« Il lui avait souhaité bonne nuit d’un sourire et d’un geste de main, l’avait regardé s’éloigner sans trop rien dire. Aussi était-il resté là, Ludovic — à caresser d’un air distrait du bout de ses doigts le dossier de sa chaise. Les minutes avaient dévalé et depuis bien longtemps la porte de son coloc s’était rouverte ; histoire que les chats ne lui mènent pas trop la vie dure. Qu’allait-il bien pouvoir faire à présent, damn ? Se laissant trainer jusqu’à l’antre du brun, le blond s’accouda à l’embrasure étroite de la porte ; regardant le monticule de couette, de chat et de — de fifi dormant. Rire soufflé, plus soupir traversé d’une esquisse amusée qu’autre chose.
Ca l’apaisait, de voir l’autre gars se reposer ; et des fois l’ancien préfet se disait que les nuits à deux le manquaient. Juste car c’était différent — juste car avoir Cassandre avec lui l’avait toujours un peu apaise. Comme lorsqu’ils se roulaient tous en boule dans le salon sur le tapis bien épais ; se servant mutuellement d’oreillers et que leur mère passant par la leur balançait un édredon ou deux. Sept gamins dont certains déjà avec un boulot fixe faisant les larves — des gros chatons humains, en somme. huhu.

Se séparant de ses rêveries et de la scène s’offrant à lui, l’apprenti médicomage se frotta les cheveux ; allant se récurer un peu et — et enfiler un manteau ouais. Gros pull pour jean foncé et un manteau assez simple. Il faisait pas vraiment froid dehors, mais l’envie lui prenait soudainement de prendre une écharpe. A la limite il se la fourrerait dans sa poche magique et tout irait bien. Un regard dans la glace lui apprit qu’il était en train de recommencer à boucloter. Urgh. Il allait devoir refaire sa teinture récemment, aussi — il en oubliait qu’il était brun d’origine, des fois. Se perdant lui-même dans ses yeux verts, Ludo ne tarda pas à s’arracher à ses contemplations plus fatiguées que sincères et s’engouffra hors de l’appartement — dixit les rues. Dehors. Le vent la nuit et les rares lumières. Il n’avait pas trop envie de transplaner, pour une fois.
Il avait du temps devant lui, compreniez-vous — alors il ne tarda pas à s’enrouler sa grosse écharpe rouge autour du cou. Ses pas ne faisaient quasi aucun bruit sur le pavé alors qu’il rejoignait les rues plus peuplées et animées — comme quoi, même lorsqu’il se pensait seul au monde, l’on venait lui prouver le contraire. Londres et toujours Londres — si différente de Poudlard, si indifférente de votre petite existence. Que vous soyez agonisant ou pas importait peu à la grande ville, quels seraient les gens se préoccupant de votre absence ? Le temps ne s’arrêtait jamais de s’écouler à Londres ; et chaque occupant ne se résumait qu’à un grain de sable dans l’immense bac, rouage éternel. Huh.


Sainte Mangouste. Quelques rires, des moues fatiguées et des cernes se faisant clairement ressentir. Daniel et lui-même arpentaient les couloirs en se bousculant un peu, essayant de se donner de la force et de déclencher des soupçons d’éveil en chacun d’entre eux. Mais c’était pas facile, c’était quoi ? Trois ? Quatre heure du matin ? Au début tout était allé, quelques cas assez important pour vous faire courir et suer comme de gros tas s’étaient fait signaler vers minuit ; et à présent plus rien. Ce depuis de longues et interminables minutes. Alors les deux internes s’échangeaient des accolades, se transformant pilier humain pour l’un comme pour l’autre. Et c’était un bon pote, ce Daniel ; ses cheveux corbeaux scintillant alors que son regard de velours vous — vous faisait pas grand chose en fait. Étrangement Daniel avait l’âme d’un rouquin, le rire simple et la simplicité dans la peau — mais voilà, avec ses cheveux d’ébène le tout lui donnait un petit côté mystique et penseur. Au final il l’avait aussi, sans doute — se l’était intégré avec le temps. Enfin enfin enfin. Les deux s’égaraient, et Ludovic n’arrivait plus vraiment à aligner deux mots corrects dans son esprit. Il était levé depuis quoi ? Sept heure du matin ? Sept heure trente peut-être. Vivement sa matinée ; car sincèrement cette journée ne semblait pas avoir de fin — tant bien même avait-elle été parsemée de pauses. Foutue dernière année. Ou du moins approximativement. Il savait pas trop quoi faire de sa vie, le blond. Pas trop encore — le boulot à St.Mangouste lui plaisait bien, pourtant. « Tu veux un tonifiant ? » Demande de Daniel à sa gauche. « Un café ? Enfin un de ces trucs amers que l’on nomme café ? » Petit rire sortant de la gorge du blond. « Un truc un peu plus mortel. »

Et il aurait du se méfier, le Ludo.
Car seigneur, il n’avait jamais bu quelque chose aussi dégueulasse de toute sa vie. L’envie de gerber avait été si forte qu’il avait du se plier en deux une main contre le mur alors que l’autre crétin ricanait un peu — riait de compassion comme de sa bonne affaire. Partager le malheur et le tourner au dérisoire, saviez-vous. Halala. Pauvre gars. Pauvre Dave. Foutu monde et foutus horaires.
Les dernières heures se passèrent dans un flou quasi total, quoique deux trois interventions furent nécessaire ; le mal de bide de la pauvre créature anciennement rouge et vive ne se décida à disparaître. Urgh. « T’es vraiment trop con. » Avait-il fini par lâcher d’une grimace un peu jaune, alors qu’un demi rire perçait ses lèvres. Comment l’autre arrivait-il à boire ce genre d’infamies ? Mystère.


Craquement dans l’appartement, bruit de toux. Un petit bordel s’échappant dans le silence ; une touffe blonde émergeant de l’entrée, un manteau balancé en vrac sur le machin servant à. Du moins pensait-il. Actuellement il avait juste atterri dans la chambre de son coloc, à moitié sur son lit. Son manteau s’était égaré à terre et ses chaussures ensorcelées étaient parties se ranger sagement à la véritable entrée. Aussi ne put-il faire un mouvement qu’il basculait et s’étalait déjà de tout son long sur le pieu de son camarade. Une pensée tenta vainement de l’alerter que ce n’était pas normal, que ce n’était ni Cassandre ni personne — ni même Camille ; et qu’il avait plutôt intérêt à dégager. Mais bon. Aucun effet. La blonde créature était déjà dans un coma profond, se bougeant un peu dans son sommeil quasi total ; basculant un bras comme à son habitude vers le quelque chose — le vide ou le plein. Rehaussant sa tête sur l’oreiller, il était déjà parti pour un univers sans rêve. Un trou noir des plus réparateurs. Amen.

