Contre la colère, il essayait de faire marcher ses neurones. De respirer et de comprendre. De se mettre à sa place. Elle ne voulait pas qu'il parte – ce qui était en soi incompréhensible, mais soit – alors il allait essayer de la faire changer d'avis. En douceur.

« Ok. Admettons. »

Il plissa les yeux, juste un peu, perdu dans sa réflexion parce qu'il devait se concentrer pour ne pas hurler de toutes la force de ses poumons. Donc.

« Et si je te dis qu'on ne peut pas plaire à tout le monde ? »

C'était un premier point important, il lui semblait. Outre le fait qu'il cherchait un nom en R, ce qui était dûment noté. Et serait communiqué à tous ceux des amis de Jodie qu'il croiserait par la suite.

« Tu essayes de faire quoi comme effort, franchement ? S'il te déteste tu ferais mieux de rester loin. C'est pas toi qui es méchante, pour le coup, sauf avec toi-même. » Ses poings se serrèrent encore, parce que sa conclusion était assez logique, dans le fond, quand on cherchait un peu dans le mauvais sens. « Tu l'aimes ? »

C'était une des choses qu'il voyait pour que quelqu'un supporte ça.

▽ Breathe me.

Plaire à tout le monde, c'était une chose, comprendre pourquoi il te frappait, c'en était une autre. Tu serres les dents. Pourquoi est-ce que Garfield et toi aviez deux points de vue si différents ? Parce que décidément, il ne comprenait pas. Ou alors c'est toi qui ne comprenait pas. C'était plus logique. Et tu t'en rendais compte. Cette simple pensée te fit baisser les yeux. Tu ravales ta salive et laisse le cahier sans prise, histoire de ne plus l'abimer plus qu'il ne l'était déjà. Ta tête dans l'axe de ton corps, tu t'enfonçais dans l'oreiller tandis que certaines de tes mèches de cheveux tombaient devant tes yeux.

Tu dirigeas ton regard vers lui lorsqu'il demanda si tu l'aimais. Non, tu n'aimais pas Richard. Tu ne le détestais pas non plus. Tu essayais juste de le comprendre et de te faire aimer. Mais ça n'allait que dans un sens. Le plus perturbant, c'était pas la question, c'était que c'était lui qui la posait. Tu aurais bien voulu sortir des jolies phrases mais c'était pas vraiment le moment.

Non.

Il n'y avait eu ni hésitation ni précipitation. Tu étais juste restée là à maintenir son regard, te demandant pourquoi est-ce qu'il avait posé la question. Est-ce que c'était important, que tu aimes Richard ou pas ? Est-ce que c'était important que tu aimes qui que ce soit ? Qu'est-ce qui était important, à ses yeux ? Tu clignes des paupières lourdement avant d'inspirer, remplissant presque tous tes poumons sans tousser. Tu passes ta langue sur tes lèvres trop sèches et trop froides avant de récupérer ton cahier dans tes mains, difficilement.

C'est important ? De savoir si je l'aime ?

Tu baisses à nouveau les yeux mais les relève automatiquement vers le mur en face de toi. Tu n'avais aucune idée de ce qu'il se passait, mais tu recommençais à sentir ton cœur battre. C'était agréable, lui qui avait été si absent ces derniers temps. Tu esquisses un sourire, ton regard se perdant dans le vide. Mais si tu le sentais battre, alors pourquoi ta peau pâlissait de plus en plus ?

Garfield ? On ira jouer dans la neige, un jour ?

Tes paupières se ferment, ton sourire s'élargit. Un vrai sourire, même si accompagné de tes yeux mouillés, il était vrai. Même si tes joues subissaient la coulée de quelques larmes, il était le plus vrai de tous tes sourires. Tu ne savais même pas pourquoi tu avais écrit ça. Cette fois, ce n'était même pas le cahier.

