« Il y avait eu un petit rire lorsque Garfield s’était étouffé — et il ne savait même pas pourquoi il avait ri, le blond. Enfin. Il y avait ces choses qui ne s’expliquaient pas, compreniez-vous. Ces tendresses surgissant soudainement ou ces attendrissements à certains gestes communs. Aussi avait-il continué son repas, tâchant de laisser un peu de temps à son cadet — histoire qu’il reprenne contenance, hein. Il lui avait resservi de l’eau, aussi ; au cas ou. On était jamais trop prudent.

« Ce gros stéréotype pouaaaah ! » … Garder son calme c’était un peu raté. Un sourire immense sur le visage du blond, et c’était reparti pour un tour. Dave avait toujours vécu dans la magie, après tout — dans sa famille il n’avait connu que des sorciers, aucun moldu. Alors il avait appris à se distraire, tout en intégrant au fil du temps des divertissements plus moldus — comme le volley, par exemple. M’enfin. « Tu sais il y a. Je sais pas ? La magie ! » Et il était un peu heureux, Ludovic — de parler ainsi à son colocataire.

Il savait pas trop, avait l’impression que tous leurs accrocs passés s’effaçaient d’un coup d’un seul ; sous cette nouvelle conversation. Il se sentait heureux — presque léger. « Tsais j’aimerais bien te montrer des tonnes de choses — après certains sont beaucoup plus doués que moi. Je veux dire y’a un gars à St.Mangouste il fait des trucs de fou avec des sortilèges dérivés et tout maiiis. »

Mais bon. Il n’avait jamais été une fleur, quand il s’agissait de ne se distraire que par la magie. Il aimait la vie, Ludovic — les beaux paysages et la sensation de sueur tout au travers de son corps. L’exercice du corps était le meilleur moyen à ses yeux de se sentir bien ancré dans le présent ; bien vivant. « Et oui j’ai le temps et. Mais. Ahdbigfpjo. »  Et il s’était pris la tête entre les mains, dans un geste un peu bambin ; enfouissant ses doigts dans sa touffe dorée. Le faisait-il, ne le faisait-il pas ? Il s’imaginait très bien la scène, mais. Il ne savait pas ; le faire plus tard aurait peut être quelque chose de plus précieux ?

Maiis.
Mais mais mais. « Raah. Puis tu sais, il y a toujours les conversations ? Tu trouves pas que hm. Le monde sorcier force en un sens à tisser de fortes relations ? » Et d’un coup il se sentait un peu con. Car c’était vrai, ce qu’il disait — il en était sûr. Mais car il avait tout raté, car lui-même n’avait jamais réussi ; car il était une exception à la règle qui se rattrapait un peu tard. Car maintenant qu’il n’y avait plus poudlard on ne pouvait compter que sur ça, quasiment. Sur les liens et attachements. Alors il était là, à s’enchainer peu à peu à Andersem sans trop réaliser — il était là, oui ; à réaliser comme un con sa misérable condition.

Mais au final, il s’en fichait un peu. Avoir ses potes à Sainte Mangouste lui aillait ; et il se sentait étrangement satisfait de n’avoir que Fifi. Tant bien même le tout n’était pas réciproque, hein. M’enfin. « Genre on fait face aux conneries ensemble, on a pas les euh. Jeux vidéo ? Juste le sport ou le temps qu’on passe en groupe ? » Petit haussement d’épaule innocent. « Puis tu peux tout faire avec la magie. Je sais que si il y a bien quelque chose que je sais faire c’est euh. Créer des fleurs avec les différents dérivés d’orchideus ? » …

…… Et il se sentait soudainement très très mal à l’aise. Comme si il venait de réaliser l’énormité qu’il venait de balancer. Salut, Ludovic — la vingtaine passée ; sait faire des fleurs. Rosissant soudainement un peu, grognant tout autant ; se passant une main à l’arrière du crâne, le blond se sentit obligé de se justifier à une vitesse assez ahurissante : « Enfin euh je dis ça je dis rien. C’était juste un exemple ? Avec tous les gosses que ma mère a eus elle s’est reconvertie fleuriste mais tu sais dans le monde magique alors voilà et ? »

Et il avait plus de souffle alors le tout s’était fini sur une touche interrogative.
Awkward moment.

