▽ Breathe me.

Il y avait trop de gens autour de toi. Tu étais devenue sourde. Tu ne comprenais pas. Pourquoi la transition s'était-elle faite aussi vite ? Pourquoi est-ce que d'un coup de froid et d'humidité sur ta peau, tu étais passée aux couvertures de l'infirmerie ? Pourquoi est-ce qu'un simple battement cils, tu pouvais te détruire à ce point ? Un simple battement de cils en trop qui t'avait fait t'endormir. Tu te désespérais, d'un côté. Après tout, le ciel lui-même aurait pu t'en vouloir d'avoir faillit gâcher ta vie pour ça. Jack n'aurait pas voulu ça. Tu lui avais promis. C'était sa dernière volonté, il voulait que tu souris. Sauf que tu avais mal compris et pour toi, il fallait sourire tout le temps, même si tu n'étais pas heureuse. Le véritable souhait de Jack.. Le véritable souhait de Jack.. C'était quoi ?

Pendant que les voix familières et bruits connus s'accumulent autour de toi, tu t'emmêlais dans un tas de poussières de souvenirs. Un tas d'horreurs dont jamais tu ne voulais te rappeler. Un tas d'horreurs que tu fuyais, de peur que tes mensonges s'effacent. Qui es-tu, Jodie ? Une enfant aux cheveux roses ? Une abrutie au sourire menteur et pourtant si angélique ? Qui étais-tu vraiment, jolie Jodie ? Qui étais-tu ? Tu entre-ouvres les paupières, tu n'arrives pas à percevoir les silhouettes qui s'agitent près de toi. Tu refermes les yeux. Tu n'arrivais pas à te réveiller, c'était certain. Tes songes t'emportaient beaucoup trop haut pour t'en décrocher.

Parfois tu rêvais. Souvent tu cauchemardais. Là, tu n'arrivais pas à distinguer laquelle de ces propositions était plus adaptée pour ce que tu voyais. Tu voyais du sang, des morts, des blessures, du feu, mais tes yeux ne paniquent pas, ton cœur est arrêté. Est-ce que c'était ça, la mort ? Tu ne savais plus si tu étais là ou autre part, tu ne savais plus qui tu étais, tu ne savais plus. Plus rien. Tu n'avais jamais rien su. En fait toutes les croyances que tu t'étais forgées n'étaient qu'une pure création de ton imagination.

C'était un peu comme croire que Garfield t'aimait.

Voilà qu'il te hantait de nouveau. Tu avais tout fait, tout ce que tu pouvais, pour éviter ce sujet. Il te faisait mal. En même temps, il te rendait vivante. Parce que si tu n'avais pas pensé à Garfield, tu n'aurais peut-être jamais rouvert les yeux. Tu n'aurais pas non plus remarqué à quel point tu étais seule et inutile. Peut-être même que tu serais morte. N'était-ce pas un sort favorable à la torture dont tu étais la victime, actuellement ? Secrètement, tu avais espéré mourir. Non vraiment. Tu aurais voulu disparaître. Tu expires, ton souffle caresse tes lèvres froides.

Tu entre-ouvres les paupières. Tes longs cils noirs te cachent quand-même la vue mais au moins comme ça, tu n'avais pas l'impression d'être complètement un cadavre. Un instant tu te demandais où pouvait bien être ton carnet et ce qu'il écrivait comme conneries. Peut-être qu'il n'écrivait rien ? Il n'écrivait rien. Parce que tu ne pensais à rien. Parce que d'un côté, tu aurais du mourir. A la place, tu étais dans ce lit, à l'infirmerie, sans tes fringues, tes blessures sur tes bras, tes mains et tes épaules visibles.

Tu étais vraiment trop bête.

Bien sûr, il avait attendu le plein moment du repas, comme un lâche, pour qu'il n'y ait plus personne. Même s'il avait fait exploser une bonne vingtaine d'objets dans la salle commune quand il avait appris la nouvelle et que c'était pas spécialement discret, il essayait toujours de limiter les conneries. Le problème c'est que là, c'était pas lui qui avait merdé... Sauf s'il écoutait la petite voix au fond de lui qui disait que c'était peut-être de sa faute. Mais c'était trop orgueilleux de penser ça, sans doute ; il n'en valait pas la peine, parce qu'il était une pauvre merde. Bien sûr, il avait lu le mot qu'elle lui avait laissé la dernière fois, il l'avait même gardé, en ne sachant pas trop pourquoi, mais il refusait d'y voir une coïncidence. Il n'était pas sûr que sa conscience s'en remettrait, cette fois.