Garfield n'avait même pas entendu le bruit du transplanage ; il dormait. Par contre, quand il sentit un poids s'écrouler sur lui, il ronchonna, sans même ouvrir un oeil, deux-trois mots disant à l'intrus de dégager sans réellement de conviction. Il renifla, enfouit son nez dans l'oreiller, et retourna à un sommeil paisible.

C'était déjà arrivé, après tout, que quelqu'un se plante de lit à Poudlard. Tant que les gens étaient corrects, il n'avait pas eu trop de mal avec les siestes communes. Sauf que là, malgré ce que son cerveau embrumé voulait lui faire croire, il n'était plus à Poudlard.



Un autre truc qui n'était pas arrivé depuis longtemps était que Garfield se réveille en mourant de chaud. Habituellement, il tâtonnait à la recherche de la couette qu'il avait envoyée valdinguer, la remettait sur lui et se rendormait. Là, lui semblait que la couette chauffait toute seule, et s'accrochait à lui, sensation étrange s'il en est. C'était plutôt agréable globalement, mais il avait définitivement trop chaud et, à moitié dans les vapes, il tenta de se gratter la nuque, contre laquelle il lui semblait sentir un souffle. Au pire, il enverrait valdinguer un chat, comme d'habitude.

Sauf que ce n'était pas un chat.

Sa main rencontra une forme bien plus large que les tas de poils qui parsemaient généralement son lit, et il redressa la tête avec une moue intriguée, plissant ses yeux de myope.

« Qu'est-ce que... »

Et tout d'un coup, Garfield fut extrêmement bien réveillé. Dans un réflexe malheureux visant à éjecter le bras qui l'entourait, il poussa le squatteur un grand coup, et le plancher vibra sous l'impact du corps endormi qui lui tombait dessus. Le pauvre Fifi aurait peut-être dû s'excuser, mais il n'arrivait pas à fermer la bouche, alors il valait mieux ne pas tenter de former des mots.

Qu'est-ce que Ludovic foutait dans son lit ? Comment ? Pourquoi ? Est-ce qu'il avait fait une connerie ? Est-ce qu'ILS avaient fait une connerie ? Son teint vira au vert.

Plutôt que de réagir comme une personne sensée et de s'enquérir du pourquoi de cette situation étrange, il obéit à son instinct, qui lui hurlait de trouver une excuse pour se barrer loin sans pour autant vexer son pote. Et c'est ainsi que le truc le plus débile de la planète sortit de sa bouche.

« Les courses ! », fit-il avec un claquement de doigt.

Mais c'est bien sûr, les courses ! Révélation, illumination grandiose.

« J'avais dit que je ferais les courses ce matin et euh il faut que j'y aille, je bosse à midi ! »

Il se leva comme un diable sortant de sa boîte, chopant son pantalon de la veille et l'enfilant vite fait, avant de s'enfuir vers l'entrée une fois qu'il eut attrapé sa baguette. Un milliard de questions tournaient dans sa tête, et s'il ne trouvait pas vite de l'air frais, il allait faire une syncope.

« Jeeeee reviens. Tout à l'heure. Peut-être. Je crois. »

Et il était parti, pouf, comme ça.
Réaction extrêmement crédible.
Surtout si on comptait le fait qu'il avait oublié ses lunettes.

« Ludovic n’avait pas compris. Jeté hors de son sommeil, balancé à terre ; agressé par divers bruits et remue-ménages. Son regard encore étourdi, sa moue pâteuse et ses neurones comateux n’avaient rien aidé. Aussi était-il là ; délaissé par son coloc partie comme une furie. Et c’était un peu difficile pour la masse blonde de recoller le puzzle du pourquoi du comment. Le machin brun avait parlé de courses et ? Mais… Pourquoi ses lunettes étaient encore sur la table de chevet ? Whuuut.

Mal de ventre — migraine soudaine. Urgh. Tâchant tant bien que mal de se redresser, l’ancien préfet constata qu’il était encore habillé de la veille. Un regard circulaire et il finissait par comprendre qu’il avait atterri non dans sa chambre mais dans celle d’Andersem. Well. Ce n’était pas un drame quand même ? Il aurait juste à s’excuser au retour de l’autre garçon et tout irait bien dans le meilleur des mondes.

Râlant contre lui-même et son manteau en vrac, la carcasse réussit enfin à se dresser de toute sa hauteur sans se sentir trop vacillant. Fallait peut-être qu’il lui envoie son patronus peut-être ? Enfin, poussant un soupir las ; la blonde créature se dit qu’elle le ferait bien plus tard. Après tout il avait d’autres priorités le Dave — genre nettoyer un peu le bordel puis genre. Se laver. Quoi de mieux qu’une bonne douche après toutes ces émotions et ce réveil similaire à ceux dans l’armée, hein ?

« T’es parti faire les courses, c’est ça ? S’rry pour toute à l’heure, j’crois que j’ai râté mon transplanage ce matin. Genre tôt. » Et hop, c’était envoyé. Par missive, d’ailleurs. Car il avait oublié sur le coup que son patronus ne ressemblait plus à rien. Une transition sans doute — comme quoi son phoque avait fait son temps. Etait-il en train de changer ? Bref. Ses affaires enfin rangées, Ludo bascula sous la douche avec un petit air content ; ses muscles et nerfs se relâchant enfin sous le contact de l’eau tiède. Quoique. Il avait toujours le sale mal de bide qu’il s’était choppé en buvant le truc chelou de Daniel. Fallait qu’il aille s’acheter une potion tout à l’heure du coup. Ah. En fait pas, non. « Ah et. Si tu passes vers le potionniste, tu pourrais lui demander une potion médicale ? Genre pour la totale, dis-lui mon nom ; normalement il devrait savoir quoi te donner. Si tu peux pas bah euh. Dis-moi histoire que j’y aille hehe. » Ca c’était fait. Bien. Un peu plus et Garfield allait se retrouver noyer sous les papiers. Attrapant une serviette propre, Ludo se sécha comme il put avant d’enrouler le machin autour de sa taille ; ses fringues étant dans son armoire et non dans la salle de bain. Logique. Fourrant ses habits sales dans le bac, il laissa s’échapper un énième soupir ; il n’avait jamais trop compris pourquoi Fifi insistait pour aller nettoyer leur linge aux machines, sachant qu’un coup de baguette suffisait pour les plus fainéant — mais il ne s’en plaignait pas, car seigneur, il n’y avait rien de meilleur que l’odeur de lessive et du vêtement propre.
Et il était là, quelques minutes plus tard, un jogging matière pull en guise d’habit ; à chercher quelques grains de café histoire de s’en faire un artisanal. Il se sentait vraiment pas de descendre au coin de rue, là, tout de suite. Alors il s’en sortirait avec divers sortilèges, hein. Sortant son vieux bouquin servant plus de brouillon memo que de réel livre, il chercha les instructions qu’il s’était marqué, le processus et les sorts nécessaires pour pas foirer sa boisson. Bien bien bien.
Chose faite, bonne odeur s’échappant d’une de leurs tasses, le blond alla se caller dans le fauteuil ; un petit air abstrait sur le visage. Fallait-il qu’il propose à Fifi de lui envoyer ses lunettes par sa chouette rayée ? Ramenant d’ailleurs les siennes sur son nez, en vain espoir de lutter contre sa migraine ; et aussi histoire qu’elle ne se transforme pas en douleur oculaire, Dave se laissa couler sur le sofa, sa tête partant en arrière.
Et c’était parti, son café posé dans un équilibre bancal sur l’accoudoir ; il s’était rendormi.

