Louis n'aimait pas la réaction de Galatea. Il n'aimait pas le fait qu'elle cherche à le mettre au pied du mur ; le fait qu'elle n'avait aucune considération pour ses craintes, ses doutes, ses angoisses. La mémoire de son frère, elle n'avait aucunement le droit de s'en mêler. Elle ne l'avait jamais connu. Elle n'avait jamais vu son visage, ni dans la réalité, ni même en photo ; des photos que Louis conservait dans le tiroir de sa table de nuit, cachées de tous. Elle n'avait jamais entendu le son de sa voix, jamais partagé son sourire. Elle ne connaissait rien de ses tics de langage, de ses intonations, de la façon dont il préférait coiffer ses cheveux, des livres qu'il préférait. Tout ce qu'elle savait, c'était des anecdotes de son existence. Elle ne savait que ce qu'elle saurait de n'importe quel personnage de fiction. Elle imaginait les sentiments de Nicolas comme lui avait imaginé les sentiments de Frodon. C'était du vent ; irréel.

Louis cessa à nouveau de tourner en rond. Il ne prendrait aucune des deux options qu'elle lui proposait. Il allait juste reprendre ce qui lu était dû, et l'envoyer paître.

- Je t'ai donné un journal tout neuf, alors rends-moi celui de Nicolas et retourne écrire tes niaiseries ailleurs.

Il tendit la main pour lui réclamer le carnet qu'elle tenait contre elle. Comme si ça lui appartenait. Comme si c'était précieux pour elle. Elle était plus attachée à ce truc que lui ou Ocean ne le serait jamais, c'était risible. Complètement risible.

- Si t'avais connu Nicolas, peut-être que t'aurais le droit de mettre ton grain de sel dans cette histoire, mais c'est pas le cas. Tu connais un pseudo héros de roman, pas mon frère tel qu'il était.

Un héros, oui, c'était comme ça que Louis l'avait toujours vu, connu ; comme ça que Nicolas aimait se vendre. Et c'était sans doute ainsi qu'il avait écrit à son propos. Nicolas n'étaient pas allé à Gryffondor par erreur. Il avait la loyauté, la ruse, et la curiosité, mais il avait plus que tout, l'audace et l’héroïsme dans le sang.

- Tu vois, c'est comme si je te disais que je vois mieux que toi qui sont tes frères d'après une rédaction que t'as faite sur eux. C'est pas crédible. T'as pas besoin d'être un génie pour t'en rendre compte.

Est-ce qu'elle s'en rendait compte, au moins ? Louis en doutait. Il ne savait pas pourquoi elle s'était attachée à Nicolas, parce qu'il ne savait pas ce qu'il y avait d'écrit entre les pages du carnet. Mais il savait que quoi qu'elle ait en tête, ça ce serait toujours moins tangible que le souvenir de Nicolas qui l'étreint.

Louis attrapa le journal à la volée, et tant mieux, parce qu'il n'avait pas envie de se battre davantage avec cette fille pour le récupérer. Elle l'avait agacé, profondément, alors il n'avait plus la moindre envie de le lui abandonner ; même si cela avait été une tentative assez ratée de se débarrasser définitivement de ce souvenir poussiéreux. Un souvenir plein des souvenirs d'un autre. Oui, c'était vrai, il y avait des tas de choses qu'il ignorait, mais est-ce que ça changerait vraiment quelque chose de les apprendre ? Nicolas demeurait mort. Il n'avait pas besoin de connaître le nombre d'heures de retenues dont il avait écopé pour comprendre que son frère ne reviendrait pas.

Et c'était peut-être ça, le plus vexant ; que Galatea l'accuse de ne pas passer du temps avec son frère, se vantant au passage de ses sacro-saintes qualités de grande soeur. Est-ce qu'elle se rendait seulement compte de ce qu'elle disait ? Est-ce qu'elle se rendait bien compte que Nicolas n'était pas devenu un fantôme, et que Louis n'avait pas la possibilité physique de grandir auprès de son frère aîné ?

- Non mais tu t'entends parler un peu ? gronda Louis. Tu crois que j'ai fais quoi ? Chaque fois que Nicolas était à la maison, on passait tout notre temps ensemble. Tu crois que j'ai pas envie de continuer ? Tu crois que j'aurais pas aimé venir ici en même temps que lui ? Si je pouvais je le ferais, mais au cas où t'as pas remarqué, un mort c'est plus fréquentable, alors va débiter tes discours de soeur parfaite ailleurs !

C'est ça, qu'elle vire, qu'elle aille voir ailleurs s'il y était. Ce n'était certainement pas lui qui allait la retenir. Elle n'avait qu'à aller les voir, ses petits frères d'amour, leur montrer combien elle brillait de ses qualités d'aînée attentive. Il n'y avait aucun moyen qu'ils se comprennent, de toute façon. Elle n'était pas cadette,  sa fratrie était au complet, et elle était trop immature. Elle avait quoi, déjà ? Onze ans ? Douze ? Trop eu, quoi. Elle en aurait toujours trop peu, de toute façon .Surtout si son père gâteux continuait à la traiter comme une petite princesse.

- Et pour ta gouverne, ça fait deux ans déjà que tu perds ton temps à m'ennuyer. Arrête d'être aussi incohérente, grogna-t-il.

Ceci fit, Louis s'étala dans son lit après en avoir fermé les rideaux. Qu'elle lui fiche la paix et puis c'est tout. Il n'avait rien, vraiment rien à lui dire de plus.