Néanmoins... Il ne pouvait pas ne pas aller la voir. Il devait s'assurer qu'elle allait bien, par lui-même, comme il le faisait depuis le jour où il l'avait trouvée dans le couloir silencieux, la scruter pour vérifier qu'elle n'avait plus eu de problème, en espérant que ce n'était pas trop évident. Là, il allait être très clair qu'il y avait eu un problème, et un gros.

Garfield entra dans l'infirmerie, et la première chose qu'il vit, c'était le tas de bouffe sur les trois tables de nuit (trois ?) autour du lit de Jodie. Évidemment, un Poufsouffle à l'agonie reçoit toujours des sucreries pour les six mois à venir. Enfin, sucreries... Il aurait tout de même été curieux de voir qui avait déposé un plat de choucroute. Bref. Lui, il avait un sachet dans la main, mais il ne savait pas encore ce qu'il allait en faire. Il s'approcha.

C'était un spectacle désolant. Elle était pâle comme la mort, presque cadavérique dans la blancheur des draps, ce qui rendait le rose de ses cheveux presque violent. Il ne pouvait pas s'empêcher de regarder ses bras. Vu ce qu'on lui avait raconté, tout ça ne datait pas de maintenant... Des bleus, des coups, des griffes. Pourquoi Absynthe n'avait-il pas encore fait disparaître tout ça ? Il ne voulait pas le voir. Il déglutit. Poufsouffle n'avait jamais été la maison du courage.

Brusquement, il se rendit compte qu'il était là depuis plusieurs minutes, debout à côté du lit, à la regarder, et qu'elle avait les yeux presque ouverts.

« Salut. »

Il ne savait pas trop quoi dire d'autre, même si c'était un peu nul. La seule chose qu'il avait envie de faire, c'était de hurler des questions. De lui demander de lui dire que c'était un accident parce que, clairement, il y avait un doute. Et surtout... Si c'était ça, il aurait voulu savoir pourquoi. Son carnet était sur la table de nuit, sec mais ses pages gondolaient un peu. Il le lui glissa ouvert dans les mains, pour qu'elle n'ait pas à bouger. Parce que s'il parlait tout seul, il risquait de dire des bêtises.

▽ Breathe me.

Tu fais pivoter tes yeux entre tes mains et les tables à côté de toi. Y avait-il vraiment des gens qui étaient venus te donner des sucreries ? Parce que tu étais tombée dans l'eau ? Ok t'avais faillit mourir aussi mais l'attention te semblait un peu trop exagérée. Malgré tout, tu esquissas un sourire à la vue de tous les paquets et te demanda un instant si Garfield était venu aussi.. Pour poser un paquet sur la table. Est-ce qu'il avait laissé un mot, une fleur, n'importe quoi ? « Salut. » Tu regardes de l'autre côté du lit. Tu ne vois pas son visage, mais tu es certaine que c'est lui. Au moins il était venu. Le cahier arrive dans tes mains. Tu ne le capte même pas, tu avais même eu du mal à te dire qu'il était vraiment là, à côté de ton lit. Ton souffle est froid, tes bras au-dessus de la couverture demeurent immobiles tandis que tu clignes des yeux d'une lenteur inimaginable. On se croyait presque dans un slow-motion.

Donc il était vraiment venu ? Ton regard se vivifia pendant qu'un mince sourire étira tes lèvres. Il tenait à toi, alors ? Ou il voulait juste soulager sa conscience ? Ton sourire se fane. Tu ravales difficilement ta salive tandis que tes doigts sont pris de spasmes. Ton regard s'en va vers le cahier. Depuis quand est-ce qu'il était dans tes mains ? Tu clignes plusieurs fois des yeux, n'arrives toujours pas à les ouvrir correctement. Tu passes ta langue sur ton palais sec. Ton esprit tentait tant bien que mal de dessiner les courbes sur le papier. Elles étaient jolies mais un peu tremblantes, douces mais pas droites. En plus tu écrivais en gris, sans même le savoir.

Pourquoi tu es venu ?