Garfield retint le plus grand soupir de soulagement de l'histoire de l'humanité. Et il le retint parce qu'il n'avait pas le droit d'être soulagé. Enfin si, mais pas pour les raisons qui s'avançaient en premier. Qu'elle ne soit pas amoureuse de quelqu'un qui l'envoie à l'infirmerie pour le plaisir, c'était quelque chose pour lequel il avait le droit d'être content. Qu'elle ne soit pas amoureuse de quelqu'un d'autre en général, par contre, il n'était pas autorisé à s'en réjouir.

Est-ce que c'était important ? Beaucoup trop. Mais quelque part dans ses réflexions, il semblait avoir décidé d'arrêter de mentir. Même si atténuer la vérité n'était pas encore interdit, les règles du jeu étaient déjà un peu plus honnêtes.

« J'imagine, ouais. »

Sa voix trahissait un peu qu'il faisait plus qu'imaginer, tout comme la couleur sur ses joues. Sa remarque suivante le fit sourire, avant qu'il ne voie qu'elle pleurait.

« Dés le prochain flocon, on ira. C'est une promesse. »

Il avait dit des trucs qu'il regrettait, fait pas mal de trucs qu'il regrettait encore plus, mais il y avait sans doute quelques promesses qu'il pouvait tenir malgré tout. Tant qu'il restait dans les limites de la décence, il pourrait peut-être arrêter de regarder par dessus son épaule en permanence, de calculer le moindre truc par rapport à sa culpabilité. Il respira à fond, et il lui prit la main, avec douceur, parce qu'il aurait été capable de lui faire mal, doué comme il était. Elle était froide, et son coeur se serra encore un peu plus.

▽ Breathe me.

Pourquoi est-ce que c'était important ? Pourquoi est-ce qu'il rougissait ? Tu ne comprenais pas. Peut-être que tu n'avais pas envie de comprendre ? Est-ce que c'était douloureux ou agréable de le voir comme ça ? Tu ne savais plus trop. La seule chose que tu arrivais à capter, c'est que ça te faisait sourire. Sourire, c'était bien, non ? Sans doute que oui. Parfois ça ne l'était pas, quand c'était pour de faux, par exemple. Ou encore quand c'était par méchanceté. Avais-tu déjà souri pour te moquer ? Tu ne te rappelais pas. Tu ne te rappelais plus de rien, plus de tout. Tu souriais pour du vrai et c'était la seule chose importante. Enfin, si on ne comptait pas le fait qu'il te regardait, encore. Et que ça, c'était rassurant, pour toi.

D'un côté, tu ne voulais pas lui demander, d'un autre tu en mourais d'envie. Est-ce qu'il t'aimait ? Ou est-ce qu'il faisait encore semblant ? Est-ce que c'était à cause de toi, de tes mouvements, de tes mots ? Tu culpabiliserais encore, si tu lui demandais ? Est-ce que tu culpabiliserais aussi, s'il te disait que oui ? S'il redevenait méchant ensuite ? Et s'il disait non ? Trop de problèmes, en perspective. Hors de question de lui poser la question. Même si tu avais besoin de savoir, même si ton esprit s'arrêtait de marcher à cause de ça, tu ne devais pas lui demander. C'était trop dangereux de savoir, trop dangereux de quitter ce confort lorsqu'il te prenait la main.

Tu la lui serres doucement, même si c'était douloureux. Tu avais besoin de vérifier qu'il était là, parce que tu devais savoir qu'il ne partirait pas, même si ton esprit avait décidé de fuir. Tes longs cils noirs cachent la couleur de tes yeux. Tu les relèves vers Garfield, en lui souriant. Il avait promis. Il était obligé de tenir sa promesse. Peut-être qu'après, il finirait de nouveau par te dire que tu n'étais pas exclusive. Peut-être qu'il finirait par de nouveau t'avouer qu'il t'avait menti. Mais quoi qu'il arrive ensuite, il devait d'abord jouer avec toi dans la neige. Parce qu'il avait promis.

C'était votre promesse.
Ou peut-être juste la sienne.