L'atmosphère s'était définitivement détendue, et Garfield en était heureux. Les moments normaux existaient encore, quand il se donnait la peine de les créer plutôt que de psychoter dans son coin. Il se sentait sourire en entendant l'autre lui expliquer sa vision des choses ; ce devait être agréable, dans ce genre de contexte, de penser à la magie en premier. Sans doute était-il trop dépendant de ce qu'il connaissait le mieux pour envisager autre chose.

Ludo devenait bavard, et il écoutait ce qui ressemblait à des réflexions à voix haute tout en mangeant. Il était curieux. A Poudlard, il avait surtout gravité autour de nés-moldus, ou fait découvrir la culture moldue à d'autres, puis avait vécu avec Kalev qui passait plutôt son temps à écrire, peindre ou cuisiner. Ce n'étaient pas tellement ses activités de choix, pour la stupide raison qu'il n'était pas très doué dans tout ce qui était créatif. Les conversations, c'était bien, mais...

« Ouais enfin les conversations ça dépend hein. Quand t'es pas là je vais pas parler aux chats, et les patronus ça fait chier les gens au bout d'un moment. »

En fait si, il parlait aux chats. Souvent, même. Il leur racontait sa journée tout en faisant autre chose, réflexe stupide mais réflexe quand même. Le seul souci était évidemment le manque de réponse intelligible, même si les miaous était très mignons. Ces échanges se finissaient souvent en compliments aux bestioles avec une voix niaise ; il avait réussi jusqu'ici à ne pas se faire surprendre, et craignait le fou rire de son colocataire le jour où ça arriverait.

« Je vois ce que tu veux dire hein. Juste que passer du temps en groupe c'est pas possible tous les jours. »

Garfield n'était même pas de mauvaise foi ; ses amis avaient chacun leurs occupations, et c'était parfois un casse-tête d'accorder les agendas. Et puis, les jeux vidéo, c'était aussi un super moyen de passer du temps en groupe. Enfin, il n'allait pas lancer un débat sur le sujet. Ce serait plus simple de kidnapper Ludo une après-midi chez ses parents pour lui montrer. Si Papa et Maman Andersem en avaient marre de voir leur maison squattée tout le temps, ils n'en laissaient rien paraître, alors autant en profiter.

Les dernières paroles de l'ancien Gryffondor lui firent par contre hausser un sourcil. Des fleurs, sérieusement ? Garfield aimait bien ce sort lorsqu'il était encore obligé de faire des duels et quand il oubliait la fête de mères, mais bon au delà de ça... Il ne pouvait pas se retenir d'afficher un sourire un peu moqueur, qu'il essaya de cacher en prenant une gorgée d'eau, avant de répondre le plus sérieusement possible.

« ... Du coup, pour t'occuper, tu fais des fleurs ? »

Rire ne serait pas sympa, alors il se retenait. Il se retenait vraiment beaucoup. Il ne voulait pas vexer Ludovic qui venait de lui avouer un truc pas forcément très viril mais c'était difficile. Il ne savait même pas si c'étaient les fleurs qui lui donnaient envie de rire – au fond, c'était vachement mignon – ou juste la tête de Ludo qui rougissait – ça aussi, c'était mignon, en fait. Il oscillait entre humour et attendrissement, et il ne savait pas quoi faire de la deuxième émotion, alors la première prenait le pas.

Il parvint miraculeusement à ne pas éclater de rire - il se demanderait probablement toute sa vie par quel miracle – et à s'intéresser, un peu incrédule.

« Et, euh. Tu fais genre quoi comme fleurs ? »

C'était tellement awkward, entre sa voix étouffée par sa retenue et la question complètement débile. Il essayait, et il espérait que ça se voyait, que Ludo comprendrait qu'il était juste surpris. Il ne voulait pas le vexer.