Garfield avait du mal à comprendre comment elle pouvait encore sourire après tout ça. Mais du coup, il sourit en retour. Elle voulait bien le voir, c'était déjà ça. Lui, il se serait éjecté de là à grande vitesse. Il déposa son sachet sur le tas de trucs comestibles, un peu en déséquilibre. Un sachet de bonbons roses, comme ceux que mangent les licornes.

Jodie lui demandait pourquoi il était venu, et il trouvait ça assez évident, pour une fois, comme réponse.

« J'étais mort d'inquiétude, donc voilà. »

Il attira une chaise près du lit, pour s'asseoir un peu près d'elle. Il avait un peu de temps devant lui, après tout.

« On m'a dit que t'es tombée dans le lac. Tu te sens un peu mieux ? »

Évidemment, il n'osait pas demander. Est-ce que c'était un accident ? Pourquoi est-ce qu'il avait ce doute dans la tête, d'ailleurs ? C'était un accident, voilà tout. Là, il essayait de faire semblant de rien, de sourire, mais il était tout de même mal à l'aise, un peu.

« Si tu voulais aller nager, fallait harceler un préfet pour le mot de passe de leur salle de bain. »

C'était une remarque à la con, mais elle eut le mérite de donner un peu plus de vrai à son sourire.

▽ Breathe me.

Tes yeux suivent le paquet rose en voyage vers la table. Alors il t'apportait vraiment des sucreries ? Tu ne souris plus. Tu regardes, tu observes. Tu ne critiques pas, tu es juste là, un peu triste, sans doute, mais pas malheureuse. Douloureusement tu tournes un peu la tête vers lui. Le lac ? Oui, tu étais devant le lac. Étais-tu tombée ? Tu le regardes, sans répondre. C'était bête, comme question. Il voyait bien, pourtant, que ça allait mieux. Sinon tu serais encore dans le lac. Non vraiment, c'était con. Tu n'avais même pas capté sa dernière remarque. Tu clignas juste des paupières lourdement, comme si tu n'avais plus la capacité de relever les yeux. Tu remets ta tête dans l'axe de ton corps, tes longs cils caressant le haut de tes joues. Tu inspires afin de remplir complètement tes poumons, tu tousses brièvement avant d'entre-ouvrir les paupières.

Tu te sentais lourde, tu te sentais morte, tu te sentais inutile, tu te sentais un cadavre. Pourquoi est-ce qu'il était inquiet s'il ne t'aimait pas ? Tu clignes des yeux. Tu fais glisser ta main sur le drap, tente de la relever pour attraper quelque chose à manger. T'avais aucune force, tant pis. Tu soupires, les yeux posés sur les sucreries roses qu'il avait déposées. Tu fais voyager tes pupilles jusqu'à Garfield. Tu inspires.

Si ça n'allait pas mieux je serais morte au fond du lac. Donc on peut dire que ça va mieux.

Tu te demandais vraiment si c'était aller mieux que d'être à l'infirmerie contre ta volonté. Tu baisses les yeux sur le carnet, ta main le tenant gratte un peu la couverture. Tu avais essayé de le laisser sur tes genoux mais t'arrivais même pas à lâcher la prise. Tout ton bras était tendu, tes muscles ne réagissaient plus. Putain mais quels genre de calmants ou de potions on t'avait donné ? Les seuls mouvements que tu savais faire étaient parfois tourner la tête, cligner des yeux et passer ta langue sur ton palais. Super. T'aurais sans doute pas ces bonbons roses avant un moment.

Mais faut croire que c'était pas mon heure.

Apparemment, c'était pas le moment des blagues stupides. Garfield n'était pas doué, il le savait depuis longtemps, mais il avait au moins le mérite d'essayer, hein ? Il soupira, passant une main dans ses cheveux.

« Ouais, j'imagine. »

Peut-être qu'il ne devrait pas rester là, en fait, qu'elle n'avait finalement aucune envie de le voir. Il n'était pas présomptueux au point de s'imaginer qu'elle ait vraiment envie de discuter avec lui. Trop de merde accumulée entre eux deux pour que les mots passent encore correctement.

« Tu veux que je m'en aille ? »

Il vit qu'elle essayait d'attraper un truc juste après avoir demandé ça, et il se précipita, se levant un peu pour le lui donner. En suivant la direction de sa main, elle voulait... Les bonbons qu'il venait d'apporter ? Il se mordit la lèvre inférieure et lui donna le sachet, les joues un peu roses. Il ne savait même pas ce qu'ils goûtaient, ces trucs-là, mais ils étaient roses, alors c'était sans doute bien...

