nous soyons serdaigles, toi et moi. » Et sans doute l’ajoutait-elle pour ne pas l’exclure, pour ne pas l’omettre, la jeter en aparté ; en dehors de ses propres pensées. C’était amusant, oui ; de se retrouver dans la maison des vifs d’esprit, des intellectuels et autres génies — de s’orner de certains atouts, de se savoir apte à observer les autres et à saisir leurs nuances ; quand on se pigeait soi-même dans faits établis. « Celui aimant moins bénéficie d’une assurance ; celui aimant moins est le doré parmi les plaqués or. C’est un concept peut-être difficile à saisir, mais l’idée est là, je suppose. » Sourire en coin, son visage s’incline et ses cheveux viennent se rependre au travers de ses pommettes ; laissant s’entrevoir yeux grands ouverts. « Que préfèrerais-tu être, des deux ? »

Elle-même avait sans doute finit par choisir. Il n’était pas question de hasard ou de sentiments prenant le dessus ; plus d’un fait réfléchi, ressenti et calculé — puis opté.
Pour Vance, elle avait toujours été celle aimant le plus — et avait décidé de continuer. Les conditions à ces cas particuliers pouvaient-elles changer ? Devait-on se battre, se montrer tacticien ; ou laisser couler ?

Simplement s’accommoder ?
Rire.

« C’est un bon refuge. » Avait lâché Elise après un temps ou deux. Que dire de plus ? Qu’était-il de plus plaisant que de faire croire que l’on aimait tout et tant bien, alors qu’en vrai les véritables sentiments n’étaient non pas desservis par océan mais par ruisseau étroit presque étanche. La pensée fit naitre un maigre sourire, puis un rire — aussi la question de sa cadette lui revint. Qui avait-il bien d’amusant dans tout cela ? Pourquoi riait-elle ? C’était absurde.
Ou peut-être pas ; elle ne savait pas.
Elle disait toujours cela. Qu’elle ne savait pas, qu’elle ne cherchait pas à savoir ou n’avait jamais cherché à ; qu’elle ne voulait pas ou voulait peut-être, que c’était au dessus de sa propre compréhension. C’était une fuite aisée ; quasi involontaire, plus spontanée qu’habituelle. Une routine, pourrait-on dire ; pourrait-elle affirmer, doucement, presque humblement. « Faire croire que l’on aime le plus. Peut-être cela forme-t-il de la vanité chez l’autre ? Chez celui qui ne sait pas mais croit savoir ? Je ne sais pas. Dans tous les cas la chute est toujours moins difficile quand l’on aime moins ; et sans doute toujours plus difficile quand on croyait être en sécurité. » Soupir distinct ; la blonde préfète n’était pas vraiment d’humeur à continuer ses discours aux tendances abstraites ; quasi qualifiés de perchés. « Enfin, c’est ainsi. »

Pause.
« Tu t’imagines avoir des enfants ? » C’était sorti tout seul, calmement — sans aucun sursaut. Le minois était resté tout contre genoux, et les cheveux s’étaient contentés de poursuivre leur lente mais progressive fusion avec chaque parcelle de derme mis à découvert.

« Un mensonge avoué est à moitié pardonné, qu’ils disent. » Regard en coin, d’un vert d’eau paisible ; trop clair pour sembler profond. « Tu sais, l’amour n’est pas que romantique. » Et elle ne pouvait s’empêcher de bouger tout en disant cela, de jouer un peu avec son visage, laissant sa tête dodeliner quelque peu — sans doute était-ce pour donner de l’effet à ses propos, à moins qu’elle ne tentait de se charmer elle-même. « N’as-tu jamais aimé ? » Sourire en coin, mince et doux ; presque joueur. « J’aime Silas. » Et elle ne savait pas pourquoi ce prénom était sorti parmi tant d’autres — mais c’était vrai, indéniable ; même si peu énoncé. Pourquoi fallait-il toujours clamer haut et fort ses appréciations ? Pourquoi fallait-il se déclarer et s’affirmer ? Pourquoi fallait-il montrer que l’on aimait le plus ; dans tous les cas, dans toutes les situations ? Était-ce un effet de mode ? Ou une simple consolation. A croire que certains n’arrivaient pas à s’avouer qu’ils étaient les plus aptes à souffrir entre deux. Alors ils se précipitaient dans le gouffre pour recevoir sentence ; continuant d’espérer aveuglément qu’au fond d’eux-mêmes cette prémonition se trompait.