« Mais c’est même pas moi qui fait des fleurs ! » Avait balancé Ludovic d’un tout désespéré, faisant un large mouvement de bras. « Enfin si j’en fais mais aaaahdpbjfdpgobjpo. » Et il avait fini par se foutre une main sur la tronche, l’autre allant gratter l’arrière de sa nuque.
C’était pas possible. Pourquoi il avait sorti ça ? C’était sorti d’une manière si naturelle, alors qu’il n’avait fait dévier ses idées premières. Aussi le blond se concentra-t-il un instant sur sa respiration, histoire de reprendre ses moyens et une couleur de peau normale, hein. Un, deux… Ca avait l’air d’aller. « J’ai toujours passé la plupart de mon temps à la maison — jveux dire la maison familiale. Y’a toujours eu les frères comme ma mère, mon père un peu moins. Alors je sais pas, j’étais déjà habitué aux formes diverses des agitations coutumières et — et au final voir la madre arranger ses dérivés d’orchideus et j’en passe. J’ai un peu choppé la main ? »

Il ne savait même pas pourquoi il se justifiait encore. Aussi le Dave finit-il par se dire que ce qui était fait était fait, et qu’à présent qu’il était dans la conversation ; bah… Autant y rester ? Se détendant un peu, il empoigna distraitement sa baguette : « Hm, ça dépend ? Je fais de tous, je pense. J’aime bien les fleurs de magnolia, les roses comme d’autres choses — vu que ma mère en fait de toutes sortes j’ai pris son habitude. Puis on fait aussi en fonction de notre humeur ou de la personne qu’on a en face de nous ? » Et c’était totalement débile. Il avait bien entendu les étouffements venant de son colocataire et réalisait bien l’absurdité de la conversation.

Mais bon, blasé pour blasé et awkward pour awkward… Il était ruiné, alors autant continuer à s’enfoncer. « Mais récemment j’ai créé un nouveau concept et. Euh. Bah regarde pendant qu’on y est. » Aussi avait-il fait louvoyer son poignet avec une de ces délicatesses nonchalantes, murmurant sa toute nouvelle formule : coronam flores.
Alors était apparu des bouts de fleurs qui s’étaient liés les uns aux autres, des fleures roses comme d’autres un peu plus blanches — certaines restant dans les verts, pour harmoniser le tout. Tout qui était atterrît sur la tête du brun. « Euh, du genre comme ça ? » Et il s’en était faite une pour lui aussi, pavée de grosses fleurs colorées dont quelques petites jaunes rappelant celles que l’on pouvait trouver dans jardins.

Il avait un peu ri. « C’est marrant, non ? » Et c’était bien tout ce qui l’unissait à sa mère. « Quoique si je devais choisir quelque chose pour toi ce serait plus ça — » Une cascade de boutons d’or était venue flotter à côté d’Andersem. « Ca te correspond bien ? C’est plutôt marrant. »
Son sourire avait été celui d’un gamin.

Adieu réputation de gros sportif, côté de blond ténébreux.
Adieu Ludo-le-truc, bonjour Ludo-l-awkward.
Genre dévoilé au grand jour.
Rip.

On aurait dit que Ludo essayait de se justifier, et ça donnait encore plus envie de rire à Garfield. Mais il se retenait. Il faisait des fleurs s'il voulait faire des fleurs hein, chacun son truc. Pourquoi pas, après tout. Il pouvait comprendre, à force de se battre avec ses frère et soeur il avait fini par perfectionner les sorts permettant de changer les objets de couleur, pour les guirlandes à Noël, quand toute la maison se transformait en guerre entre le vert, le rouge et le jaune. Parfois, il avait l'impression que sa fratrie se prenait pour les fées de la Belle au Bois Dormant.