Tu perds ton sourire en même temps que tu fermes tes paupières. Tu ne t'endormais pas, ou alors qu'à moitié. Tu maintenais sa main dans la tienne, tu la serrais pour ne pas qu'il parte, pour qu'il comprenne que tu étais encore consciente même si trop faible pour maintenir son regard. Tu t'en voulais de faire ça, d'être comme ça, d'être toi, mais tu n'y pouvais rien. Jodie était Jodie. Et Jodie était amoureuse.

T'étais vraiment trop bête.

Garfield.. Le papier.. Tu l'avais lu ?

En fait, même s'il ne l'avait pas lu, ce n'était pas important. Parce que tu t'étais dit que peut-être, il culpabilisait. Et le faire culpabiliser n'était pas dans ton intention. Ou alors il s'en foutait complètement ? En tous cas la nécessité était là.. Tu ravales ta salive et te mords la langue avant de sourire, un peu gênée.

C'est peut-être sans importance, pour toi, tout ça mais.. Je n'avais pas l'intention de me suicider. Je suis tombée de fatigue. Même si un moment j'ai espéré qu'on ne me repêche pas, c'est pas ta faute, si je suis ici.

C'était assez horrible de constater qu'il se sentait mieux avec sa main dans la sienne. Il avait l'impression qu'elle était en train de s'endormir, mais ce n'était pas le cas. Le carnet parlait toujours. Et il voyait assez bien de quel bout de papier il s'agissait, parce qu'il était toujours dans sa poche, alors qu'il aurait dû l'abandonner ce jour-là dans les jardins.

« Ouais, je l'ai lu. Je l'ai toujours, en fait. »

Il n'aurait peut-être pas dû le dire, ça. Enfin bon, s'il avait pu ravaler tout ce qu'il n'aurait jamais dû dire, il se serait tapé une indigestion monstrueuse. Mais elle continuait. C'était vraiment un accident, alors ? Il soupira de soulagement, sans retenue cette fois.

« Je suis content de le savoir. Je peux pas dire que l'idée m'est pas passée par la tête, avec tout ça... »

Il désigna vaguement le bras de Jodie, plein d'hématomes plus ou moins anciens. Ceci dit, il avait eu raison, en pensant qu'elle n'était pas bien même auparavant, si elle était tombée de fatigue.

« La prochaine fois que tu veux faire une sieste, essaye de trouver un endroit plus confortable, ok ? Ça évitera une peur bleue à tout le monde. »

Garfield hasarda un sourire, pour essayer d'alléger l'atmosphère, d'oublier ce papier en se concentrant sur un soulagement bien légitime – pour une fois - , mais ce n'était pas gagné vu son épaisseur ; on aurait pu toucher les non-dits entre eux deux tant ils étaient nombreux et compacts. Comme le fait que 'tout le monde' voulait dire 'lui tout seul'. Un peu comme quand il se disait qu'elle ne pouvait pas l'aimer autrement que comme elle aimait également le reste de l'univers, ou comme la petite main qui se réchauffait un peu dans la sienne alors qu'elle n'aurait pas dû y être.

▽ Breathe me.

Tu avais ouvert les yeux. Le papier ? Il l'avait avec lui ? Est-ce que c'était plutôt bien ou plutôt mal ? Ta respiration s'était arrêtée un moment alors que tes yeux s'étaient figés sur vos mains. Qu'est-ce qui était le plus gênant ? Qu'il le dise ou que tu pensais qu'il le déchirerait ? Tu ravales ta salive et respires, lève les yeux douloureusement vers lui. Tu l'écoutes, sans un bruit, pas le moindre mot se marquant sur le papier. Juste ta main gardant la sienne prisonnière. Tu aurais pu rester là des heures, si tu avais pu.. Si il avait put, plutôt. Tu lui souris vaguement, tes yeux se perdant dans la contemplation des siens. Tu ne suivais plus vraiment, ton cahier écrivait ce qui passait, sans faire réellement attention.

Pourquoi est-ce que tu fais ça ?

