Sanaé était à la bibliothèque depuis une demi-heure déjà, et l’heure de son rendez-vous avec Icarus approchait. Ils avaient pris l’habitude, un peu naturellement, de travailler ensemble à l’occasion. Sanaé appréciait le calme et le sérieux du Serpentard - il avait le bon goût de ne pas trop essayer de faire la conversation pendant leurs séances de travail. Pas qu’elle n’était pas intéressée de faire connaissance avec lui - il avait l’air assez sympathique - mais elle avait tout de même mieux à faire. Elle aurait le temps pour une vie sociale dans ce futur idéal où elle serait une sorcière reconnue pour son intelligence et son esprit vif.

Elle vit finalement Icarus arriver et se diriger vers la table où ils avaient l’habitude de travailler. Elle lui fit un signe de tête en guise de bonjour, puis se replongea dans sa lecture - quelque chose de très intéressant sur les méthodes de métamorphose animales - en se disant qu’il allait s’installer en face d’elle, comme d’habitude, et qu’ils pourraient travailler ensemble en s’échangeant quelques paroles utilitaires.

Et puis tout à coup, Sanaé ressentit une douleur violente dans son postérieur. Elle laissa échapper un cri de surprise, se leva d’un bond, les mains sur les fesses, juste à temps pour voir un angelot avec un arc s’enfuir en rigolant comme un bossu. Interloquée, Sanaé resta muette pendant quelques secondes, regardant l’autre s’en aller.

« C’était quoi ça ? » Demanda-t-elle à voix basse, autant pour elle-même que pour Icarus. Puis elle secoua la tête et se rassit, prête à reprendre son travail, imperturbable.

Sauf que non.

Elle n’était plus imperturbable. Au contraire, elle se sentait bizarrement agitée, comme si tout à coup ses membres lui criaient qu’ils étaient engoncés, qu’ils ne voulaient rien de plus que de se remuer un peu. Elle était prise d’un ennui sans bornes. Les lignes des livres devant elle semblaient s’entremêler, elle n’arrivait plus à se concentrer. Elle leva les yeux. Vit Icarus. Un sourire amusé étira ses lèvres.

« J’en ai marre. » Dit-elle en fermant le livre qu’elle avait ouvert à peine quelques minutes plus tôt. « Tu veux pas faire quelque chose de plus… Intéressant ? » Proposa-t-elle avec un clin d’oeil. « Genre… » Elle regarda autour d’elle à la recherche d’une idée. « Tiens. On renverse l’étagère là-bas, on fait porter le chapeau à ce petit première année là-bas, et on regarde le bibiothéquaire lui faire la peau. »

Santé ne savait pas trop ce qui lui prenait, et une petite voix au fond de son crâne lui disait que tout ça n’était pas normal. Elle l’ignora complètement et, petit à petit, à mesure que la douleur dans sa fesse gauche disparaissait, la petite voix aussi. Ne restait plus qu’un ennui, une langueur extrême, qu’elle ne savait pas comment gérer. Enfin, si, elle savait. Elle en avait assez d’être la bonne élève qui passait ses journées à étudier - en fait, elle ne comprenait même pas comment elle avait pu passer plus de cinq minutes assise avec un bouquin entre les mains alors que les options de divertissement abondaient tant à Poudlard. Il était temps de s’amuser un peu.

Mais Icarus n’avait pas l’air pour du tout. Elle eut un petit rire. C’était mignon comme il croyait qu’il pourrait l’empêcher de faire quoi que ce soit juste parce qu’il était préfet. Lui aussi avait besoin de se lâcher un peu, après tout. Il était bien ennuyeux, Icarus, avec ses relations toujours cordiales avec tout le monde, à être dans les petits papiers du professeur de sortilège, avec sa petite amie bien propre sur elle… Oui, décidément, il fallait qu’il se déride un peu. Parce qu’elle trouvait l’idée amusante de voir si elle pourrait le faire rougir, plus que parce qu’elle le trouvait attirant, Sanaé étira le bras sur la table et commença à caresser la main d’Icarus avec ses doigts.