C'était marrant, ceci dit, de découvrir des trucs sur l'autre. Tout le monde avait ses petits plaisirs un peu coupables, ses manies. C'était le genre d'info qui montrait de la confiance, un peu comme si lui avait ouvert son tiroir à chaussettes. Même si, bon. A force qu'il se balade avec des chaussettes chaque jour un peu plus débiles, Ludo devait déjà avoir remarqué, même s'il son manque de culture moldue ne devait pas lui permettre d'identifier grand chose, entre la paire jaune à motif visage de Pikachu et celles décorées de petits sabres laser.

« Ouais je vois. C'est plutôt cool. »

La surprise passée, il ne jugeait pas, il se contentait d'écouter, en réfléchissant un peu. Il n'avait jamais réellement prêté attention aux fleurs qui apparaissaient lorsqu'il lançait ce genre de sort, c'était plutôt un truc automatique qu'il avait longtemps utilisé pour ne pas être agressif. Quand on a la poisse, on évite de balancer des choses qui font trop mal quand elles décident d'attaquer le lanceur.

A la demande de Ludovic, il regarda attentivement la démonstration, mettant une seconde à comprendre. Premier réflexe en sentant quelque chose lui tomber sur la tête ? Lever le nez. Logique. Il finit par lever une main pour tâter l'objet, avant de l'enlever et le ramener devant lui.

Ah ouaiiis. Question fleurs, on ne déconnait pas chez les Dave.

Il regarda alternativement l'autre garçon et la couronne, avant de la replacer sur sa tête, rougissant légèrement. Tout était normal, il suffisait d'y croire très fort.

« C'est joli ! Un peu rose mais joli. »

Le rose, c'était pour les filles. Garfield était éternellement bloqué au stade couleurs de nurseries, il ne portait pas de rose parce que ce n'était pas viril. Il n'aurait pas fallu qu'il ait l'air gay, ça aurait été gênant.

La cuisine semblait soudainement prendre des allures de jardin, avec les boutons d'or qui apparaissaient - ouais, jaune c'était mieux – et il se sentait un peu ahuri. Il ne savait pas trop ce qu'il devait faire, un peu comme quand Kalev commençait à déclamer des poèmes auxquels il ne comprenait pas toujours grand chose. Comment est-ce qu'on peut soutenir le talent des autres quand on a le sens esthétique d'une patate, hein ? Ça aurait pu être des pâquerettes qu'il aurait quand même trouvé ça joli, lui.

« J'ai jamais vraiment fait gaffe tiens. Attends. »

Il sortit sa baguette de sa poche, en espérant que ça ne donnerait pas envie à Ludo de se réfugier dans un abri anti-atomique. Il repoussa son assiette vide un peu plus loin sur la table, au cas où.

« Orchideus. »

Tant qu'à faire, autant participer, si ça pouvait enlever complètement l'air gêné de son colocataire. Un bouquet un peu bancal apparut dans sa main libre. Des coquelicots, des marguerites, des bleuets, des brins de blé et d'herbe. Il observa le machin d'un oeil critique, un peu déçu.

« C'est pas très... »

Pas très joli, pas très noble, il produisait manifestement des fleurs un peu paysannes. Il secoua la tête.

« Enfin... C'est. Des fleurs. Les tiennes sont mieux, je suis un peu nul. Comme d'hab. »

L'ambiance était complètement surréaliste. Garfield finit par lever les yeux, croisant le regard de Ludovic ; il eut un rire un peu gêné, envoyant le bouquet léviter devant l'autre garçon.

« Mais. Si c'est ça que tu aimes faire, comment ça se fait qu'y a pas des fleurs partout dans l'appart ? »

Garfield aimait les chats, il y avait souvent des chats partout dans l'appart. CQFD. Si c'était ce qui le branchait, ça ne le dérangeait pas de vivre dans la jungle. Il trouvait définitivement ça mignon, en fait. Le rouge n'avait pas entièrement quitté ses joues.