Tragédie. Et ca la faisait rire Elise, dans un sens. Aussi se redressait-elle, enserrant fermement ses tibias entre ses bras ; scellant le tout d’une poignée diffuse mais bien présente — mais gauche sur poignet droit. Son dos était droit, quasi ; et sa tête quelque peu en arrière, ses cheveux avaient délaissé son minois pour se déverser sur ses épaules et dans son dos, se perdant tout contre le dossier de la chaise. « Je t’aime, aussi. » Et ses yeux s’étaient fondus de lumière ; rencontrant rayon solaire. C’était éblouissant, presque dérangeant — aussi la sixième année cligna des yeux, détournant quelque peu son regard ; bougeant son port de tête.

Inspiration, air relâché ; demoiselle qui se penche, laissant coulis doré reprendre dessus — iris affirmés. « Et Vance, évidemment. »

Cela avait sonné comme une sentence.
Le ton avait été commun, mais quelque chose avait donné le coup d’épée. Aussi Elise relâcha toute pression, s’affalant ; déconstruisant sa structure et ses poses nonchalantes. D’un jeu d’yeux ; elle acheva : « Tout n’est qu’une question de dosage, de plus et de moins — on rêve tous d’être le premier dans le cœur et l’esprit de quelqu’un. Mais ce n’est pas pour autant que nous n’avons jamais aimé — n’aimes-tu pas Wesley ? Aussi maladroit ou incertain peut-être le sentiment ; l’important est qu’il soit présent. C’est la première chose à savoir, car c’est ce dernier qui provoque la question de qui est le doré et qui est le plaqué. » Sourire émincé ; laissant apparaître rangées de dents bien alignées : « Je pense que tu feras une bonne maman. »

Pause. « Vraiment. »
Yeux brillants, esquisse dénuée de sous-entendus ; juste présente.

« Et elle avait envie de pleurer — sans savoir trop pourquoi, sans chercher pour autant. Il y avait des fois ces sensations vous prenant au buste, serrant votre cœur et tordant votre estomac, étouffant votre trachée et lancinant votre gorge. Aussi Elise écouta sa cadette, souriant à demi ; laissant son visage se distorde entre deux factions. C’était si simple, de se tenir ainsi immobile, à l’écoute, le facies de nouveau fondu tout contre genoux remontés. « J’espère que tout ira bien pour vous. » Et elle avait dit ça d’un ton simple, dénué d’insinuation — il y avait ces fois où l’on énonçait ces phrases types et stéréotypés en les pensant sincèrement ; n’arrivant à formuler l’idée autrement que comme tout autre. Et elle en avait tellement rit, de ces phrasés habituels lancés à la volée ; gris et estompés. « Je me demande ce que vous allez faire après. » Œillade amusée, esquisse taquine. Qu’allait-elle bien faire, elle ; après ? Il semblait si compliqué de choisir, et si Elise s’était laissée grandir, il y avait ces instants ou tout désir restait figé ; ou l’envie se nichait dans l’immobilité.

Après tout, on était si bien à Poudlard. « Vous pensez faire une formation commune ? Enfin, sais-tu ce que tu veux faire ? » Et ca l’intéressait, de savoir si sa cadette était tournée vers le futur — ou si elle y avait ne serait-ce que songé un instant.