Il avait fallu qu'il arrive dans la rue pour se rendre compte qu'il n'y voyait rien, mais il était hors de question de remonter cet escalier ; quand il était perturbé, il ne pensait pas magie. Il ne pensait pas tout court, d'ailleurs. La porte de l'immeuble avait claqué derrière lui, et il s'était arrêté, comme essoufflé, pour prendre un peu d'air frais, et accessoirement enfiler le pull qu'il avait chopé dans l'entrée. Et qui n'était pas à lui, en fait. Tant pis, même si c'était un peu trop grand il n'était pas trop ridicule s'il relevait les manches.

Il allait marcher un peu, et essayer de se remettre les idées en place.

Le moins qu'on puisse dire, c'était que la réaction était exagérée. Il avait paniqué pour rien, parce que la situation était brusquement devenue plus awkward dans sa tête qu'elle ne l'était en réalité. Mais bon. A part soupirer et effectivement faire les courses histoire de ne pas rentrer les mains vides comme un con, il ne pouvait pas faire grand chose. Il avait du mal avec la familiarité, de vieux réflexes ancrés, et beaucoup de mal à savoir quoi faire devant un geste qui le mettait mal à l'aise. Il n'aurait pas dû être mal à l'aise, d'ailleurs, mais c'était plus fort que lui.

Il avait tout juste atteint le marché couvert lorsqu'un avion en papier se plaça en vol stationnaire à côté de lui. Évidemment. Foutus moyens de communication qu'on ne pouvait pas éteindre comme un téléphone. Il attrapa le papier pour qu'on ne le regarde pas de travers, prenant rapidement connaissance de son contenu en le collant presque à son nez pour arriver à lire, et haussa les épaules avant de le ranger dans sa poche.

Il n'avait pas de quoi répondre, et s'il envoyait un patronus il allait bégayer, alors ils en discuteraient plus tard, s'il fallait vraiment en discuter. Là tout de suite, il se sentait un peu trop con que pour envisager d'aborder le sujet, dans tous les cas. Le deuxième avion le fit soupirer, mais aussi réagir un peu plus.

Une potion médicale hein ? Il allait pourtant bien la veille au soir. Il s'était peut-être passé un truc ; Garfield était inquiet, mais méfiant. Peut-être que c'était juste pour qu'il rentre. Il regarda le papier fixement une minute, avant de le fourrer brusquement dans la poche du pull, le froissant au passage. Un détour par le potionniste ne le tuerait pas, si toutefois il parvenait à repérer l'échoppe au milieu des taches floues qui semblaient constituer le monde.


Deux bonnes heures plus tard, il était à la maison, poussant la porte d'entrée du mieux qu'il pouvait avec deux gros sacs dans les mains. Les réflexes magiques n'étaient toujours pas revenus, mais il était calme, c'était déjà bien. Sans trop faire gaffe aux alentours parce qu'il n'y voyait de toutes façons rien, il fila déposer tout ça dans la cuisine, avant de filer dans sa chambre chercher ses lunettes. Tout d'un coup, l'univers s'éclairait, et le début de mal de tête qu'il ressentait s'allégeait. Bon. Maintenant que c'était fait, livraison de potion. Ludo avait une journée de libre, et s'il était malade, il était certainement dans le coin. Plus vite ce serait fait, plus vite il pourrait s'enterrer dans sa chambre jusqu'au moment de partir bosser.

Le colocataire fut facile à trouver, endormi sur le canapé ; devait-il le réveiller ? Il haussa les épaules, et posa la potion sur la table basse à côté du café froid, qu'il venait de déplacer pour des raisons de sécurité.

Quelque chose lui disait qu'il était une poule mouillée, beaucoup trop stressé, et que cette stupide histoire allait dégénérer très rapidement juste parce qu'il n'était pas foutu de s'exprimer sans paniquer, ni d'affronter une discussion probablement étrange. Il se passa une main dans les cheveux, définitivement mal à l'aise, définitivement ronchon.

Il finit par s'enfuir vers sa chambre, le plus silencieusement possible. Il allait envoyer un hibou à quelqu'un, histoire de se trouver quelque chose à faire hors de l'appartement pour la soirée. Lâche.

« Cela fait quelques temps déjà que l’incident transplanage avait eu lieu. Ludovic se souvenait encore se réveiller sous les rayons solaires mordant sa nuque et les chatons écrasant ses jambes ; certains ayant décidé de jouer avec ses chevilles. Urgh. Aussi n’y avait-il eu aucun Fifi en vue, juste un sachet contenant sa bénite potion et un café froid devenu infâme ayant été déplacé.

Étrangement, depuis ce jour tout était devenu plus maladroit et awkward. Ils ne s’étaient pas vraiment expliqués — mais au final, qu’y avait-il à dire ? Aux yeux de la grande carcasse aucune explication n’était nécessaire. Il lui avait dit les faits par missive, point. Pas de quoi en faire tout un plat, non ? Enfin, l’on ne décidait pas des réactions d’un autre et encore moins des échanges hormonaux, hein. Alors le blond n’avait rien trop dit, se grattant la tête d’un air un peu contrit — c’était comme si il était devenu quelque chose d’un peu dangereux aux yeux de son coloc ou ? A quand les rires simples et les accolades ? A croire qu’à présent même le regarder s’affairer à droite à gauche alors que lui-même bouquinait n’était plus permis. Tout avait pris la saveur d’interdit, et les gestes brusques en cuisine comme dans la vie de tous les jours percutant ou effleurant Garfield étaient euh. Perçus bien plus différemment qu’avant.

Aussi s’y était-il fait, avec le temps. Avait avalé l’envie d’être vexé pour analyser le tout d’une autre manière — après tout, il avait toujours apprécié dévisager son cadet du coin de l’œil. Qu’il s’agisse de simples habitudes comme de petites gaffes coutumières, Ludovic souriait toujours aux comportements d’Andersem. Alors pourquoi pas cette fois aussi ? Il avait trouvé ses conduites, ses maladresses et délicatesses coutumières, pourquoi traiterait-il celle-ci différemment ? Au contraire, plus le temps passé ; plus voir le brun se tendre comme un arc ou lui balancer un regard de poule ayant avalé son propre œuf lui donnait envie de rire. Pas un rire moqueur, plus un de ces pouffements un peu tendre vous détendant les épaules et vous décontractant le dos et les muscles.

