Ludo avait éclaté de rire, et une vague de soulagement intense avait envahi Garfield. Il s'en voulait d'être bizarre, mal à l'aise, fuyant, et il avait terriblement peur de ne pas arriver à relativiser à temps. Et si tout ça se finissait en silence, chacun dans sa chambre, avec un quota de mots à échanger ? C'était du gâchis. Entendre un rire franc lui donnait un peu d'espoir que ça finirait par passer, et que tout reviendrait à la normale, et lui donnait un sourire un peu confus.

Malheureusement, son soulagement, s'il fut grand, fut aussi de courte durée, parce que c'était bien la première fois que Ludovic s'excusait de le toucher, même s'il était nerveux depuis quelques temps. Il se passa une main dans les cheveux, qui restèrent en l'air, parce qu'il avait complètement oublié qu'il avait de l'amidon de pomme de terre sur la main. Il ne s'en rendit pas compte.

« C'est rien. Je dois juste être, euh. Fatigué. Ouais. C'est pas déplacé, c'est juste, euh. Enfin tu vois. »

Il ne voyait probablement rien, mais c'était pas grave. Ils avaient un repas à préparer, c'était certainement une priorité. Garfield soupira, le plus discrètement possible. Il se leva, empoignant sa casserole.

« On va essayer. » Il s'efforça de sourire, même si tout était trop compliqué. « Il est peut-être temps que j'apprenne à cuisiner un truc correct de toutes façons. »

En espérant bien sûr qu'il ne se brûle pas, ce qui était encore le meilleur des cas de figure en comptant qu'il y avait aussi des possibilités d'incendie. Il posa la casserole sur le plan de travail, et ouvrit le placard magique, pour y chercher le bidon de lait ouvert.

« Ça me va. »

Comme s'il avait un avis éclairé sur le sujet, hein. Il finit par repérer la bouteille, qui était tout simplement à sa place normale ; quand il se faisait des céréales, il avait tendance à la ranger n'importe où, et ne pensait même plus à regarder à l'endroit habituel. Ludo était certainement passé par là.

Garfield regarda la bouteille, la casserole, puis encore la bouteille. Il avait dit « remplir », du coup il vida le lait dans la casserole, et regardant son colocataire discrètement, à l’affût d'une exclamation d'horreur devant l'initiative. Si c'était comme des patates normales, il fallait mettre à chauffer. Il sortit sa baguette de la poche kangourou de son pull, tardivement comme toujours ; la magie, c'était en cas d'impossibilité de faire autrement. Il se disait souvent qu'il aurait dû se trouver un métier moldu.

« Faut mettre à cuire, hein ? »

Oui parce que bon, ça aurait pu être attendre que les patates s'imprègnent. Mais les patates crues, c'était pas bon. Peut-être qu'il y avait une réaction chimique avec le lait ? Il n'était vraiment pas doué. Il eut un petit rire sans joie, se passant une main dans les cheveux – heureusement pas au dessus de la casserole – qui ne s'étaient toujours pas remis correctement même sans ça. Il faisait pire que mieux, et il n'en savait rien.

« Je suis trop nul, c'est grave. Désolé. Je suis fatigué, nerveux et inutile, tu dois regretter de m'avoir appelé. »

C'était la pêche bien naturelle au « mais non voyons » que tous ceux qui se sentent de trop tentent ; il ne savait plus s'il avait envie d'être là ou pas, à force d'être au bord de l'infarctus, mais si Ludo lui disait que ça lui faisait plaisir, c'était sans doute le plus important. Plus qu'à espérer qu'il parviendrait à faire pardonner toutes ses bêtises.

« Il y avait quelque chose dans l’anxiété de Garfield qui attendrissait profondément le blond garçon. Sans doute était-ce à cause de sa maladresse naturelle, le tout ajouté à ses coups d’œil réguliers. Ouais, tu fais bien la bonne chose, t’inquiète donc pas avait envie de répliquer Dave — mais il était bien trop occupé à réfréner son envie de rire doucement, trop bien occupé ; oui. A barrer ces sourires un peu indéchiffrables mais bourrés de tiédeur cherchant désespérément à s’installer sur son visage.

Et il y avait ses cheveux, aussi — ça l’hypnotisais à moitié le Ludo ; de voir ces machins bruns éparpillés sur la tête de son colloc, à moitié figés dans une pose tout à fait incongrue. Huhuhu. Lui-même se passa une main dans sa tignasse, finissant par égarer sa menotte au niveau de sa nuque. Il se sentait décontracté — son visage l’était sans doute aussi, d’ailleurs. « Ouaip. Mais à feu doux, et il faut faire attention à l’ébullition. » Petite pause. « Tu veux que je te montre ? »

Proposition sincère qui fut noyée dans une soudaine exclamation — une bien noire et bien dépressive. Une à la Fifi, quoi. Aussi Ludovic vint-il frotter le haut de son crâne, un peu embêté par la situation. Une forte envie de secouer son cadet émergeait soudainement, de même qu’un désir un peu bête de lui faire un câlin.

Pas pour le réconforter, non — Ludovic n’avait jamais été bon avec l’apitoiement.
Juste pour le voir rougir, ouais. Juste pour le voir oublier tout ce qu’il venait de dire pour s’embarrasser de tout autre chose. Et c’était assez indéchiffrable comme pulsion, sans doute aussi un peu sadique. Mais voilà, le tout lui donnait envie de rire tout en basculant sa joue contre le haut de la tête du pauvre gars qui n’avait rien trop demandé.