« Il y avait eu un rire lorsque Ludovic avait pu admirer la moue un peu gênée de son cadet — aussi n’avait-il pu réfréner un sourire un brin attendri, ouais. Surtout lorsque le garçon avait lancé un orchideus un peu tout un peu rien — un peu timide et un peu volontaire, sans doute. Et c’était sympa de sa part de participer au moment, histoire de le rendre moins euh. Awkward.

Il n’avait pas ri, d’ailleurs ; le blond — lorsque son coloc avait fait surgir un bouquet de fleurs des champs — « Tu sais— » Et il s’était laissé germer une esquisse assez démentielle sur le visage, ses yeux s’agrandissant un peu : « J’adore les coqueliquots ! » Ces machins étaient carrément fragiles, mais leur couleur et — et tout ce qui les composait en fait, bah. Il aimait bien, quoi. Gamin il n’avait pu s’empêcher d’ouvrir les bourgeons pour en sortir les feuilles de manière prématurée, il s’était d’ailleurs fait taper sur les doigts alors que ses frères commençaient à faire pareil. Comme quoi ; il y avait ce genre de conneries hypnotisantes et sans âge, hein.  Enfin bref.

L’image était un peu surréaliste — aussi un rire un peu bizarre s’échappa de l’interne, tout petit et tout mince ; rappelant ce genre de rire innocent qu’ont certains gamins dans certaines situations. « Euuuh. » Il essayait de se reprendre un peu et — « Les tiennes sont bien, tu sais. Puis ça se travaille j’imagine ? Tsais j’ai grandi dans la magie et eeet — j’ai jamais eu de membre de ma famille étant moldu je crois ou ? Ohmy. C’est fou de ce dire ca quand même. Enfin je sais pas je les ai pas connus en tout cas ? Enfin — »

Enfin je suis un boulet. Ouais. Il avait envie de se facepalm mais évita, hein, quitte à pas aggraver la situation. D’un mouvement de poignet toutes ses fleurs à lui avaient disparu : « Enfin je les aime bien, tes fleurs, quoi. C’est cool de te voir faire de la magie. Si t’avais plus confiance en toi tu ferais des choses formidables. » Ca lui donnait envie de lui prendre la main, de lui dire que tout irait bien et — et what the fuck. Des fois le blond ne se comprenait pas, non.

Bref. bref bref bref. Secouant imperceptiblement la tête, il se relança dans la conversation : « Et eeet. » Et de base c’était pas ce qu’il avait voulu faire, genre parler de fleurs — lancer des sorts et. Il s’était juste défilé comme un gros lâche ; se disant que ce qu’il avait en tête serait mieux un autre jour. Quoique Garfield avait sans doute oublié et — et bref. Lui-même commençait à passer à autre chose. Merveilleux. « J’aime bien mais pas plus que ça ? C’est pas tant un hobby ? Je préfère le sport ? Puis voir ma mère à la maison me suffit, je pense. »

… Puis c’est galère à entretenir, aussi. Bref.
Aussi étaient-ils là. Comme deux abrutis un peu maladroits — Ludovic ne savait pas si il avait chaud ou si il se sentait bien, il avait envie d’ouvrir grand la fenêtre et de se balancer dans l’ouverture histoire de se calmer et de s’aérer un bon coup les idées. De l’autre côté fifi semblait pas euh. Mieux non plus ? Enfin ? Ca changeait pas de l’habitude mais — ? BREEEEEEF. « Je euh. »

… Il ne savait même pas pourquoi il avait ouvert la bouche. Explosant d’un rire tout aussi simple que court, il reprit, léger : « Ca allait sinon ? C’était bon ? Enfin bref. Que d’émotions. » Il se passa un dos de paume sur le visage, avant de poursuivre, se redressant : « Bref, on débarrasse ? »

Son sourire était franc.

Ludovic était bien sympa, d'essayer de le rassurer, mais la gerbe de trucs dans le verre était tout de même un peu pathétique. Garfield n'était pas vraiment certain qu'il allait travailler très dur sur sa capacité à produire des fleurs, parce qu'il ramait déjà comme ça avec les trucs essentiels à sa formation. Et puis, au pire, il y avait des fleuristes. Il se gratta la nuque en riant un peu, en rougissant, cette avalanche d'encouragements était un peu bizarre.