« Oh, sois pas comme ça, aller… Tu dois bien avoir envie de faire des choses en dehors du règlement parfois, toi aussi… C’est fatigant d’être toujours bien sage. Je le sais, j’ai essayé. » Elle arborait un sourire fin, et il était difficile de savoir si elle était réellement en train de draguer Icarus ou si elle se moquait de lui. Même elle n’était pas sûre de savoir, en fait - elle allait voir où ça la menait. Finis les plans sur la comète, elle vivait pour l’instant présent - et pour le moment, tout ça l’amusait

Comme elle s’y était attendue, et bien qu’il ait essayé de le lui cacher, Icarus avec rougit. Santé eut un petit rire qui ne disait rien qui vaille. C’était tellement plus amusant, finalement, de jouer à mettre Icarus mal à l’aise que de détruire le calme de la bibliothèque. Elle l’avait fait rougir. Parce qu’elle était une fille, parce qu’elle était attirante et qu’il ne voulait pas qu’on croit qu’ils étaient ensemble - parce que ç’aurait été plausible. Elle avait passé les cinq dernières années de sa vie à traîner dans les pattes d’Adonis en espérant qu’il la remarque, alors qu’elle aurait pu utiliser tout ce temps pour s’amuser - comme elle s’amusait maintenant - avec ses pouvoirs de femelle.

Icarus retira sa main, et le sourire carnassier de Sanaé n’en fit que grandir. Surtout lorsqu’elle entendit ce que le préfet Serpentard ajouta. « Sauf si on ne nous voit pas ». Il lui donnait tout bonnement le feu vert pour briser le règlement.

« Intéressant, » fit remarquer Sanaé. « Ce n’est donc pas ton respect pour les règles qui te retient, petit préfet parfait. Tu as bien raison. Après tout, les règles sont là pour être transgressées. Avoue que ça te manque, un peu de chaos dans ta vie. D’agir par instinct. » Elle se pencha vers lui au-dessus de la table, jusqu’à ce que leurs nez se touchent presque. « Je me demande si tu as le même code de conduite en amour. » Elle resta quelques instants comme ça, ses yeux plantés dans ceux d’Icarus, puis retourna s’asseoir dans sa chaise en riant un peu de nouveau.

Elle s’amusait follement. Il était tellement drôle de jouer comme ça de la gène d’Icarus, de le pousser dans un peu toutes les directions pour voir ce que ça allait donner… Voilà un sujet auquel elle n’avait jamais prêté d’intérêt, parce qu’il n’y avait pas de livres qui en parlaient, et comme c’était jouissif en réalité !

Voilà Icarus qui répondait point par point à ce qu’avait dit Sanaé, comme un devoir fait bien au propre sur du parchemin neuf, et en trois parties s’il vous plaît. Tout ça fit rire Sanaé. Il disait agir par instinct, et elle espérait bien lui donner raison. Elle voulait voir ce qu’il y avait en-dessous de l’apparence de ce « petit préfet parfait » qu’il se défendait d’être. Tout ça était bien plus intéressant que le plus volumineux des livres de la bibliothèque.

Ah, son instinct lui disait de décamper ? Un sourire carnassier aux lèvres, Sanaé pouvait comprendre…

« Et qui veux-tu fuir exactement ? Moi ou toi ? Je remarque pourtant que tu es toujours vissé à ta chaise. Il faut croire que tu n’écoutes pas tant que ça tes instincts… Ou qu’au contraire, ils te soufflent de rester. »

Et il n’était pas sage en amour. Intéressant. Sanaé eut un petit rire moqueur. Se rendait-il compte qu’il rendait les choses ô combien plus faciles pour elle ? Elle jeta un coup d’oeil autour d’eux. La bibliothèque était encore bien silencieuse ce jour-là, mais un groupe de premières années, assis trois tables plus loin, commençait à les regarder de travers. Parfait.

« Tu caches bien tes infidélités alors, préfet parfait. » Elle avait noté que le surnom l’agaçait - alors, elle en usait et en abusait. « Je me demande ce qu’en dirait ta Muriel… Ou bien est-ce Ariel ? Il faut croire que tu tombes sur des filles pas trop regardantes, pour te laisser faire ton preux chevalier aux yeux de ta belle. »

Sanaé savait qu’elle allait finir par le pousser à bout, et elle n’attendait que ça - le faire exploser, lui faire commettre une erreur, montrer sa faiblesse. Et elle y mettait toute l’application et la hargne qu’elle avait d’habitude à travailler.

Si elle se sentait différente ? Haha. Là il la fit carrément rire. Qui essayait de draguer qui, déjà ? Il rendait ça vraiment trop facile. Un sourire sarcastique accueilli la remarque suivante d’Icarus. Oh, elle le croyait, elle ne pensait certainement pas que c’était un amour inconditionnel pour Sanaé qui le faisait rester - et il savait (en tous cas elle l’espérait, sinon elle avait clairement mal jugé les trois neurones qu’il possédait) qu’elle le croyait. Mais pour le plaisir du jeu, elle ferait comme si. C’était bien plus amusant.