« Tsais je t’aurais pas appelé si j’avais pas voulu de toi. » Chuckles. « Pourquoi tu te détendrais pas, hein ? Laisse toi aller, c’est pas grave si tu fais des conneries ; je suis là de toute façon. » Et il avait changé de position, passant de sur le côté, les fesses un peu sur le rebord de la cuisinière à vers le brun. Genre à ses côtés ; un peu derrière lui, un peu autour de lui. Un peu partout en fait, car tant bien même Ludovic était mince, il ne restait pas moins immense comparé à son fluffy compagnon. « Tiens, regarde. » Et il s’était penché un peu, rapprochant son menton de l’épaule de son cadet, tendant son bois assez loin pour effleurer le bras d’Andersem. Histoire qu’il puisse voir, vous compreniez. « Flambios ! » Et quelques petites flammes émergèrent sous la casserole, ni trop fortes ni trop faibles — quoique puis réduites qu’un simple feu normal. « Tu vois ? Faut pas nécessairement s’encombrer la tête de omg je dois faire quoi prononcer quoi un sort de réduction et et et et mais plus juste imaginer ce que tu veux dans ta tête, tsais ? » Un petit rire franchit ses lèvres, alors qu’il devenait un peu roses des joues ; tant il lui semblait retourner en enfance. Son imitation avait été balancée d’une traite et extrêmement rapidement, presque hoquetée de panique. L’interne était assez fier de son effet, en fait. huhu. « Tu veux essayer ? »

Il aurait du se sentir comme un grand frère.
Se sentait un peu différemment, étrangement. — S'était redressé, aussi; les mains sur l'arrière de ses hanches, au niveau de ses reins.
Qui vivrait verrait.

Garfield ne savait pas si les explications de Ludovic le soulageaient ou le stressaient, mais il s'efforçait de ne prendre en considération que la première option. Il avait piteusement hoché la tête à la proposition d'une démonstration ; c'était tout de même un peu triste de vivre comme un adulte depuis autant de temps et de n'être toujours pas foutu de suivre une recette qui avait pourtant l'air simple.

Malheureusement, la démonstration semblait comporter un aspect particulièrement pratique. Ou pas pratique, selon le sens du mot. Ludo ne le touchait pas, mais presque, au point qu'il sentait sa chaleur contre son dos. Se sentant frissonner, il se contenta de hocher la tête, encore, en déglutissant difficilement. Il n'osait pas trop le regarder, ni bouger, alors n'imaginons pas parler.

Le problème dans tout ça était qu'il y avait des questions dans le discours de l'ancien Gryffondor, et qu'il fallait y répondre.

« Euh, oui, euh attends. ... C'est pas sympa de te moquer, je fais ce que je peux, et on sait tous les deux que c'est limité hein. »

Il avait toujours sa baguette magique en main, plus qu'à tendre le bras. C'était moins facile, parce que ça voulait dire du mouvement. Il se sentit s'empourprer encore en frôlant l'autre garçon ; il commençait à avoir l'impression particulièrement fatigante d'être un feu clignotant. Il savait que l'imitation était bonne, mais c'était gênant, tellement il se sentait coupable de son comportement des derniers temps.

Éteindre le sort fut facile, le relancer un peu moins.

« Hem... Flambios ? »

Un sort n'était pas sensé être une question, mais on aurait dit qu'il demandait l'avis de la casserole. L'ustensile n'était visiblement pas d'accord, parce qu'une flamme plutôt conséquente apparut. Il aurait dû s'en douter, parce que sa magie avait tendance à ne fonctionner comme il voulait que quand il était absolument détendu ou ne faisait pas attention. Il était un peu trop nerveux, trop concentré, le résultat était également « trop ».

« Euuuh euuuh comment on dit zut de. FINITE INCANTATEM ! »

Sous la surprise, il avait fait un pas en arrière, pour se retrouver cette fois contre Ludo. Et il ne s'en était même pas rendu compte. Il était concentré sur son échec. Ce n'était pas très grave, ça n'avait pas duré longtemps et le repas n'en serait pas compromis, mais c'était tout de même un peu la honte.

« ... Ouais je crois qu'en fait je vais juste tout laisser tomber et aller vivre chez les moldus hein, ce sera plus simp-... »

Il ne pouvait pas éternellement ignorer la présence plus que proche contre lui, et ça vint tout d'un coup, en plein milieu de son ronchonage naturel. D'un coup, il ne savait plus quoi dire, mais il ne voulait plus être blessant. Il resta donc là, figé de manière très peu naturelle, rouge vif, s'appliquant à ne surtout pas réagir de manière malheureuse. Magnifique tableau.

« Ludovic n’avait jamais vraiment connu d’agonie — aussi découvrait-il, oui. Car il n’était jamais trop tard. Il y avait tant de maladresse dans les mots de son cadet, tant de choses lui donnant envie de rire ; tant de choses le titillant et lui arrachant quelques grognements de frustration. Aussi était-il déchiré entre une envie profonde de ricaner à la « blague » d’Andersem vis à vis de ses compétences limitées et de lui faire un énorme câlin tout en enfouissant son nez dans le cou brûlant du garçon.

Alors il n’avait rien trop dit, s’était contenté de laisser s’échapper un petit rire étroit ; quoique compatissant. Alors il était resté là, se forçant à rester en retrait — à regarder l’autre tendre à son tour son bois et.

Et patatras.

Il n’eût même pas le temps d’éteindre le feu à la place de son cadet. Non car il sentait un fou rire de l’autre monde lui monter, en plus de tous ces désirs un peu étranges déjà existants. Non car se retenir monopolisait actuellement quatre-vingt-cinq pourcents de son cerveau et qu’il avait du mal à agir, du coup ; hein. « Hahaha ! »

Et ça lui avait échappé. Alors il avait basculé la tête en arrière, explosant d’un rire libérateur quoique peu méchant. Il était attendri le Ludovic — qu’y pouvait-il, après tout ? C’était de la faute à Garfield, n’était-ce pas lui qui agissait de manière un peu trop maladroite et adorable et ce pour son propre bien ?

Il y eût un flop lorsque le concerné vint heurter la grande carcasse, qui se stoppa un peu maladroitement de rire. Non car sentir quelqu’un se tendre contre vous d’un coup n’aidait pas à faire comme si de rien n’était. Aux dernières nouvelles. Herm. Enfin.

Foutue envie de câlin. Foutu gars. Foutu peluche humaine. Foutu machin fluffy et awkard. Foutu tout, en fait.
Alors Ludovic fit un peu la chose la plus bête au monde : il en rajouta une couche. A se pencher vers la pivoine humaine, vers le bout de quelque chose totalement tétanisé : « Eh. T’oserais pas me laisser quand même ? » Et ça avait sonné un peu trop doux, alors qu’au final sans doute le blond n’avait-il voulu que balancer une blague.
C’était un peu raté.