« Tiens, j'aurais pas dû les mettre si loin, désolé. »

▽ Breathe me.

Partir ? Tu n'avais pas envie qu'il parte. Il devait rester près de toi, parce que tu en avais besoin, parce que tu ne voulais pas tomber plus bas. Un mouvement négatif de la tête, douloureux, mais nécessaire. Tu ne remarques pas la couleur de ses joues lorsque tu tentes d'attraper le paquet, tes yeux étaient trop bas pour apercevoir ne serait-ce qu'un de ses cheveux. Sauf que tu avais bien vu sa main qui te donnait le paquet. Tu l'attrapes faiblement de tes fins doigts et ouvre le paquet douloureusement. Tu regardes à l'intérieur, en fait tu arriverais même pas à en porter un seul à tes lèvres. Tu soupires et lèves enfin tes yeux jusqu'au visage de Garfield. Tu aurais jamais du le regarder, parce que maintenant tu te perdais dans ses yeux. Un fin tremblement vient déranger tes mains. Le cahier sous le paquet de bonbons écrivait, pour une fois, ce que tu voulais.

J'arrive pas à lever les bras plus haut de toutes façons.

Tu regardes autre part. Pour une fois, tu ne t'insultais pas, à l'intérieur de ta tête. Ce que tu faisais, là, au moins, ça n'avait pas l'air complètement con. D'un côté, tu espérais qu'il te rassure, qu'il te dise que tout allait bien, que ce qu'il t'avait dit était un mensonge ou qu'au moins il te murmure qu'il t'aimait quand-même, finalement. Tu te mords la langue et recommence à enfoncer tes ongles dans la paume de ta main. Heureusement que tes membres étaient faibles, tu aurais recommencé à saigner, autrement.

Si tu veux partir je t'en empêcherai pas. Mais si ça ne te dérange pas, je préfère que tu restes.

Elle était vraiment misérable, et ça lui fendait le coeur. Comment est-ce que ça pouvait être si grave ? Il avait une idée de la réponse, en fait. Elle n'allait déjà pas bien avant. Il l'avait vu sans le voir, en se disant que ça passerait. Mais là, on ne pouvait pas dire que c'était passé.

« Attends, j'vais t'aider. »

Jodie voulait qu'il reste, alors il pouvait bien se rendre utile un peu. Il rapprocha sa chaise jusqu'à la coller à une des tables de chevet, pour être plus près de son visage et s'y assit en tailleur. Et puis il lui prit le paquet de bonbons des mains, pour en sortir une petite boule rose. Évidemment, il ne pensait même pas qu'il pouvait avoir les mains sales. Tant pis. Il se pencha, approchant le bonbon des lèvres de Jodie.

« Voilà. Là tu peux pas dire que t'arrives pas à l'attraper. »

Peut-être qu'elle n'avait pas le droit de manger ? Bof, de toutes façons, ça la tuerait moins vite de manger que d'ingurgiter ce qu'Absynthe choisissait de lui donner. Même si Garfield aimait beaucoup Absynthe, il ne pouvait quand même pas nier que le mec était dangereux.

« T'en as pour combien de temps à être dans le pâté comme ça ? Je sais pas ce qu'on t'a donné mais ça a l'air puissant. » Il sourit. « La dernière fois que je me suis pété le bras, j'ai vu des hippopotames verts partout dans la pièce avec le calmant. »

Une discussion normale, ou presque. Il essayait de faire abstraction de sa pâleur et des blessures. Pas évident.

▽ Breathe me.

Tu entre-ouvres les lèvres, attrape le bonbon avec tes dents et le passe sur ton palais avec ta langue. Tu mâches lentement, tes yeux restant fixés dans le vide. La difficulté c'était pas spécialement les calmants ou les potions mais plutôt ces blessures que ton corps finirait par ne plus supporter. D'un côté, jamais tu n'oserais dire qui est-ce qui te les infligeait. Par peur de décevoir, peut-être. Ça devait être ça. Tu t'étais même convaincue toi-même que la situation pouvait évoluer si tu persévérais. La belle blague. Voilà où ça t'avait mené ; plus la force de prendre un paquet de bonbons à quelques centimètres à peine de toi. C'était vraiment minable. Tu t'en voulais un peu d'être comme ça et de ne plus pouvoir lever le dos et sourire. Tu n'y arrivais pas. Ou plutôt tu n'arrivais pas à récupérer cette volonté de sourire.