« Ouais, euh, enfin. J'ai jamais été très doué pour tous les trucs un peu, euh. Créatifs. »

C'était valable pour un peu tout. La cuisine, les fleurs, les fringues qui étaient toujours les mêmes depuis ses seize ans, son point de vue sur l'art qui pouvait se résumer à un 'euuuh' retentissant. Il était un peu mal à l'aise, parce que Ludo était insistant, et lui juste pas doué ; il n'avait pas forcément besoin qu'on le rassure, parce qu'il était persuadé d'être nul mais l'assumait très bien. Le rassurer, c'était l'ébranler dans la confortable certitude qu'il ne ferait jamais rien de mieux, que c'était très bien comme ça. Pour un peu, ça lui aurait donné envie de bosser sur ses sorts, mais ça lui aurait aussi donné la honte écrasante de ne jamais être à la hauteur de cette opinion favorable.

« Enfin, euh. Merci ? »

Plus ou moins, ouais. Merci d'y croire, mais non merci, parce que la magie c'était pas son truc. Enfin, il restait quand même dans le monde magique, mais... Au final, il n'avait sa place nulle part, un peu tout, un peu rien, la magie lui répondait à moitié et la technologie déconnait avec les ondes magiques plus que régulièrement. C'était un peu frustrant.

Ludo continuait, et il avait encore l'impression qu'il se justifiait ; ça le fit sourire un peu. Il aurait bien voulu lui dire que c'était pas grave sans que ce soit vraiment awkward. Il pouvait aimer les fleurs, c'était pas un problème, il aurait pu se promener fringué en rose que Fifi n'aurait pas (trop) jugé. Chacun son kiff. ... Ok, peut-être pas, d'accord. Mais les fleurs c'était rien, voilà.

C'était marrant, au final, de constater que son coloc parlait aussi vite que lui quand il était stressé. Il rit avec lui, un peu.

« Ouais, ouais, c'était super bon. Évidemment. C'est toi le chef. Si t'étais pas là je mangerais dans une barquette d'alu tous les soirs déjà, mais alors là je suis comblé. »

Parce que lui-même n'était évidemment pas foutu de faire une stupide purée. M'enfin, ce repas avait été une bonne idée. Il se sentait plus à l'aise, malgré les moments de flottement. Ce n'était pas encore gagné, mais il retrouvait un peu ses marques. Il hocha la tête et se leva, récoltant les assiettes au passage. Il savait au moins faire la vaisselle, ça comptait dans ses maigres capacités admises. Retournant vers la cuisine, il ouvrit le robinet, passant ses doigts en dessous du jet pour en tester la température avant d'y plonger les choses à laver ; le reste se ferait par magie après.

Il ne se rendait pas compte qu'il se promenait encore avec sa couronne de fleurs, très naturellement.

« ... Crotte, je suis distrait. Tu ramènes les verres ? »

C'était une phrase toute bête, mais il avait de nouveau l'impression d'être à la maison, et ça faisait un bien fou, une chaleur toute douce dans son ventre. Il était toujours gêné, toujours mal à l'aise, il rougissait encore, mais... Il ne savait pas trop. Sans doute que pétrir ce malaise comme si c'était une crampe, jusqu'à ce qu'il disparaisse complètement, était la meilleure chose à faire ; arrêter de fuir n'était pas si compliqué, il le voyait bien. Il finirait par oublier cet épisode débile et exagéré, avec un peu de volonté.

« Tu vas faire quoi, ce soir ? »

Tout était normal.