Alors il était là, à présent ; le Ludovic — à trainer comme il l’avait toujours fait, prenant notice de lui-même plus qu’auparavant. Et c’était un peu pareil avec Adersem — il l’observait, le grand blond ; laissait s’échapper quelques rires bambins à ses réactions. Il aimait bien le voir passer sa main dans ses cheveux déjà brouillons, comme faire quelques moues toutes aussi bizarres que concrètes. Il ne s’agissait pas vraiment d’un jeu m’enfin ; plus d’un amusement personnel pavant les journées du Dave de lumière. Et ça le mettait de bonne humeur de vivre avec l’autre, alors pourquoi ne pas voir les petits changements de comportements à son égard comme une bonne chose ? Chuckles.

Il avait l’impression d’avoir huit ans.
Même son visage ne ressemblait plus à rien quand il laissait s’échapper ses petits rires étouffés, cachés d’un dos de main. Il était beaucoup trop heureux de choses beaucoup trop banales dans sa vie beaucoup trop chargée et vide en même temps.
Oui.
Ludovic était un gamin.

« Garfieeeeeld ? » Prénom hélé dans l’appartement. Et au final, tout n’était-il pas redevenu normal ? Pendant de longs instants l’interne avait découvert que toucher son coloc n’était plus vraiment une bonne idée. Alors il avait arrêté. Était devenu un awkard à son tour — pour de vrai et bien, un peu bougon et renfermé. Mais maintenant que son point de vue avait changé, qu’il avait bien digéré ; il ne pouvait s’empêcher de vouloir embêter Garfield. Histoire de passer un peu de temps avec lui, un peu comme avant, quoique en un peu différent. Et ça le rendait plus vivant, aussi ; étrangement. « Est-ce que t’as faim ? Non car je comptais faire un truc vraiment sympa today ! » Encore un peu gueulé, la tête un peu en arrière, un peu tournée vers la chambre de l’autre garçon. Et c’était bientôt midi, après tout. Surtout qu’en ce moment les horaires étaient divins hehe. C’était toujours comme ça quand les guérisseurs revenaient après d’autres formations ou d’interventions. Merlin soit loué. Tout était parfait pour monopoliser Adersem. Aussi se serait-il contenté d’éternelles pâtes ; mais bon. Il allait tenter un truc cool, à force d’il ne savait trop quoi le frigo était plein. Alors autant se permettre un festin et vider le tout.

Une chose était sûre, si ils voulaient bien manger, il allait avoir besoin d’aide. Hein hein.

Garfield n'avait jamais autant travaillé de sa vie, ni autant détesté l'absence d'électricité dans le monde magique. Le pourcentage de lessive sale dans l'appartement n'avait jamais été aussi bas, avec le temps qu'il passait au lavomatic ; le grand secret de l'endroit était qu'il y avait du wifi, et qu'il pouvait donc en profiter pour passer quelques temps sur son ordinateur. Tout pour être occupé ou absent, même si c'était complètement débile.

Il avait eu raison, dans le fond, sa propre réaction avait dégénéré dés le point de départ, et il n'en avait jamais parlé, parce qu'il était constipé des émotions ; gros défaut s'il en est, qui débouchait sur un besoin de temps pour retrouver le naturel perdu. Malheureusement, il avait parfois l'impression que Ludo l'embêtait juste pour rire, au lieu de le laisser respirer. S'il essayait de prendre un point de vue extérieur, il se rendait bien compte qu'il était profondément ridicule, nerveux pour une bêtise, mais il n'y pouvait pas grand chose, à part attendre que ça passe. Il était convaincu que ça passerait, d'ailleurs, il n'y avait pas de raison.

En attendant, il avançait bien dans son étude, et c'était plutôt positif, il fallait qu'il se focalise là dessus. En plus, à force de fuir, il passait du temps avec ses amis, qu'il avait un peu négligés jusque là avec la fatigue. C'était un des plus gros changements en fin de compte ; le canapé était devenu vaguement inconfortable, alors il sortait un peu plus. Le changement d'attitude le plus stupide était de dormir en pyjama plutôt qu'en caleçon mais, ça, il était le seul que ça concernait.

Ce jour-là, il était dans sa chambre, le nez dans un bouquin quasiment depuis qu'il s'était levé – assez tard, mais suffisamment pour que sa nuque commence à lui faire mal à force d'être penché sur le lourd volume. Elle lui fit mal encore un peu plus après un sursaut ; on l'avait appelé.

« OUAIS ? »

C'était un mode de communication développé par toute personne ayant une mère avec une tendance prononcée au cri dans l'escalier. Heureusement, Ludovic semblait avoir dépassé le stade maternel, parce qu'il expliquait ce qu'il voulait plutôt que de laisser plâner un long silence particulièrement énervant signifiant que l'autre n'avait qu'à bouger ses fesses s'il voulait savoir de quoi il retournait.

Il se mordit la lèvre inférieure. C'était tentant ; rien de mieux que d'agiter une promesse de bouffe pour le faire sortir de son antre.

« Ouais attends j'arrive ! »

Le cri ne sous-entendait pas que Ludo ait besoin d'aide, mais il avait quand même un minimum de morale. Son colocataire n'était pas obligé de le nourrir, et qu'il pense à lui avec l'attitude qu'il affichait ces derniers temps, c'était vachement sympa. Ou alors, c'était un piège. Insérez ici la musique de la marmotte dramatique. Il secoua la tête et se leva. Il devait impérativement arrêter de penser à des conneries pareilles, c'était pas sérieux.

Il débarqua dans la cuisine, les mains dans les poches et les joues un peu rouge – très mauvais départ.

« Besoin d'un coup de main ? »

« Petit sourire vainqueur lorsque le fourbe blondinet entendit son colocataire dire qu’il arrivait. Comme quoi, blaireau un jour blaireau toujours. Il suffisait de parler un peu de nourriture pour que son cher brun montre le bout de son nez. Et il était content, le grand dadais; réprimant une petite esquisse satisfaite qui tentait désespérément de tendre ses lèvres en un sourire en coin.

C’était qu’il ne le voyait plus, Garfield. Toujours à lui filer entre les doigts ou à aller flâner en ville. Lui-même n’allait pas vraiment voir ses amis ou quoique ce soit, alors voir l’appartement vide lui faisait toujours un peu bizarre. Quand il finissait par craquer et péter un câble de ne rien voir bouger hormis leurs quelques chats, le bond se passait une main rageuse dans les cheveux tout en balançant son ouvrage sur la table basse. Puis il allait à la pâtisserie du coin acheter quelques friandises et visitait en gros touriste son frère au ministère.

Pour vous dire à quel point il était tombé bas.