« Ecoute-toi parler un peu, petit préfet… Un sort te retiendrait sur place ? Ne serait-ce pas plutôt ton indéniable attirance envers moi ? Aller, tu peux l’avouer - on le sait tous les deux pourquoi tu passes tant de temps à étudier avec moi, et c’est certainement pas pour faire plaisir à ta préfète. »

Et là, alors qu’elle commençait vraiment à croire qu’il était absolument ennuyeux et qu’elle ne pourrait rien en tirer à part quelques jeux sur les mots, voilà qu’il lui murmurait des mots doux… Il ne savait donc pas qu’elle n’attendait que ça ? De le faire prendre en flagrant délit de flirt avec pour témoins toute une bande de première année. Oh, comme elle voudrait être une petite souris pour voir la conversation que tout ça allait générer entre Icarus et sa Cyryiel…

« Bien sûr avec moi, » dit-elle, un sourire carnassier aux lèvres. « Avec qui d’autre ? » Elle se penchait de nouveau vers lui. « C’est pas pour rien que tu passes la matinée de la Saint-Valentin avec moi plutôt qu’avec ta Cyryiel… Oui, je connais son nom, ça te va mieux comme ça ? Elle doit être bien contente d’être tombée sur grand dadais comme toi, vous faîtes bien la paire. » Elle tendit sa main et caressa doucement la joue d’Icarus. Du coin de l’oeil, elle voyait ses témoins se donner des coups de coude et les montrer du doigt. Oui, Icarus était sûrement coincé là à cause d’un sortilège - et Sanaé comptait bien en profiter.

Ah, il n’aimait pas que Sanaé l’appelle « petit préfet »… Il n’avait donc rien compris ? C’était toute la confirmation qu’il lui fallait pour continuer. C’était encore plus amusant comme ça. Il avait vraiment l’air au bout du rouleau, le pauvre petit Icarus… Peut-être même qu’elle irait plus loin que de juste animer un peu sa relation avec Cyryiel. Peut-être bien qu’elle allait voir si elle pouvait le faire utiliser la magie dans la bibliothèque. Lui mettre les professeurs à dos, pour voir. Oui, voilà. Voyons jusqu’où on peut aller.

« Mon hypothèse ? Si tu ne sais pas lire entre les lignes, ce n’est pas moi qui vais t’y aider, petit préfet. Ils n’apprennent donc pas la subtilité à Serpentard ? »

Et voilà qu’il parlait de réviser ses B.U.S.E.S…. Vraiment, il lui facilitait tellement la tâche, bientôt ce ne serait même plus drôle.

Quoique, si. Toujours drôle.

« Dis-moi, je te fais vraiment de l’effet… Voilà que tu ne te souviens même plus que tu as déjà passé tes BUSES il y a deux ans. Tu voulais parler de tes ASPICS peut-être ? Et toi qui dis que tu viens juste me voir pour étudier, alors que tu ne te souviens même pas quels examens tu prépare. Tut tut tut. Tu es un vilain petit préfet dis-moi. »

Elle lui caressa la joue, d’un air qui pourrait sûrement passer pour séducteur vu de l’extérieur. En réalité, elle n’éprouvait aucune attirance pour Icarus, mais elle savait que ce genre de choses le mettrait on ne peut plus mal à l’aise. Et ça marchait. Il rougissait. Sanaé n’en revenait pas de la facilité qu’elle avait à le pousser à bout, vraiment, c’était trop drôle. Elle laissa échapper un petit rire mesquin.

Et voilà qu’il se rendait. Déjà. Elle en était presque déçue… Mais non, en fait, elle n’allait pas le laisser s’en tirer aussi facilement. Vous avez commandé un dilemme cornélien ?

« Très bien. » Dit-elle avec un sourire mauvais, retirant sa main. « Je te laisse tranquille à une condition. Tu m’embrasses. Ici. Maintenant. Devant les mioches d’à côté. »

Voyons ce que tu penses de ça, préfet parfait.

Il n’apprenait pas, vraiment. A essayer de se défendre comme ça il ne faisait que jouer son jeu. Comme il était naïf. Il aurait vraiment dû finir à Poufsouffle avec tous les hippies de Poudlard plutôt que chez les calculateurs Serpentards. Il faisait honte à sa maison, vraiment. Et Sanaé adorait ça. A vaincre sans péril on triomphe sans gloire ? Peut-être mais Sanaé à présent n’en avait rien à carrer de la gloire. Tout ce qu’elle voulait, c’était tromper l’ennui. Et pour ça, pas besoin que ce soit difficile - divertissant, ça suffisait.