« … » Il y avait eu un silence mince ; entrecoupé par quelques respirations grossières. Aussi Elise avait suivi inconsciemment le mouvement de sa cadette, venant réunir d’une paume son coulis doré ; le laissant se déverser d’un côté de son visage, de manière asymétrique. « Et n’est-ce pas beau, de voyager ? »

Sourire, fin ; laissant apparaître quelques dents seulement. « Wesley c’est du soleil ; je le vois bien finir par aider les gens. Médicomage, ou que sais-je. » Et ses yeux étaient perdus, perdus par terre ; un peu plus haut, un peu nulle part. C’était des tendresses grisées qui lui chatouillaient le cœur ; lui titillaient le recoin des lèvres. Il y avait eu une pause, aussi ; succédant au silence précédent de Sloan.

Mince sursaut, puis le regard bien fixe vers la serdaigle : « Et toi, ça ne te tente pas ? » Esquisse illuminée mais fermée. « De voyager, j’entends. » Après tout, à quoi cela servait-il, d’être seul et isolé — « Ensembles, évidemment. » Rire.

Étaient-ils seulement séparables.

« Il y avait eu un silence, puis diverses réactions ponctuées d’envies. L’une avait été directe, presque instantanée — le soupir, long ; difforme et fin. Tout droit destiné à Slater. Une autre, plus douce, avait été de venir enserrer de ses bras la jeune Serdaigle. Mais quand il s’agissait de cette jeunette en particulier, tout devenait plus compliqué.

Aussi Elise était restée roide dans sa paresse ; dans son écoute et dans ses mouvements de cils lents mais bien présents. Que pouvait-elle bien dire, ajouter ou combler ? Les mots qu’avaient prononcé Sloan l’avaient ramenée à sa propre réalité, à ses propres connaissances et à ses propres soucis sentimentaux. L’an prochain la tétanisait tout autant qu’il l’aspirait. Tant allaient partir, déserter et oublier. Tant allait s’envoler alors qu’elle resterait une année encore — tant étaient déjà partis. Comme Lucas, bien trop tôt ; bien trop vite — il avait été le premier des traites, le premier des lâches, le premier à jeter la pierre de l’oubli. Alors qu’il avait promis. Il allait y avoir tant d’autres, sans parler d’Adelheid, qu’elle avait pris si longtemps à approcher, que l’impatience avait fini par lui brûler les doigts et la tourner de manière malsaine.

Enfin — soupir. « Tu sais, le temps passe. » Et c’était avec une lenteur monstrueuse que ses yeux étaient remontés du tapis au parquet, du parquet aux pieds du fauteuil puis aux pieds humaines — venant finalement se loger après quelques autres longues ascensions dans semblables. Et d’un seul coup elle avait envie de se montrer égoïste, de clamer tout haut tout fort : j’ai redoublé.. Elle avait envie de crier tout d’un coup d’hurler dans quelques chuchotis difformes qu’elle avait contemplé ses égaux grandir à l’écart d’elle ; et qu’à présent elle allait subir leur départ, leur vrai, véritable et insoutenable. « Drew va grandir, comme tout autre. » Enfin j’espère. « Et puis, c’est un an — un an de voyage ; donc. Un an d’attente et de découvertes avant de revenir chercher l’autre personne à la source, sans doute. » Petites secondes d’arrêt, petite interruption ; comme si elle invitait les spectateurs invisibles à se glisser aux toilettes tant qu’il leur était donné le temps. « En un an il se passe de multitudes de choses, mais on oublie jamais la chose importante ; ou la personne qui est restée à nos côtés pendant bien longtemps. » Rire.

Comme si le petit Wesley pouvait se passer de Sloan.
Comme si il était imaginable qu’il ne revienne pas la chercher. « Crois-moi, que tu le veuilles ou non ; il t’embarquera. » Et tant bien même cela resterait plongé dans l’innocence, il était impossible de rabaisser le jeune Poufsouffle à des soupçons d’oubli et de négligence.