Ludovic ne faisait que payer ses années à Poudlard — ses sympathies sans surplus, qui avaient fini par l’isoler plus que nécessaire. Il avait longtemps cherché à ne pas approfondir ses relations, et avait réalisé bien trop tard à quel point son acte l’avait rendu désemparé. Sa première année en tant qu’apprenti médicomage avait été une véritable horreur et il n’avait pu que se tourner vers ses études. Et les blagues volatiles, comme il en avait toujours eu le savoir faire. Alors on l’appréciait bien, à St.Mangouste, lui et sa démarche un peu particulière et ses connaissances qui avaient bondi d’un coup alors que les autres premières années étaient encore un peu paumées.
Au final tout n’avait été qu’un moyen pour fuir la solitude. Et ces réalisations l’avaient sans doute aussi rendu plus vivant. Plus lui-même — au fond de lui il n’aspirait qu’à devenir un peu collant. Et la colocation avec Fifi n’avait rien arrangé à son état déjà prédisposé aux envies d’attention.

La normalité l’exacerbait.
Pas celle générale — la sienne.
Aussi avait-il souvent ces instants où il ne savait plus quoi dire. Non car il était déjà d’ordinaire un peu awkward avec ses mots, tant bien même essayait-il d’outrepasser le fait ; mais car il ne savait juste vraiment plus sur quoi réagir. Son éducation faisait qu’il ne relevait pas tel et tel comportement alors que pour les autres, le fard leur montait aux joues.
Comme Andersem, par exemple. Erm.

« Ouais, tu serais sympa si tu pouvais m’aider ? Je pense faire un truc genre purée ou gratin dauphinois ? Et avec je sais pas si je fais une sorte de poulet thaï ou plus un rôti farci de bacon et de fromage ? Tu préfèrerais quoi ? » Et il avait dit tout ça en se retournant, posant les mains sur le plan de travail qu’il avait plus ou moins réussi à constituer à l’air de magie et d’objets divers. Merlin était loué ses restes de métamorphoses. Petite moue innocente pour sourire qu’il s’imaginait franchement sympa — de ceux laissant paraître quelques bouts de dents blanches. « Histoire de vider un peu le frigidaire tsais. On peut bien se faire un festin de temps à autre tu penses pas ? » Oui bon l’innocence c’était bien mignon deux minutes mais il avait vraiment envie d’exploser de rire. Aussi Dave se mordit-il bout de lèvres, serrant un de ses poings contre le plan de travail histoire que ce soit plus les larmes qui lui montent aux yeux qu’un éclat de rire très peu délicat. Chuckles. Well. Il n’avait pas pu s’en empêcher — mais il n’y avait rien de bien méchant dans un rire de bambin, hein ?

Petit sourire — il observa du coin de l’œil Andersem et ses mains dans les poches. huhu. Se redressant et passant une main derrière sa nuque, l’interne résista à l’envie profonde de prendre son cadet par l’épaule d’un bras et de le faire un peu rire avec lui. A quand remontaient les derniers esclaffements sincères, entre eux deux ? Petit soupir, moue se voulant distraite, un peu indifférente : « Tu te sens bien d’ailleurs ? T’aurais pas un peu de fièvre ? » Non car son teint était pas aussi clair que d’habitude. C’est qu’il s’inquiétait, le Ludovic — en futur médicomage et en cher colocataire ; n’avait-il donc pas le droit ? heinhein.

Garfield avait haussé les épaules, comme s'il n'était pas vraiment intéressé. C'était plutôt différent de l'enthousiasme habituel, parce que l'ambiance avait changé, au moins de son côté. Il soupira en remontant les manches de son sweat, ce jour-là aux couleurs des Flèches d'Appleby ; il était plutôt content que les équipes de Quidditch se soient mises au merchandising façon moldu, parce que son allergie aux robes de sorciers ne semblait pas près de disparaître.

« Je vote pour le poulet, mais c'est pareil. »

Le problème de toute l'opération c'était que ça ne semblait pas comporter de pâtes, ni rien de tout préparé ; il n'était pas certain de pouvoir se rendre utile. Il avait essayé de cuire du riz, une fois, et ça avait fini par former un cake compact dans le fond de la casserole. Il se retint de se passer une main dans les cheveux, parce qu'ils étaient dans une cuisine.

« Tu veux que je fasse quoi ? »

Autant ne pas prendre d'initiative malheureuse, d'autant qu'il n'était pas sûr d'arriver à quelque chose même en suivant des directives. Il était fatigué, après tout ; il était un peu trop nerveux pour se reposer correctement, ces derniers temps, malgré le léger relâchement côté études.

C'était sans doute ça qui devait se voir, d'ailleurs. Enfin, il espérait, parce qu'il aimait bien l'idée de ne pas être un livre ouvert. Il s'éclaircit la gorge, mal à l'aise.

« Ouais ouais ça va. »

Pour se donner une contenance, il entreprit de se laver les mains, comme à chaque fois qu'il approchait la cuisine. Il avait sans doute parlé un peu trop vite pour que ce soit crédible, mais bon. Il ne savait pas trop quoi dire d'autre sur le sujet sans avoir l'air profondément ridicule. Salut je me comporte comme un imbécile depuis trois semaines parce que je me suis réveillé dans tes bras alors que tu t'es probablement juste planté de piaule en rentrant à pas d'heures, j'ai même pas osé demander de tes nouvelles alors que t'étais malade et je sais pas comment changer ça sans avoir l'impression que ma tête va exploser sous la pression. Et sinon, ça va ?

Sur ces pensées, il laissa échapper un petit rire sans joie, complètement hors contexte à part si on considérait comme hilarant le mur derrière l'évier. Il secoua la tête. Il n'y avait rien de drôle.

« Il y avait eu une petite pose, quelques mots jetés à la volée. Aussi Ludovic avait hésité entre sourire et faire la moue — il ne savait tout d’un coup plus trop par quel bout prendre son brun. « Et plus purée ou gratin dauphinois ? » Petit rire, à croire qu’on essayait de le faire tourner en bourrique lui, alors que de base son but était plutôt de passer du temps avec l’autre garçon et de se mettre de bonne humeur. Petit soupir pour grosse inspiration. Allez.

« Alors je te propose d’éplucher les pommes de terre ? Y’a le gingembre aussi qu’il va falloir un peu éplucher enfin bon ; une chose en même temps hein ! » Et il était là, parlant alors qu’il avait les bras bourrés d’ingrédients. Se précipitant quelque peu vers le plan de travail, y relâchant le lait, les pommes de terre et quasi tout ce dont ils auraient besoin. Le rire sans cœur de Fifi lui fit un peu bizarre, mais le blond s’abstint de tout commentaire.