Tu restais juste là, comme si tu étais morte, à mâcher ton bonbon. Tu te mords la langue, sans réagir. Tes yeux plantés vers le mur finissent par croiser le regard de Garfield. Pas un mot n'apparaissait sur le cahier. Pas encore. Tu fermas les yeux un instant. Tu les rouvres quelques secondes après et continue de mâcher le bonbon avant de l'avaler. Tu esquisses un sourire. En fait tu aurais peut-être du le cacher, ce mini-sourire presque invisible. Tant pis.

Des hippopotames verts..

Tes yeux valsent, cherchent un point d'appui, mais décidément, il n'y avait qu'en regardant Garfield que tes pupilles arrivaient à rester stables. Alors tu le regardais, sans jugement aucun, sans air critique. Juste un presque sourire que tu tentais de camoufler accompagné de tes yeux fatigués et de ton teint pâle, presque blanc. Tu glisses ton bras sur la couverture et grimaces à la douleur. Tu avais saigné ? Tu ne t'en rappelais pas. Tu tentes de déplacer le carnet pour qu'il soit un peu plus haut sur tes jambes, en vain. Tant pis, tu n'arriverais pas à lire ce que tu écrivais.

C'est pas la faute des calmants c'est Ri..
Rapidement, tu te reprends. Ne pas énoncer son nom, ne pas énoncer son nom. Tu inspires, expires. Tu paniques un peu mais arrives à récupérer le tout.
... c'est Rien.

Elle n'avait pas l'air dans son assiette. Bien joué Sherlock. Enfin il avait remarqué, hein, mais ça n'avait pas l'air de s'arranger. Sans pouvoir s'en empêcher, sans même s'en rendre compte, il leva une main pour dégager les longs cheveux roses du front de Jodie. Il était tellement inquiet qu'il serait bien resté là toute la journée... Mais évidemment, c'était pas une bonne idée. Du tout.

En regardant le carnet, il fronça les sourcils.

« Y a autre chose ? » Il mettait l'écriture saccadée sur le compte de sa confusion. « T'as mal quelque part ? Je peux aller chercher l'infirmier si tu veux, suffit de le dire et j'y vais tout de suite ! »

Bizarrement, ça lui rappelait quelque chose. Un autre moment où il était parti chercher quelqu'un, et où il n'était jamais revenu. Mais là, il n'avait aucune raison de fuir, n'est-ce pas ? Même s'il se traînait toujours une bonne moitié de son tas de culpabilité, avec Jodie, les choses étaient claires. Enfin, il ne pouvait pas s'empêcher de flipper un peu en la voyant comme ça. Il parlait un peu trop vite, il la regardait d'un peu trop près, pour être sûr qu'elle n'allait pas disparaître à force de se confondre avec les draps.

« Si tu as besoin de quoi que ce soit, il suffit de demander ! »

On dit toujours ça aux gens qui ne vont pas bien. Sans trop y penser, parce que c'est normal, et qu'on le coeur qui gonfle de malheur pour eux, pour la pauvre petite chose qui n'a pas eu de chance. Et peu de gens le prennent vraiment au sérieux, d'ailleurs.

▽ Breathe me.

Il n'y avait rien. Rien de plus que ce que tu voulais bien lui dire, rien de plus que ce que tu acceptais de voir. Intérieurement, tu rageais de ne pas avoir un peu plus de force, juste histoire de pouvoir lui écrire correctement les mots et pas juste les gribouiller comme tu étais occupée de le faire. Tu t'en voulais terriblement de ne pas être morte, en réalité. Tu n'en voulais pas à Elyrian, non, juste à toi-même. Même si les choses s'étaient passées de la même manière, tu aurais pu t'étouffer. Sauf qu'il a fallut que tu ais encore la foi. Encore la foi de respirer, de vivre, de voir Garfield, sans doute un petit peu aussi.