Tu passas tes yeux sur le cahier. Oui, c'était ça, la question. Elle n'était pas claire et tu en prenais conscience mais c'était exactement ça. Tu retroussas tes lèvres, légèrement, avant de regarder à nouveau Garfield. Le pire, c'était pas forcément que tu ne comprennes pas.. C'était surtout que tu étais persuadée qu'il ne t'aimait pas. Parce qu'il avait quelqu'un et qu'il n'y avait donc aucune place ni dans sa tête ni dans son cœur pour toi. C'est ce que tu croyais, dur comme fer.

Un jour tu t'inquiètes, alors c'est une preuve d'amour.. Et puis l'autre jour tu me repousses. Et puis tu m'aimes et me détestes, et ça continue comme ça. Je veux dire.. Si tu ne m'aimes pas, pourquoi tu fais semblant ?

« Pourquoi est-ce que je fais quoi ? »

Tout d'un coup, il était sur la défensive. Il n'y avait vraiment pas moyen de passer à autre chose ? Il aurait préféré que les choses soient plus faciles. Pourquoi est-ce qu'elle était tellement douce ? Il aurait fait la même chose à n'importe quelle autre fille qu'il connaissait, il se serait mangé une bonne baffe, elle aurait tiré la gueule pendant un siècle ou deux et ça aurait été fini.

« Ah. »

Super éloquent, Andersem, bravo. Il resta silencieux un moment, cherchant la bonne réponse... Et il n'y avait pas de bonne réponse, comme à toutes les questions piège du genre dont Jodie semblait être la spécialiste. Qu'est-ce qu'il pouvait dire à ça ? Qu'il l'aimait ? Il n'en savait rien. Il savait qu'elle parvenait à le faire démarrer au quart de tours, dans tous les sens, colère, envie, et qu'elle aurait pu faire de lui à peu près tout ce qu'elle voulait si elle se donnait la peine d'essayer. Et que, dans le contexte, c'était très mauvais pour son karma. Il soupira.

« Pourquoi est-ce que c'est tout ou rien ? »

Répondre à la question par une autre question, c'était faible.

« Est-ce que ça ne peut pas être de l'affection ? Je fais pas semblant, mais t'es quand même au courant que pour de l'amour c'est mal barré. » Il ne lui ferait pas l'affront de dire que c'était de l'amitié, il abusait déjà comme ça. Il ne s'était même pas rendu compte que sa langue avait fourché et qu'il venait de trahir quelque chose d'important tant il voulait prouver ce qu'il avançait. « Je te déteste pas, juste que... » Encore un soupir. « C'est compliqué, voilà, je me perds tout seul, ce serait mieux d'oublier. »

Il retira sa main de la sienne. C'était méchant, mais bon. D'ailleurs, il croisa les bras, le visage fermé.

« Je crois que t'as besoin de te reposer... »

Il préparait sa fuite. Lâche. Salaud.

▽ Breathe me.

Tu ne souris plus. Tu laisses ta main se taper contre le bord du lit, plus bas. Dans ta tête, il n'y avait que des mots qui s'embrouillaient, des lettres illisibles, un malaise imperturbable. Non vraiment, pourquoi est-ce que tu étais encore en vie ? Pourquoi est-ce que tu te retrouvais toujours la dernière en tout ? Pourquoi est-ce que tu étais toujours trop lente à comprendre ? Pourquoi est-ce que tout ne pouvait pas être comme toi tu le voulais ? Pourquoi est-ce que tu ne pouvais pas contrôler tout simplement le monde qui t'entourait ? Pourquoi est-ce que tu n'avais pas le droit de mourir ? C'était ta vie, tu en faisais ce que tu voulais. Tu entre-ouvres la bouche, ton regard maintenant devant le mur. Tu pleures mais sans bruit, sans un souffle. Tu aurais pu être morte que ça aurait fait le même résultat, finalement.

J'aurais du mourir.

Le carnet écrivait, toi tu n'étais plus là. Ton esprit était absent. Ou presque. Parce que tu étais quand même arrivée à te relever, pour t'asseoir. T'avais juste une chemisette à bretelles sur toi, c'était déjà ça, mais c'était pas grand chose. La moindre de tes blessures était visible, tous les coups qu'il t'avait porté étaient là. Tu enfonces une main dans le matelas et réussit à te tourner jusqu'au bord du lit. Ton dos était encore pire que tes bras, finalement. Le cahier était resté derrière toi.