« Allez ! T’en fais pas ; c’est juste le coup d’une fois ! » Et ça lui faisait mal, de se forcer soudainement à rire — à être heureux et normal. Et c’était douloureux, ouais — cette soudaine agonie, cette lutte contre ces envies diverses mais bondissantes, contre ces sourires un peu bêtes qui voulaient s’incruster sur ses lèvres. Car il avait envie, Ludovic — envie de backhug son pauvre coloc tout en laissant s’échapper un rire — un vrai et tiède. Un de ceux un peu trop contents et gamins.
Mais il s’était retenu. Sans trop savoir pourquoi.
Aussi expérimentait-il, oui — une soudaine quoique silencieuse agonie. Non pas que corporelle, mais aussi bien présente dans sa poitrine.

Et c’était un peu con — c’était sans doute ça, ouais.
Il était con.

Garfield avait réussi. Pas de mouvement brusque, pas de phrase mal placée, il pouvait être très fier de lui-même. Il était resté calme, il n'avait pas eu le moindre mouvement de dégoût, malgré que Ludovic soit un garçon, et qu'il soit mal à l'aise. D'ailleurs, il n'y avait pas de quoi. C'était un contact innocent. Il pourrait s'y faire ; il s'était bien habitué à Summer, hein. Même si, bon, ok, Summer était plus ou moins dans la case 'fille' de son classement personnel, au final. Là, c'était différent, parce que c'était lui-même qui réagissait comme une nana, ça passait moins bien. Mais bon. Ludo était son pote, il était tactile, pas de quoi fouetter un chat, n'est-ce p-...

Ce raisonnement devint soudainement bancal au vu du ton sur lequel l'autre garçon parlait. Garfield avança juste un peu, agrippant le bord du plan de travail, ses articulations devenant blanches. On ne dit rien, on ne fait rien. Il avait l'estomac noué, mais peut-être pas pour ce qu'on aurait pu croire. Non, la seule chose qui lui trottait dans la tête, c'était la conviction qu'il avait vraiment besoin de se trouver une copine, et très vite, parce qu'il voyait des sous-entendus partout et que ça ne pouvait pas être vrai. Ludo essayait juste de le ménager, et lui se faisait des idées. Il était un garçon en pleine santé, il devait juste sortir un peu plus, voilà.

Heureusement, son colocataire ne laissa pas planer le silence, et Garfield se força à rire à la remarque. Il fallait qu'il arrête d'être bizarre, de tout comprendre de travers. Il n'était pas très convaincant.

Lorsqu'il jugea qu'il avait passé suffisamment de temps sans s'éloigner, à fixer les maudites patates dans leur bain, il entreprit de mettre la table, les joues toujours rouges. Il fallait qu'il change de sujet.

« Hm et sinon euh. » Bravo, super réussi. « Je me disais. » De mieux en mieux. « Je sais pas si t'es libre samedi mais euh. Est-ce que ça te dirait d'aller faire un tour côté moldu ? Je sors vendredi, mais euh. Après j'ai tout le week-end. »

Voilà. C'était bien, une offre de temps à passer ensemble. Ça faisait bien trop longtemps que ce n'était pas arrivé, et c'était nécessaire, histoire de lui donner la possibilité de se réhabituer à ce qui était devenu étrange. Il disposa les assiettes, et revint chercher les couverts. Ils ne mangeraient peut-être pas avant un moment, mais ça faisait une occupation innocente, et en mouvement.

« Enfin, je me disais qu'on pourrait aller au cinéma, si ça te dit. Je sais pas si t'y as déjà été. »

Non, ce n'était pas un rencard, c'était une proposition normale dans un contexte normal incluant une relation normale. Tout le monde y croit très fort. Sortir le vendredi était une excellente idée pour se vider la tête, d'ailleurs. Et, éventuellement, passer du temps en compagnie féminine, parce que ça semblait vraiment très nécessaire.

« Il y avait eu un silence et un éloignement — des respirations se faisant profondes pour un retour à des normalités qui semblaient tout d’un coup un peu bancales. Aussi Ludovic regarda-t-il son colocataire s’éloigner de lui sans trop savoir quoi faire — se passant une main brouillonne à l’arrière de sa tête, emmêlant quelque peu ses cheveux plus vraiment lisses.

Un deux trois — des mouvements ne voulant rien trop dire, des rires réciproques ne l’étant pas vraiment. Un soupir venant du blond et des sorts informulés se lançant pour faire la cuisine plus rapidement. Il essayait de se concentrer à sa manière, le Dave — monopolisant son esprit sur ses patates remises à cuire, sur les ustensiles commençant à s’agiter un peu tout seul.

Aussi y eût-il une proposition un peu hasardeuse venant de l’autre, un Ludovic posant ses mains sur le plan de travail à son tour — dos à Andersem. Et il avait envie de sourire, vous saviez — car l’interne savait à quel point son camarade devait être pivoine maiis.
Mais il n’avait pas trop envie, aussi. Sans trop savoir pourquoi, comme si quelque chose de douloureux s’insinuait petit à petit en lui ; remontant jusqu’à sa poitrine. Et ça piquait.
M’enfin. Le bégaiement plus l’invitation lui firent oublier momentanément toutes ces petites choses désagréables. Comme le bruit des couverts frappant la table — seul persistait un samedi samedi ô samedi dans son esprit.

Enfin ça avant l’annonce du vendredi.
Et ça l’agaçait, d’un coup ; de savoir que Garfield avait quelque chose de prévu. Depuis cette histoire de pâtes trois mois plus tôt, le brun semblait fuir à grandes enjambées son cher blond. Et tant bien même avait-il décidé de s’en amuser et de s’en attendrir plutôt que de s’en vexer ; Ludo ne pouvait soudainement lutter contre cette vague d’agacement lui sautant à la gorge, ruinant quelques parcelles de bonne humeur.