« Je suis donc une fille très jolie, tu rougis quand je te caresse la joue et malgré tout ça, tu reste ici, assis avec moi, incapable de bouger à cause d’un prétendu sort (qui a bon dos, d’ailleurs). Je vois, je vois… J’en aurai des choses à raconter à ta préfète, préfet parfait. Je me demande ce qu’elle en pensera. »

Il était vraiment trop mignon, comme un petit chien éclopé, avec son sourire malicieux comme si enfin, il avait trouvé la faille de Sanaé. Il l’embrassa sur la joue. Enfin, il faisait quelque chose d’imprévisible - et d’intelligent. Voilà qui était intéressant. Quelques heures plus tôt, Sanaé aurait été furieuse contre elle-même de se faire berner aussi facilement, elle aurait pris ça comme une atteinte à son intelligence, mais à présent, elle n’en avait absolument rien à faire. Comme ça, c’était bien aussi. Elle pouvait continuer à jouer.

« Ah, tu es tout fier, hein. C’est chou comme tu crois que ça va te suffire pour t’en tirer. Si tu veux jouer comme ça - tu remarqueras que je n’ai pas dit Jacques a Dit. Tant pis pour toi. » C'était bas - mais Sanaé n'en avait rien à faire.

Après réflexion, elle se rendit compte que depuis la table des premières années tout ça était déjà bien assez suspicieux. De loin, ils se comportaient vraiment comme un couple le jour de la Saint-Valentin - alors que tout le monde savait que le préfet Icarus et la préfète Cyryiel étaient le couple le plus stable de l’école. Sanaé éclata d’un rire joyeux, détendu, comme si Icarus venait de lui faire un compliment qu’elle n’osait pas accepter, puis elle se pencha à son tour vers le Serpentard et déposa à son tour un baiser sur sa joue.

Sanaé n’était plus la même. Oui, elle s’en rendait compte - elle n’avait pas fait l’impasse sur les quinze premières années de sa vie - elle voyait bien qu’elle avait changé, comme ça, du tout au tout en quelques secondes. C’était évident. Elle n’était plus elle-même. Avant, elle respectait et appréciait Icarus, et, même si elle ne le lui aurait pas avoué, même si elle ne le serait pas avoué à elle-même, elle aurait vraiment aimé gagner son amitié. Elle n’avait pas besoin d’un camarade d’étude. Mais c’était la seule forme de relation sociale qu’elle arrivait à justifier. Oui, Sanaé avait changé, elle n’était plus respectueuse, elle n’était plus gentille, tout était bon pour tromper son ennui mortel, et elle n’en avait absolument rien à faire des sentiments d’autrui.

Et qu’est-ce que c’était libérateur.

Elle écoutait Icarus se justifier et elle le trouvait gauche, pataud. Il essayait de se dépêtrer d’une situation désagréable, comme un insecte qui se débat dans la toile d’une araignée. Il ne comprenait pas que l’araignée n’était pas touchée par ses atteintes. L’araignée ne répond pas à la logique. L’araignée a faim, l’araignée joue puis te mangera.

Un sourire mauvais étira ses lèvres. Gamine ? Oui, elle était gamine, elle était adulte, elle était une sale gourgandine, elle était tout et n’importe quoi tant que ça pouvait taper sur les nerfs d’Icarus. Elle le voyait commencer à s’énerver, elle voyait qu’elle touchait enfin au but. Il sortait sa baguette, menaçait les élèves d’à côté de sa baguette. Ne se rendait-il pas compte qu’il ne faisait qu’aggraver son cas ? Le mal était fait. Pour un observateur extérieur, il avait passé une bonne demi-heure à flirter avec Sanaé. Il l’avait embrassée sur la joue, il avait rougit quand elle lui avait caressé la joue. Il l’avait fait rire. Le jour de la Saint-Valentin. Et quand il s’était rendu compte qu’il était observé, conscient d’avoir fait quelque chose de répréhensible vis-à-vis de sa petite amie, il était devenu violent et avait fait fuir les témoins.

Oh, il faudrait vraiment que Sanaé trouve le moyen de voir la discussion qu’il allait avoir avec sa Cyryiel. Ca promettait tellement.

« Oh, le petit préfet parfait commence à perdre sa carapace, à ce que je vois… Tu crois que tu vas me faire peur ? Tu vas faire quoi ? m’attaquer ? » Elle parlait d’une voix légère, tout à fait détendue. Elle écarta les bras, s’exposa, sans défense. « Vas-y. Ca ne me fera pas partir. Ca ne me fera pas taire. De toutes façons, le mal est fait, tu n’y peux plus rien maintenant. Je me demande vraiment comment ta préfète va réagir. Ce sera sûrement très ennuyeux, en fait. Plein de larme et de reproches… Mais c’est toujours mieux que rien. »