Ne viens plus me voir si tu n'en as pas envie.

Tu serres les dents. Tu essaies de te lever. En vain. Tes bras étaient beaucoup trop faibles.

Va-t'en. Et laisse-moi terminer mon agonie.

C'était elle qui essayait de partir, maintenant. Garfield ne savait pas s'il devait se barrer en courant et aller hurler sa confusion plus loin ou essayer de rattraper le coup.

« Tu crois que ça aurait été mieux si j'avais rien dit ? »

Il ne savait même plus ce qu'il avait envie de faire. Plein de choses contradictoires en fait. Partir et se planquer à jamais, faire l'autruche et ignorer qu'elle existait jusqu'à ce qu'elle finisse ses études ou qu'elle se tue vraiment. Essayer de toutes ses forces de la détester. Ou la prendre dans ses bras et ne plus jamais la lâcher pour que plus personne, jamais, ne puisse lui faire du mal. Seulement il aurait fallu commencer par ne pas lui en faire lui-même.

« Je devais faire quoi ? Et maintenant, je dois faire quoi pour que t'arrêtes de dire des trucs comme ça et que tu souries ? Je dois faire quoi pour que tu redeviennes comme avant ? Et pour être sûr que tu te foutes pas en l'air ? »

Voilà, qu'elle lui explique, qu'elle lui dise, parce que lui il ne savait plus. Il avait essayé tout ce qui lui était passé par la tête pour arranger les choses, pour revenir à un semblant de normalité et oublier ses lèvres sur les siennes. Le problème, c'était que depuis, elle s'obstinait à aller mal, et il ne pouvait pas le supporter.

▽ Breathe me.

Tu restes là, faible, dos à lui. Tu ne pouvais pas. Tu ne pouvais pas te relever, tu ne pouvais pas fuir, encore moins l'oublier ou le détester. Tu l'aimais, d'un amour sincère, mais c'était trop dur pour toi d'accepter que lui, en retour, ne t'aimait que comme on aime une amie. Une amie qu'on embrassait, oui, mais ça tu ne le captais même plus, à l'heure actuelle. Tu trembles.

Je t'ai demandé de t'en aller.

Tu serres les dents, enfonce un peu plus fort tes ongles dans ta peau. Tu ne pouvais pas. Tu ne pouvais pas être méchante tu ne pouvais pas le rejeter. Tu pleures, le mouvement saccadé de tes poumons entraîne tes épaules. Difficile de cacher que tu étais plus triste qu'en colère.  

Y a rien de plus à dire. J'ai juste pas trouvé la bonne raison d'exister.

C'était pas compliqué, t'en avais pas. Tu étais juste inutile. Peut-être que c'était pour ça que Richard te frappait ? Pour te tuer ? En fait il avait raison, non ? Les gens faibles auxquels on doit tendre une main pour qu'ils survivent ne méritaient pas de demeurer vivants. C'était tellement idiot, tout ce qui se passait dans ta tête. Contradictoire avec toute ton aspiration, contradictoire avec tout ce que te hurle ton cœur.  Ton écriture s'adoucit.

Pardon.

Tu fermes les yeux, laisse tout ton corps réagir à chaque fois que tu tentais en vain de respirer correctement. Tu te mords la langue et souris. Parce qu'il fallait sourire. Tu attrapes l'oreiller et le fait venir jusque devant ta poitrine, tu le serres contre toi.

C'est bête, ce que je fais. Te dire t'en aller alors que c'est la dernière chose que je veux qu'il arrive.. M'excuser seulement quand c'est trop tard.. Tendre la main juste quand le train est déjà passé.. Vouloir mourir alors que des gens rêveraient d'avoir la vie que j'ai. Je suis stupide.