« Tuuuu — » Fais quoi vendredi ? « Ceee enfin. Oui ! Pourquoi pas ! Ce serait vraiment cool. » Et il s’était retourné, un grand sourire aux lèvres ; un de ceux lui étant propres, si sympathiques qu’ils lui brulaient littéralement le visage de leur tiède simplicité. Ses fesses et ses reins étaient accoudés au plan de travail alors que ses jointures blanchissaient un peu. Enfin, ce n’était pas comme l’autre allait voir.
Et il ne se forçait pas à être heureux, Dave — loin de là, il l’était.
Maiis. Mais mais mais. « J’ai déjà été dans des centres commerciaux. Tsais pour les habits et j’en passe. Ca me fait toujours un peu marrer de me joindre aux moldus. Maiis. Avec de la compagnie et quelqu’un qui s’y connaît ce serait tellement mieux ! » Et il se sentait un peu gamin, tout d’un coup — et plus rassuré, aussi. Il entrait dans une conversation connue, un truc qu’il pouvait presque réciter par cœur. Ca lui faisait tout d’un coup beaucoup de bien, parmi toutes ces choses qu’il ne comprenait plus très bien.

Il y eût un silence gêné, une paume se passant derrière la nuque.
Il y eût un petit : « T’as prévu quoi vendredi ? Voir des potes ? »

Il s’était retourné ; n’avait même pas remarqué que deux trois ustensiles étaient mollement retombés au moment même ou le brun avait annoncé qu’il était pris la veille du week-end. Mine de rien.
Air désintéressé.

Il ne savait plus vraiment si il se retenait ou fuyait.
A ne pas vouloir entendre la vérité.

Pour une fois, ce n'était pas Garfield qui bégayait, et c'était un peu étrange, mais bon. Il se contenta de sourire en retour à l'accord enthousiaste, signe qu'il avait sans doute fait quelque chose de bien. Il fallait bien que ça arrive de temps en temps. Il termina de placer les verres, et revint surveiller les patates, puisqu'il en avait plus ou moins pris la responsabilité.

« Okay, on fera ça. Je peux pas trop t'aider pour les fringues, mais y a sûrement des trucs que je peux te faire découvrir. »

Ce serait changer un peu de cadre, c'était une bonne idée ; sans doute que la proximité dans un endroit aussi petit lui faisait aussi péter un plomb plus que de raison. De son point de vue, le silence n'était pas gêné, c'était même plutôt un retour à quelque chose d'à peu près normal, pour la première fois depuis longtemps. A croire que ne pas réagir un peu plus tôt avait dénoué quelque chose, il s'était plus ou moins prouvé à lui-même qu'il ne se passerait rien et qu'il s'était fait des idées.

La question le surprit un peu, mais il ne voyait aucun inconvénient à y répondre, il n'avait rien à cacher. Il n'avait effectivement pas remarqué grand chose. C'était fou comme il pouvait être hypersensible à des détails, et complètement bouché sur le principal.

« Le plan est d'aller boire un verre, avec Sloan. Après je sais pas trop, j'imagine qu'on verra, ça sera sans doute plus long que d'habitude en fait. Je risque de rentrer tard du coup, j'espère que je te réveillerai pas. »

C'était la réunion mensuelle des pas doués anonymes, où ils se racontaient les derniers moments gênants de leur misérable vie. Les choses se finissaient généralement dans le calme, faut d'évènement majeur, mais cette fois, apparemment, Slo avait fait une grosse connerie. Garfield ne savait pas quoi, mais il se préparait mentalement, soit à cacher le corps en espérant que ce ne soit pas celui de Wesley, soit à boire jusqu'à ce que sa pote oublie sa honte et qu'ils finissent par chanter en choeur la moitié des titres de Kiho. Il espérait que ce serait le deuxième cas, parce qu'il n'osait même pas s'imaginer transformer quelque chose en pelle pour creuser une tombe, et parce que chanter bourré était drôle. Peut-être que ça lui permettrait de rencontrer des gens.

« Faut encore faire quelque chose pour le repas... ? »

Pourquoi t'es bizarre quand j'essaye d'arrêter d'être bizarre ? était la vraie question, mais il n'était pas certain de vouloir savoir. Il se sentit rougir à nouveau, en se demandant s'il avait fait une bêtise. Il ne savait pas ce qu'il devait faire, en fait, parce que Ludo était passé d'un naturel très fluide à quelque chose de légèrement crispé qui ne lui disait rien qui vaille.

Il eut un léger doute, mais il l'écarta rapidement. Et si, en fait, il était bien sensé comprendre ce qu'il essayait de ne pas comprendre... ? Non, il n'allait pas repartir sur cette voie, trois semaines c'était suffisant.

C'était trop compliqué. Il allait finir avec une belle migraine.

« Je parlais pas d’aller dans un centre commercial, t’inquiète pas — c’était généralisé. » Et il l l’avait repris, se justifiant à moitié. Il avait toujours été comme ça, Ludovic — à passer d’une idée à une autre de manière trop fluide. Alors certains ne comprenaient pas qu’il avait changé de sujet, basculé vers une autre parenthèse ou tout au contraire ; qu’il venait de la fermer.

Ca lui faisait un peu bizarre de tout devoir réexpliquer à son cadet.
Soudainement il n’aimait pas se répéter. Il avait toujours eu tendance à dire tant pis.

Aussi se remit-il à sa cuisine, ignorant les venues répétitives du brun vérifiant si les pommes de terre cuisaient bien. Il avait soudainement envie d’un peu l’envoyer bouler, de lui dire que c’était bon, il était déjà en train de s’en occuper. Enfin. Serrant son bois dans sa paume, le blond Ludo essuya un sourire un peu mitigé ; se concentrant sur ses informulés. De grosses cuillères vinrent touiller les patates alors qu’il commençait à s’impatienter.

Oh. « Sloan ? » Il y eut un rire soudain. « Sloan Holmes ? » Et la mention de l’ancienne serdaigle avait complètement balayé tous les songes du blond garçon. Il y avait des souvenirs qui lui remontaient, des entrevues comme des duels — n’avait-ce pas été la première et sans doute seule personne avec qui il avait vraiment sympathisé à partir de duels ? Il se souvenait de leur entrevue après son bain, dans le couloir savonnette — il se souvenait de ce qu’il était, une personne ne voulant se salir les mains dans les problèmes des autres.