A vrai dire il était déjà trop occupé à établir un plan machiavélique. Il ne pouvait pas et prendre en charge Garfield et ses rires étranges et lui préparer quelques petites surprises dont il euh. N’était même pas censé faire attention. « Tant mieux alors, si tu vas. Car il va bien nous falloir une montagne de pommes de terre épluchées. Tu veux bien ou ? » Petit regard peiné, alors qu’il lui tendait le sachet de patates et un épluche légumes. Mwahahah. Lui-même était sorcier, alors lui venait directement l’idée de laisser les pommes de terre s’éplucher toutes seules, ou encore d’un petit sort ensorceler l’épluche machin. Mais qui savait ? Andersem raisonnait de manière assez moldue, après toutes ces année il s’en était bien rendu compte. Peut-être qu’il déciderait de tout faire à la main hinhinhin. Ce serait peut-être une perte de temps et d’énergie immense pour le brun, mais Ludovic n’en retirerait qu’un gain immense. Dixit garder son cher ami à ses côtés quelques instants de plus.

Il se retint de ricaner.
C’était vraiment un gamin.

« Tsais pendant un moment je me suis demandé si t’allais m’aider. » Pas vraiment, en fait — car bon, c’était prendre un blaireau par les sentiments, que de demander de l’aide pour préparer un bon repas. Il avait juste soudainement envie de gratter un peu les parties sensibles du garçon, lui-même conservant la plus impassible et détachée moue au possible. Aussi en profita-t-il pour passer près de Garfield, l’effleurant de sa masse alors qu’il le dépassait, allant chercher les derniers aliments — dont le pot de miel et sa sauce soja que sa mère lui avait donné la semaine dernière. Repassant aux côtés du brun pour retrouver sa place, l’ancien préfet lâcha tout innocemment : « Je suis un peu traumatisé de faire venir à moi les aliments dans les placards, maintenant — depuis l’épisode des pâtes, tu sais. » C’était totalement faux.
Mais très beau.  

Par rapport à son monologue intérieur, les considérations de patates étaient un peu ridicules. M'enfin, apparemment, le choix était indispensable.

« Purée. »

Purée, ouais, c'était le cas de le dire. Il hocha la tête en prenant le paquet de patates et le machin qui servait à les éplucher, en adressant un maigre sourire à Ludo. Il se colla instantanément une baffe mentale. Il était encore bizarre ; il s'éclaircit la gorge, les joues un peu rouges.

« Ouais, ok. Mission patates. Ça devrait être dans mes compétences. Je crois. »

Il posa ses instruments de travail sur la table, et revint s'accroupir près d'un placard un peu bondé, pour tenter d'en sortir une casserole. Se retenant de demander pourquoi il n'aurait pas aidé, parce qu'il le savait très bien, il s'efforça d'afficher une moue normale. Pas évident. Surtout lorsqu'une mention à avant-l'incident-diplomatique suivait de près. Vraiment, il essayait, mais avec Ludo qui passait juste à côté de lui, le frôlant, il se sentait encore se crisper, comme si son contact allait lui faire mal. Aucune idée du pourquoi, mais c'était comme ça. Il se força à se détendre, frottant nerveusement ses mains sur son jeans. Il ne pouvait malheureusement pas s'empêcher de rougir.

« Haha ouais. Tu m'étonnes. »

Ce filet de voix étranglé n'était absolument pas convaincant. Il toussa un peu, et attrapa enfin sa casserole, et se dirigea vers la table pour se mettre à la tâche. Il ne savait pas que c'était un complot, mais Ludovic voyait juste, parce qu'il s'assit et entreprit d'éplucher les patates à la main. Évidemment. C'était naturel, c'était comme ça qu'on faisait chez lui. Avec un père moldu et une mère qui votait définitivement SAUMON, il était en décalage permanent avec la société sorcière, jusque dans les détails.

Garfield se rendait compte que sa communication par micro-phrases n'allait pas arranger les choses, loin de là, mais il avait du mal à en sortir. Il glissa un regard incertain vers Ludo, avant de soupirer profondément, s'acharnant sur la première patate, qui n'avait pourtant rien demandé à personne. Et ce qui devait arriver arriva.

« RAH PUTAIN ! ... Pardon. »

Il s'était coupé, une belle entaille sur le pouce. S'il aurait dû avoir le réflexe d'attraper sa baguette pour réparer ça, ce n'était évidemment pas le cas, et il se contentait de souffler sur la blessure comme si ça allait coaguler plus vite. Logique.

« Des fois Ludovic avait sincèrement l’impression d’agacer son colocataire. Enfin, il essayait de passer au dessus de ses monosyllabes et de son crachat disant que la purée semblait bien. Après tout, un petit coup d’œil en biais lui indiquait que le brun n’était pas vraiment dans son état normal. Ou plutôt dans l’état habituel depuis déjà trois semaines. Presque un mois.

Haha.

Un rire spontané franchit les lèvres du blond aux diverses répliques de son cadet. Dans ses compétences, hein ? Il l’espérait, car sinon ils n’étaient pas sorti de l’auberge. Et ça le faisait sourire paisiblement d’avoir l’autre à ses côtés, il ne comprenait pas lui-même d’où lui venaient ces envies de l’embêter tout en ne dépassant pas trop les lignes et limites ; m’enfin. Ca l’amusait. L’attendrissait, aussi — et il se sentait bien, comme ça. A deux à faire la cuisine, même si tout n’avait été qu’un plan machiavélique pour passez plus de temps avec Andersem.

Et c’était un peu malheureux, de s’y prendre comme ça. Mais le garçon ne lui laissait pas le choix, lui filant entre les doigts toutes les trois secondes pour des heures d’absence.
Comment ne pas finir par attendre désespérément un moment partagé ? Hein ? Grmblbmlbmlm.

Sourire un peu narquois, un peu satisfait de la part de Dave lorsqu’il sentit Garfield se crisper un peu. Et c’était bien l’avantage d’être grand — que de pouvoir épier en toute sécurité les quelques modulations de comportement sans trop se faire surprendre soi-même la main dans le sac. Enfin. Retournant à ses propres tâches, l’ancien préfet sorti les filets d’escalope qu’il commença à couper en petits morceaux. Comment fallait-il faire déjà ? Il avait observé sa mère en faire quelques fois, espérait que tout irait bien à présent qu’elle n’était plus là pour faire quelques petits commentaires. Transvasant ses bouts de poulet dans un récipient, il vint y ajouter quelques cuillères de miel ; puis y ajouta quelques morceaux hachés d’ail. Ne resterait plus que du citron, de sa sauce soja eeet… et le gingembre, oui.