Il s'était levé dés la première phrase. Jodie ignorait encore ses questions, elle voulait qu'il parte, et il allait la laisser tranquille, voilà. Et puis... Les mots défilaient, et pour la même raison que d'habitude, il prit le temps de les lire, parce que ça aurait été injuste de les fuir. Si elle avait parlé, il n'aurait pas pu l'ignorer, donc il ne le faisait pas non plus alors qu'elle ne pouvait pas.

Pourquoi est-ce qu'elle s'excusait ? On nageait en plein paradoxe. Casse-toi, mais reste-là. Y a plus rien à dire, mais écoute-moi. Je te veux près de moi, mais reste loin. Est-ce que ça n'aurait pas pu être juste un tout petit peu plus simple ?

Y avait personne, dans l'infirmerie. Pas d'autre blessé, et c'était l'heure de table dans la Grande Salle. Quand il était arrivé, Jodie dormait, et si elle n'était plus en danger, Euphrasie était peut-être partie faire un tour ailleurs. Garfield se mordit la lèvre. Connerie en vue, elle approche, et elle est énorme.

Il fit le tour du lit, pour lui enlever l'oreiller des bras, le balancer par terre sans plus de ménagement et la serrer brusquement contre lui, en fermant les yeux très fort. Elle était en vie, bordel, et toute cette merde avec laquelle ils faisaient du ping-pong depuis une demi-heure ne comptait pas à côté de ça.

« Je suis désolé. »

Il chuchotait, comme si parler à voix haute allait casser quelque chose. Il passa une main sous son menton, pour lui faire relever le visage. Le grand retour de la pente glissante. On a bien le droit de faire un câlin à une fille qui pleure pour la consoler, après tout.

« Je sais pas ce qu'on peut faire à tout ça, mais t'es vivante. Ne me fais plus jamais un coup pareil. »

▽ Breathe me.

Quand il s'était approché, tu avais eu peur. Tu pensais qu'il allait peut-être commencer à te frapper, lui aussi. Tu tremblais toujours et si tu n'avais pas eu si mal, tu te serais sans aucun doute reculée, par peur. Sauf que tes membres réagissaient trop lentement. Tu regardas le coussin finir par terre, dans un claquement sourd. Tu oses un doux soupire en relevant les yeux vers.. Ah non. Tu étais dans ses bras. Dans ses bras ? L'ouverture de tes paupières s'amplifie tandis que tu restais là, sans bouger. Ton cœur battait un peu plus fort dans ta poitrine, lentement, mais puissamment. Tu aurais pu croire qu'il t'arracherait la poitrine. La bouche entre-ouverte, tu finis par passer tes bras autour de lui, tes mains dans le bas de son dos. Elles auraient été placées plus haut si tu y étais arrivée. Tu lâches ta tête, ta joue alors posée sur son épaule, le visage vers son cou. Ton souffle glacé vient caresser sa peau tandis que tes larmes préfère le réchauffer.

Le carnet avait été abandonné derrière toi. Ta peau froide et juste recouverte d'une pauvre chemisette se réchauffait dans ses bras. Tes tremblements disparurent après quelques secondes tandis que tu profitais de chacune seconde qu'il accepterait de t'offrir dans ses bras. Une seconde de plus dans ton éternité, une seconde de trop, une de pas assez. Tu aurais voulu que cet instant dure plus longtemps. Tu ne réfléchissais même pas que les mots apparaissaient.

.. C'est promis. Au même titre que tu m'as promis qu'on irait jouer dans la neige.

Finalement, tu voulais bien qu'il tienne ses promesses. Un maigre sourire se dessina sur tes lèvres. Tu inspires, tu expires. Tes lèvres effleurent sa peau. Tu ravales ta salive et le serre un peu contre toi, usant de la seule faible force qui te restait encore à utiliser. Est-ce que tu devais remercier Richard, d'un côté ? Parce que si tu n'avais pas été blessée, tu ne serais peut-être pas dans ses bras, finalement.

C'est trop demander si je veux que tu restes jusque ce soir, pas vrai ?

Garfield était émerveillé par la vitesse à laquelle elle se calmait. C'était presque valorisant, dans le fond. Les mots qui s'affichèrent sur le carnet lui arrachèrent un soupir de soulagement, encore.