Peut-être aurait-il du la serrer dans ses bras, à cette époque là.
Quel con.
Enfin — tous étaient un peu au courant, de l’histoire avec hm. Ah. Wesley ? Un petit gars sympa, devenu préfet alors que lui-même était dans sa dernière année. Aussi se demandait-il, d’un coup ; ce qu’était devenue la petite brune. « Comment va-t-elle ? Et… Wesley ? Toujours ? Tu sais quel genre d’études elle fait ? » Il y avait eu un grand sourire alors qu’il s’était retourné vers Andersem — un côté un peu innocent, aussi ; trop emballé. « Ah et t’inquiète pas, je serai sans doute pas là non plus ; je sais pas. Mais à la limite ça m’étonnerait que tu me réveilles. » Il avait un sommeil assez lourd, pour être franc ; le Ludo. Sa première année en solitaire avait un peu transformé son métabolisme, mais on pouvait dire qu’il se rétablissait lentement. Etre avec quelqu’un le rassurait, sans doute ; alors il n’y avait plus de réveils en sursaut suivis d’œillades un peu perdues.

Aaah Sloan.
Chuclkes. Se frottant l’arrière dans un sourire un peu bambin, le blond retourna à ses fourneaux, se sentant soudainement un peu agacé de la lenteur du tout. Aussi quand la question de son camarade retentit, il aurait sans doute du répondre oui, plein mais — mais que pouvait faire d’autre Garfield ? Pas grand chose, ouais. « Laisse tomber ! » Petit sourire réconfortant en direction du concerné, sa tête à lui un peu tournée alors que son corps n’avait pas bougé. Histoire qu’il n’interprète pas ça à tort, hein.

Peut-être aurait-il du.
Enfin. Il était temps de sortir la grande magie, yoloyolo.

Faisant sortir le beurre du placard d’un coup de baguette, la plaquette vint s’échouer dans la paume du sorcier — qui ne tarda pas à lancer toute une ribambelle de sortilèges divers achevant de faire cuire les patates et les réduisant en purée et en mélangeant le beurre qu’il avait magiquement divisé et — et la plaquette retournait déjà par elle même se ranger.
Bref — des trucs compliqués, en gros.

Quelques minutes plus tard la purée était fumante, délicieusement disposée dans un petit plat en verre transparent. Déjà s’activait une poêle, chauffée en avance pour accueillir très chaleureusement le poulet et sa décoction.

Comme quoi. Tout n’avait été qu’un excuse.
Quand il voulait tout allait si vite. Huh.

Ludovic était définitivement bizarre. Pourquoi dégageait-il une telle impression de soulagement à la mention de Sloan ? Garfield haussa les épaules. C'était peut-être le côté mère poule du Gryffondor qui s'exprimait. Il ne savait pas s'il était vaguement vexé d'être parfois traité comme un bébé ou si c'était incroyablement reposant que quelqu'un s'inquiète. Il était du genre nerveux, après tout, et ses parents un peu trop zen, personne ne posait jamais de question ; il aurait pu devenir un mage noir – un mage noir vraiment pas doué – que Ludo serait le seul à s'en rendre compte.

« Ouais, Sloan Holmes. Je la vois genre une fois par mois, je t'en ai jamais parlé ? »

C'était fort possible, après tout, il était souvent distrait, et c'était devenu tellement normal. Un peu honteux, aussi, vu le dossier que l'ancienne Serdaigle pouvait constituer très facilement sur son compte, avec tout ce qu'elle savait. Il se demandait d'ailleurs s'il devait lui parler de son comportement avec Ludo ces derniers temps ; probablement que oui. Un avis extérieur sur tout ce bordel ne pouvait pas faire de mal, ne serait-ce que pour qu'on lui confirme qu'il exagérait.

« Elle va bien, aux dernières nouvelles. Elle est illustratrice, tu sais pour les bouquins pour enfants ? Elle a fini par sortir avec Wes, on tient les paris pour savoir quand ils vont se décider à se marier. Comme on tenait les paris avant pour savoir quand ils se mettraient ensemble. »

'On', comme souvent, c'était les anciens Poufsouffles, ces machins-là se considéreraient toujours comme un groupe. Garfield, de par ses informations top secrètes issues de longues conversations avec une des principaux intéressés, avait gagné un bon paquet de gallions sur le premier pari. Il les leur avait offert quand ils avaient emménagé ensemble.

« Enfin là elle a fait je sais pas quoi qui nécessite de sortir se changer les idées, d'où la sortie. Je crois que ça me fera du bien de voir un peu des gens aussi, de toutes façons. »

Il pensait à moitié à voix haute et, miracle, il se rendit compte de ce qu'il disait. Et que ça pouvait être très blessant en relation avec son comportement des derniers temps.

« Enfin euh. Je veux dire. Aller un peu dehors, quoi. »

Il se sentait un peu con, tout d'un coup, parce qu'il avait passé un bon bout de temps dehors dans les dernières semaines. Il avait l'impression d'avoir merdé, encore, il ne savait pas comment corriger le tir. Ça expliquait probablement que Ludo n'ait soudainement plus besoin d'aide. Il se gratta la nuque, retour du malaise. Il soupira.

« Okay... »

Pour se donner quelque chose à faire, il lança un accio, qui amena près de lui le bouquin qu'il étudiait un peu plus tôt, et alla s'installer à une des places libres à table pour se replonger dans sa lecture. S'il rougissait à présent, c'était de honte, d'incertitude ; la phrase la plus innocente le faisait un peu trop réfléchir, parce qu'il n'avait pas envie d'être blessant. Ils soufflaient tous les deux le chaud et le froid, au final, et Garfield était complètement paumé. C'était tellement plus simple avant.

« Non, sérieux ?? » Et il y avait eu une exclamation un peu ravie. Qu’y avait-il de mieux que d’apprendre que la vie des autres allait bien ? Et il était un peu heureux, Ludovic — de savoir que sa cadette se portait au mieux, avec un boulot qui devait sans doute lui plaire et. Et Wesley. Le blond n’arrivait pas vraiment à se souvenir du nom dudit garçon, mais ça devait sans doute être quelque chose dans les eaux du Jefferson ? Sloan Jefferson. Hinhinhin. Il était un peu béat des annonces de son coloc, mais le tout illuminait assez sa journée.