Tu l'observes et plisses les yeux. Tu avais mal ? Oui, tu souffrais le martyre. Il y avait quelque chose ? Oui, tu mourrais d'envie de pouvoir dire ce qu'il se passait vraiment. De pouvoir écrire "Salut je m'appelle Jodie et en fait tous les jours je me fais tabasser par un blond de Serpentard". Sauf que tu ne pouvais pas. Pas vraiment parce que tu n'en avais pas la capacité mais plutôt parce que tu refusais de dénoncer Richard. Tu voulais. Non. Tu devais assumer ta faiblesse. Un jour, peut-être, ça ira mieux. Tu essayais de t'en convaincre, en tous cas. Tes doigts se crispent sur le papier, en froisse un peu les bords. Tu n'avais même pas fait exprès. Un soupire t'échappe.

Le problème c'est que je peux rien dire.

Tu fermes les yeux un instant. Ton souffle se fait un peu bruyant, tu ravales ta salive. Tes dents se serrent pendant que ton papier chiffonné tente encore d'écrire de son propre chef. Pour cette fois, tu l'en empêchais. Hors de question que ce nom s'affiche sur le cahier ! Tu te mords la langue et évite le regarde de Garfield. On va plutôt regarder ses mains.

J'ai besoin de rien.

Très drôle. Non vraiment, c'était a, que t'avais à dire ? Heureusement que le cahier était un peu plus rusé que ton esprit fatigué. Tu serras les dents en sentant les lettres s'inscrire. T'en avais vraiment marre que les inscriptions se faisaient toutes seules. C'était un peu énervant de ne plus avoir son droit de parole. Encore plus que de ne pas avoir de voix.

C'est nul, non ? Ne même pas arriver à dénoncer le papa de ces vilaines traces.

Connard de cahier.

Jodie ne pouvait rien dire. Ohoh, très jolie blague. ... Ouais, non, c'est douteux. Garfield se mordit la langue pour avoir pensé ça, parce que même lui ne trouvait pas ça drôle, puis reprit sa lecture. Et ça lui inspirait moins d'humour noir, tout de suite. Il fronça les sourcils, en alternant les coups d'oeil sur elle et sur le carnet sans comprendre. Enfin, sans comprendre autre chose que la colère qui revenait en force.

Il n'avait pas insisté, la dernière fois, et pour cause, il s'était barré. Il avait envie de la secouer, et c'était encore plus horrible qu'avant, forcément.

« Pourquoi tu te laisses faire ? »

Garfield voulait demander, il voulait lui-même la bousculer jusqu'à ce qu'elle parle, qu'elle reprenne ses esprits, qu'elle sorte de cette torpeur où il était presque sûr de l'avoir poussée un peu plus. Il serra les poings. Il n'en avait aucun droit, rien à lui dire, mais ça le rendait toujours aussi dingue.

« Qu'est-ce qui se passerait de mal si tu le dénonçais ? Il se ferait peut-être expulser. Il arrêterait. »

Raisonner logiquement, voilà, pour une fois, ça ne peut pas faire de mal. Il ne voulait pas ajouter du sel sur les plaies, il voulait qu'elle revienne à elle. Il y avait juste un truc qu'il aurait préféré ne pas savoir, tant qu'à faire qu'elle ait décidé de se taire. C'était un seul gars qui lui faisait ça. Il s'approchait d'elle, aussi près que lui, peut-être plus, et il la faisait souffrir. Il ne pouvait pas comprendre. La seule violence qu'il avait envie de faire subir à Jodie, c'était de la plaquer contre le mur pour l'embrasser... Non, pensée interdite. Soudain, quelque part dans le fil de ses idées, une chose horrible lui traversa l'esprit. Une toute petite réflexion, qui avait fait son bout de chemin. Il se prit la tête entre les mains, pour essayer de se sortir ça de l'esprit.

« Tu vas me rendre complètement fou, t'es au courant? »

Et pas comme elle l'aurait rendu fou quand les choses étaient joyeuses.

▽ Breathe me.

Tu te mords la langue, regarde ton carnet méchamment. Pourquoi fallait-il qu'il dise toujours des choses en trop ? Tu chiffonnes encore un peu plus le papier, sans avoir la force de fermer le cahier pour autant. Tu plisses les yeux et détourne le regard. Surtout ne pas le regarder, c'était dangereux. Tu ne pouvais rien lui dire. Rien du tout. De toutes façons, si tu ne voulais pas, le seul à pouvoir y changer quoi que ce soit, c'était le carnet. Il était pas au mieux de sa forme, lui non plus, avec toutes ses pages pressées contre tes mains.

