Ayant laissé son compagnon de la campagne prendre l'attaque de l'araignée mécanique, Vaudou-Jörgen avait profité de l'occasion pour reculer de plusieurs pas. Après tout, son "arme" ne nécessitait pas de se tenir trop proche de ses ennemis. Du moins, c'était ce qu'il pensait.

Peu sûr des raisons de l'échec de son attaque précédente, il ré-examina l'idole de plus près. Avait-il besoin d'y greffer un cheveu, un ongle ou un cil appartenant à sa cible pour l'atteindre ? Derrière son masque en bois, le vieil homme aigri avait fermé les yeux et cherchait à se concentrer. Avant de trop s'exposer en chargeant, l'un de leurs adversaires pour leur arracher l'un ou l'autre poil, il se devait de réessayer une fois ou deux de les atteindre à distance.

Toujours heureux de pouvoir assumer son rôle de sorcier d'un autre monde sans aucune considération pour le ridicule qui s'y associait, il se mit à sautiller d'un pied à l'autre pour que ses colliers en os s'entrechoquent et produisent une macabre mélodie de percussions. Il se saisit alors d'une deuxième aiguille : celle-ci était plus grosse que la précédente, et avait un épais fil rouge passé dans son chat.

- Que cette fois le chant des Oies te noie, que le Roi s'occupe de toi ! chantonna-t-il avec entrain.

Il transperça la poupée de bout en bout au niveau de l'épaule en fixant du regard le garçon qui semblait donner les ordre à l'acromentule de métal.

Viridus avait eu besoin d'un peu de temps pour arrêter de voir des étoiles - bleues, les étoiles - et passer outre l'endormissement complet d'une bonne partie de son visage. La blessure causée par la bombe aurait pu être affreuse si elle n'avait pas été aussi bizarrement colorée et aussi bleue, son nez n'était qu'une espèce de bouillie et de multiples lignes en partaient pour fuser sur ses joues. Il avait l'air d'avoir une galaxie au milieu du visage, ou un museau de chat si on ne regardait que les grandes lignes.

Inutile de préciser qu'il était très, très content de ne pas sentir la douleur au degré où elle aurait dû être.

Il était tombé en arrière sous le choc, et s'était reculé vers le côté de la rue en clignant des yeux pour y faire revenir la lumière. Heureusement pour lui, il put assez rapidement percevoir des ombres et c'était suffisant. Dans un réflexe qu'il ne contrôlait pas vraiment, il tendit le bras pour placer sa fourche dans la trajectoire de l'araignée, au niveau des pattes. L'arme n'était sans doute pas assez tranchante pour lui en couper une, mais elle pouvait sûrement l'envoyer rouler dans le décor plutôt que de la laisser attaquer le chamane vers lequel elle se dirigeait.

Viridus serra les dents, pour constater qu'il en manquait quelques unes.

Le filet de métal se déploya autour de Jörgen l'instant qui suivit, se refermant sur lui dans un bruit crissant. Le grincement des liens d'acier qui se refermaient autour de son corps hérissa jusqu'au dernier des minces cheveux qui dépassaient de son masque. Le sorcier vaudou se savait en danger : saucissonné de la sorte, il aurait facilement pu se faire dérober son pendentif par l'un des adolescents.

Restreint par l'assaut de son adversaire, mais toujours aussi vif qu'un cabri en furie, le vieil homme à moitié nu sautilla comme il put vers l'arrière, se tortillant à la manière d'un serpent pour rapprocher ses deux mains serrées dans son dos à travers les mailles du quadrillage de métal. Il du se faire saigner en de nombreux endroits sur ses deux avants-bras, mais il finit tant bien que mal par planter une troisième aiguille dans l'idole ensorcelée, sans vraiment savoir où exactement.

Enfin, c'était ce qu'il pensait être parvenu à faire. Quand il sentit une vive pointe de douleur dans son poignet, il comprit qu'il avait quelque peu manqué sa cible, et que c'était sa propre main qu'il avait embrochée.

Peu friand de l'idée de rester sur une défaite, il retenta l'expérience et sentit cette fois-ci le bout de métal s'enfoncer dans la poupée. Se rendant soudain compte qu'il avait omis d'inventer une formule alambiquée pour accompagner son geste, il bredouilla rapidement une poignée de nouveaux mots sans queue ni tête :

- Par les Puissants, dans le Torrent de Sang tu sera le mendiant sanguinolent !

Le combat contre l'araignée était fatiguant, tant physiquement que moralement car Viridus tentait de s'en défaire pour pouvoir attaquer les vrais adversaires. C'était pour l'instant peine perdue, car ils avaient entamé une étrange danse d'esquives. Il aurait pu constater qu'il était encore assez flexible pour presque quarante ans, mais il était un peu trop occupé à surveiller les huit pattes de l'engin de malheur. Il était certain que ces enfants verraient leurs notes en Sortilèges baisser - surtout le Poufsouffle.

Il finit par s'agacer suffisamment que pour prendre la fuite entre les tentes environnantes, espérant que l'araignée le suivrait. A mesure qu'il avançait, il accrochait aveuglément les étoffes et banderoles qu'il croisait dans sa fourche, dans l'espoir de les faire tomber sur la créature mécanique. Avec un peu de chance, elle s'emmêlerait dans tout ça et lui laisserait assez de temps pour retourner au centre de l'affrontement, pour faire passer à ces insolents le goût des attaques à distance.