Le rendait mélancolique, aussi — il n’avait retiré quasi aucun lien de poudlard. Il arrivait à s’extasier du bonheur d’une personne qu’il n’avait au final que survolé — était-il devenu si solitaire ? Ca lui foutait le blues. « J’espère qu’elle a pas fait de truc trop énorme — ce serait bien que ce soit une grosse honte qu’un gros soucis huhu. » Et il s’imaginait presque à leur mariage, déjà — ça lui donnait soudainement tant envie. « J’aimerais bien la revoir un de ces quatre ! Je suis certain qu’elle a du pas mal changer, quand même ! » En d’autres mots : s’épanouir. Non car la gamine qu’elle avait été, il s’en souvenait — c’était pas glorieux niveau confiance en soi. Alors il appréciait l’imaginer rayonnante et plus sereine, plus à l’aise avec ce qu’elle était.

Car elle en valait la peine, il le savait.
huhu.

Enfin — l’annonce comme quoi sortir voir des gens faisait plus de bien à Fifi que de rester avec lui le refroidit un peu. Pas que c’était incompréhensible — Ludo aussi aurait aimé voir du peuple et rire ; s’amuser à vivre. Sauf qu’il avait l’impression qu’il ne pouvait pas trop. Il ne savait pas vraiment pourquoi — puis entendre ça de la part du mec qui vous fuyait depuis trois mois en sautant hors de l’appartement à la moindre occasion c’était euh. Bof.

Enfin. Enfin enfin enfin. Et il disait toujours ça. Comme pour essuyer ses peines et ce qu’il portait sans extérioriser directement. Il se demanda soudainement où était passé Charlie — où était passé ces gens qu’il avait connu. Il se demanda, oui ; où était le gars qui avait tendance à extérioriser la moindre chose ressentie : lui.
Enfin était le mot faisant ravaler ses douleurs et biles — enfin c’était un peu sa fin ; sans doute, aussi. Et ça lui donnait la nausée, de se voir soudainement si lourd pour de petites bêtises insignifiantes.

Se passant la main dans les cheveux de manière assez rageuse, les ébouriffant, le blond articula quelques grognements tout aussi corrosifs que ronchons dirigés vers sa propre personne. Bon. Le poulet. La cuisine. La bouffe, quoi. Se concentrant de nouveau, l’interne finit de préparer ses mets divers avant de les empoigner ; les basculant sur la table ou un gars tout aussi perturbé que lui quoique différemment quand même l’attendait. Avec des bouquins. Sage décision. « Bon ! Heure de manger ! » Petit sourire — au fond il entendait déjà son ventre se tordre, tant la dalle lui était montée lors des dernières minutes de préparation. « On va enfin pouvoir savourer le fruit de notre dur labeur ! » Et par merlin qu’est-ce que ça a l’air bon ffgopbjpoqjsd.

Il posa ses fesses comme un gros tas, servant machinalement la personne en face de lui. Politesse mécanique : « Euh, t’en veux comment ? »
Ca sentait bon, et il avait faim.
Adieu toutes pensées parasites. Du moins pour l'instant. Herm.

Garfield avait souri aux exclamations ravies, hoché la tête ; il ne savait pas que Sloan et Ludo avaient été proches, mais c'était plutôt cool. En tout cas, ça ne l'étonnait pas, vu l'affection qu'il avait pour les deux.

« Je crois que c'est une grosse honte, vu qu'elle m'a dit qu'elle n'avait pas besoin d'un coup de main, mais on verra ! Elle a pas mal changé. Plus, euh. Moins violente. Enfin je peux l'inviter ici, la prochaine fois, si tu veux. »

Au fil des années, elle lui faisait de moins en moins peur, c'était une excellente chose. Il avait longtemps eu dans l'idée qu'elle allait finir par lui coller la paire de baffes qu'il méritait souvent, mais ce n'était encore jamais arrivé ; elle comprenait, elle essayait d'aider, et il lui rendait la pareille. C'était une relation un peu à part, au final, basée sur leur maladresse mutuelle et les nombreux secrets inavouables dont il fallait bien parler à quelqu'un. Enfin, peut-être que la paire de baffes viendrait vendredi, vu qu'il se comportait comme un débile.

La fin du repas fut préparée dans un silence que Garfield trouvait un peu – ok, beaucoup – tendu. Il relisait sans cesse la même ligne, parce que son cerveau était à moitié vide, et que le côté rempli affichait juste des « pourquoi » et des « comment » sans fin. Il sursauta quand Ludo annonça que c'était prêt, sans avoir réussi à dépasser cette foutue phrase. C'était pas tellement son dur labeur à lui, m'enfin c'était sympa d'être inclus. Il se déplaça sur la chaise devant laquelle il y avait une assiette.

« Euh comme ça c'est bien. »

Le plat sentait vraiment bon, et on put entendre son estomac grogner bruyamment. Il rougit un peu, et leur servit à chacun un verre d'eau ; scène domestique par excellence, si on ne comptait pas le léger malaise planant encore et toujours dans l'atmosphère.

« Désolé. Ça sent vraiment bon. Bon appétit ! »

Il ne savait en fait plus trop quoi dire ; même si Ludo n'avait pas relevé, il était certain d'avoir dit un mot de travers, et il se rappelait douloureusement pourquoi il était membre éminent du club des pas doués anonymes. Avoir la bouche pleine un moment le laisserait réfléchir avant de parler. Après un moment, il finit par déglutir ses joues de hamster.

« Eeet euh. Tu as une idée de ce que tu voudrais faire ou voir samedi, du coup ? ... Et après manger, tant qu'on y est, t'as prévu un truc ? J'en ai un peu marre de réviser. »

Ce sujet de conversation-là était bien, même si complètement bateau. Il allait essayer de ne pas rentrer à quatre heure du matin ce jour-là, histoire de ne pas devoir se droguer aux potions pour ne pas être un déchet toute la journée. C'était prévoir un planning chargé, dans les faits, mais tant pis. Il accordait du temps à ces amis, en ce moment, et il fallait que ça commence à inclure tous ses amis, même celui qui le perturbait, d'autant plus qu'il y avait de grandes chances que ce soit sans raison.