Trop absorbé dans son affaire, Ludo n’avait plus trop fait attention à son cher coloc ; aussi quand ce dernier s’exclama le blond manqua de faire un arrêt cardiaque, sursautant assez fort pour faire gicler le bout de gingembre d’entre ses mains. « What the ???! » Wowh. Ca va pas de me faire une frayeur pareille ? Se retournant assez précipitamment, il découvrit la cause de sa frayeur entouré d’épluchures et — et le pouce saignant. « Wowowoh. Tu vas bien ? » Se rapprochant du grand blessé, Ludovic oublia instantanément tous ses petits plans, ne pensa pas même à se satisfaire du fait qu’en effet, Garfield avait usé de la méthode moldue pour éplucher les patates. « Attends laisse-moi voir. » Et il était là, à quelques centimètres du brun, lui empoignant le poignet pour voir l’étendue des dégâts. Un petit soupir lui échappa lorsqu’il vit que tout était bon, que le pauvre garçon ne risquait pas de perdre la moitié de son pouce aujourd’hui. Ni demain, d’ailleurs. « Attends bouge pas. Et — » Petit rire attendri, d’un coup — assez amusé pour creuser des fossettes sur les joues du blond. Et tu sais, souffler dessus dans ces cas là ça sert pas à grand chose. Chuckles. N’était-ce pas marrant de voir un futur guérisseur agir de la sorte ? Ca lui donnait un peu envie de lui faire des câlins, à Ludo — au maladroit et awkward Adersem.

Toujours tenant le poignet du brun, l’interne se retourna pour venir attraper sa baguette ; ne tardant pas à lancer un sortilège de premiers soins désinfectant la plaie puis la faisant disparaître d’un coup d’un seul. « Eh beh, j’aurais jamais cru que tu puisses te blesser comme ça, tu ferais mieux d’user d’un sortilège, du coup. Enfin si tu veux. »

Et il en venait même à balancer ses petits projets pour la bonne santé de Garfield.
Enfin à moitié.

Évidemment, son exclamation soudaine avait fait paniquer Ludovic, qui était intervenu de manière un peu plus efficace que lui. Il en rougit de honte, d'ailleurs, plus violemment que le rose qui n'avait pas encore quitté ses joues ; qu'est-ce que c'était que ça ? Il est bien, le futur guérisseur, très réactif ! ... Pour sa défense, ce n'était pas pareil de se soigner soi-même que de soigner les autres.

Docilement, il montra la blessure, même s'il était fort tentant de se dégager pour juste mettre son pouce en bouche et attendre que ça passe. Il savait bien que ce n'était pas grave, c'était un épluche-patates, pas un tranchoir. Enfin, il aurait peut-être quand même été capable de se couper un doigt, avec son adresse légendaire.

« C'est pas grand chose je crois. Je suis juste... Distrait. Désolé, je t'ai fait sursauter. »

Ouais, distrait, tout à fait. Il pouvait même rejeter la faute sur quelqu'un d'autre mais, bizarrement, il allait éviter, hem. Un sortilège plus tard, il était soigné, et il poussait un soupir fatigué, s'attendant à récupérer sa main à présent qu'elle était entière, si on ne comptait pas le sang qui avait coulé sur les épluchures.

Ceci dit, Ludo n'avait pas l'air d'avoir envie de le lâcher, vu qu'il continuait à parler comme si de rien n'était. Il déglutit ; il avait soudainement une boule dans la gorge.

« M-merci ? »

C'était pas vraiment une question, mais presque, sous entendue. Est-ce que tu pourrais me lâcher s'il te plaît ? Il était figé, là où habituellement il se serait arraché à sa prise sans y réfléchir à deux fois. Peut-être parce qu'il en avait assez fait la dernière fois, et qu'il n'avait pas envie d'être blessant ? Ouais, c'était sûrement ça. Il devait se détendre, même s'il était rouge comme une pivoine.

« Je vais, euh. Les. Patates. »

Tout à fait, il allait euh les patates. Il secoua la tête et se dégagea doucement, en essayant vraiment que le geste ne soit pas brusque.

« Je vais faire plus attention. »

C'était toujours une meilleure idée que de lancer un sort sur un objet potentiellement tranchant, après tout, vu comme il était concentré.

« Et Ludovic avait continué de contempler son cadet sans trop savoir quoi faire — il savait que son poulet thaï l’attendait, mais de l’autre côté il n’arrivait que trop à se détacher du brun. Qui savait si il n’allait pas se couper la main toute entière, à la prochaine tentative. Aussi ses doigts enserrant fermement le poignet de l’autre n’avaient pas penser à se desserrer, comme il n’avait que trop bouger — se contentant de sourire à Garfield, hésitant entre moquerie et tiède tendresse. « T’as tué un pauvre gingembre, t’as pas honte ? » Et il n’avait rien trouvé d’autre à balancer, le blond — car au final il s’en fichait bien d’avoir sursauté comme si on lui avait sauté dessus par derrière, lui balançant un hurlement dans les oreilles digne des plus grands film d’horreur. Alors il avait juste pensé au machin qui lui avait giclé des mains. Et c’était un peu con, maintenant qu’il y pensait plus sérieusement — l’autre n’allait même pas trop comprendre pourquoi il sortait ça. Soit.

Aussi ce fut quand la main d’Andersem se détacha peu à peu de son emprise que Ludovic réalisa toute l’absurdité de la situation — genre lui qui était resté là figé comme un con ; et l’autre innocent qui s’embarrassait dans ses phrases un peu euh. Un peu il savait pas trop quoi. Hésitantes ? « Ah oui pardon. » S’échappa de ses lèvres alors qu’un peu perturbé le Dave ramenait sa paume dans ses cheveux, les basculant un instant en arrière.

Un deux. Un deux. Allez, on se bouge.
Reprenant consistance, ne sachant trop à quoi il pensait ; car son esprit semblait avoir tourné en gros trou noir — ou en simple feuille blanche, l’ancien lion laissa s’échapper un petit rire ; donnant une petite tape sur l’épaule de son colocataire. « T’as intérêt à faire plus attention, ouais ; ce serait con que tu finisses inapte avant la fin de ta formation. » Et il s’éloigna de nouveau en ébouriffant un peu la touffe de Fifi au passage, retournant à sa noble tâche : le poulet.

Gingembre récupéré et nettoyé, l’interne le râpa ; finissant par presser une moitié de citron dans la mixture qui lui donnait déjà l’eau à la bouche. Urgh. « Hehehe, je crois que le poulet va être done dans quelques secondes ; enfin pas la cuisson hein mais la préparation ! » Et il était tout contente, le Ludo ; un petit sourire s’élargissant plus les secondes passaient. Un peu de sauce ajouté, et tout était parfait. Aussi prenant le plat en verra dans ses deux mimines, il sautilla jusqu’à l’éplucheur maladroit avant de lui mettre sous le nez les bouts de viande macérant dans les autres attributs. « Hehehe. Ca sent bon hein ? » Et il s’était penché au niveau de la tête ou plutôt de l'oreille d’Andersem ; histoire de profiter à deux de ce merveilleux instant. Il avait envie de rire, soudainement; et de frotter son nez comme un gros gamin contre son pote — mais bon, il allait se retenir, hein. C'était pas Cassandre, après tout. Juste. Un pote. Garfield, quoi.