« Merci. »

Elle avait froid, ça se sentait, et elle était faible, tremblotante. Il se demanda si elle mangeait correctement ; elle lui semblait beaucoup trop frêle. Mais bon. Un progrès à la fois, faut pas non plus demander la lune. En parlant de ça... Il grimaça un peu, embêté par la dernière question. Qui jurait atrocement avec ce qu'ils se lançaient à la tête deux minutes plus tôt. Les joies des discussions entre deux lunatiques, un magnifique zigzag entre normalité et drame.

« Ouais, j'ai cours dans... » Il chercha l'horloge. « Une petite demi-heure. Soin aux créatures magiques. Je peux pas sécher, j'crois que MacArthur m'a dans le collimateur depuis que j'ai copié un devoir sur une Serdaigle. Mais d'ici là je peux rester. Par contre... Faudrait que tu te recouches, c'est de la folie de te lever, on dirait que tu vas tomber là. » Il passa la main sur son épaule, glacée. « Tu te réinstalles correctement, et je t'apporte une couverture, t'as l'air morte de froid. »

Il sourit doucement, pour lui faire comprendre qu'il ne fuyait pas – pour une fois, quel miracle – mais qu'il était toujours inquiet. Il accompagna son mouvement pour qu'elle puisse s'asseoir à nouveau sans tomber, et recula pour parcourir l'infirmerie du regard. Il connaissait l'endroit comme sa poche, et se permit d'aller fouiner dans le placard à linges pour en sortir une couverture. Ou deux. Non, en fait, trois, c'est très bien. ... Il était vraiment inquiet.

▽ Breathe me.

Tu te laisses faire, le regarde de tes petits yeux pétillants, bien que fatigués. Tu retrousses doucement tes lèvres en glissant sur le lit. En fait il y avait encore ton oreiller. Tu plisses les yeux. Tu n'arriverais jamais à aller l'attraper et c'était pas la peine ni de l'inquiéter ni de l'énerver. Alors tu restes là, tremblante, attrapes ton carnet près de toi. Tu clignes des yeux plusieurs fois en le voyant débarquer avec trois couvertures. Tu souris et laisses apparaître des fossettes sur tes joues. Tu aimais bien, qu'il prenne soin de toi, comme ça. C'était agréable. S'il n'y avait pas eu ces vilaines blessures, tu aurais pu en profiter au maximum.

De toutes façons il y avait toujours quelque chose qui ne convenait pas, si on regardait les choses sous cet angle. Mais toi, tu avais décidé que ce moment était parfait, à présent. Parce que Garfield te regardait. C'était la seule chose qui importait. Alors tu restes ainsi à le regarder faire et tu ouvris ton carnet, le soulevant un peu pour qu'il le remarque.

Tu peux aussi me récupérer mon oreiller, s'il te plait ?

Tu avais dit ça tout en désignant le dit oreiller, malmené, au sol.

Ah ouais, l'oreiller. Garfield rougit un peu, ramassa le machin et lui tendit sans rien dire. Pauvre oreiller, éjecté sans qu'on lui demande son avis. Jodie s'installa, et il déplia ses couvertures, l'une après l'autre, jusqu'à ce qu'elle ressemble à une momie d'un orange douteux. Probablement une couleur choisie pour la neutralité par rapport à la guerre des maisons, mais tout de même. Enfin, orange et rose, ça va pas trop mal ensemble. De très loin. Avec des lunettes de soleil.

Il s'assit à nouveau sur sa chaise. Sérieux, elle ressemblait à un hotdog.

« La grande classe. »

Il essayait d'avoir l'air neutre, mais il avait ce sourire qui masque difficilement un éclat de rire. C'était tellement plus facile quand l'atmosphère se détendait un peu.

« Tu es bien ? Besoin de rien ? »

Si ça pouvait être tout le temps comme ça, il serait vraiment comblé. Mais bon. Il avait déjà été maintes fois prouvé que le calme ne durait pas, alors autant en profiter.