« C’est marrant, je l’ai toujours trouvée un peu fragile. Mais c’est super. Ce serait cool de la voir ouais, après ici ou ailleurs importe peu — les sorties ont ce petit côté plus libre, sans doute. » Et c’était sorti d’un ton un peu rêveur, avant qu’eux-mêmes ne se mettent à table. Avant que le tout ne se calme puis se tende à nouveau. Avant les grognements de ventre de son cadet, aussi ; ouais.

Aussi Ludovic avait-il ri doucement, se passant une main devant les lèvres pour cacher son sourire soudainement un peu trop attendri. Il compatissait entièrement, son propre estomac semblait à bout ; lui tordant littéralement tout le corps intestinal. « T’inquiète, je crève de faim aussi, bnapp ! » Petite esquisse un peu moins coincée, comme si les maladresses routinières de Garfield l’avaient un peu calmé. Aussi se servit-il, remerciant distraitement le brun pour l’eau qu’il lui avait versé. Yolo de la purée et du poulet thaï, yay ! Et il était heureux, tout d’un coup — car manger de bonnes choses mettait indéniablement de bonne humeur. C’était quelque chose d’universel, compreniez-vous.
Enfin de son point de vue.
Erm.

« Hm. J’sais pas trop ? » Et il avait pris le temps de savourer ses premières cuillères avant de répondre : « T’as parlé de ciné ? Sinon bon se balader c’est cool aussi ; j’y connais pas grand chose tsais. Je m’amuse tout le temps comme un con à être comme eux alors que je le suis pas. » Et il devait sans doute passer pour un autiste — il n’avait jamais connu le métro ni rien du genre ; imaginez. Enfin il se sentait toujours un peu bizarre, lorsqu’il sortait dans le monde moldu — à tous les coups sortir avec quelqu’un allait être de la bombe. Littéralement. « J’ai hate en tout cas ! J’espère que t’auras pas trop honte hinhinhin. » Petit ricanement. Honte de lui évidemment — car bon, ça restait un sorcier. Alors aller dans le monde moldu c’était un peu comme partir en vacances. Ceeeertes.

Il semblait avoir digéré les moments passés.
Un peu.
« Après là ? Jsais pas. J’ai pas grand chose non plus. Faudrait que je check mes horaires de boulot. Tsais ce que tu vas faire toi ? »

Rire un peu bambin.
D’un coup, comme ça.

La conversation se relançait un peu, et Garfield se sentait soulagé. Encore. Il avait l'impression d'être un accordéon, à force. Tension, relâchement, tension, relâchement, et ainsi de suite. Encore heureux qu'il ne se mettait pas à produire de la musique de kermesse parce que l'ambiance serait devenue sacrément bizarre. Il secoua la tête pour chasser cette image mentale qui était particulièrement étrange, et revint à Ludovic, essayant de se concentrer sur ce qu'il disait.

« Va falloir que je regarde ce qu'y a au ciné, ça fait un moment que je m'y suis pas intéressé. Y aller tout seul c'est pas particulièrement drôle. »

Et puis, c'était moins confortable que de rentrer chez ses parents pour squatter le canapé comme un morfale quand il n'y avait personne ; chez papa et maman, le placard était toujours rempli de quoi grignotter, et il pouvait se promener en jogging tranquillement, ça valait tous les grands écrans du monde.

Il se sentit sourire à la deuxième réplique, pas tout à fait certain de qui était le plus susceptible de mettre la honte à l'autre.

« Ouais enfin, c'est moi qui suis connu pour m'étaler dans les lieux publics hein. Et dans les endroits où on peut pas faire de magie, de préférence. »

Garfield s'était déjà retrouvé deux-trois fois dans un hôpital moldu par mégarde, du temps où il vivait avec Kalev. C'était un peu la honte de voir les gens appeler les secours pour un truc que la magie pouvait soigner en deux minutes – s'il n'avait pas été sorcier, il serait définitivement déjà mort – et encore plus de se creuser la tête pour trouver un ami possédant un téléphone afin qu'on vienne le tirer de là puisque, apparemment, se prendre un pot de fleurs sur la tête était un motif suffisant pour ne pas le laisser partir sur sa seule volonté.

« Tant que tu fais pas de magie, franchement... Y a suffisamment de gens bizarres chez les moldus pour que personne te regarde de travers. »

Il avait souvent l'impression d'être né-moldu, avec son éducation régie par son père. Chez les Andersem, c'était papa qui avait allégé ses horaires de travail pour s'occuper des enfants, puisque les gallions valaient plus que les livres sterling. Si Marceline Andersem était sorcière, elle laissait presque sa baguette magique au seuil de la maison, hors de l'éducation strictement nécessaire.

A la question qui suivit la sienne, il haussa les épaules.

« Euh bah j'ai le choix. Est-ce que je vais lire, lire, lire ou lire ? Soyons fous, je pourrais écouter la radio. »

Il sourit, taquin ; avec une table entre eux deux et ses bonnes résolutions, il redevenait un peu lui-même. Évidemment, il y avait fort à parier que ça ne durerait pas, mais autant profiter de l'instant. En profiter pour râler, même, puisque c'était son sport préféré.

« Je comprends pas comment les gens ne deviennent pas dingues côté sorcier, à force de lire. Y a rieeeen à faire, et je peux même pas passer plus de dix minutes à ranger vu que je peux tout faire par magie. Un de ces jours tu me retrouveras à quatre pattes à nettoyer le sol à la main juste pour m'occuper, je te jure. »

Garfield exagérait, mais pas de beaucoup ; quand on a été habitué à avoir le cerveau stimulé en quasi-permanence, la lenteur d'une autre époque qui affligeait le monde sorcier était synonyme d'ennui profond la plupart du temps. Heureusement que sa formation était prenante, il serait devenu dingue autrement.

« Il y eût un rire — assez fin, plutôt doux. Car c’était toujours amusant, de parler de maladresse ; voyez-vous. Aussi il était là, le Ludovic : à s’imaginer son cadet s’étaler sur la place centrale d’il ne savait trop quel endroit. « On sera bien, alors. On sera beaux — moi avec mes sourires de six pieds de long et toi trébuchant au moindre pas. » Il trouvait l’image assez belle, et se sentait soudainement très heureux — comme si cette sortie allait lui permettre de vivre plus qu’il ne le faisait déjà.