La cuisine avait définitivement été un bon plan.

Garfield avait passé la main qui n'avait pas été blessée sur sa nuque, indécis quant au comportement à afficher. Encore fallait-il avoir son mot à dire quant à ce que son attitude traduisait, puisqu'il se contrôlait excessivement mal.

« Ahah ouais. Pauvre... gingembre. »

Il n'avait aucune idée de quoi il était question, à son sens il s'était tué la main. Et avait probablement dézingué la moitié d'une patate, vu qu'il avait épluché bien plus que la surface dans ses mouvements trop nerveux. Il n'avait rien fait au... Ah. Le machin qui avait sauté par terre.

« Désolé. »

C'était sorti quasiment en même temps que les excuses de Ludo, ce qui rendait l'atmosphère plutôt awkward. Il valait mieux retourner à ses patates presto. Il sursauta plutôt violemment lorsqu'il sentit une main sur son épaule ; il était vraiment beaucoup trop nerveux. Il hocha la tête avec un air penaud, comme un gamin pris en faute, et reprit l'économe, ce fameux truc dont je cherche le nom depuis trois posts.

Le reste de l'épluchage se fit en silence, jusqu'à ce que Ludovic reprenne la parole, et Garfield s'en voulut instantanément. Il savait qu'il était bizarre, et il ne savait pas quoi faire contre ; il avait l'impression que son cerveau était devenu une grosse boule de barbapapa, collante et cotonneuse, pas moyen d'aligner trois pensées cohérentes. Trop de stress tue le Fifi.

Terminant sa dernière pomme de terre, il la balança dans la casserole, estimant que ce serait une quantité suffisante. Il ne s'attendait pas trop à se retrouver quasiment nez contre nez avec son colocataire en tournant la tête pour se lever. Il se laissa retomber sur sa chaise juste avant de le cogner, ce qui aurait été plutôt fâcheux, et il se pencha très légèrement en arrière par réflexe pour mettre de la distance entre eux, même s'il avait l'impression qu'on l'avait cloué sur place.

« Euh. »

Bravo, très éloquent. Il n'avait pas encore cessé de rougir – foutue peau trop pâle – mais il retourna au stade tomate à la vitesse de la lumière.

« O-ouais. C'est. Pas mal du tout. Très, euh. Poulet. »

Très poulet, oui oui. Détournant les yeux pour fixer, au hasard, un sachet de farine (?) soudainement fascinant, il se demanda si Ludo le faisait exprès. Et surtout, pourquoi lui-même réagissait comme ça, alors que son ami n'avait pas changé grand chose à son comportement. Tout était une question de perspective, décidément. Il s'éclaircit la voix.

« Et euh, tu veux que, euh, je. Que je mette les patates à cuire ? »

Il avait pourtant dépassé ce stade, il n'avait plus bégayé depuis des mois, mais ça revenait en force, exactement comme quand il avait essayé d'aider Camille en son temps, ce qui pouvait paraître plutôt louche ; il réagissait comme ça quand les choses touchaient le domaine amoureux. Garfield avait toujours été mal à l'aise quand on l'approchait de trop près sans qu'il soit totalement sûr que les intentions étaient innocentes, et il ne pouvait pas s'empêcher de penser que se réveiller dans les bras de quelqu'un, surtout en ne sachant pas au départ comment il était arrivé là, ce n'était pas exactement innocent. Il était conscient d'avoir une mentalité dépassée, qu'il essayait vraiment de changer, mais son point de vue avait changé. Il n'était pas certain de ce qu'il devait faire à ce sujet, parce qu'au final, s'il y réfléchissait un peu, tout ce changement venait uniquement de lui, et il n'était pas certain de vouloir savoir pourquoi.

« Il y avait eu des joues tournant pivoines et des onomatopées baragouinés se voulant sincères. Aussi Ludovic ne put s’empêcher d’éclater de rire — car son colocataire lui donnait envie de sourire jusqu’à s’en arracher les joues, car il lui donnait envie de frotter son nez dans ses cheveux tout en esquissant diverses moues contentes ; car la dernière phrase sur le poulet très poulet qui n’était pas mal du tout l’avait achevé. Alors il était là, posant le plat tant le rire lui dévorait la gorge, humidifiant ses yeux ; alors il était là, oui — à se coller un peu inconsciemment au brun tant il avait du mal à arrêter.

Une larme plus tard, il s’en remettait ; passant son bras autours de l’autre et de ses patates à cuire — « Oh purée Fifi, tu es énorme. » Et c’était tout ce que sa voix fébrile avait trouvé à dire ; aussi tenta-t-il de se reprendre, lorsqu’il réalisa que le tout risquait de ne pas trop bien passer avec Adersem : « Enfin, tu m’as tué. » Et il s’essuyait d’un revers de main les yeux, encore un sourire déformant son visage en une moue toute aussi éclairée que bordélique. Relâchant son brun, le Dave réprima un bâillement soudain : « Clair que c’est poulet haha— » Et il failli mourir de rire à nouveau mais se retint très fort.

Il avait une envie mortelle de faire un câlin à son copain d’awkwardité.
Et de genre poser sa joue sur le haut du crâne du pauvre innocent.
Soit.

« Enfin euh pardon. Je suis désolé. » Et il savait pas trop pourquoi il s’excusait, s’éloignant un peu ; tout en restant raisonnablement proche : « C’était sans doute déplacé ? » Et il ne comprenait pas pourquoi tout d’un coup il faisait si attention aux petits détails. Au fait que Fifi serait sûrement vexé ou perturbé et — il se passa les mains derrière la nuque. « Enfin oui ! Tu peux les mettre à cuire, mais faudrait que tu les fasses cuire dans du lait. Enfin je vais te montrer c’est assez particulier et — et et et y’a le poulet aussi enfin bref. »

Dilemme.

« Je propose qu’on mette à cuire le poulet à la fin, pour qu’il soit bien chaud quand on le mangera ? Et puis plus il s’imprègne des autres ingrédients plus il sera bon. » Et ça, c’était fait. Un petit sourire retrouvé, la blonde créature empoigna de ses deux mains la casserole ; la fichant dans la partie cuisson : « Tu veux que je te montre du coup ? Enfin je te laisse faire et je te dis ? » Il se gratta l’avant du cou : « Faut commencer par remplir la casserole de lait, du coup. » Petit sourire vainqueur qu’il se garda bien d’afficher.

Il ne savait pas pourquoi il se sentait si content, tout d’un coup.
Sans doute car tout était trop mignon — sans doute car tout était trop fluffy pour lui. Sans doute car il était heureux, d’avoir ainsi quelqu’un avec qui parler et rire.
Quelqu’un aux réactions si maladroites, aussi.
La maladresse n’était belle que lorsqu’elle était involontaire, après tout.