« L’amitié, c’était compliqué — mais vivre sous le même toit avec un mec avec qui on était de base pas super proche c’était… Une experience, oui ? Pas très facile, souvent assez embarrassant. Mais bon, Ludovic se disait qu’on s’y faisait, non ? Sans oublier le fait qu’après tous ces mois passés l’un sur l’autre; il finissait pas être capable de déchiffrer les moindres moues de Fifi. Le rouge pivoine, le blanc délavé; le vert apeuré — le perplexe de perplexe. Enfin. Ce qu’il préférait, c’était quand même le normal de normal — je suis détendu je fais pas gaffe à ce qui m’entoure. Car il était pas mal, oui, Garfield. Quand il était calme, perdu dans une pensée quelconque; ou simplement en train de bosser. Il avait cet air des jours heureux, des jours cachés — et des fois le blond se disait qu’on devait pas le voir souvent ainsi. Peut-être était un des seuls à connaitre ce visage mi-pensif mi-absent.

Aussi il aimait un peu ça. Enfin.

bref bref bref. quoi. bon. « Je suis content que tu aimes. Tsais c’est franchement pas plus mal qu’on vive ensemble; on se force à vivre euh. Un minimum comme des êtres humains ? Non car pour l’avoir vécu, mais être en solitaire 24/24 tu finis vite en gros déchet. Animal ? Non même pas en fait. Juste un gros déchet, une sorte de légume crade. …Donc je suis content que tu sois là; vraiment. » Et il lui avait offert un de ses super sourires, de ceux francs et bouffis de lumière. Il était un peu con Ludo; mais c’était comme ça — il avait appris à aimer en grand. Et la solitude de l’an passé l’avait adouci, aussi.

… Ça l’amusait, d’ailleurs. De voir son colocataire se trimbaler avec sa couronne d’un petit air heureux. Enfin pas forcément heureux, mais juste naturel ? Ce qui était rare, vu que la plupart du temps leur quotidien se résumait à 99,99% d’awkwardité. Genre les rougeurs, les rires bizarres; les mains dans les cheveux — les facepalms, aussi. Beaucoup. « Ce soir ? » Il avait haussé un sourcil, après avoir balancé un bien sur vis à vis des verres.

« … Attends je sais pas, j’arrive plus à me souvenir. » avait-il littéralement bugué, se figeant dans son mouvement de je me déplace pour filer lesdits verres à Fifi. « J’avais quelque chose de prévu ? Je t’en avais parlé ? Genre St-Mangouste ? Ou genre… Rien ?…. Attends je deviens grave là. » C’était possible d’avoir des trous de mémoire à cet age ? Il était pas un peu jeune pour devenir sénile ? Aussi s’était-il remis en action, venant heurter l’épaule de son cadet; lui basculant son colis fragile d’un tiens nonchalant.

Ludo maitrisait pas très bien sa taille, mais bon. « Enfin du coup attends je sais pas. Haha. Pourquoi ? Toi tu fais quoi ? » Non car au final il avait rattaché la question totalement désintéressée à une proposition. … C’en était pas une mais bon, c’était toujours sympa de faire quelque chose ensemble, non ? « Mais sinon je peux toujours trouver quelque chose. Genre PARLER À MA MEILLEURE AMIE. … Ce genre de vie sociale. Très réduite, certes. … Mais c’est déjà ça n’est-ce pas ? » boulet boulet boulet boulet. Sérieusement il en avait marre de lui-même.

Il comprenait même pas comment il faisait pour gérer sa formation alors que dans le domaine du social c’était un gros débile. Un gros débile à la mémoire gruyère, qui plus était. Pourtant il s’en sortait super bien, avec les gamins du centre — même avec les ados d’ailleurs. Enfin les plus jeunes. Après il était genre un tout petit peu nerveux quand il s’occupait de personnes ayant plus vécu que lui, sachant plus et le jugeant du regard. Du genre je te vois, je sais que tu as pas fini ta formation; je SAIS QUE TU PEUX TE TROMPER mais T’AS PAS INTERET MORVEUX. Enfin ce genre de truc quoi. … bref.

Trop de répétions dans son petit cerveau.
Aussi se gratta-t-il mentalement l’arrière du crane, finissant de débarrasser la table en gros barbare; prenant tout dans ses bras et patati patata.
C’était dur, que d’être lui.
Très dur.