Et qu’y avait-il de mieux que de se sentir vivant ? Bonne question. « On forme une bonne paire, à croire ! Je ferai attention à ce que tu ne t’ouvres pas le crâne et eeeet — » Chuintement, mélange de petit rire étouffé et d’exclamation gamine. Il ne savait plus trop quoi rajouter, le grand blond. Il restait un bambin, avec des envies qu’il avait sans doute que trop étouffées lorsqu’il était jeune. « Et tu essaieras de pas avoir trop honte de moi-même hein. J’ai l’impression que je vais faire un retour en enfance omg. »

Et il avait les joues un peu roses.
Car bon sang. C’ÉTAIT EMBARASSANT. Ouais. De balancer ce genre de choses, il avait pas l’habitude — c’était un peu un awkard de nature. Aussi se recroquevilla-t-il quelque peu, tachant de cacher son visage en faisant face à la table ; les coudes posés sur cette dernière alors que ses mains enserraient sa nuque et ses cheveux en même temps. Huhu. « Arrghhuhu. »

… C’était bizarre, ouais.
Mais c’était comme ça que Ludovic vivait, après tout. Comme un nouveau né quoique. En un peu moins innocent, quand même. Hinhin.

Finissant par reprendre son repas, l’interne savoura d’un air ravi le fruit de leur dur labeur ; s’envolant au septième ciel alors que ses papilles crevaient sous les différentes saveurs. Aussi laissa-t-il s’échapper un petit rire tout con, lorsque Garfield reprit de l’entrain. « Woah, quel programme ahurissant ! » Moue toute aussi débile que celle de son voisin : « J’aime ! Mieux encore : j’approuve. » Et c’était un grand avec un esprit totalement déjanté, le Dave — ses idées s’embrouillaient dans un joyeux bordel alors que l’orage semblait passé.
Et ça faisait du bien, d’un coup. De se relâcher et de penser à quelque chose. Au demain. — Et pas seul, mais accompagné.

« …Heiiiin ?? » WHAT. Il venait de dire quoi ? « Pas que l’idée de te retrouver à quatre pattes en train de nettoyer le sol me déplaise mais WHUT. Geeeeenre. » Un rire un peu incrédule s’arracha à sa gorge alors que le Ludovic des grands jours ressortait, ainsi que tous ses tics de langage que trop maladroits et coutumiers : « Y’a tellement de choses à faire ! Tellement de belles choses géniales qui WOWH font faire des bonds de dingue à ton kokoro et et eeet— » Et il avait chopé ce mot chelou à Jazzie, oui. « Et — »

Pause.
Rire et indignation totalement amicale se changeant en quelque chose de plus calme et intime — plus malicieux, aussi. « Tu verras, un jour je te montrerai. » Sourire en coin : « Quelque chose de génial — vraiment. Je pourrais le faire maintenant, tu me diras. Maiiiis. Je vais pas interrompre ton programme génial alors ce sera pour quand. Je sais pas. »

On sera plus proche, peut-être.
Il ne savait pas.

C'était agréable de rire un peu, tellement simple de retrouver ce que Garfield avait cru envolé ; il suffisait d'un peu de distance et de prendre sur lui, et le naturel revenait. L'équilibre était instable, mais présent, et il s'y accrochait désespérément.

« T'inquiète pas va, je me mets déjà très bien la honte tout seul, j'ai plus peur de rien. »

C'était bizarre, de voir Ludo embarrassé. Il trouvait ça plutôt mignon, en fait. ... Non. Mauvais adjectif. Il prit une bouchée de poulet pour se donner une contenance, mâchant avec application ; c'était toujours mieux que de dire une connerie aussi grosse que lui. Le problème, c'était qu'il ne l'avait pas finie lorsqu'il se rendit compte de ce qu'il avait dit un peu plus tôt, avec ce que les paroles de l'autre garçon lui renvoyaient.

Évidemment, il s'étouffa, et se mit à tousser violemment, mais heureusement pas pour longtemps. Les larmes aux yeux, il prit une gorgée d'eau pour essayer de calmer sa gorge en feu.

« J'ai, euuuh. Avalé de travers. D-Désolé. Continue. »

Au moins, il pouvait mettre la rougeur de ses joues sur la nourriture qui n'était pas passée par le bon trou. Et il choisissait mal ses mots, même en pensée ; il avait réussi à se calmer, alors ce n'était pas le moment de suivre ce fil de réflexion, dont il ne savait même pas d'où il sortait. D'ailleurs, c'était absolument dégueulasse, voilà, il allait juste être très prudent, se taire, et ne surtout pas amener la conversation sur ce terrain en pente tellement raide qu'on aurait dit un mur. ... Encore un très mauvais choix de mots. Chose curieuse, il n'était que rouge pivoine, et pas vert fluo ; ces pensées, si elles lui paraissaient tout de même déplacées, ne le rendaient pas malade. Heureusement qu'il ne s'en rendait pas compte, car le simple fait qu'elles ne le rendent pas malade le rendrait en soi malade, à force de se demander pourquoi son stupide cerveau décidait de faire une horrible exception quand il n'avait vraiment pas besoin de ça.

Autant se raccrocher à la conversation, qui continuait heureusement de manière bien plus saine et normale que ce que ses hormones – définitivement malades, désorientées et sevrées depuis trop longtemps – voulaient bien lui faire croire.

« Ah ouais ? Si t'as un truc intéressant à me faire faire, je suis partant hein, parce que les bouquins j'en peux plus. J'ai l'impression que s'occuper chez soi c'est un truc totalement impossible quand on aime pas lire. »

C'était un peu honteux à avouer, en fait, parce que lire était un truc apparemment super important. Garfield préférait piocher ses infos sur Wikipédia quand il attendait que la lessive termine, chacun son truc.

« Enfin ça dépend si t'as le temps, aussi. »

Il ne connaissait pas très bien la limite entre 'être présent' et 's'imposer', et il avait toujours un peu peur de déranger, même après autant de temps ; c'était sans doute une certaine forme de timidité, un peu cachée.