Les mots n'apparaissent pas. Parfois il y avait bien une petite trace grise mais jamais un mot complet. Tu le regardes se débattre contre lui même. Tu entre-ouvres la bouche. Putain il fallait que tu arrives à lever le bras, c'était plus possible, comme ça. Alors tu fais un effort sur-humain, tu lèves le bras et effleure le dos de sa main du bout des doigts. Bon. T'aurais voulu lui prendre la main. Mais c'était un peu loin et un peu trop demandé pour ton petit corps qui était déjà pas très au point. Tu laisses tomber ton bras dans les draps et soupires. C'était insupportable, de ne rien pouvoir faire.

C'est toi qui est revenu..

Tu t'en voulais de dire ça. Parce que c'était remettre la culpabilité sur lui alors que tu la portais à toi toute seule sur tes frêles épaules. Parce que cette culpabilité te rongeait depuis votre dernier baiser. Parce que tu détestais particulièrement ça. C'était une des pires sensations qui existaient, d'être coupable. Tu fermes les yeux et trembles de la main quelques secondes avant près de la sienne.

Désolée.

Ouais. Ouais, c'était lui qui était revenu, mais c'était pas lui qui essayait de lui prendre la main. C'était trop demander, quelque chose de normal ?... Sûrement, en fait, parce que leur conception de la normalité était vachement différente. Se faire taper dessus sans réagir, pour Garfield, ce n'était pas normal.

« T'as pas répondu à mes questions. »

Il n'allait pas se justifier d'être là, c'était très clair ; une visite à l'infirmerie, à quelqu'un qui n'est pas bien. Personne ne pouvait lui reprocher ça... Toujours se demander ce que d'autres penseraient de ses actions, c'était fatigant au dernier degré. Quand est-ce qu'il avait commencé à se prendre la tête pour le moindre mouvement au point d'en être paralysé ?

Pour une fois, il n'avait pas laissé passer une omission.

« Sérieusement, ce que je te demande ne te fait rien avouer du tout, si t'as peur. Ça me donne aucun indice. Alors réponds-moi, honnêtement. Pourquoi tu te laisses faire ? »

Il ferma les yeux une seconde. Ça avait déjà marché, mais c'était passer si loin outre ses prérogatives, se croire important alors qu'il ne l'était pas... Mais si on en croyait le petit bout de papier froissé dans sa poche, il l'avait été au moins un instant.

« Réponds-moi ou je me barre. Et je ne reviens pas. »

En plus, ce serait sans doute mieux qu'elle lui dise de partir.

▽ Breathe me.

D'un côté, tu mourrais d'envie de lui dire et de l'autre, t'avais pas trop besoin de te rajouter des problèmes et encore moins de te sentir coupable pour Richard. Des courbes hésitantes et incomplètes se dessinaient sur le papier sans jamais former la moindre syllabe. Tu ravales ta salive et serres les dents. Tu devais dire quoi ? Comment tu devais le dire ? Est-ce que tu devais répondre au moins ? Oui, tu devais répondre.. Et il le confirmait.

« Réponds-moi ou je me barre. Et je ne reviens pas. »

Merde. Non. Putain. Il fallait pas qu'il parte. Non mais vraiment pas. T'avais pas envie qu'il parte. Tu entre-ouvres la bouche, commence à trembler des deux mains. Non mais non. Sérieux. Tu te mordis les lèvres, enfonças tes ongles dans la peau de tes mains. Pourquoi fallait-il que ce soit si cruel ? Tu n'avais même plus le droit de protéger Richard ? Tu regardes Garfield.

Ne pars pas, je..

Tu hésitais. Tu inspires, tu tousses et grimaces de douleur. Non vraiment, tu n'allais pas dénoncer Richard, peu importe les conneries qu'il pouvait faire. Tu baisses les yeux. Tu ne pleurais pas. Tu aurais pu, ceci dit. Mais tu ne voulais pas. Tout simplement parce que Garfield était là. Que tu ne voulais pas t'apitoyer et encore moins l'apitoyer lui.

C'est.. par bêtise. Quand R.. Quand il commence à me violenter, je me dis que peut-être si je fais un effort, il finira par comprendre que je suis pas méchante.. Parce que forcément, il doit pas me frapper sans raisons alors... Je me demande.. Ce que j'ai fait de mal.